Chapitre 48 : Reste
Afin de partir le plus tôt possible, Elder avait demandé à sa fille de se dépêcher de rassembler ses affaires. Toutefois, il demanda à l'un de ses soldats de l'accompagner, jugeant que sa progéniture devrait préparer ses bagages seule. Le soldat la laissa entrer dans le grand dortoir où étaient rassemblés les anciens apprentis, et se contenta de la surveiller de l'entrée.
Alors qu'Eirin pliait consciencieusement ses vêtements, elle se retrouva nez à nez avec Shauna, qui venait tout juste à son tour d'entrer dans le dortoir.
— Eirin ?
Elle attendit que celle-ci se retourne, et lui tendit alors l'insigne que Maitre Garth lui avait donné.
— Je pense que ça t'appartient.
Eirin souffla. Qu'est-ce qu'elle pouvait lui vouloir ? Il n'y avait plus grand chose à dire et depuis la conversation avec son père et Maître Garth, le peu qui les liait avait disparu. Malgré tout, Eirin s'immobilisa et fixa l'insigne que lui tendait son ancienne camarade.
— Un insigne de paladin ?
Elle releva son regard vers Shauna.
— Tu l'as volé ?
— Ne me fais pas regretter ce que je m'apprête à faire, grinça des dents la jeune orpheline.
— Ah je suis bête. Apparemment, des félicitations s'imposent. Pour être honnête, même si tu représentes un danger pour toi et ton entourage, je dois admettre que tu le mérites. Tu as... bien agis durant cette première quête.
Elle lui fit une tape amicale sur l'épaule et son sourire redoubla d'intensité, apparaissant presque durant un court instant comme sincère.
— Pourtant, je dois bien admettre que je n'y croyais pas ! rajouta-t-elle.
— La jeune orpheline soupira face aux moqueries d'Eirin, mais ne parvient pas à oublier que l'héritière des Freymïr venait de la féliciter. Ses propos étaient sincères, elle en était persuadée. Au plus profond de l'âme de sa camarade, quelque chose avait bien changé.
Elle se rapprocha et engouffra l'insigne dans la main de son amie, l'obligeant ainsi à la prendre.
— C'est le tien, et non le mien. Reprends-le. Je ne peux pas devenir encore Paladin. Lors des deux combats qu'on a eus, j'ai été complètement inutile. Kevin s'est pris une flèche pour moi, car je suis restée immobile. Puis lors de l'affrontement contre le conseiller du roi, si Roy et les autres n'étaient pas intervenus, ça aurait tourné à la cata. Toi par contre, tu as remporté deux combats, et ce, malgré tes blessures. Tu es digne d'être un Paladin, alors remets ton insigne.
— Le mien ? Eirin sembla gênée.
Si on lui avait dit un jour que Shauna, l'orpheline prise sous la tutelle de leur directeur irait jusqu'à lui apporter son propre insigne, elle aurait sûrement rit. Pourtant, le moment était loin d'être propice à de telles émotions.
— Malheureusement, j'ai pris une décision, répondit-elle. Je ne suis pas faite pour être paladin. D'accord, je me débrouille peut-être bien au combat, mais je n'ai rien de la carrure d'un paladin. Tu te souviens de ce que nous a dit Maître Garth lors du discours d'inauguration de l'examen ? "Un paladin sait quand il faut ranger son arme et refuser le combat".
Elle fixa le sol comme honteuse de cette prise de conscience.
— Moi, je n'ai pas su. Ethan et Kevin ont raison même s'ils se sont mal exprimés, je suis une erreur.
Elle tourna ses yeux vers Shauna qui restait silencieuse.
— J'ai blessé un résistant... un homme comme ça de sang-froid et j'aurais beau plaider le danger de la situation, la vérité c'est qu'il ... m'a agacé. Au moins, en Frey, je ne risque pas d'être une menace, termina-t-elle en reprenant son rangement.
Shauna aussi pouvait visualiser de nouveau cette fameuse scène, où la jeune Freymir s'était ruée sur le fameux résistant, sous l'incompréhension de ses frères et sœur d'armes.
