Chapitre 35 : Doutes
Un à un, chaque membre du groupe partit en quête d'informations et Eirin se retrouva seule. Elle attendit que les pas de ses camarades s'éloignent pour souffler. Elle releva la tête et ferma les yeux, tentant de reprendre son calme et de faire taire cette horrible migraine qui ne cessait de marteler sa tête depuis leur altercation avec les résistants.
Elle rouvrit les yeux et jeta un œil par la fenêtre. Au loin, elle apercevait le reste de la cité d'Aldane, ses quelques rues, ses échoppes et ses passants qui marchaient dans la boue.
La cité d'Aldane avait toujours été pauvre et seules les rues principales de la cité avaient eu le privilège d'être pavées afin de faciliter les transports et les rencontres diplomatiques. Ces dernières n'étaient pourtant pas rendue aisées du fait de la disposition de la cité en hauteur ayant été inspirée de l'architecture des bâtiments de Naka en tant qu'ancienne colonie.
Le château était en effet disposé en hauteur et entouré de plusieurs étages de terrasses d'herbes d'où était cultivé le coton qui permettait la production de draps du pays. La cité gagnait ainsi en place et en productivité puisque ayant à disposition un plus large espace cultivable. Le reste des habitants vivaient ainsi en contre-bas encerclant le château.
C'est en l'an 1035 du cycle de Jormun qu'Aldane déclara officiellement son indépendance vis-à-vis de l'empire de Naka, dans la paix et le dialogue. Une situation jamais vue auparavant, dans un monde où la violence entre les hommes régnait avec tant d'aisance.
Eirin reporta son attention dans la pièce. Elle avait beau se remémorer ses cours d'histoire et de science politique, elle ne parvenait pas à oublier les événements qui l'avaient plongé dans cette situation.
Elle ne comprenait pas. Pourtant, elle avait souvent été amenée à blesser des personnes lors d'entraînements et elle avait même été désensibilisée à ce type de remords.
Malgré tout, c'est comme si, elle qui prônait avant tout le contrôle de soi-même et la discipline durant un très bref moment avait perdu ses moyens. Il l'avait insultée et cela l'avait mise en colère bien sûr, elle l'était toujours d'ailleurs. Mais à cet instant, il lui avait semblé que cette fureur avait été démultipliée.
Mais ça, elle savait qu'elle ne devait le dire à personne, sinon on l'enverrait sûrement dans la Vallée des Fous. Elle rit à cette pensée. D'héritière à folle en passant par Paladin, au moins la pente était stable.
Elle décida de se lever, sentant que ses pensées étaient peu productives et commença à inspecter le château. Si elle ne pouvait pas se mouvoir librement au village, alors elle le ferait au sein du bâtiment, à condition bien sûr de ne pas se faire remarquer.
Tout d'un coup, un bruit attira son attention. La poignée de la porte en face d'elle tourna lentement sur elle-même et deux soldats entrèrent dans la salle suivis de Meryl et d'un homme.
Eirin baissa respectueusement la tête, reconnaissant le roi d'Aldane. L'homme, malgré une carrure peu avantageuse, possédait une longue chevelure grisâtre et un visage facilement reconnaissable.
Meryl s'avança et annonça l'arrivé du roi. Bien que cela fût inutile, il respectait parfaitement le protocole et personne ne pouvait le lui reprocher.
— C'est un honneur d'enfin avoir la possibilité de vous rencontrer, votre Majesté, annonça Eirin d'un ton empreint de gratitude et de respect.
Le roi s'avança et fit signe à la jeune fille en lui souriant avec légèreté.
— L'honneur est pour moi, princesse Freymïr. Les Paladins sont une institution importante pour le Continent et nous nous apprêtons à prendre une importante décision qui requière votre neutralité.
Il jeta un regard circulaire à la pièce et remarqua l'absence du reste du groupe.
— Où se trouvent vos camarades ? demanda-il en ramenant son attention sur Eirin.
Cette dernière releva la tête et plongea son regard dans celui du roi.
— Mes quatre compagnons ont décidé de profiter de la beauté de votre cité sachant que nous ne pensions pas avoir la possibilité de vous rencontrer.
Le roi sourit à cette information et répondit :
— Je vois. J'espère que vous profiterez bien de votre présence ici. Le Conseil a prévu de venir demain et je compte finaliser l'accord avec lui durant cette visite.
