1 : L'oiseau dans la cage
Ce matin en me levant, je n'ai pu me défaire d'un goût étrange sur mon palais. La sensation que je me devais d'écrire quelque chose à propos de cette histoire. A propos de Taehyung et moi. Je ne sais pourquoi.
J'ai pris mon petit-déjeuner que Ha-neul, la gouvernante, avait préparé. A présent je me trouve dans mon bureau, assis derrière ce meuble à l'occidentale posé sur un tapis de la même origine. Je tourne la tête et contemple la bibliothèque qui occupe une grande partie de l'espace de cette pièce.
Il fait moins froid ces jours-ci, on sent que l'hiver laisse peu à peu la place au printemps. Néanmoins, mes doigts engourdis entourent avec précaution la tasse de thé chaud posée devant moi. La différence de température est telle que je dois les enlever toutes les trois secondes car j'ai l'impression de me brûler la peau.
J'ai entendu dire que dans les maisons modernes, du genre qu'on construit en ce moment dans les nouveaux quartiers de la ville, on installe des tuyaux qui servent à chauffer les bâtiments de manière uniforme. Seokjin me dit souvent que je devrais entamer des travaux, moderniser la maison, qu'elle deviendrait ainsi plus confortable. Je ne suis pas certain d'avoir l'énergie et l'envie de me lancer dans ce genre de projet maintenant. Peut-être plus tard.
Mais je me connais, si je reporte à plus tard je ne le ferai probablement jamais. C'est bien pour cela que j'ai tendance à me forcer à faire les choses tout de suite.
Comme écrire ce texte.
Où en étais-je déjà ?
Ha-neul vient de m'interrompre pour me demander si elle peut acheter un faisan à un petit maraudeur qui revient des champs. J'ai acquiescé sans répondre et elle en a pris son parti, refermant la porte en la faisant coulisser doucement jusqu'à ce qu'elle émette un petit bruit sec quand le bois du cadre et du chambranle se sont rencontrés.
Où en étais-je déjà ?
Ah oui. Taehyung et moi.
Je reprends mon stylo en main, celui qui me sert pour rédiger mes manuscrits au brouillon. En général je commence par tout écrire avec celui-là avant qu'un de mes élèves retape le texte à la machine à écrire. Nous en avons acquis une il y a quelques temps mais je n'aime pas le bruit que cet engin produit quand on l'utilise. Quand j'appuie sur les touches, chaque barre de lettres qui frappe le papier me donne l'impression de faire pareil sur ma peau et dans mes oreilles. Je préfère laisser quelqu'un d'autre s'en occuper pour moi.
Par où commencer ? Par l'oiseau dans la cage ? Ou l'arrivée de Taehyung chez nous ? Les deux évènements ont eu lieu le même jour, mais je crois me souvenir que l'oiseau est arrivé avant... en tout cas c'est ce que j'en conclus quand je relis mes notes et journaux...
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— Jimin-ah ?
La voix de ma mère retentit derrière la porte de ma chambre, dans laquelle je suis agenouillé derrière ma table de travail, occupé à corriger un poème que j'ai commencé la veille.
— Entrez, Mère.
La porte coulisse dans un bruit doux et le visage de ma mère apparaît, souriante.
— Bonjour, as-tu bien dormi ? demande-t-elle en s'approchant à petits pas calculés.
— Bien et vous ?
— Oh, ton père est nerveux à cause de l'arrivée de ce nouvel élève aujourd'hui. Il s'est tourné et retourné toute la nuit, j'ai eu un mal fou à m'endormir ! se plaint-elle en s'agenouillant, ramenant son hanbok en plis parfaits sous ses jambes.
— Nerveux ? je répète en posant ma plume.
— Oui, parce que c'est le premier élève qu'il accepte depuis trois ans et qu'il s'agit du fils d'un ambassadeur.
— Je vois.
— Apparemment il souhaite se consacrer uniquement à la peinture, ça fera moins de travail pour lui et Yoongi-ssi pourra déjà superviser son travail le temps que ton père termine la commande des paravents pour la Cour.
Nous discutons encore quelques minutes de l'arrivée de ce nouvel apprenti dans notre maisonnée. Mon père est un artiste, poète et peintre renommé dans tout l'Empire. Il exécute régulièrement des commandes pour la famille impériale et les nobles de la Cour ou d'un peu partout dans le pays. Il reçoit même des commandes de Chine et du Japon.
