Chapitre 31 - Partie 1
Chapitre 31 : Des pas côtes à côtes - Lundi 18 Novembre 2019 - 17h00 - Partie 1
Benjamin avait terminé son service à 15h aujourd'hui, le moral dans les chaussettes. Après une dizaine d'heures de service, il était bien content de se glisser dans le vestiaire pour retrouver une apparence plus humaine et se vêtir de sa tenue civile après un brin de toilette. Il détailla un moment son visage dans le miroir de la salle d'eau, passant une serviette duveteuse dans ses cheveux humides qu'il avait horreur de sécher, même en plein automne.
Sa peau pâle était rougie par la chaleur de la douche qu'il venait de prendre, lui donnant un teint rosé qu'il perdrait bien assez vite. Ses yeux gris bleus étaient plus clairs qu'à leur habitude, les cernes légèrement violacées qui étaient apparu sous eux exacerbant leur couleur. Il sourit expérimentalement, la fatigue et l'amertume d'une journée de travail où faire de son mieux n'avait pas été suffisant, ternissant l'éclat naturel de son sourire plein de dents.
— J'sais bien qu'on dit qu'il faut s'aimer soi-même et tout, mais ne va pas embrasser ton reflet, hein, Desrives ?
Le commentaire de Sébastien le sorti de la contemplation de ses traits tirés. Avant qu'il ne puisse rétorquer quoi que ce soit, la voix d'Harry s'éleva de l'autre bout des vestiaires.
— Ferme ta gueule Duval. La fin de journée été assez merdique pour supporter tes commentaires à la con.
— Ah merde. Marmonna Sébastien, se tournant vers Harry, L'accident rue Cardan ?
— AVP. Trois victimes. Un blessé léger, un TC, un ACR. MCE débutée par un civil avant arrivée. La prise en charge DAE n'a servi à rien.
Souvent, s'exprimer à l'aide d'abréviations leur permettait de gagner un temps précieux lorsqu'un déploiement rapide était attendu. Parfois, comme aujourd'hui, cela permettait de minimiser l'horreur de ce qu'ils vivaient certains soirs.
— Putain. Gronda Sébastien.
Benjamin grimaça gravement. Un AVP, ou accident de voie publique. Un accident de la route comme on en voyait des milliers dans une carrière. Certains anecdotiques, d'autres plus violent de par leur circonstance. Hier, une bande d'amis s'était fait faucher à la sortie d'un bar. Le responsable, coupable de délit de fuite, n'avait pas encore été appréhendé. TC, ACR. Traumatisme crânien, arrêt cardio-respiratoire.
La première victime avait présenté de courtes pertes de mémoire, son compagnon, lui, ne respirait plus après la collision. MCE, DAE. Un civil ayant des connaissances en secourisme avait débuté un massage cardiaque externe. Les pompiers avaient pris le relais à leur arrivée avec un défibrillateur automatique externe. Ils l'avaient tout de même perdu. Le pire avait été les hurlements de la troisième victime, à peine égratignée. Son rétablissement physique n'avait pas dû prendre plus que quelques heures. Son rétablissement mental, il, prendrait de nombreuses années.
Quand à eux... Ils ne l'oublieraient pas non plus. Mais c'était leur métier, et au bout d'un moment, ils ne prenaient plus la peine d'apprendre le nom des gens qu'ils perdaient.
Benjamin détourna le regard du miroir et échangea un regard entendu avec Harry, lui souhaitant de bien rentrer et de passer le bonjour à sa femme. L'autre homme répondit à l'identique et Benjamin se contenta d'acquiescer en souriant.
Après le weekend particulièrement merdique qu'il venait de passer, il était heureux que les cours avaient repris et qu'Alice ne se trouvait pas encore à l'appartement. Cette dernière s'était montrée plutôt froide envers lui après sa course, samedi. Une première.
Lorsque Florence, habituellement pétillante et incapable de rester plus de cinq minutes silencieuse, s'était contentée d'un salut froid lancé par dessus un porte-folio à son retour. La jeune femme aux cheveux châtains l'avait assassiné du regard et Benjamin n'avait pas insisté. Les échos du passé avaient fait remonter en lui des souvenirs douloureux, il n'avait aucune envie de se prendre la tête plus que de raison.