— Je vois, et bien en ma qualité de Paladin, je me ferai un plaisir de signer la régularisation monarchique de ce traité.
Meryl fit signe aux deux soldats d'approcher et ses derniers disposèrent sur une des tables de la pièce un lourd coffre.
Le roi s'approcha, l'ouvrit et en sortit un long parchemin. Puis, il fit signe à la jeune fille d'approcher.
— Je vous laisse la possibilité d'observer mon accord concernant le traité.
Eirin accepta d'un signe de tête et entreprit de commencer sa lecture.
"Moi, Frederick II, Roi d'Aldane et héritier du crépuscule de la colonie et de l'aube de la cité, j'accepte en mon nom comme en mon rôle de souverain, d'annexer Aldane et son territoire à la tutelle du Conseil. J'ai conscience des jours sombres qui nous attendent et je ne souhaite que la protection et le bonheur de mon peuple. Ainsi, j'attends de cette décision qu'elle permette à tous les Aldiens de vivre longtemps sans la peur de connaître la guerre et sans l'effroi de subir le courroux d'un nouvel empire."
Meryl tendit une nouvelle petite boite vers son souverain et l'ouvrit, laissant apparaître une plume arrachée à un Criol vert, sorte de volatile présent sur les côtes de Naka. Ce dernier la prit et signa de sa main gauche le parchemin. Il tendit la plume à la jeune fille qui s'approcha du traité. Alors, qu'elle s'apprêtait à le signer, elle s'immobilisa dans son geste. Elle finit par tendre de nouveau la plume au jeune alchimiste qui, circonspect, regarda son roi.
— Je suis navrée votre Majesté, mais je me rends compte à présent que je ne peux pas signer cette régularisation.
— Mais pourquoi ? demanda le roi. Il est inutile de vous rappeler que vous ne pouvez pas refuser une décision monarchique.
— Oh, loin de moi l'idée de trahir ma neutralité, mais il se trouve que je ne suis pas la meneuse de cette mission et qu'en ce sens ce n'est pas à moi de signer ce parchemin, mais à mon cousin Joshua Freymïr. Je suis persuadée qu'ils ne vont pas tarder, peut-être pouvons-nous nous retrouver en soirée ? N'ayez crainte votre Majesté, la régularisation sera signée comme prévue.
Le roi se détendit à l'entente des propos de la jeune fille.
— Je n'en doute pas. Je suis ravi que vous preniez votre rôle de Paladin très au sérieux. La vertu de la neutralité est aujourd'hui une valeur rare qui se doit d'être préservée. Nous nous retrouverons donc en soirée. Meryl viendra frapper à votre porte.
Sur cette phrase, il salua Eirin et sortit de la pièce suivi de son escorte. Meryl referma silencieusement la porte tout en faisant un rapide signe de tête à l'attention du Paladin.
Eirin regarda quelques secondes la table où avait été disposé le parchemin et réfléchit. Le pays d'Aldane, même s'il se proclamait totalement indépendant de l'empire de Naka, ne s'était pas échappé totalement de son influence culturelle. Or, au sein de l'empire, il était très mal vu de faire autre chose que de combattre de la main gauche. En effet, cet empire étant dominé par la vénération des divinités de l'Equilibre, il pensait le corps et l'esprit humain telle une balance qui se devait, pour atteindre la paix, être totalement équilibrée. Ainsi, si la partie gauche exprimait, la violence, le vice et les fautes de l'individu, le côté droit se devait d'être irréprochable.
De ce fait, signer un traité de la main gauche avait pour conséquence d'exprimer de mauvaises intentions et ainsi de porter malchance à la réalisation de la vocation du traité. Chaque enfant du territoire de Naka et de leur colonie avait donc une éducation les forçant à écrire de la main droite et cette rigueur avait été préservée pour la royauté d'Aldane malgré son indépendance.
Il était donc impensable que le roi signe un traité de régularisation d'une importance vitale de sa main gauche. La jeune fille s'approcha avec le moins de bruit possible de la porte et en saisit la poignée afin de la tourner doucement de sorte à pouvoir passer sa tête dans l'embrasure.