Afin de perpétuer son savoir, il a ouvert une école depuis de nombreuses années et certains des artistes les plus connus de notre époque sont passés par son enseignement. En ce moment il bénéficie de l'aide de deux assistants, qui terminent leurs formations par la même occasion. Kim Namjoon s'est spécialisé dans la poésie et Min Yoongi quant à lui se voue à la peinture. Trois autres jeunes gens composent sa classe en ce moment : Jung Hoseok qui apprend à composer des vers dans différents styles et langues avant de perfectionner sa pratique des instruments de musique, Kim Seokjin qui souhaiterait faire carrière dans le théâtre et rédiger des pièces pour la troupe impériale et enfin Jeon Jungkook, le plus jeune de tous qui ne vit que pour le dessin et la peinture. Tous sont très doués dans leurs domaines de prédilections, mon père étant très pointilleux sur le choix de ses apprentis. Etant donné sa renommée et son carnet de commandes qui ne désemplit pas, il sélectionne des jeunes gens ayant déjà une formation artistique poussée.
Récemment, il nous a appris qu'il allait intégrer un nouvel élève à son école, un certain Kim Taehyung, fils de l'ambassadeur de Corée au Japon. Nous avions été étonnés ma mère et moi d'apprendre cette décision, sachant que cinq apprentis représentent déjà un travail considérable, même si deux d'entre eux vont bientôt nous quitter, leurs formations arrivant à leur terme.
J'imagine qu'il n'a pas vraiment eu le choix étant donné l'ascendance de cette nouvelle recrue.
Ma mère se lève pour prendre congé quand mon père entre-ouvre la porte qui donne sur le couloir, passant la tête dans l'entrebaillement :
— Ah vous voilà tous les deux, je suis content de vous trouver ensemble ! Je viens de recevoir un présent de la part du Seigneur Jeon, le père de Jungkook. Regardez !
Il ouvre alors la porte en grand et nous montre une petite cage de bambou qu'il tient à bout de bras. A l'intérieur se trouve un oiseau dont l'espèce m'est inconnue. Pourtant je suis un passionné d'ornithologie, mais j'ai beau détailler le petit volatil après m'être approché, vraiment il ne me dit rien.
— De quelle espèce s'agit-il ? je demande en prenant la cage précautionneusement entre mes mains.
— Je l'ignore... il y avait une étiquette sur la cage mais elle s'est arrachée pendant le transport. De ce que j'ai compris l'oiseau vient d'un pays lointain, peut-être d'Europe ou de Russie. J'ai pensé, puisque tu aimes tant les oiseaux, que tu aimerais t'en occuper ?
Je le remercie en inclinant la tête. Il est vrai que j'aime profondément les oiseaux, mais je n'ai jamais eu le coeur de les enfermer. D'ailleurs, celui-ci me fait un peu de peine dans sa petite cage. J'irai demain au marché pour en acheter une plus grande chez le vannier. Dans d'autres circonstances je n'aurais pas hésité à en ouvrir la porte pour rendre sa liberté au petit être, mais le fait qu'il soit d'un autre pays et donc le seul de son espèce ici m'empêche de le faire. Qui sait s'il pourrait survivre dehors ? Et de plus, il s'agit d'un cadeau, cela ne se fait pas.
Mes parents prennent congé et sortent de la chambre, je les reverrai pour le dîner dans quelques heures. En attendant, je dépose la cage avec le petit oiseau près de la fenêtre.
— Bonjour mon petit ami. Je m'appelle Jimin. Je vais bien m'occuper de toi, tu verras. Demain j'irai t'acheter une plus grande cage et tu te sentiras bien plus à l'aise, je murmure en approchant mon visage.
L'oiseau tourne la tête vers moi et la penche un peu, me scrutant de ses yeux noirs et brillants. Son plumage est d'un brun assez commun mais ce qui le distingue du simple moineau sont ses petites taches blanches et bleues aux reflets verts qui parsèment son pectoral, son dos et ses ailes. Il déploie ces dernières et les plus longues frôlent les barreaux de la cage, comme pour me signifier qu'effectivement, une plus large serait appréciable.
