Chapitre IX (2)
Lorsqu'elle en ressortit un quart d'heures plus tard, vêtue d'un pyjama rose dévoilant le milieu de son ventre et ses cuisses, il n'avait pas bougé de son lit.
Elle soupira bruyamment et il leva les yeux, la détaillant avec soin, le visage impassible. Elle finit par céder, excédée :
— Qu'est-ce que tu attends pour foutre le camp ?
C'était toujours ainsi. Son langage prenait une forme plus brute lorsqu'il s'agissait de Nate et de cette foutue sensation qui rendait son corps dingue. Après tout, il n'y avait rien d'agréable à désirer et à détester quelqu'un sans savoir de quel côté pencher. Elle faisait de son mieux, se réprimanda-t-elle.
— Tu sembles... agacée, constata Nate en penchant sa tignasse blonde sur le côté. Qu'est-ce que tu as ?
Cécile s'avança vers son lit à grandes enjambées et poussa les jambes du garçon en dehors du lit pour s'installer à l'autre extrémité. Elle plissa les yeux et se concentra sur la sensation et son estomac se cambra, accueillant d'autres émotions qui se confondèrent avec les siennes. Elle avait découvert ce curieux pouvoir un an plus tôt mais elle ne parvenait à l'utiliser qu'avec Nate pour l'instant. Dans ces moments-là, il lui était bien utile.
— Et toi, tu sembles... à la fois fier et perturbé. Y-a-t-il une raison à cela ?
Contre toute attente, ses traits s'illuminèrent.
— J'adore quand tu fais ça...
— Tu sais pourquoi ça ne fonctionne qu'avec toi ? C'est parce que tu ressens plus les émotions que les autres immortels ? ajouta-t-elle en repensant aux révélations de Nour.
"Nate est différent pour un immortel, il n'est pas tout à fait comme nous.
Son ami haussa les sourcils, visiblement désespéré.
— N'importe quoi. Je t'ai déjà dit que tu ne pourras jamais le faire avec quiconque d'autre que moi, ce n'est pas un "nouveau pouvoir".
— Ça n'a pas de sens !
— Bien sûr que si ! Tu m'aimes, alors ton cerveau a juste trouvé un moyen de te rapprocher davantage de moi.
— C'est toi qui dis n'importe quoi.
— Mais c'est vrai ! insista-t-il en se penchant en avant, plongeant ses yeux bleu-gris dans les siens. Cesse de nier l'évidence.
Sa paume effleura sa cuisse à l'endroit où sa peau y était dénudée et une vague de douleur qui ne lui appartenait pas la traversa, la faisant s'éloigner un peu plus de lui. Pourquoi continuait-il de la toucher malgré la souffrance que cela lui provoquait ? Elle rompit la connexion.
— Tu fuis... chuchota-t-il d'une voix à peine audible.
Elle soupira. Visiblement, protester ne ferait que le conforter dans son opinion. Alors, elle changea de sujet :
— Qu'est-ce qu'tu veux ?
Sa question ressemblait plus à un grognement animal mais ce n'était même pas intentionnel.
— Je voulais juste te féliciter d'avoir si bien géré la situation, à la commémoration. Ce n'est pas donné à tout le monde.
— Merci.
— Je voulais aussi m'assurer que tu étais prête pour ce qui t'attendait.
— Ça va.
— Tes parents ne te manquent pas trop ?
— Non.
— Sûre ?
— Sûre.
Nate resta silencieux quelques secondes puis il se leva, lui souhaita une bonne nuit et disparut. Cécile, elle resta immobile, contemplant le coin du matelas encore un peu affaissé sur lequel s'était trouvé le sorcier quelques instants plus tôt. Elle songea vaguement à s'en vouloir de négliger de la sorte les sentiments de son ami, jusqu'à ce que le creux de leur discussion ne la frappe. Il devint alors évident qu'il ne lui avait pas tout dit. Elle décréta donc qu'il était aussi responsable qu'elle de la tournure que les choses avaient prises et sa culpabilité s'estompa.