Quand Mathias lui avait demandé, plus tôt ce matin, s'il était partant pour une course, il n'eut pas à y réfléchir à deux fois. Il n'avait pas non plus jugé nécessaire de prévenir Alice. Après tout, elle allait sans doute passer la soirée avec Florence. Elle ne se rendrait même pas compte de son absence.
Le rouquin avait invité Mathias à le rejoindre non loin de la station Montgallet, en plein 12ème arrondissement, aussi se hâta-t-il de prendre la direction du métro pour arriver à l'heure.
A dix-sept heures tapantes, cela faisait une petite demi-heure que Benjamin était collé à un muret, à côté de la bouche de métro. Il tentait visiblement de ne faire qu'un avec la construction, évitant soigneusement de se mettre à dos la foule d'employés pressés qui se hâtaient de dévaler les marches pour rejoindre les voies souterraines pour embarquer dans le premier métro qu'ils pourraient attraper.
Grace à cette surveillance accrue de la foule, il aperçu Mathias avant que ce dernier ne puisse le voir. Enfin, pour être honnête, la quasi majorité des passants avaient dû le repérer, vu son accoutrement. Une veste bleue sur le devant, l'avant entouré d'orange d'un côté et de blanc de l'autre, avec des manches noires qui, plutôt que de rendre l'ensemble sobre, ne faisaient d'accentuer le crime contre le bon goût qu'était cette veste. Benjamin inspira profondément. Au moins, il semblait porter un véritable jogging cette fois, et pas un hybride entre un sarouel et un leggings.
Benjamin s'avança à la rencontre de l'autre homme, le saluant de loin d'un geste de la main pour qu'il le repère. Son dos droit et son regard assuré lui octroyaient un sentiment de grandeur que les passants avaient l'air de respecter, évitant de couper sa route alors qu'il égalisait à peine la hauteur d'une bande de lycéens pressés qui couraient en direction du métro.
Benjamin sourit en coin. La tenue de Mathias aurait rendu la vu à un malvoyant tellement elle était... colorée. Lui n'avait pas fait l'effort de changer de tenue : il avait un ensemble de sport particulièrement confortable et même la moue contrite de Mathias qui jugeait ouvertement son accoutrement ne le ferait pas regretter d'avoir revêtu la même tenue.
Le rouquin ouvrit la bouche pour saluer l'égérie des choix vestimentaires douteux, mais avant qu'il ne puisse dire que que ce soit, Mathias leva la main pour le couper dans son élan. Benjamin referma la bouche.
— Ne me demande pas si ça va bien, ce n'est pas le cas. J'ai fait mes valises. Je pars après cette course.
Benjamin fut pris de court par cette déclaration. Il bafouilla sa question suivante.
— Comment ça, tu pars ?
— Oui. Paris... c'est étouffant.
Mathias avait déclaré cela, le visage neutre au possible. Il semblait presque ennuyé par les questions du plus jeune qui hocha la tête, formulant une réponse hésitante.
— Je suppose que oui, parfois. Mais c'est que tu ne connais pas les endroits où respirer, justement.
— Il ne suffit pas d'une promenade de temps en temps pour échapper à tout ça, Benjamin.
La manière dont Mathias prononça son nom à l'instant lui fit instantanément regretter les surnoms stupides qu'il semblait déterminé à lui donner. Le ton était froid, claquant, une réplique dédaigneuse plutôt qu'une invitation. Benjamin croisa les bras sur son torse et attendit patiemment que Mathias finisse de s'expliquer.
— Tu le comprendras quand tu ne traineras plus qu'avec des étudiants comme tu sembles le faire vu ta fiancée, mais des adultes.
Le pic était complètement gratuit, et Benjamin se contenta de chercher une réponse qu'il ne trouva pas au fond des prunelles sombres de Mathias.
— C'est pas comme ça que tu vas me convaincre de trainer avec des adultes, comme tu dis.
— Pourtant, c'est ça la vie. Des contraintes, de la pression, des injonctions...
Maintenant qu'il le saisissait un peu mieux, Benjamin savait que Mathias avait deux modes majeurs. Il était soit combattif à forcer le respect des plus blasés, soit d'une passivité terrifiante. Apparemment c'était ce Mathias qui lui avait donné rendez-vous aujourd'hui.
Benjamin fronça les sourcils.
— Quelle belle façon d'être adulte face à tout ça ! Courage, fuyons !
— Je...
— Non. Sérieusement, Mathias, il t'arrive quoi là ?
L'homme s'humecta les lèvres, le jaugeant un instant avant de se retourner et de trottiner sur place, évitant son regard.
