Quatorzième morsure : Mort subite
Ou
Apprendre soudainement qu'une connaissance est morte assassinée et qu'on doit aussitôt aller résoudre l'enquête
C'était tôt le matin, lorsqu'Aludra était en train de se délecter du sang de Mikhail après trois semaines sans quand ils entendirent un grand fracas dans l'entrée.
La vampire sortit ses crocs aiguisés du cou du jeune humain avec regret et un bruit presque visqueux et se leva. Mikhail, lui, remonta le col de sa chemise sur ses plaies déjà cicatrisantes grâce à la salive de la vampire, puis reboutonna le col serré autour de son cou.
Quand ils arrivèrent dans l'entrée, ils virent alors Thokmah Raventide, paniqué, en train de suer comme jamais et de haleter comme un dératé ayant couru un marathon.
Mikhail jeta un coup d'œil au majordome aux habits désordonnés puis à Aludra qui fronça les sourcils, l'air mécontente.
D'un geste de la main, elle referma la grande porte et descendit les escaliers pour donner un semblant d'accueil au vampire paniqué. Il remuait dans tous les sens et paraissait absolument déboussolé mais ses yeux paraissaient vides, vidés de toute âme comme si on lui avait retiré une partie de cette dernière à mains nues. Quand il se calma enfin, Aludra put lui poser la question :
-Thokmah, que viens-tu faire ici ?
-Madame Burnett, je...Je ne sais pas quoi faire ! Je suis perdu ! Je ne sais pas quoi faire !
Il répéta cette phrase en boucle pendant plusieurs minutes, en proie à une sorte de folie malsaine avant de se mettre à pleurer à chaudes larmes. Enfin, ce n'était qu'une expression car les vampires étant glacés ne pleuraient pas à chaudes larmes mais bel et bien à froides larmes...Le vampire trouva ensuite enfin la force d'articuler entre deux sanglots qui rendaient sa bouche pâteuse et son articulation difficile :
-Mon...Mon maître a été tué ! Mon pauvre maître...Il est mort...Il a été assassiné !
Aludra se figea d'un seul coup comme si un froid glacial avait envahi la grande pièce en moins d'une seconde. David de Rosideau ? Mort ?
Elle se redressa et lui ordonna :
-Je veux le voir. Tout de suite !
Thokmah parut d'un coup ennuyé.
-Nous...Nous, serviteurs, avons déplacé son corps...Il a été assassiné dans sa salle de bains et nous l'avons mis...Mis dans...
Un sanglot transperça sa gorge avant qu'il ne termine :
-Dans sa chambre...
Aludra fronça encore les sourcils. Quelle idée de déplacer un mort de sa scène de crime !
-Qu'importe ! Je veux le voir quand même !
Ils foncèrent jusque chez David de Rosideau en voiture cette fois tirée par quatre chevaux au lieu de deux et on ne peut plus rapides. Dans la voiture qui cahotait sur la route, Mikhail et Thokmah virevoltaient dans tous les sens et ne savaient où se tenir à part aux ridicules poignées présentes sur les portes alors qu'Aludra, bras croisés, ne bougeait pas d'un pouce, les yeux en un regard noir rivés sur les deux garçons face à elle tour à tour.
Mikhail se demanda ce qui mettait la vampire dans une si mauvaise humeur. Ses yeux lançaient des éclairs et personne n'osa dire quoi que ce soit durant tout le trajet de peur de froisser la surpuissante femme et de finir écrasé sur la chaussée après avoir effectué un vol plané depuis la voiture.
Quand ils arrivèrent, Aludra rassembla tous les serviteurs de la maison et leur demanda de ne plus toucher à quoi que ce soit dans la grande demeure. Thokmah désigna l'intendant, le seul supérieur à lui dans la maison parmi les serviteurs qui expliqua à Aludra avec une politesse et un respect sans nom que leur maître, David de Rosideau, avait eu quelques douleurs au ventre et été dormir plus tôt la veille au soir. D'après les cuisinières unanimes, aucun aliment avarié n'avait été servi et apparemment, le vampire n'aurait pas bu de sang depuis une bonne semaine avant ce triste événement. Leur maître n'aurait vu que Thokmah le soir après lui avoir demandé une tisane contre ses maux de ventre, son intendant quelques instants plus tard pour quelques précisions sur la journée du lendemain que Thokmah n'avait pas pu lui donner et son veilleur de nuit.
On aurait vraiment dit une mauvaise blague car leur maître avait été aux toilettes au matin, vers l'aube, et quand il était revenu, plus de David de Rosideau. Il l'avait cherché puis trouvé dans sa salle de bains, mort et baignant dans son sang. Aludra écouta le témoignage oral du vampire veilleur mais cela ne lui apporta pas grand-chose de plus pour son enquête personnelle. Ce dernier paraissait complètement perturbé et s'en voulait de ne pas avoir attendu pour aller se soulager et avoir pu suivre son maître pour éviter son assassinat. Ils avaient ensuite déplacé son corps à quatre, Thokmah, le veilleur, l'intendant et un des jardiniers.