Ne sachant que faire de cette conclusion, elle la relâcha dans les méandres de son esprit avec pour étiquette "À voir plus tard" et se glissa sous ses couettes déjà chaudes. La lumière s'éteignit et elle se retrouva plongée dans le noir, entourée des fantômes qui la faisaient frissonner dans son enfance. Mais ce soir-là, il y avait plus important à gérer - ce que son cerveau ne se retint pas de le lui rappeler car elle dormit à peine, recassant une quantité de scénarios qui pourraient mal tourner. Le lendemain, elle n'était pas plus avancée et elle couvait une migraine à s'arracher la peau.
***
Samedi 3 mars 2735 - MISSION INOPINÉ J1
Amandine vint la tirer de son sommeil à sept heures tapantes en ouvrant les volets et en déposant le chat de Nour sur son lit. Ce fut un réveil on ne peut plus brutal car lorsque Céleste déposa son derrière sur le visage de Cécile en miaulant, celle-ci poussa un cri et rabattit vivement ses couvertures en trébuchant, l'esprit encore hagard.
Mais comme elle n'eut ni le loisir de déverser sa colère sur May car elle était déjà redescendue, ni sur l'animal car sa brusquerie l'avait fait fuir, ce furent ses draps sur subirent sa frustration. Désespérée qu'ils s'acharnent à rester entremêlés entre ses jambes, elle les envoya valser dans le couloir de toutes ses forces - ce qui voulait dire dans son cas qu'elles frappèrent le mur opposé dans un tremblement, et elle leur claqua la porte au nez. Bien entendu, elle jugea mal sa puissance et le battant lui resta dans les mains.
Encore plus agacée, elle jura et l'abandonna contre son lit pour aller se préparer dans la salle de bain. Elle ressortit habillée d'une tenue décontractée rouge bordeaux et avec sa trousse de toilette sous le bras. Ensuite, elle dut se faire violence pour chercher patiemment son sac à dos dans le chaos ambiant. En effet, outre la porte sortie de ses gonds, des armes de toutes sortes, des livres, des feuilles, des vêtements, ainsi qu'une multitude d'autres objets s'entassaient sur la surface au sol de la chambre. Lorsqu'elle le trouva enfin, elle le vida et tâcha de le remplir méthodiquement.
Deux ensembles de rechange. Deux épées. Un revolver. Deux cartouches de rechange. Les fiches-conseils de Kamel. Et ainsi de suite. Elle s'était découverte une passion pour l'organisation. Plus jeune, son esprit était un tel désordre que le moindre rangement, le moindre plan ou la moindre liste se révélait une véritable épreuve. Désormais plus mature, ces tâches lui procuraient un irrésistible sentiment de satisfaction. Ce qui explique pourquoi, une fois son sac bouclé, toute trace de colère s'était évaporée.
Avant de quitter sa chambre définitivement, Cécile s'autorisa cinq secondes de nostalgie. Le petit rebord de fenêtre sur lequel elle se ressourçait loin du monde. Le sol désormais vide sur lequel traînaient encore ses affaires quelques minutes auparavant. Le lit à baldaquin que Nate avait tant aimé s'approprier. Le mur neuf de la face Nord à cause d'un trou qu'elle y avait creusé un jour où sa rage avait dépassé toute réflexion. Les stickers dauphins écaillés par le temps. Le bureau ancien - une relique d'après d'Amandine. Le placard à double-fond qui avait été le cœur de nombreux cauchemars de Cécile. L'incroyable vue sur le parc du Manoir que Nour avait dessiné à sa demande... La chambre de l'Occamy en renfermait des souvenirs.
Or, ce fut sans un regard en arrière qu'elle la quitta, sans même se redonner la peine de reposer ses couvertures sur son lit.
En pénétrant dans la cuisine, Cécile découvrit le reste de la famille en pleine agitation. Clary et Loïc préparaient les pique-nique du petit groupe, secondés par Nate. Il avait été décidé de leur fournir de quoi se sustenter le premier jour, après quoi ils devraient se débrouiller. Leur mère avait proposé de les aider de loin en réunissant des victuailles à un endroit précis pour leur éviter de perdre du temps, mais Cécile avait poliment refusé. Elle ne voulait pas plus embêter le couple et il était grand temps qu'elle montre sa valeur au monde.