— Bon, l'ado idéaliste, on la fait cette course, ou pas ?
Sans attendre sa réponse, le plus âgé entama plusieurs foulées en direction de la rue piétonne. Ben secoua la tête. Il n'en ratait pas une.
— C'est pas ici qu'on va courir, au cas où. Indiqua-t-il, le timbre amusé, Suis-moi. Si tu arrives à faire 5 mètres sans te prendre les pieds dans un pavé, en tout cas.
L'air narquois de Benjamin fut écrasé par celui de son compagnon, qui arqua un sourcil.
— Premièrement, Benjamin, -A nouveau, il employait son prénom avec froideur-, je ne tombe pas tous le temps, et deuxièmement, je m'échauffais !
— Autant pour moi, Mathias. A son tour, Benjamin mettait l'accent sur le prénom de l'autre, plus taquin que frustré, Mais par contre on a une petite trotte avant d'arriver. A moins que tu ne pensais que je t'avais demandé de prendre le métro pour courir dans les rues ?
Le rouquin trottina à hauteur de Mathias et l'invita à le suivre d'un geste de la main. Mathias lui emboita le pas, l'air perdu.
— Le métro ? Je suis venu avec un chauffeur.
— Un chauf...?
Un bruit de klaxon, chose assez commune à Paris, réussi à le surprendre lorsqu'il l'identifia qui provenait d'une Berline garée en double-file et à laquelle Mathias avait adressé un geste altier de la main. Le conducteur avait un large sourire et saluait de la main les deux hommes. Benjamin lui rendit son salut avant de le dépasser dans sa course.
Ils descendirent l'avenue en veillant à ne barrer la route de personne. Benjamin, qui courrait habituellement plus vite que ça, avait adapté ses foulées en concordance avec la fois précédente. Ce rythme de croisière leur permettait de discuter.
— Qu'as-tu fait ce week-end ? Moment d'exception avec ta fi-an-cé ? Travail ?
— ...On ne s'est pas vraiment vu, ce week-end. Marmonna Benjamin.
— Ah ? Dommage, il faisait un peu froid, rien de mieux que de se réchauffer avec un autre corps.
— Et ça arrive souvent aux vrais adultes de penser à la vie sexuelle de leurs amis, Railla Benjamin, un peu sur la défensive, Ou c'est juste toi ?
Pour toute réponse, Mathias sort son téléphone de sa poche en regardant Benjamin fixement. Le rythme de leur course ralenti et ils se retrouvèrent à marcher côte à côte alors que Mathias appelait l'un de ses contacts, son smartphone sur haut-parleur. Au bout de trois sonneries, son contact décrocha.
— Comment tu vas Antonin ?
— Je crois que Margot va enfin finir sous mon bureau, et toi ? S'éleva la voix de l'interlocuteur de Mathias.
— Je vais courir avec un pompier. Répondit Mathias platement.
— AHAHAHA !, S'esclaffa l'autre, T'es vraiment un fétic-!
Mathias mis brusquement fin à l'appel et stoppa sa marche. Ses épaules étaient tendues alors qu'il fixait obstinément l'asphalte. Benjamin secoua la tête. Quoi que son ami ait essayé de dire, Mathias semblait déterminé à ce que Benjamin n'en sache rien.
— C'est mon meilleur ami. Expliqua Mathias, Je pense juste qu'à force de le supporter depuis plus de vingt ans, la notion d'intimité et de bienséance a disparu entre nous.
— Je connais ça aussi.
Il ne connaissait Arnaud que depuis plus d'un an, et il était déjà bien conscient que leur amitié n'avait rien de standard. Même ici, avec Mathias, il avait envie de s'imaginer qu'il avait sa chance d'être un jour aussi proche de lui que son évasif meilleur ami -qui soit dit en passant avait un humour plus médiocre que Mathias, ce qui relevait de l'exploit-. A défaut d'autre chose...
Benjamin se mordit l'intérieur de la lèvre, brusquement irrité sans raison. Il se racla la gorge.
— ...Et donc... Margot ?
— Elle travaille avec nous au cabinet. Répondit Mathias.
Ils avaient abandonné leur prétendue course d'échauffement au profit d'une conversation plus fluide entre eux.
— Depuis que je l'ai éconduite, elle me harcèle pour qu'on remette le couvert. Soupira Mathias, Par contre, elle repousse obstinément les avances d'Antonin et le menace fréquemment de parler de son comportement à ma mère.
