Je cours, libre, c'est la première depuis ce qu'il me semble être une éternité que je n'ai pas autant profité de ma nouvelle nature. Je possède cette impression naïve de liberté tandis je saute agilement par dessus les branches, esquive les obstacles avec une aisance inégalable, et cherche de potentielles proies assez riches en protéines pour me nourrir moi et l'autre animal réclamant sans cesse. Seulement je ne sens aucune proie pouvant me servir de déjeuner quand tout à coup mon instinct me susurre de regarder sur ma droite. Intéressant.

Je me lèche les babines, ayant l'eau à la bouche devant cette biche. Je me cache discrètement derrière un buisson attendant le bon moment pour lui sauter dessus. Elle semble, sceptique au début, comme si quelque chose la dérangeait, puis elle se détend et broute tranquillement tandis que je bande mes muscles. J'attends une minute, puis deux, quand vient la troisième je saute rapidement et plante mes griffes dans des endroits stratégiques et pour m'assurer qu'elle bouge moins lorsque mon serpent la mord. Elle ne tarde d'ailleurs pas à se figer.

Alors que je déchire la viande pour me rassasier, des bruits se font entendre non loin de moi. Mon sixième sens me pousse alors à aller regarder sans trop m'éloigner de ma prise, ne sait-on jamais. C'est là que je la vois, si frêle, si innocente. Mon côté animal me pousse à avancer vers elle, elle est figée par la peur. Elle n'aurait jamais du venir, elle peut être la personne que j'apprécie le plus mais sur la terre d' Eros je ne contrôle plus rien. De plus je suis encore affamé, je sais d'avance que cette petite biche ne suffira pas à combler mon appétit. Plus je m'approche d'elle plus des larmes coulent et des tremblements incroyables la traverse, mais je n'y peux rien car même si il me reste un semblant d'humanité qui fait que je me rappelle d'elle mon côté animal prend le dessus cherchant la moindre petite bête pour se nourrir.

Un autre bruit attire mon attention, celui de l'eau qui coule indéfiniment sans obstacles avant de se jeter on ne sait où. Je détache mon attention de la jolie blonde, avec un faible sentiment de soulagement pour revenir sur ma précédente proie et de prendre ce qui me reste avant de partir vers ce bruit qui vient d'attirer ma curiosité. Après quelques kilomètres, que je parcours sans aucune difficulté grâce à ma condition avantageuse, je me trouve face à un lac que je peux apercevoir depuis la cuisine du palais de Aphrodite: la même où j'ai pu voir, il y a quelques jours, le dieu de la lyre approchait celle que je considère comme mienne. Agatha. Son simple prénom la définit parfaitement. Je dépose mon butin sur la petite plage présente autour du lac et finit de la dévorer jusqu'à l'os avec l'aide de mon fidèle acolyte.

Posé sur mon flan droit je regarde l'horizon attendant de voir si quelque chose sort des bois comme des cibles, ou bien Apollon. Je grogne insatisfait de voir qu'il n'y a rien d'intéressant par ici mis à part des souvenirs. Je me relève alors sur mes pattes quand je sens une odeur qui m'est encore inconnue. Quelqu'un est sur mon territoire. Mécontent je file à la vitesse de l'éclair vers la source de l'odeur qui, à présent, semble de plus en plus proche. Pour une fois que cette malédiction me sert à quelque chose.

Tout doucement je dépose délicatement mes coussinets sur la mousse qui recouvre le sol. Mon serpent s'enroule autour d'une de mes deux pattes arrière pour ne pas me gêner dans ma course, je colle mes ailes contre mon large corps. Sans faire un seul bruit je me couche; me confondant ainsi avec mon environnement. Ma langue passe sur mes babines: j'imagine déjà son sang qui coulera lorsque sa chair sera écrasée par mes canines. Je suis sur le point de sauter lorsque je vois qu'il ne s'agit que d'Agatha. Une deuxième fois. C'est comme si quelqu'un tirait les fils de mon avenir comme si je n'étais que la simple marionnette de ses désirs. Ses yeux de biche se posent alors sur mes deux têtes, soudainement je peux sentir sa peur qui émane d'elle. Elle est partout comme si chaque centimètre de sa peau lui dictait de prendre la fuite tant je lui fais peur. D'un côté mon ascendance sur elle me ravie, d'un autre cela me peine.

Cependant . . .

Pourquoi dois-je réellement faire attention à elle ? Après tout je peux trouver plein de femelles comme elle? Non!

Je m'apprête à faire demi-tour quand elle me saute au cou et pose sa main saignante sur mon poitrail.