Amandine, quant à elle remplissait un sac de tout ce qu'elle trouvait d'utile dans la maison. En passant devant elle, Cécile se permit de rajouter une batterie externe et son amie releva la tête pour lui sourire - sourire qu'elle s'abstint de lui rendre à cause du coup-bas qu'elle lui avait joué au réveil. Par sa faute, elle devait toujours trouver une manière d'annoncer à ses tuteurs les dégâts qu'elle avait causés au troisième étage sans se faire taper les doigts.
Nour était invisible. Soan aussi mais la jeune fille put supposer sans trop de risques qu'il devait être repassé chez lui pour se préparer.
Elle déposa son sac dans l'entrée et après que Loïc eut gentiment décliné son aide, elle se laissa tomber sur une chaise autour de la longue table de la salle-à-manger, suivant du regard les allées et venues de May, sa tête aux tempes douloureuses entre les mains.
— Où est Nour ? s'enquit-elle tandis que May roulait un sac de couchage pour qu'il prenne le moins de place possible dans son sac.
— En balade avec son chat.
Cécile haussa un sourcil.
— C'est un chat, pas un chien.
Elle lâcha ces quelques mots avec un tel dédain que la sœur jumelle de Nate la foudroya du regard.
— En as-tu un ? éluda cette dernière en désignant le sac de couchage, visiblement exaspérée.
— Non, pas la peine. Dis-moi plutôt pourquoi tu t'embêtes à tout rassembler dans un sac alors que tu es invocatrice ?
Nate, lui ne s'était pas donné cette peine.
— Nate est trop sûr de lui, déclara May comme si elle avait lu dans ses pensées. Il vaut mieux préserver ses forces pour quelque chose de plus utile.
— Crains-tu réellement une attaque ?
— Je m'attends au pire avec Evanna.
Cécile eut un demi-sourire :
— Tu es trop méfiante, May. Tout va bien se passer.
— Je ne serais pas si sûre de moi si j'étais toi, petit cœur.
— Heureusement que tu t'appelles Amandine Sparkle alors, soupira-t-elle.
Son amie sourit en ramenant ses cheveux sur son épaule droite :
— C'est sûr que d'être une mortelle maigrichonne et naïve ne doit pas être aisé tous les jours.
— Ahah très drôle. N'était-ce pas toi qui parlait d'excès de confiance ?
Amandine eut une de ses expressions suffisantes qui la faisait terriblement ressembler à son frère et Cécile leva les yeux au ciel.
Un court silence s'installa au cours duquel May s'activa, bouclant son sac avant de le déposer dans l'entrée, à côté de celui de son amie. Puis, elle se laissa tomber sur une chaise en poussant un soupir las.
— Nour a-t-elle terminé son sac ? reprit Cécile.
— L'a-t-elle seulement commencé ? Parfois, j'ai l'impression d'être la seule à raisonner. Nate ne pense qu'à s'amuser, Nour vit dans les nuages, Soan attend que je lui dise quoi faire et toi, tu ne fais toujours que le strict minimum. Ça ne m'étonnerait donc guère que Nour ne compte que sur sa mémoire.
Cécile savait bien que sa meilleure amie était perfectionniste et qu'elle devait avoir l'impression de gérer quatre enfants. Pourtant, la dispersion et la bêtise n'allaient pas nécessairement de pair. Et Nour était beaucoup de choses mais ce n'était pas une imbécile.
— En fait, j'avais momentanément oublié, mais maman a reçu de nouvelles recommandations de la part d'Evanna, lança soudain May.
Les yeux de Cécile s'arrondirent :
— Comment ?
— "Comment ?" C'est vraiment le premier mot qui te vient à l'esprit ?
Elle serra les dents, le souvenir de son réveil en fanfare encore frais.
— Ne peux-tu pas simplement m'expliquer ?
— Elles ont discuté ensemble, hier, finit par expliquer May avec lassitude. D'après Evanna, tu as la chance d'être entourée d'amis puissants et tu dois pouvoir en tirer profit pour les "épreuves" qu'elle te prépare. À ce sujet, elle te demande de lui faire confiance car elle ne le fait pas de bon cœur. Je cite : "elle veut juste t'aider au mieux". Elle a également ajouté que rendre visite à ton oncle serait une bonne piste. Mais elle a refusé de donner son adresse à maman, prétextant que tu devais le savoir. Et si elle te demande de le trouver, je suppose qu'il ne se trouve pas à Veaudelune. Un autre Occamy banni ? Que sais-tu sur lui, Cécile ?