Elle vit ainsi le roi suivit de son escorte et de Meryl s'éloigner dans le couloir. Tout en gardant une distance de sécurité afin de ne pas être remarquée, elle entreprit de les suivre. Cette filature fut grandement facilitée grâce au manque de soldat au sein de château qui interpella grandement Eirin. La Cité d'Aldane n'avait jamais été connue pour sa richesse, mais jamais au point de voir son château pratiquement déserté.
Le bruit de ses pas était totalement effacé par les magnifiques tapis qui ornaient les longs couloirs ce qui permit à Eirin de poursuivre ses objectifs. Si le peu de soldat l'inquiétait concernant l'avenir de cette cité, dans sa situation, cela lui rendait un bien grand service.
Elle entendit au loin le roi demander à son escorte de le laisser et entrer dans une pièce. Les soldats poursuivirent leur chemin et Eirin se faufila jusqu'à la porte, qu'elle ouvrit doucement de sorte à pouvoir entendre ce qu'il se passait.
— Ta potion est de plus en plus exécrable Meryl !
— Navré Monseigneur, mais vous vous doutez bien que le sang des mages métamorphes n'a pas bon goût.
— Certes, mais j'ai l'impression que plus j'en bois, plus le goût devient amer.
— Je dois admettre, qu'elle est loin d'être totalement au point ...
— Ça c'est sûr ! Mais bon du moment que le traité est signé, c'est suffisant. Nous n'en aurons bientôt plus besoin. Comment se porte notre réserve de sang ?
— Et bien, le roi étant bien malheureusement fortement malade, nous avons tout le sang dont nous avons besoin. Quant au sang des mages métamorphes, les guides freyens m'en ont donné largement suffisamment.
— Montre ... ah on aura beau dire que tous les Hommes et tous les mages sont égaux, il y a quand même certaines capacités qui s'apparentent plus à des malédictions dignes des plus grands monstres.
— Bien entendu, Monseigneur Doeron ... Monseigneur ?
Un bruit sourd accompagna cette question et força Eirin à se remettre trop rapidement de sa découverte. Elle fronça les sourcils, mais dût pourtant faire appel à toute sa concentration pour ne pas céder à la curiosité d'ouvrir plus la porte et de voir ce qui se passait sous peine de se faire repérer.
— Monseigneur, je suis vraiment navré, apparemment le sang de ces mages attaque plus rapidement votre corps que prévu.
— Pourquoi ? Tu m'avais donné plus de temps !
— Leurs corps est bien particulier. Leur sang, mais également leur peau et leurs os sont adaptés à la transformation. Encore aujourd'hui, ce procédé est bien obscur et des recherches sont menés.
— Je me moque de tes explications scientifiques ! Combien de fois puis-je encore prendre l'apparence du roi ?
— Une ou deux fois, tout au plus ...
— Si seulement nous n'avions pas besoin que ces Paladins tentent de rencontrer le roi.
— Monseigneur, si je puis me permettre, tout cela jouera en notre faveur.
L'espionnage d'Eirin fut interrompu par un nouveau bruit qui attira son attention, mais également de ceux qu'elle tentait d'écouter. La jeune fille s'éloigna rapidement et tenta de se dissimuler derrière une épaisse draperie décorant le mur.
Elle entendit un soldat s'approcher et frapper à la porte qui s'ouvrit bruyamment.
— Monseigneur Doeron, Ser Meryl, salua le soldat. Monseigneur, vous avez reçu une missive des plus importantes. Elle porte le sceau du Conseil.
— Bien ! Je m'en vais étudier son contenu immédiatement. Que personne ne me dérange dans mon bureau ! Meryl, venez avec moi !
Tous s'éloignèrent, laissant Eirin seule dans le couloir. Après s'être assurée que plus personne n'était là, elle sortit de sa cachette et en profita pour inspecter la pièce où se trouvaient précédemment Doeron et Meryl. Ses soupçons étaient donc fondés. Il s'en été fallu de peu pour qu'elle signe.
Elle regarda au sol et trouva un mouchoir imbibé de sang. Sur ce dernier était inscris les initiales de Doeron ce qui lui permis de comprendre que ce sang lui appartenait. En s'accroupissant pour le ramasser, elle remarqua également une fiole qui avait roulé au sol sous l'une des tables. Sur le flacon, était inscrit "Métamorphe".
Elle avait peut-être trouvé une solution pour rencontrer le véritable Roi d'Aldane.
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