— Mais le vieux a dit aussi que la peur pouvait nous faire faire n'importe quoi, répondit alors Shauna sans quitter des yeux sa camarade. Regarde-moi, ils étaient prêts à nous attaquer. Je suis restée pétrifiée comme une pierre. On va tous forcément faire des erreurs qu'on va regretter, mais le truc après avoir fait ça, c'est de tout faire pour se racheter, non ? Pas fuir dès la première occasion. Oui, ce type ne nous aurait peut-être pas attaqués si on était partis comme il le disait. Mais si on avait fui, il n'y aurait pas de République. Maintenant, toi, ici à l'Académie, tu as le moyen de racheter ta faute. Ne fuis pas comme ça tes responsabilités !
— Mes responsabilités ? J'ai un rôle à jouer et ma scène ne se situe pas ici, mais à Frey. Tu as bien vu les autres, ils me considèrent plus comme une traîtresse que comme un véritable membre de leur Ordre.
— Et alors ? Pendant des années, on n'a fait que me répéter que je n'étais pas à ma place dans cette académie et pourtant, je n'ai jamais abandonné. Et toi, tu baisses les bras à cause de deux seuls idiots ? Tu penses n'être qu'acceptée au sein de ta famille, mais moi, je pense qu'au contraire que tu ne seras acceptée qu'en lui apportant le pardon et en prouvant qu'en tant que freyenne et fière de l'être, tu es autre chose qu'une traîtresse ou je ne sais pas quoi.
Eirin regarda Shauna dans les yeux. Elle n'aurait jamais cru que cette dernière, si maladroite habituellement, pouvait faire preuve de tant d'éloquence et de sûreté dans ses propos. Les paroles du fantôme de Cordell revinrent la hanter une dernière fois, comme si chacune de ses réminiscences avait attendu le moment le plus propice pour se rappeler à son esprit.
— Peut-être que le pardon n'est pas impossible pour ma famille, chuchota-t-elle comme dépassée par sa propre voix et ses souvenirs.
Elle croisa le regard de son ancienne camarade et y remarqua une nouvelle fois cette légère étincelle dorée n'apparaître qu'un cours instant pour ensuite disparaître. Un léger frisson parcourut son échine. Comme si quelque part, une chose appuyait la proposition de sa camarade. Elle devait rester.
Elle fit quelques pas en arrière et se frotta le front, reprenant peu à peu pied dans la réalité.
— Ah... c'est bien beau ce que tu me dis, mais je te signale que mon père m'attend à la sortie et que j'ai déjà accepté de le suivre. Sauf si tu as un nouveau feu intérieur qui se réveille en toi et qui peut nous sortir ou plutôt me sortir de cette situation, je ne vois pas vraiment de solutions. Tu sais, tu es peut-être parvenue à me persuader, mais mon père lui... il faut le convaincre.
Du peu qu'elle l'ait vu, l'orpheline ne voulait pas approcher cet homme froid, qui dégageait une aura de sinistre, mauvaise.
— On peut demander à Maître Garth... Non, je sais ! À Ser Dhanu ! Il a réussi à convaincre le vieux de me donner une dernière chance pour le titre de Paladin. Je suis sûr qu'il va réussir à convaincre ton père ! Allez viens avec moi, il doit être dans le bureau de Maître Garth.
— Oui, pourquoi pas ... C'est vrai que je n'ai jamais croisé une personne qui ait osé se comporter de cette façon avec mon père.
Rien qu'en repenser à ce geste, un énorme frisson s'empara d'elle. La pièce empestait de la colère devenue palpable de son père. Et même avec cela, ce "Dhanu" n'en avait aucunement pris la mesure.
Elle posa les quelques vêtements qu'elle tenait dans ses mains et se tourna vers Shauna.
— Bien, allons-y. Lançons-nous dans cette quête suicidaire.
— D'accord, souffla Shauna, d'abord ta place ici, ensuite on travaillera ce côté dépressif.
— Tu veux peut-être qu'on parle de toi ?
— Nous n'avons pas beaucoup de temps ! répondit Shauna d'un air gêné.
Les deux filles s'élancèrent et entreprirent de passer devant le garde. Ce dernier, pourtant, abaissa son arme pour empêcher toute sortie et dit d'une voix grave :
— Princesse, le Seigneur, votre père, m'a demandé de m'assurer que vous prépariez vos affaires pour partir puis de vous escorter jusqu'à lui. Je ne peux vous laisser sortir.
