Chapitre 7
Nuit passé, sitôt oublié(e) - Vendredi 8 Novembre 2019 - 4h47 - Benjamin
Benjamin cligna des yeux, une vaine tentative d'ajuster sa vision à la pénombre de sa chambre. Son horloge interne était telle qu'il n'avait nullement besoin d'alarme pour débuter sa journée, et ce malgré l'heure inhumaine à laquelle il avait fait le choix de se lever chaque matin sans exception. Pour lui, se réveiller à cinq heure du matin n'avait jamais paru insurmontable. Il lui suffisait en général de quelques minutes pour émerger.
A en croire ses coéquipiers, il s'agissait d'un véritable don de la nature. Ces derniers lui avaient souvent fait remarqué sa chance en maugréant à demi-mot qu'il ne devait pas entièrement être humain pour réussir un tel exploit, surtout avec leurs gardes de vingt-quatre heure. Pour leur peine, Benjamin se contentait de leur sourire et d'adopter un ton plus vrillant que la normal, récoltant une salve de grognements déprimés de la part de ceux qui ne reprenaient forme à peu près humaine qu'une fois leur deuxième café entamé.
Le jeune homme se frotta les yeux et étendit son bras pour attraper son portable, qu'il savait posé d'office sur la table de chevet à sa droite. Simplement cette fois, son bras ne rencontra que du vide et il ouvrit les yeux surpris en se sentant chuter vers l'avant. Stoppant rapidement le mouvement avant de risquer de faire plus intimement connaissance avec le sol, il se redressa et détailla les alentours avec curiosité. Ah. Il avait oublié qu'il avait passé la nuit chez Arnaud.
Posant ses pieds nus sur le sol gelé, il se rendit machinalement dans la salle de bain. Une toilette sommaire ferait bien l'affaire, il avait de toute façon l'intention de débuter sa journée par une séance de sport, ne commençant sa garde qu'à midi ce jour-là, pour la terminer à minuit. Tout en se brossant les dents, il planifia le programme de sa matinée de libre.
Le premier quart d'heure qui succéda à son réveil était routinier, comme si son cerveau avait efficacement classé l'incident d'hier.
Son étrange rencontre ne lui traversa pas l'esprit avant qu'il ne sorte de la salle de bain, fin prêt, et accroche d'un regard la petite collection de téléphones que s'était constituée son ami.
D'un coup d'un seul, les évènements de la nuit passée lui revinrent en mémoire avec une telle vividité qu'il se demanda comment il avait bien pu les oublier. Il grimaça en repensant à toutes les interrogations qui l'avaient accompagné dans son sommeil, à ces sentiments traîtres qui s'étaient immiscés dans ce qui n'était qu'une mascarade... puis préféra ignorer son agitation naissante pour aller prendre des nouvelles de son ami fiévreux, à l'origine de toute cette triste affaire. Personne n'était fait pour tacler un questionnement de cette taille avant le petit-déjeuner, et Benjamin ne faisait pas exception à la règle.
Chaque chose en son temps. Il se prendrait la tête après s'être assuré que son ami dormait toujours paisiblement.
Une fois certain que la fièvre d'Arnaud n'avait pas piqué en flèche, Benjamin grignota rapidement une pomme et deux biscottes qui avaient vu de meilleurs jours, et attrapa son téléphone. Il vérifia ses notifications machinalement en s'installant en tailleur sur le canapé. Rien de neuf, ce qui n'avait rien d'étonnant à cinq heure du matin. D'habitude, il mettait à profit ses réveils matinaux pour travailler un brin sa cardio en débutant par une petite heure de course, suivie d'une douche bien froide. Aujourd'hui il ne se sentait pas la motivation de braver le froid, et encore moins de se retrouver seul avec pour seul compagnon le bruit rythmé de ses foulées.
Benjamin tapota son téléphone contre son menton. Maintenant qu'il s'était reposé et qu'il avait quelque-chose dans l'estomac, il avait réussi à faire un peu de tri dans ses pensées. Une fois la gêne initiale passée, toute cette situation lui semblait bien stupide. Que s'était-il passé, au juste, hier ? Pas grand-chose. Il avait rendu service à un ami et s'était découvert au passage un fantasme qu'il s'ignorait.
Alors comme ça il avait craqué pour cette voix suave et étouffée. Bah, quelle importance ! Il aurait tout aussi bien pu s'en rendre compte en regardant un film ou une série, il n'y avait aucun mal à ça.
