Prologue
– Catin ! Ribaude ! Les gens de ton espèce ne sont pas désirés ici. Fiche le camps, nous n'avons pas besoin de pouilleux comme toi dans les rues.
– Je ne faisais rien de mal, mon bon monsieur, je vous l'assure !
– Fuvaire, débarrasses-nous en !
D'un coup de pied, un homme envoya un chapeau quelques mètres plus loin, duquel s'échappa une dizaine de pièces, dont une en argent. Les badauds se jetèrent dessus, tels des pies.
– Non ! C'était tout ce que j'avais ! s'écria Birdie en tentant de récupérer son chapeau.
Elle mentait, bien sûr, puisqu'une bourse bien remplie pendait autour de son cou, dissimulée sous une ample chemise. Si elle devait se faire humilier en public, autant attirer la sympathie des curieux les plus malléables.
– Tu n'auras pas notre argent, bigote, cracha un grand homme rachitique.
Birdie fixa longuement le prévôt du bourg, qui, avec une grosse brute nommé Fuvaire, s'était mis en tête de lui gâcher la journée. Comment aurait-elle pu savoir que dans cette ville perdue du sud, toute représentation qui n'avait pas reçu un accord exprès des autorités recevait un tel accueil ?
– Très bien, je m'en vais ! concéda-t-elle.
Sous le regard de tous les passants, elle ramassa son bagage, rangea son luth dans son dos et épousseta son bonnet. Elle fila sans demander son reste. Quelques jours plutôt, elle avait vécu la même aventure dans une ville plus à l'est, et le prévôt s'y était montré encore plus mesquin en lui faisant payer une coûteuse amende. Celui d'aujourd'hui devait avoir oublié de demander son dû, trop occupé à prouver son autorité à ceux qui passaient pas là.
Birdie traça son chemin hors des remparts de la ville, la tête baissée. Plus le temps passait, plus elle détestait les zones urbaines, et ceux qui y vivaient le lui rendaient bien. La ville suintait de partout, les gens ne se préoccupaient que d'eux-mêmes, riant du malheur des autres, et tout y était extrêmement coûteux. Rien n'échappait aux taxes royales dans les bourgs. Personne ne pouvait s'y amuser, s'y épanouir. Même respirer devenait une tâche peu aisée, tant l'air saturé puait la sueur et le fond de pot de chambre. Seuls l'espoir de sécurité et d'ascension sociale poussaient le paysan à quitter sa terre natale pour un endroit pareil.
–J'ai l'impression qu'il y a de moins en moins de se faire d'argent en ville, marmonna Birdie en détachant son luth de son dos.
Elle gratta quelques notes lourdes et dissonantes qui se perdirent dans la vallée. À une époque, la population se serait ravie de l'arrivée d'un barde, pour les distraire, les faire rêver et voyager. Mais désormais, les mots barde et vagabond s'utilisaient de la même manière. Birdie était une maraudeuse, une étrangère aux yeux de tous ces gens enfermés derrière des barrages de pierres. Un bandit indigne de confiance. Birdie s'arrêta au milieu du chemin, en continuant de jouer. Alentour, une légère brise lui caressait les joues et secouait les feuilles des arbres qui frémissaient dans un bruit feutré. Au loin, la silhouette sombre de la ville d'Haut-Crespe se dressait au sommet d'une colline, surplombant la vallée de sa façade brute et sévère.
–Eh bien, Haut-Crespe, au plaisir de ne plus jamais te revoir !
La jeune barde tourna les talons et ne se retourna plus.
Le soleil brillait d'une lueur tamisée en cette fin de l'hiver, et les arbres toujours dénudés ne semblaient pas vouloir montrer le moindre bourgeon. La saison avait été rude, mais Birdie s'était habilement fait embauchée par un comte durant l'automne et n'avait souffert ni du froid, ni de la faim. Voilà qu'elle reprenait maintenant la route après avoir refusé un poste permanent de ménestrel, au bout de quatre longs mois de services.
Sa mésaventure à Haut-Crespe, à son grand dam, n'était pas une première, et certainement pas une dernière. À croire que, durant l'hiver, les pauvres gens avait développé une aversion pour la musique. Ou peut-être n'était-ce que les mentalités du sud, impossible de savoir. C'est dommage, pensa Birdie, la musique adoucit les mœurs, tous en auraient grand besoin ! Décidément, ce mois de mars commence très mal... Et comme pour appuyer ses pensées, une pluie torrentiel s'abattit sur les environs une demie heure plus tard. La brise avait poussé les nuages en cette direction et Birdie cria ses plus beaux jurons en protégeant son luth de l'averse soudaine sous sa cape. Un instant plus tôt poussiéreuse, la terre battue qui traçait le chemin se transforma en bourbe. L'odeur rance de la terre mouillée lui remontait dans les narines alors qu'elle s'efforçait de ne pas piéger ses bottes dans la boue traitre. Elle avança ainsi encore quelques temps lorsque le bruit d'une charrette cahotante lui fit tendre l'oreille.
Birdie aperçut devant elle un immense cheval de trait, trempé jusqu'à l'os. Derrière l'énorme bête, un homme dissimulé sous une chape de pluie tenait les rênes, perché sur sa carriole.
« Oh, là, que faites-vous sur cette route par ce temps ? » demanda-t-il, surpris, en s'arrêtant à son niveau.
La pluie se mis à déferler sur le visage de Birdie lorsqu'elle leva la tête. L'homme avait le visage grêlé et les dents de travers, et sa voiture pleine trahissait sa condition de marchand.
« Je quitte tout juste Haut-Crespe, répondit Birdie. Savez-vous où se trouve l'auberge la plus proche ?
– Oh là, ma bonne dame, vous n'êtes pas au bout de vos peines ! La prochaine taverne est à quatre lieux d'ici au moins. Vous n'y arriverez pas avant le crépuscule, dans ces conditions. »
Le marchand l'examina de pied en cap et sembla remarquer la forme d'un instrument sous la cape de Birdie. « Ah, je comprends mieux, vous êtes une ménestrelle. C'est vrai que vous n'êtes pas les bienvenus à Haut-Crespe... Je vous proposerais bien transport, mais je suis en retard. J'ai aperçu un sanctuaire de Ficar à une demi-heure au nord. Je vous conseille de vous y réfugier le temps que l'averse cesse.
– Merci mon bon monsieur, Ficar vous doit bonne aventure.
– Vous de même, ma Dame, répondit le marchand avant de reprendre son chemin.
Le cheval s'ébroua et, bientôt, la charrette disparut derrière la plus et la broussaille.
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