Eirin se redressa et su qu'elle ne pourrait pas s'opposer frontalement à ce garde. Ces derniers étaient totalement fidèles au dirigeant de leur pays et ne se laisseraient pas persuader.
— Justement.
Eirin fit face à ce nouvel obstacle, souhaitant donner le plus d'aplomb à ses paroles.
— Ma camarade, annonça-t-elle d'une voix forte en montrant d'un coup de tête rapide la concernée qui souligna sa remarque d'un sourire, ma très utilement fait remarquer que j'avais oublié ma lance dans les bureaux du directeur. Vous savez comme moi que cette lance revête d'une importance capitale aux yeux de mon père et qu'il serait plus que contrarié d'en remarquer l'absence.
Elle jeta un œil au garde qui semblait perturbé par ses dires.
— À moins bien sûr que vous lui apportiez vous-même une explication comme quoi vous n'avez pas souhaité que j'aille la chercher ?
— No... non non ! Bien sûr que non ! Je vous accompagne de ce pas au bureau du directeur, finit-il en se redressant soudainement.
— Comme c'est aimable, sourit Eirin.
Elle dépassa le garde qui avait relevé sa propre lance pour la laisser passer et rattrapa de quelques pas Shauna
— Heureusement que personne n'est au courant que ta lance est brisée, chuchota Shauna en prenant garde à ne pas être entendue par leur nouveau garde du corps.
— Oui, rajouta Eirin, espérons que cela perdure.
Les deux filles arrivèrent finalement devant le bureau du directeur. Shauna, toujours fidèle à elle-même, entra sans même frapper, surprenant les deux hommes dans une conversation qui semblait pour une fois sérieuse.
— Shauna ? s'étonna Maître Garth, qui fut encore plus surpris de voir Eirin entrer à sa suite. Que se passe-t-il ?
Shauna, arborant un franc sourire, posa ses deux bras sur ses hanches et annonça d'une voix forte :
— Eirin a repris son insigne ! Je suis persuadée que vous pouvez convaincre son père de la laisser rester ici !
L'orpheline, se tourna alors vers Dhanu.
— Ou alors vous, Ser Dhanu ? Après tout, vous avez su convaincre Maître Garth de me donner une dernière chance, vous pourrez faire de même avec son père ?
Le directeur se mit une main sur chacune de ses tempes se les massant lentement. Décidément, il semblait que cette journée n'allait jamais se terminer et avait décidé de ne pas lui laisser la moindre once de répit.
— Eh bien, Mademoiselle Freymïr. Je suis plus que surpris de ce changement soudain.
— Moi pas tellement, ne put s'empêcher de commenter Dhanu assis nonchalamment sur le rebord de la fenêtre.
Maître Garth se leva de son bureau ignorant royalement son géniteur et observa silencieusement les deux jeunes filles.
— Rien ne me ferait plus plaisir de vous accueillir de nouveau entre nos murs. Cependant, l'accord avec votre père a pris fin à la suite de votre première quête et vous avez de vous-même renoncé à votre statut de Paladin. Je ne pense pas que votre père vous laissera la possibilité de revenir sur votre décision.
— Et bien...
La voix de Dhanu venait de s'élever suivant le mouvement de son jeune corps qui, les bras ramenés, dans son dos, regarda avec son sourire habituel et totalement hors contexte de la situation, les occupants de la salle.
— Il me semble que nous nous trouvions au sein d'un territoire neutre, n'est-ce pas ? reprit-il. Qui plus est un territoire qui échappe à l'influence de Frey ou du Conseil lui-même d'un point de vue décisionnel.
Il se tourna vers le directeur de l'Académie et s'appuya sur le bureau.
— Apparemment, tes relations avec Frey et son dirigeant sont loin d'être au meilleur, alors une décision de plus...
— Mais de quelle décision tu parles ? Je n'ai aucune possibilité de retenir Eirin depuis qu'elle a refusé de rester un paladin.
— Non non bien sûr... par contre...
Il se tourna vers la jeune Freymïr qui n'aimait absolument pas la tournure que prenait cette conversation.