Mathias se renfrogna et Benjamin fronça les sourcils. Il avait l'impression d'avoir loupé un épisode. Que venait faire la mère de Mathias dans cette histoire ?
— Ta... mère ?
— Anne Levalier, Avocate Associé-Gérante de son propre cabinet. Soupira Mathias, Je travaille pour elle. Elle est spécialisé en droit des affaires. Elle évite à de grosses boites bien riches de payer les gros chèques qu'ils devraient.
— Attends... Tu bosses pour Legrand, Legrand & Levalier ?
Si la réputation du cabinet était immaculée auprès de sa clientèle, elle l'était beaucoup moins dans l'opinion publique. Benjamin n'avait pas entendu que du bon concernant les plus fidèles clients de l'agence, des représentants de multinationales et de corporatives qui faisaient régulièrement la une pour des procès où ils s'en tiraient vainqueurs alors que le commun des mortels les estimait coupables.
— Ta mère, c'est maître Levalier ?
Seul le bruit de leurs pas sur le trottoir les accompagna quelques instants, avant que finalement, Mathias ne soupire.
— Oui, je suis le fils de MAÎTRE LEVALIER Toute Puissante . Cracha l'homme, Tu l'as sans doute vu lors de l'une de ses nombreuses apparitions télévisées. La dernière fois c'était dans l'affaire des licenciements abusifs de 2500 salariés.
— Il y avait eu non lieu, c'est ça ? L'entreprise s'en était tirée sans rien devoir verser.
— C'est ça ! Encore une belle victoire pour Maître Levalier !
Mathias rit sans joie.
— Quel exploit... Commenta Benjamin, amer.
— N'est-ce pas ? Quand j'étais enfant elle adorait nous raconter ces derniers, et à quel point cela lui avait rapporté gros... Pour information, dans le cabinet, chacun d'entre nous à une spécialité et la mienne est en droit de la santé. Je vois essentiellement des patients qui ont subit des effets secondaires suite à une prise de médicaments ou à une hospitalisation. Antonin, malgré tout ce qu'on pourrait croire de lui, est spécialisé en droit des familles.
Benjamin hocha la tête, écoutant attentivement les présentations de Mathias. Il n'y connaissait rien dans le domaine du droit, mais l'amertume de l'avocat semblait s'atténuer alors qu'il oubliait sa mère pour parler de son propre travail.
— Ah... ça devait être... Super intéressant. Répondit Benjamin, Mes parents à moi se contentaient de nous raconter en boucle leurs débuts amoureux.
Mathias ricana à cette annonce, pincé mais pas moqueur.
— Ahaha, voilà pourquoi tu es un si grand romantique. Si jeune et déjà fiancé à la femme de ta vie !
— Mouais. Répondit Benjamin, peu convaincu. Par son romantisme ou par l'affirmation de son amour éternel, il ne savait trop, Tu sais... Je pense que t'as raison, je dois tenir ça de mon père.
— Comment est-il ?, Demanda Mathias, curieux, Tous les ans je pars avec le mien en retraite au Vietnam. On prévoit d'aller à Chùa Từ Hiếu pendant trois semaines l'an prochain.
Le coeur de Benjamin se serra. Les souvenirs d'hier encore trop frais dans sa mémoire, il sourit timidement.
— Mon père est un héros. Pompier, comme moi. C'est lui qui m'a parlé de l'endroit que je t'emmène visiter, d'ailleurs. C'est là qu'il a rencontré ma mère à l'époque...
________________________________________________
Chapitre écrit par Sinsiliniai & Miruru
Miru : Well, well, on est désolée de pas savoir faire court, comme toujours, la suite et fin de ce rendez-vous la semaine pro...
Sins : *accourt, fait un salto avant et se réceptionne -mal- sur les fesses* EN FAIT C'EST DEUX ...ou peut-être même TROIS PARTIES A VENIR.
Miru : ...
Sins : ...
Miru : Ne vient plus jamais me casser les bonbons avec tes p l a n n i f i c a t i o n s.
(Bonjour, bonsoir, mon nom est Sinsiliniai et dans la vie je suis addicts aux chapitres sans fin.)
On espère vraiment que ça vous a plus et que vous êtes prêts à nous retrouver dans quelques heures pour la suite de ce chapitre hohoho. :D
A tout bientôt !
Sins & Miru
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro