Cinquième morsure : Longs essais
Ou
Embêter son invité à faire le mannequin puis le modèle à habiller
Aludra grommelait.
Mikhail à ses côtés, n'osait piper un seul mot, de peur de la déranger ou de l'offusquer.
Elle cherchait dans une armoire remplie de tissus et textiles en tous genres quelque chose de précis et vu son énervement actuel, elle ne trouvait pas ce qu'elle cherchait...Cette pièce ressemblait un peu à une salle de bricolage ou de loisirs artistiques manuels. Ils étaient là au troisième étage qu'il n'avait pas encore vu jusqu'alors, n'osant pas se lancer dans la visite de la demeure sans autorisation de sa propriétaire.
Au bout de beaucoup de minutes écoulées et bon nombre de tissus entiers qui avaient fini par terre, Mikhail se racla la gorge et osa poser la question :
-Madame Aludra...Puis-je vous demander ce que vous cherchez et auquel cas je pourrais vous aider dans vos recherches ?
-Non, c'est tout bon...grommela une nouvelle fois la vampire. Tu vas tout mal ranger et mettre la pagaille...
Mikhail haussa les sourcils, sceptique, en regardant le bazar qu'elle avait elle-même mis sur le sol recouvert d'une moquette violette sombre en la recouvrant de ses textiles tous plus grands et beaux les uns que les autres.
Mikhail admira les motifs de certains, comme ceux en spirale ou d'autre motif intégral répété indéfiniment...Fasciné, il fut soudainement interrompu par la vive exclamation d'Aludra, qui le fit presque sursauter :
-Ça y est ! Je l'ai !
Mikhail observa alors ce qu'Aludra avait recherché pendant plusieurs minutes acharnées.
C'était un immense tissu bleu ciel légèrement satiné.
Mikhail ouvrit grand ses yeux. Il n'avait jamais vu de si près un si beau tissu...Même la vendeuse d'étoffes qu'il connaissait ne proposait pas d'aussi belles pièces. Et ne l'avait jamais laissé toucher à quoi que ce soit.
-Je peux...Je peux toucher ?
-Oui, bien sûr. Tiens-le-moi pendant que je cherche la suite.
-Bien...bredouilla le jeune garçon en prenant l'étoffe comme s'il lui faisait un câlin, en essayant de la plier le moins possible comme un immense trésor.
En premier lieu, le jeune homme tressauta quand il sentit la fraîcheur du textile sur la peau nue de son torse, vu qu'Aludra lui avait interdit de remettre ses guenilles miteuses après son bain, puis il tâta la matière d'une main. Douce, soyeuse...Il aimait ça...Il effleura la surface de sa paume ouverte et il apprécia encore la douce sensation que lui procurait le toucher de ce tissu incroyable...
Le temps qu'il découvre l'incroyable sensation au toucher d'une matière satinée, il vit Aludra revenir avec un tissu plus épais noir mat, un fin tissu blanc mais opaque et résistant, et encore un autre, plus épais et bleu foncé.
-Vous...Voulez-vous vous lancer dans un atelier de couture ? demanda naïvement Mikhail, ne réfléchissant pas plus qu'une moitié de seconde.
-Mais non, enfin, petite tête ! le réprimanda un peu Aludra en fronçant les sourcils sans méchanceté et même un petit sourire. Je vais te coudre des habits ! Tu ne peux pas rester ainsi, n'est-ce pas ?
Quand Aludra promena son regard sur son corps, Mikhail avait presque l'impression insensée qu'elle effleurait sa peau du bout de ses doigts et il frissonna. Il inspira et remit ses bras autour de son torse pour le camoufler un peu. Sur ses jambes, on pouvait voir un début de chair de poule mais plus comme un réflexe corporel que par réel froid.
Aludra se dirigea vers le fond de la pièce et après avoir posé tous les tissus sur une grande table noire de bois noir verni, retira la housse de protection d'un objet.
Mikhail lâcha une exclamation avant de dire :
-Une machine à coudre !
Aludra eut un sourire et lui dit :
-Elle est un peu ancienne, mais elle est aussi tenace que moi !
Cette remarque dite sur un ton amusé arracha un petit sourire à Mikhail.
Aludra ouvrit un tiroir, y prit un rouleau de couleurs diverses puis revint à pas lents et mesurés à la hauteur du jeune humain avant de lui montrer clairement ce qu'elle tenait dans sa main pâle aux ongles courts et vernis de noir.
-Un mètre ? dit Mikhail en haussant un sourcil.
-Logique ! lui dit la vampire sur le ton de l'évidence. Si je veux faire des habits pour toi, je dois prendre tes mesures.
-Main...Maintenant ? bégaya le pauvre Mikhail en regardant les mains de son interlocutrice puis son propre corps presque entièrement nu.
-C'est mieux qu'en combinaison rembourrée, tu ne crois pas ? le nargua la vampire avec un sourire.
-Ce n'est...commença Mikhail avant de déglutir avec hésitation. Pas faux...
Aludra lui sourit et lui dit alors avec une voix douce mais assez ferme :
-Lève les bras.
Mikhail s'exécuta et se mit alors à penser qu'il avait la position d'un épouvantail dans un champ dans lequel on venait de semer. Aludra passa le centimètre autour de son buste avec une lenteur dont Mikhail ne pouvait détacher le regard. Il observait les mains blanches de la vampire prendre ses mesures. Il frissonnait dès que ses mains froides effleuraient sa peau sensible.
Aludra lui mesura ensuite les épaules avec une précision extrême puis le tour de sa taille puis ses hanches. Baissée à la hauteur de sa ceinture avec son mètre en ruban, Mikhail ne pouvait pas détacher ses yeux bleu-vert des doigts habiles de la vampire.
Aludra finit par dire à voix haute les mesures de Mikhail avec un sourire collé sur la figure :
-Tes épaules mesurent quarante-six centimètres, ton tour de buste est de huitante-huit. Après, ton tour de hanche fait nonante centimètres et ton tour de taille septante. Bien !
Mikhail ne dit rien. Aludra lui fit alors le commentaire :
-Tu sais, ce sont des mesures parfaitement normales. Tu es très bien proportionné. Sinon, tu ne m'aurais pas tapé dans l'œil l'autre soir...
Le jeune garçon ne sut que dire. Il n'avait jamais aimé son corps, surtout qu'il était très maigre et famélique parce qu'il ne mangeait jamais à sa faim avant d'arriver ici, dans le château d'Aludra. Mais cette dernière lui avait promis qu'il prendrait poids et muscles avec elle. Il avait des doutes quant à cela et surtout ses capacités mais ne lui en avait pas fait part. Ça ne servirait pas à grand-chose si ce n'est passer pour une andouille, faible et ridicule qui plus est.
Retroussant ses longues manches, Aludra se mit alors à découper avec une fulgurante rapidité et à l'œil des pièces dans chaque tissu en veillant à ne pas faire de gaspillage inutile. Elle sortit ensuite une boîte en bois magnifiquement ornée de motifs divers faits à la pyrogravure du même tiroir dans lequel elle avait pris puis rangé le mètre en ruban. La boîte de bois contenait une flopée de bobines de fils différents, de l'épaisseur la plus fine à la plus épaisse en passant par toutes les gammes de couleurs.
Mikhail ouvrit de grands yeux étonnés et à la fois émerveillés par le contenu de cette boîte. Aludra choisit avec un soin appliqué les fils qui lui seraient utiles et ceux de la bonne épaisseur dépendamment des couleurs globalement dans les tons bleus.
Puis elle se mit à sa machine et à coudre avec une vitesse incroyable et inhumaine. Elle changeait les fils avec une rapidité digne de ce nom et cousait avec une précision rigoureuse et sans défaut. Mikhail était complètement subjugué et fasciné par cette créature sublime et dont la rapidité n'avait d'égale que sa beauté surnaturelle...
Au bout d'une petite heure, Aludra avait terminé de coudre deux gilets bleus avec de jolis reflets satinés et un autre noir plus épais, deux pantalons avec le pli au milieu des jambes et trois chemises blanches immaculées avec de petits boutons noirs.
Avec des chutes du tissu noir, elle avait encore confectionné deux cravates, une plus fine et une plus large, et avec des restes de cuir et une boucle de métal récupérée on ne sait où, elle fit encore une ceinture pile à la bonne taille pour Mikhail.
Il regarda tous ces vêtements avec une telle fascination et un tel émerveillement dans les yeux qu'Aludra ne put que sourire devant tant d'enthousiasme.
Elle laissa Mikhail passer les manches de sa chemise et souriait. Sa peau pâle, bien que foncée que la sienne, était magnifique et réfléchissait un peu la lumière. Il avait vraiment la peau sur les os, vu qu'avant, il ne mangeait pas à sa faim. Sur son corps, bien que ses hématomes et ses plaies aient disparu après son bain régénétateur, on voyait les traces et les cicatrices des nombreux coups qu'il avait reçus dans son enfance et son adolescence. Mikhail avait fini de boutonner sa chemise blanche. Elle ne contrastait presque pas avec sa peau claire.