— Vous, très chère, vous pouvez décider de rester ici ?
— Et comment ? demanda la concerné.
— Et bien de la manière la plus simple ... en demandant le droit d'asile ! Que mon fils...
Il agrippa l'épaule du directeur qu'il secoua vivement, offrant un tableau peu commun à la vue des jeunes gens.
— ... acceptera bien évidemment ! finit-il d'un ton moqueur.
Eirin se mua dans un profond mutisme qui ne dura qu'un court instant et qui prit fin d'une manière peu discrète.
— Votre fils ?!
Elle regarda Shauna, étonnée du non-étonnement de sa camarade.
— Tu le savais ?
— On l'a appris tout à l'heure avec les garçons, répondit Shauna, qui comprenait encore mal ces histoires de mages à la vie plus longue. Mais le plus fou pour moi reste le fait que Maître Garth ait une femme !
Le directeur était en train de regarder, fort mécontent, son géniteur qui peu à peu s'amusait à brûler sa couverture. Son regard se redirigea vers Shauna, qui venait tout juste de faire sa remarque à laquelle il ne répondit que d'un soupir avant de reprendre.
— En effet, c'est la meilleure solution. En demandant le droit d'asile, tu seras protégée des ordres de ton père, et tu pourras de nouveau retrouver ton titre de Paladin. Bien que cette solution risque réellement de faire en pâtir les relations entre Frey et l'Académie et bien entendu tes propres relations familiales.
— Mais Rey va gérer de son côté, ne t'inquiète pas pour ça, fils, répondit alors Dhanu en haussant négligemment les épaules.
— Garth garda un silence durant quelques instants. Son géniteur avait de nouveau réussi à le mettre dans une situation plus que délicate.
— Es-tu d'accord pour cette solution, Eirin Freymir ?
La concerné tenta de rassembler les informations qui lui étaient tombées dessus jusqu'à présent. Elle avait le choix. Elle tourna la tête vers Shauna puis redirigea son regard vers son ancien directeur qui attendait patiemment une réponse. Oui, pour cette fois, elle avait réellement le choix.
De nouveau face à cette décision sur quel chemin choisir, Eirin savait qu'elle n'aurait pas de troisième chance. Pour être franche, c'était déjà un miracle qu'on lui propose de revenir sur sa décision. Une telle possibilité était peu commune si ce n'est totalement absent de l'existence humaine, régie par la volonté des Dieux.
Elle repensa à ses quelques années à l'Académie, aux regards de tous ceux qui l'avaient croisée. Tous n'avaient que son nom et celui de sa maison à la bouche. Dès qu'ils la croisaient, aucun ne la voyait vraiment. Sauf...
À cette pensée, la jeune freyenne tourna légèrement le regard et reporta son attention sur Shauna. Oui, elle s'en rendait à présent compte. Ce qui l'énervait le plus chez cette fille était pourtant ce qu'elle recherchait depuis tout ce temps sans se l'avouer : être considérée comme les autres non pas en fonction de son nom, mais en fonction de ses actes, de ses paroles et de son attitude.
Et alors qu'en début de cette année, rien ne pouvait lui paraître plus insupportable et incapable que cette fille, aujourd'hui cette dernière était prête à la défendre. Et pour cela Eirin ne pouvait que se l'avouer, elle lui en était reconnaissante. Si elle avait pu changer son regard et celui de Shauna, peut être qu'elle parviendrait à le faire avec les autres ? Ou avait-elle déjà commencé ?
Devait-elle revenir en arrière et retrouver ceux qu'on lui disait, si ce n'est, ordonnait d'aimer ou tenter d'essayer de se construire soi-même à l'Académie ?
Et ses yeux...
Pour la première fois de son existence, elle prit une décision sans prendre garde à la suite, sans calculer les conséquences et sans prendre en compte les causes comme on lui avait appris. Non, pour une fois, elle effaça l'influence de sa famille, de son père et pour la première fois, elle prit sa propre décision au nom de sa propre et de son unique envie :
— J'accepte votre proposition et je suis honorée que vous me donniez une seconde chance.
— Et bien dans ce cas, sourit de plus belle Dhanu. Allons donc retrouver le Seigneur Freymïr.
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