Il arrêta de malmener son menton et posa son téléphone sur sa cuisse. Il n'était pas tout à fait sincère. Des acteurs n'auraient jamais été en capacité de répondre en simultané à ses désirs, comme cela avait été le cas hier soir. Il s'était comporté comme un idiot, répondant à l'attention d'un inconnu comme un adolescent en manque d'amour et ne pouvait que trouver ça lamentable. Ou disons plutôt : franchement triste et limite pathétique.
Benjamin dévérouilla son téléphone. Une photo d'Alice, un large sourire sur les lèvres, l'accueilli. Il éteignit instantanément l'écran, coupable. Coupable, non pas de s'être laissé allé à ses pulsions charnelles, mais des excuses qu'il avait essayé de se trouver plutôt que d'accepter la situation. Il n'avait aucunement le droit d'en vouloir à sa fiancée d'être prise par ses études.
Peu importe, de toute façon. Cette histoire était derrière lui. Personne d'autre que lui et l'homme d'hier soir n'avaient besoin d'être au courant. Il espérait simplement que ledit homme allait bien... Et c'était bien là le véritable problème de Benjamin. Qui s'inquiétait pour un inconnu ?! D'autant plus que s'il avait été honnête avec lui-même, rien ne lui disait que ce dernier n'était pas le dernier des connards, ou le premier des idiots. Il avait sans doute oublié qu'il avait commandé un pizza et la sonnette avait dû retentir, le sortant de son extase. Ou plus plausible encore, quelqu'un avait fait irruption dans la pièce, le surprenant. Sérieusement, il se prenait trop la tête pour ce qui n'était qu'un coup du sort, qu'un coup d'un soir.
Il ricana en réponse à son jeu de mot des plus fins.
Déverrouillant à nouveau son portable, Benjamin sélectionna le roman qu'il avait commencé il y a plus de deux semaines et repris la lecture. Au bout de trois pages passées à ne rien comprendre à l'intrigue, il redémarra à la page une... Soit seulement trente pages en arrière. Benjamin ne consacrait pas beaucoup de temps à la lecture, ce qu'il lui arrivait de regretter fréquemment. Oh, il pourrait mettre de côté ses jeux vidéos, bien sûr, mais cela ne lui serait d'aucune aide. Le jeune homme avait besoin que le calme soit complet pour pouvoir se concentrer assez pour lire. La tâche était compliquée lorsque, comme lui, vous partagiez votre vie avec une véritable pile électrique. Autant dire que de si bonne heure, avec Arnaud cloué au lit, il pouvait enfin s'adonner à la lecture en paix.
Vers 9h, Benjamin se glissa dans la chambre de son ami pour le réveiller de force. Il avait passé le dernier quart d'heure à préparer un déjeuner potable pour le malade. Rien de très élaboré, mais il avait perdu un temps fou à s'y retrouver dans la pagaille qui caractérisait la kitchenette d'Arnaud.
- Arnaud, debout.
Rien ne semblait capable d'arracher son ami à son sommeil de plomb, aussi Benjamin réitéra, plus distinctement et bien plus près des oreilles de l'étudiant.
- Aller Nono, on se lève ! T'as des médocs à prendre.
- Laisse-moi mourir en paix. C'est trop tard pour moi. Dis à ma mère que je l'aime.
Le plaidoyer peu convainquant pour un sous de son ami lui arracha un ricanement. Il devait aller mieux, pour blaguer comme à son habitude.
- Tu lui diras toi-même. Aller dépêche, ta tisane va refroidir. Et prends ta température avant de prendre un antalgique.
- T'es nul comme infirmier, Ben.
Quelques minutes plus tard, Arnaud reniflait au-dessus de ses céréales et Benjamin grimaçait, assis en face du plus jeune. Il avait meilleure mine qu'hier, mais il était clair qu'il louperait ses cours aujourd'hui encore. Tant mieux. Arnaud avait besoin de se reposer, même s'il avait fait des pieds et des mains pour qu'il se lève et ne dorme pas dix-huit heures d'affilées.
Parfois, Benjamin avait du mal à comprendre comment le jeune homme faisait pour jongler entre ses cours, ses révisions et son travail nocturne.
- Pourquoi tu fais ça ? Demanda soudain Benjamin.
- J'ai pas de mouchoir.
Le rouquin leva les yeux sur son ami qui reniflait toujours, perdu. Il secoua la tête et attrapa la boîte de mouchoirs derrière lui, la posant à côté du bol de céréales.
- Je te demande pas pourquoi tu renifles. Expliqua Benjamin, C'est juste... Ton taff.
- Comment ça ?