Aludra fronça les sourcils. Elle demanda à la femme de chambre et au nettoyeur si la chambre de David de Rosideau et sa salle de bains avaient été nettoyés. Ils infirmèrent d'un mouvement de tête collectif. Ils avaient préféré attendre la supruissante vampire pour avoir son verdict, ils attendaient le retour de Thokmah avec elle. Aludra hocha lentement de la tête plusieurs fois. Évidemment, nettoyer la chambre, pas question mais déplacer le corps, pas de souci ! Elle commença à monter les escaliers avant de leur demander de rester ici avec Mikhail, qu'elle jaugea trop pur et innocent pour voir la scène de ce meurtre ignoble, et que si un seul de ses cheveux était touché, elle ferait amèrement regretter au vampire en question d'être né.
Elle monta tout en marmonnant des choses qui ressemblaient à des psaumes ou des mantras tant elle parlait dans une barbe qu'elle ne possédait pas. Elle arriva jusqu'à la salle de bains, lieu du supposé crime infâme. Quand elle ouvrit la porte, une odeur de sang et de fer allant avec envahit ses narines surdéveloppées en même temps qu'un sentiment de petitesse assaillisse son être, en regardant sa taille par rapport à celle de la pièce. Elle était aussi grande qu'une de ses salles de bains moyenne et très épurée, dans les tons de beiges, pour appartenir à un vampire.
Au milieu de la pièce, près de la grande baignore en marbre qui se dressait au centre comme un piédestal, Aludra analysa le sang laissé à terre en une grande flaque écarlate et visqueuse. Elle le goûta du bout des doigts avec un air d'experte. Il avait bel et bien le goût allant avec l'odeur que dégageait David de Rosideau de son vivant, pas de souci à ce niveau-là. C'était bel et bien son sang.
Elle s'attarda ensuite sur les lieux. Rien n'était renversé nulle part, donc pas de trace directe de lutte ou de combat, sachant aussi que la pièce était immense et contenait peu de meubles...Elle remarqua ensuite de ses yeux de lynx, ou de vampire, de petites traces de griffures légèrement rougacées sur le rebord de la baignoire blanc cassé. Elle s'en rapprocha pour les voir de plus près et espérer les analyser.
C'était de petites traces d'ongles, donc de griffes au niveau des vampires, gravées très légèrement, en surface, dans la pierre avec une très légère présence de sang dans les rainures. Aludra lécha comme elle pouvait ces petits sillons et put y sentir deux goûts différents de sangs par logique différents aussi. Elle y décela celui de, en grande quantité de David de Rosideau, vraisemblablement celui qui avait dû se retenir au bord de la baignoire, et un autre mais trop faible pour qu'Aludra puisse en tirer quelque chose de concret et assez précis pour en être sûre et pouvoir accuser quelqu'un. David de Rosideau avait dû griffer son agresseur, lui prélevant un peu de sang mais vu la superficialité de la blessure, un vampire n'avait pas dû mettre longtemps à se régénérer.
Aludra en voyant cette mince quantité de sang étranger et donc inconnu songea alors avec une pointe d'ironie et un sourire assez déçu mais masqué derrière un air narquois mais frustré :
-Ç'aurait été trop facile...
Elle rajouta à voix très basse :
-On s'amuse avec moi...Et je n'aime pas ça. Il n'y a que moi qui puisse jouer avec les autres...
Elle alla ensuite voir la chambre du vampire. Tout ce que le veilleur avait raconté se révéla exact, rien n'avait été bougé à première vue, et il y avait même encore la tasse de la tisane de David de Rosideau sur sa table de chevet. Ce dernier avait été placé sur son lit, les mains jointes et les yeux clos, sous sa couverture, comme s'il dormait paisiblement mais ce n'était plus le cas. Mais dans un sens, oui, il dormait. À jamais. La vampire s'arrêta devant ses draps et murmura avec respect :
-Repose en paix, David de Rosideau...
Inutile de s'attarder sur les draps, il y aurait plusieurs odeurs dessus vu que les serviteurs avaient replacé leur maître dans son lit seuls. Mais elle les souleva, dans un élan de doute. Le vampire avait été transpercé en plein cœur, un trou béant s'ouvrait sur son poitrail. La vampire replaça la couverture puis remarqua alors un détail du coin de l'œil. La tasse de la tisane était en parfait accord avec la soucoupe au-dessous dans ses motifs et leur taille, mais il n'y avait aucune trace de thé ni tisane dans la tasse. Pas de fond délaissé, pas de restes de feuilles, pas même d'odeur, même infime, rien ! La tasse semblait en réalité...Propre.