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J'ai l'habitude de me promener dans les jardins de la propriété après le dîner et aujourd'hui ne fait pas exception à la règle. J'écoute les chants des oiseaux, assis sur un banc entre deux massifs. Le printemps bat son plein et les fleurs colorent les allées pendant que les abeilles volent un peu partout. Mon père a fait installer des ruches au fond du jardin l'année dernière et les petites habitantes sont à pieds d'oeuvre pour nous donner du miel.
Je ferme les yeux un instant, me concentrant sur les sons environnants. J'ai toujours été assez solitaire, étant né enfant unique. Ma mère a subit une fausse couche l'année précédant ma naissance et encore une après. Elle a tellement souffert que mes parents ont décidé de ne plus tenter l'expérience suite à cela. Puis les années ont passé et ma mère n'a plus pu concevoir. Chaque année aux dates anniversaires de ces deux funestes évènements elle va déposer un bouquet de fleurs qu'elle compose elle-même au pied de deux arbres qu'elle a fait planter en leur mémoire. Il m'arrive de passer devant et de m'arrêter pour y méditer. Comment aurait été ma vie si j'avais vécu dans une fratrie ?
Je m'entends bien avec les élèves de mon père, mais on ne peut pas dire que ce soit exactement la même chose.
Soudain, un chant que je ne reconnais pas retentit au-dessus de ma tête. J'ouvre les yeux et cherche du regard la source de cette mélodie. On dirait qu'elle vient de la maison.
J'aperçois alors la cage de l'oiseau posée près de ma fenêtre ouverte. C'est lui qui chante ainsi, les ailes repliées et son gosier tendu vers l'extérieur, répondant à ses congénères qui doivent s'étonner de ce nouveau venu. Je me demande si les différentes espèces d'oiseaux peuvent se comprendre entre elles...
Je me lève pour rentrer et en passant par l'avant de la maison je vois trois porteurs entrer dans la cour, la jeune Ha-neul leur tenant la porte. Ils déposent des caisses et plusieurs bagages au sol avant d'étirer leurs muscles tendus par l'effort.
— Bonjour, vous êtes Maître Park ? me demande l'un d'eux en s'approchant.
— Bonjour. Je suis son fils.
— D'accord. Ce sont les effets de Maître Kim, nous devions les livrer ici.
— Déposez-les près de l'entrée là-bas, j'indique en montrant du doigt une porte latérale un peu plus petite. Nos domestiques viendront les chercher pour les amener à sa chambre.
— Parfait, merci.
Ils s'exécutent avant de repartir et Ha-neul ferme la porte derrière eux. Pour ma part je rentre dans la maison. En passant devant la salle d'étude, j'aperçois Hoseok, Namjoon et Seokjin en train de travailler en silence, chacun penché sur des feuilles de papier, une plume à la main. Sur la terrasse de l'autre côté, quelqu'un fait face aux jardins, à genoux devant une table basse et un pinceau dans la main. Sans doute Jungkook. Je ne vois pas Yoongi mais je suppose qu'il ne doit pas être loin. Je pourrais aller chercher mes affaires et me joindre à eux, mais je ressens surtout l'envie de m'isoler à nouveau. Je longe le couloir et entre dans l'aile des chambres.
Arrivé dans la mienne, je me réinstalle à genoux devant ma table de travail et saisis ma plume... mais rien ne vient. Mon attention est toujours déconcentrée par quelque chose. Le vent qui agite les nouvelles feuilles des arbres, brillantes sous le soleil. Les nuages cotonneux qui défilent dans le ciel. Une mouche qui vient voleter autour de moi. Et surtout, l'oiseau qui sautille de gauche à droite, parce qu'il ne peut pas faire beaucoup plus dans sa cage. Je vois que quelqu'un lui a apporté des graines et les a déposées au fond, il en a fait tomber quelques unes sur le meuble autour. Je tends le bras et les ramasse entre le pouce et l'index pour les glisser au travers des barreaux. A la troisième fois, contre toute attente, l'oiseau qui m'observait jusque là d'un air curieux se déplace d'un bond et saisit de son bec la graine que je m'apprêtais à laisser tomber dans la cage avant de l'avaler.
Surpris, j'ouvre grand les yeux et m'apprête à lui parler quand le bruit de frottement puis le claquement de la porte donnant sur le couloir me font sursauter et tourner la tête.
Un inconnu se tient dans l'encadrement, l'air un peu perdu.
— Oh... bonjour. Désolé, je crois que je me suis trompé de chambre.
★
Et voici le premier chapitre !
Qu'en avez-vous pensé ?
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