- Bah... Tu sais. Tu n'as jamais... Enfin.... C'est quand même. Tu sais ?
Arnaud lui lança le même regard qu'il réservait habituellement aux jeunes enfants qui lui posaient une question particulièrement stupide.
- Ben, j'ai déjà du mal à rester concentré, alors si tu me proposes même pas des phrases complètes, ça va vite devenir très compliqué pour moi.
- Est-ce que tu... aimes ce que tu fais ?
La question était teintée de curiosité et pas du jugement auquel Arnaud s'attendait. L'étudiant s'éclaircit la gorge.
- Tu me demandes sérieusement si je suis fier de jouer les minets au téléphone pour des mecs qui se branlent en s'inventant une vie ?
- Je... Oui ?
- Hn. Ça dépend des fois, je suppose. Souffla Arnaud, une pointe d'amusement dans la voix, Mes réguliers sont plutôt sympas. Pas grand-chose à faire à part les écouter partir dans leur délire. Tu as bien vu hier, non ?
- M'en reparle pas s'il te plait. C'était trop bizarre.
Arnaud haussa les épaules.
- Comme tu veux. Mais tu vois, la plupart sont juste... seuls. C'est pas tant la jouissance qu'ils cherchent, que la présence de quelqu'un.
Benjamin leva les yeux vers son ami. Il pensait donc la même chose que lui.
- Là, oui, c'est presque gratifiant de faire ce type de travail. Confia Arnaud, Exposer ses désirs à un parfait inconnu, c'est se rendre vulnérable.
- J'imagine que t'as raison. Mais quand même...
- Après, y'a toujours l'un ou l'autre connard. Le coupa Arnaud, Enfin. C'est juste que ça fait parti du jeu.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Benjamin fronça les sourcils, attendant la réponse de son ami. Arnaud réfléchi quelques secondes avant de s'expliquer.
- Oh, rien de bien méchant. Le rassura-t-il, Des mecs qui s'assument pas et pensent qu'insulter des inconnus leur fera du bien. Des types qui refusent de perdre un pari entre potes et appellent la pédale de service pour se foutre de sa gueule.
Le sang de Benjamin se glaça.
- Oh tu sais, c'est plutôt rare. Au prix de la minute, ils sont de toute façon bien con d'appeler pour ça. Et puis, parfois ça peut être cool. Certains mecs ont une voix... tellement sexy. Et l'imagination fait le reste.
- Mais tu trouves pas ça un peu... Je sais pas... Glauque ?
- Oh arrête de t'inquiéter pour rien. C'est pas comme si j'allais les croiser demain dans la rue. Ni que j'allais gueuler sur tout les toits que je suis animateur téléphone rose. Et puis, c'est pas plus pervers que de regarder un porno. T'imaginais jamais quelqu'un de bien réel, non ? Ça reste du fantasme.
Benjamin hocha la tête. Il comprenait la réflexion de son ami dans un sens. A une exception près.
- Je sais pas... Imagine qu'on te demande de jouer un pompier une fois. Tu t'inspires forcément de...
- Oh mon Dieu, Ben !, À nouveau, Arnaud le coupa, Tu vas pas me dire que...!
- J'ai eu un autre appel. Après tes réguliers. Bafouilla Benjamin, aussi soulagé qu'horrifié de partager sa drôle de rencontre, Il voulait un pompier.
Cela ne rata pas. Arnaud éclata de rire, s'étranglant avec ses céréales. Benjamin se mordit l'intérieur de la lèvre. Évidemment, il aurait dû savoir que ça ferait rire son ami.
- Oh. Oh Ben ! Je suis tellement désolé.
- Non, écoute... C'est pas grave.
- Attends. Pourquoi tu rougis ?
- Je rougis pas.
- Si, tu rougis !
Benjamin détourna les yeux. Il pouvait sentir la chaleur qui réchauffait ses joues. Arnaud se racénéra un peu face à son mutisme. Il s'était certainement attendu à une blague de la part du pompier. Son silence le força à changer de tactique.
- Ne t'en fais donc pas pour ça. C'est juste un jeu. Rien de personnel.
- Je sais tout ça, Il s'était assez torturé l'esprit plus tôt dans la matinée pour s'en convaincre, Mais c'était... simplement trop bizarre.
- Hein ?
Cette fois, ce fut au tour de Benjamin de hausser les épaules. Par quoi commencer ? La description très proche de la sienne ? Le désespoir dans la voix de son interlocuteur ? Arnaud ne pourrait pas comprendre. Aussi, Benjamin dévia la conversation juste assez pour que son ami lâche l'affaire.