Bizarre...La vampire fronça ses fins sourcils et porta une main à son menton. Elle ne savait pas quoi penser si ce n'est qu'une personne, sans doute le coupable, avait changé la tasse pour masquer quelque chose. Y avait-il quelque chose dans la tasse qu'il faille cacher ? Aludra ne savait pas si elle devait prendre ce détail au sérieux ou pas alors elle le garda dans un coin de sa tête.
Elle sortit sur le balcon un moment pour penser un peu mieux en regardant la forêt en contrebas puis retourna à l'intérieur après une demi-dizaine de minutes pour appeler le veilleur en haut. Il lui parvint tout troublé, traumatisé et perturbé. Elle le rassura en lui tapotant l'épaule d'une main et lui parla gentiment :
-J'aimerais juste savoir quelque chose...Ton nom ?
-Filipe. Filipe Grotor. Madame l'Immortelle Ensanglantée, se dépêcha de rajouter le veilleur tout paniqué.
-Filipe, dis-moi. La tasse de David, était-elle pleine hier soir ?
-Oui, quand Thokmah lui l'a amenée.
-Je vois. Et l'a-t-il finie avant de s'endormir ?
Le veilleur sembla réfléchir avant de dire :
-Je n'ai pas spécialement regardé, car on ne fixe pas son maître, mais je crois bien qu'il ne l'a finie qu'à moitié ou aux trois quarts avant de réussir à dormir.
-Merci bien, fit Aludra. La tasse. Elle n'a pas bougé depuis hier soir ?
-Je ne crois pas, non.
-Bien, acquiesça Aludra.
Elle échauffaudait déjà plein de théories possibles dans son esprit mais elle sentit qu'elle n'arriverait pas à grand-chose en restant ici alors elle finit par appeler la police des vampires, qu'on appelait la vampolice pour relever et souligner l'intelligence de cette race en matière de mots-valise, qui figea la scène du meurtre et la bâtisse. Les serviteurs seraient tous interrogés un à un au poste de police dans ce que les humains appeleraient une garde-à-vue et passeraient les prochains jours là-bas en interrogatoire. Ils seraient tous relâchés en l'absence d'un ou plusieurs suspects, si ces derniers faisaient dans la maison.
Cela laisserait le temps à Aludra de réfléchir encore plus longtemps et la vampolice tiendrait la surpuissante vampire au courant du déroulement et de la progression de l'enquête.
Aludra remercia les serviteurs qui la saluèrent en retour, puis la vampolice avant de rentrer avec Mikhail dans sa voiture mais cette fois tirée par uniquement deux chevaux et à un rythme de croisière normal. Sur la trajet, Aludra remit les épis de Mikhail en place et lui demanda :
-Qui a touché à tes cheveux alors que j'avais interdit à quiconque de le faire ?
-Juste Thokmah qui a essayé de dompter mes mèches rebelles avec la coiffeuse de...De David de Rosideau. Pardon, je ne sais pas comment l'appeler autrement...Mais ils n'ont pas réussi.
-Je vois. Je leur en toucherai un mot ! badina Aludra avec un sourire qui était vraiment un sourire plaisantin. Mais il est vrai que tes mèches donnent du fil à retordre et des cheveux à recoiffer à tout le monde !
Quand ils arrivèrent à la maison, Aludra demanda à Mikhail de venir la voir. Il se demanda ce qu'elle voulait de lui quand elle lui croqua le cou par surprise. Il lâcha un cri de stupeur avant de se taire, habitué à rester plus ou moins silencieux dans ce moment douloureux et si plaisant à la fois, quand il sentit une intense chaleur dans son corps, plutôt anormale, et hurla alors sa douleur sans retenue. Pourquoi était-ce différent cette fois-là ? Pourquoi avait-il mal alors que la vampire ne faisait que boire son sang comme d'habitude ?
Le moment se termina ainsi quand Aludra sortit ses longs crocs de la chair du cou de Mikhail qui prit congé après de courtes excuses d'Aludra qui avait entendu ses cris et qui se sentait un peu mal de l'avoir fait hurler.
Elle alla s'isoler dans sa chambre immense plongée dans le noir alors que Mikhail s'en alla lire dans la sienne. Il s'était pris de passion pour la lecture depuis qu'il était arrivé ici. Surtout qu'il y avait une pièce immense qui faisait office de seule bibliothèque et dans laquelle il n'y avait que des livres à perte de vue, du sol au plafond et de gauche à droite sans interruption.
Maintenant, il lisait des enquêtes criminelles sur plusieurs affaires en même temps, il aimait bien lire des policiers tout en réfléchissant à l'enquête.
Mais ce qu'il ne savait pas, c'est qu'une bonne moitié des milliers de livres policiers qu'il y avait dans cette gigantesque bibliothèque étaient des cas réels qu'Aludra avait élucidés...
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