Aludra posa sur son corps désormais à moitié nu un regard empli de bienveillance. Elle avait déjà vu bien d'autres hommes nus dans sa vie, avant Mikhail, qu'ils aient été humains ou vampires. Elle était bien plus âgée que le jeune humain ne pouvait l'imaginer. Mais pourtant, son corps fin et maigre attirait son œil et elle voulait lui rendre un peu de tonus.
Une fois qu'il serait prêt, elle l'entraînerait. Il ne survivrait malheureusement pas une seconde dans le monde des vampires sans cela.
Quand Mikhail se fut entièrement habillé, elle lui apprit comment faire un nœud de cravate, chose dure qu'il n'avait pas apprise à cause de sa situation passée mais pas si lointaine que ça. Il apprit rapidement mais encore fallait-il que cette connaissance se garde sur une longue durée.
La vampire ne doutait pas des capacités cérébrales du jeune garçon mais la condition dans laquelle il était né l'avait clairement pénalisé.
Elle lui apprendrait tout ce qu'il faut, en temps voulu, lentement mais sûrement.
Après avoir terminé son nœud un peu maladroit, Mikhail se regarda dans le miroir long et haut de la pièce.
Il se tourna sur les côtés et vit, sans trop de surprise, que les habits épousaient parfaitement les formes de son corps mince et qu'Aludra avait vraiment eu l'œil. Enfin, peut-être que sa nature vampirique lui procuraient des sens surdéveloppés, comme dans l'imaginaire collectif humain.
Avec un petit soupir, Mikhail songea à nouveau à ses poursuivants de l'autre nuit. Qu'étaient-ils devenus ? Étaient-ils rentrés dans leur petit village ? Le cherchaient-ils encore ? Ou pensaient-ils qu'il était mort, au vu de sa disparition dans le secteur de la forêt ?
Mikhail espérait presque de tout son cœur qu'ils étaient tombés sur une meute de loups et qu'ils avaient finis déchiquetés et dans leur estomac.
Avec un passé tel que le sien, il en avait eues, des pensées glauques, affreuses et morbides concernant les autres humains...
Pourtant, jamais il n'avait pensé à les mettre à exécution lui-même quand cela ne mettait pas en cause de loup. Il aurait été trop faible de toute façon. Sa condition physique n'avait jamais été bonne due à sa malnutrition et sa faiblesse de corps. Par contre, il avait toujours couru vite et assez longtemps. Pour leur échapper rapidement, sans doute...
Une fois le jeune garçon bien habillé et non plus à moitié nu, ils revinrent tous les deux à la salle qui servait un peu de salon apparemment, mais Mikhail aurait plutôt appelé ça une salle de réception. Même une personne d'origine moins modeste que lui aurait dit ça !
Aludra écarta un rideau épais pour laisser passer de la lumière, histoire que Mikahil ne se cogne pas le tibia dans le coin de la table basse ou le petit orteil dans les pieds des chaises de bois stylisées. Il n'avait pas des yeux vampiriques, il ne voyait pas aussi bien que les vampires la nuit.
Les vampires étaient des créatures majoritairement nocturnes. Ils pouvaient vivre de jour comme certains humains vivaient plutôt la nuit mais ils étaient de loin plus à l'aise la nuit et ils ne finissaient ni en cendres ni en poussière quand ils s'exposaient à la lumière du Soleil, cet astre que beaucoup d'humains adôlatraient.
Aludra et Mikhail prirent le thé ensemble dans un silence plutôt pesant mais Mikhail ne savait pas quoi dire. Il avait peur de paraître ridicule en parlant de n'importe quoi à Aludra. En tant que vampire âgée, elle devait avoir des centres d'intérêt plus éloignés que les siens, de garçon harcelé et aussi jeune.
Il allait bientôt avoir dix-huit ans.
Être adulte.
Mais pour une vampire âgée de plusieurs centaines voire milliers d'années, cela paraissait bien ridicule...
Il se demandait si Aludra savait quand il devait avoir son anniversaire.
Vu qu'elle connaissait son prénom et son nom sans qu'il ne lui les ait jamais dits, il ne doutait pas mais...
Il se demandait s'il allait passer le meilleur anniveraire depuis le début de sa vie...
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