Lady Evanna ne pouvait faire référence qu'au frère de sa mère, le seul oncle dont elle ait entendu parler. Celui qui avait fait scandale parce qu'il était né terne, c'est-à-dire dénué de tout pouvoir. Ses parents avaient compris trop tard que leur fils n'était qu'un "vulgaire" humain et leur lignée avait fait la risée des Occamy. On avait requis leur exclusion car un humain n'avait pas sa place à Veaudelune et seul son père était parvenu à se blanchir en soutenant que seuls les gènes de son épouse étaient la cause de cette "abomination". Pour appuyer ses paroles, il avait enfanté son amante et convaincu ses tiers de son innocence lorsque la mère de Cécile s'était révélée tout à fait normale. Il n'avait eu aucun scrupule à abandonner sa compagne et son fils à leur sort.
D'après Dominique, la pauvre femme était décédée peu de temps après et l'oncle de Cécile s'était retrouvé seul, orphelin de mère et renié par son père. Depuis, plus de nouvelles. Dominique en avait donc légitimement conclu qu'il avait lui aussi succombé. Après tout, comment un enfant d'une demi-dizaine d'années aurait-il pu survivre ? Et voilà que Lady Evanna lui demandait de le retrouver, sous prétexte que ce serait "une bonne piste". La bonne blague. Elle ne connaissait même pas son nom de famille et celui de jeune fille de sa mère ne lui serait d'aucune aide - pas qu'elle le connût plus.
— C'est un humain, soupira Cécile. Il doit vivre en Insania donc c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il ne nous reste plus qu'à dire à Lady Evanna que je n'en sais pas plus que ta mère.
— Je crois bien qu'elle s'en moque, Azilis. Peut-être pourrions-nous nous renseigner ?
— La seule personne qui pourrait en savoir plus que moi, c'est ma mère. Sais-tu où Blackmoon a logé ma famille ?
May secoua la tête.
— Malheureusement, non. Mais peut-être pourrions-nous lui demander ?
Cécile acquiesça, retenant un rire nerveux. Amandine se leva, la tirant de ses pensées macabres.
— Nour arrive dans deux minutes, papa et maman ont mis le dernier sac dans le néant, un endroit où les invocateurs stockent les objets et Soan nous attend dehors. Allons-y.
Cécile ignorait d'où elle tenait ces informations alors qu'elle était restée tout ce temps à discuter avec elle mais ce devait être un tour de passe-passe télépathique typique de sorciers alors elle se contenta de suivre son amie en traînant des pieds. Sa tête était comme prise dans un étau et une désagréable sensation de stress s'installait dans son ventre mais elle les ignora, se concentrant sur la nuque d'Amandine.
La suite se déroula bien trop rapidement. Clary et Loïc leur souhaitèrent la réussite - il n'y avait que des parents immortels pour ne ressentir aucune inquiétude au départ de leurs enfants, mais embrassèrent longuement Cécile parce qu'ils n'étaient pas sûrs de la revoir. L'adolescente les remercia de leur accueil et leur témoigna son amour et sa reconnaissance. Puis Nate et Nour les rejoignirent au moment où ils ouvraient le portail du domaine. Le premier était excité comme une puce et le chat de la seconde ne la quittait pas d'une semelle, évitant soigneusement l'Occamy. Quant à Soan, il les attendait à l'entrée.
Amandine prit la main de Cécile, incitant leurs compagnons à en faire de même pour former une chaîne unie. Son cœur se gonflait dans sa poitrine mais elle resta à bonne distance de Nate pour qu'il ne devine pas ses émotions. Elle n'avait pas besoin qu'il s'inquiète ou qu'il insiste pour lui laisser le choix de partir ou non. Il aurait eu tort car quoi qu'elle en pense, elle n'avait pas le choix.
— Blackmoon, nous voilà, murmura-t-elle au moment où May ouvrait une Faille et qu'ils avançaient vers la lumière.
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