- J'ai pas pu m'empêcher d'imaginer mon supérieur.
Un mensonge et demi, qu'Arnaud goba sans se poser de question.
- Ben. Non.
- Il a demandé un pompier ! C'est le premier qui m'est venu en tête !
- Ben.
- Arnaud ! Comment tu veux que je regarde le caporal dans les yeux aujourd'hui ?
L'étudiant ricana, offrant une accolade sympathique à son ami.
- Tu vaincras, j'ai confiance en toi.
Naturellement, ils passèrent à un autre sujet, parlant de tout et de rien en faisant le tour des réseaux sociaux pour prendre la température de la journée. Le petit déjeuner tardif terminé, Benjamin fila sous la douche. Quelques minutes lui suffirent à terminer de se préparer pour la journée. Un rapide coup d'oeil à son reflet dans le miroir, et il rejoint Arnaud dans la pièce centrale. Il retrouva le jeune homme assis devant son ordinateur plutôt que dans son lit comme il le lui avait conseillé, mais se retint de le rappeler à l'ordre en voyant qu'il avait au moins fait l'effort de débarrasser la vaisselle.
- Dis, c'est du caporal Fang dont tu t'es inspiré ?, Le demanda Arnaud de but en blanc, Faut que tu me le fasses rencontrer.
- Hein ?
Cette fois, c'était à Benjamin de ne plus rien comprendre. Arnaud se décala simplement sur la gauche pour laisser apparaître l'écran qu'il contemplait fixement. Benjamin se rapprocha et il fronça les sourcils en réalisant qu'Arnaud s'était connecté sur Ridemyphone. Loin d'afficher des profils d'animateurs disponibles, le site affichait l'ensemble du trafic sur les lignes que géraient l'étudiant. Ce dernier avait surligné une notification récente. Une commission spéciale de l'utilisateur #329, en date de ce matin.
- Cinquante euros ?!
- Et c'est sans compter le prix de l'appel ! Bon sang Ben, comment t'as fait pour lui tenir la jambe aussi longtemps ?!
Effectivement, l'appel qui s'était éternisé avait pratiquement rapporté soixante-quinze euros à son ami. Arnaud souriant de toutes ses dents, ce qui aurait été charmant si son nez rougi ne s'obstinait pas à couler.
- Je connais bien mon sujet. Répondit simplement Benjamin.
- Cinquante euros de pourboire. C'est complètement dingue !
Arnaud tapa dans ses mains.
- C'est décidé, je rajoute pompier à ma panoplie de personnages. Et tu vas m'aider à le parfaire !
- ...Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
- Regarde, j'ai déjà plein d'idées ! T'en penses quoi ? "Alors mon mignon ? Prêt à mettre le feu aux poudres ?"
- Arnaud, ne...!
- "Viens, que je te montre comment je me sers de ma lance."
- Pitié, arrête. On parle pas comme ça !
- "Tu me donnes chaud. Heureusement que je n'ai pas peur de jouer avec le feu."
- Oh mon Dieu. C'est toi que je vais foutre dans un feu à ce rythme !
L'étudiant ricana avant de prendre un air plus grave.
- Non mais plus sérieusement. Comment t'as fait ça ?
- Je crois... Qu'il avait vraiment besoin d'être écouté, c'est tout. Répondit Benjamin honnêtement, détournant le regard, Eh puis, ça sert à rien de t'emballer, c'est pas comme s'il allait rappeler demain la veille.
- C'est dommage d'ailleurs.
De ça, Benjamin n'était pas si sûr.
Heureusement, il n'eut pas à essayer de convaincre plus longtemps son ami de l'inutilité de se créer un nouveau personnage : son alarme sonna, annonçant son départ pour la caserne.
Il rassembla ses affaires, rappela une énième fois au plus jeune qu'il avait intérêt à retourner se coucher au plus vite, puis se dirigea vers la porte. Sa mission l'attendait.
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Chapitre écrit par Sinsiliniai
On hésitait entre vous faire patienter encore quelques heures, ou publier en avance... Et comme vous êtes cools, voici voilà ce chapitre un peu plus tôt que prévu. (Non, c'est absolument pas parce qu'aucune de nous n'avait la force de mettre son réveil à 4h30 du mat'. Non, non. C'est parce qu'on vous AIME.)
Alors alors, que pensez vous des états d'âme de Benouchou ? Arnaud, c'est pas l'ami dont nous rêvons tous ?
Coeur et amour !
Miruru et Sinsiliniai
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