Un port aux promesses
Suite à mon insolation et aux délires qui la suivirent, Marco et John se mirent d'accord: il fallait me faire descendre à terre plus régulièrement. On changerait l'itinéraire si besoin pour se rendre sur des îles un peu plus touristiques, mais j'avais besoin d'air, de terre, de tranquillité et surtout... d'occupation. J'avoue m'être grandement réjouie de cette décision que je demandais depuis déjà longtemps, mais j'ai peur de voir mon excitation déçue une nouvelle fois, alors que nous approchons du port d'une petite île Océanienne. Le décor est à première vue enchanteur, pour moi en tout cas, car John et Marco, eux, semblent un peu moins enchantés que moi à la vue du simple port de pèche qui se présente à eux. Mais peu m'importe. À peine le bateau amarré au seul quai suffisamment grand pour l'accueillir, je m'élance sur le quai et laisse exploser ma joie d'enfin fouler du pied ces terres si longtemps promises à mon imagination. Ni une, ni deux, je m'éloigne à grand pas, partant à l'aventure malgré les mises en garde de John. Il me faut ma dose de découverte, ma dose d'aventure, ma dose de rencontre. Tout ça, c'est ce dont j'ai tellement manqué durant ces dernières semaines enfermées sur le bateau... non cela remonte a bien plus que cela. Depuis quand ne suis je plus partie à l'aventure? Tous nos voyages sont organisés, nous ne sortons jamais des sentiers battus, nous ne rencontrons pas les autochtones, seulement nos guides... et encore. Partir seule à l'aventure dans une village reculé dont je ne parles même pas la langue peut sembler une très mauvaise idée. C'en est une, en réalité. Mais c'est aussi ce que je désire plus que tout.
Mes pas me mènent jusqu'au bout du quais, hors de vue de mes geôliers, quand mes jambes se dérobent sous mon poids. Tout semble tanguer comme si j'étais de retour sur le bateau, et j'ai bien du mal à me maintenir en équilibre, au point de m'approcher dangereusement du bord du quai. Alors que je suis persuadée de me retrouver à l'eau à peine quelques minutes après ma libération, une mains secourable m'attrape par l'épaule pour me maintenir bien au sol. Ma nausée me fait baisser la tête et je suis bien près de vomir pendant quelques instants, mais je réussis à me retenir et le mal semble passer comme il est venu.
-Zallez bien? Me demande la voix de la personne dont le secours m'a évité une baignade forcée, dans une langue que je comprends parfaitement.
-Oui... oui, merci. Je ne sais pas ce qui m'est arrivé, ma tête s'est mise à tourner d'un coup et...
Je me tais en relevant le visage. Face à moi, se trouve une femme d'une beauté toute singulière. Sa peau est tannée par le soleil, mais son sourire est éclatant comme l'astre d'Helios lui même. Ses cheveux sont noirs comme l'ébène et réunis en un savant chignon derrière sa tête. Ses mains sont calleuses et fortes, et sa carrure laisse supposer un travail physique régulier. Elle est vêtue d'un simple débardeur et d'un maillot de bain, laissant voir à qui le veut la volupté de ses formes.
Je reste là, béate un instant devant la vision qui s'offre à moi. De même, son regard me détaille de haut en bas et un rictus appréciateur apparait sur son visage.
-C'est probablement le mal de terre. Vous avez passé quelques semaines en mer, nan? Le corps finit par s'habituer au roulis, au point d'être un peu perdu quand il revient sur un sol stable.
-Oh... je... je vois.
Malgré moi, je hume allègrement l'air empli de sa senteur, apportée à moi par sa proximité. Elle exhale un étrange parfum de mer et de sel, rappelant les plages d'or et les eaux azur des lagons environnant. Sa voix est chaude et mélodieuse, et me berce gentiment de ses notes cuivrées. Décidément, c'est une rencontre bien singulière.
Je tente de reprendre une contenance face à ma sauveuse en époussetant une poussière factice de ma robe. Un silence long et gênant s'abat entre nous alors que je tente de chercher un moyen de briser la glace. Elle me précède en le faisant.
-Vous êtes touriste? Cet endroit est pourtant assez peu visité par les étrangers.
-Nous faisons une escale pour nous ravitailler et... me revitaliser. Nous sommes en croisière sur notre yacht.
-Ooh, belle aventure s'il en est.
-Et... et vous?
-Moi, je me ballade un peu au hasard d'île en île, je laisse les flots mener mon bateau là où ils veulent tant que mes vacances ne sont pas terminées.
-Ah, vous êtes donc également touriste! Dis-je avec plus d'entrain que je ne l'avais prévu.
Une lueur amusée traverse son regard noisette.
-En quelque sorte, oui, mais j'habite et travaille sur une île des environs. Je ne suis pas vraiment à l'étranger en naviguant parmi les innombrables îles de l'archipel.
-Oh, je vois... vous... connaissez donc plutôt bien la région.
-On peut le dire, oui.
Mon coeur bondit dans ma poitrine. La voilà! La porte de savoir m'ouvrant vers un monde tant désiré. Ma carte maritime, ma boussole, mon sextant. La clef des îles paradisiaque; nul besoin de naviguer encore des décennies pour atteindre de lointaines îles dont le panorama n'aura d'égal à celui qui s'offrira ici, gâché par l'affluence du tourisme de masse. Un sourire fébrile se dessine sur mon visage... belle inconnue, serais tu celle que le destin a placé sur mon chemin pour m'arracher à mon morne ennui?
-Serait-ce trop demander de... savoir si pouviez m'indiquer des endroits à voir absolument, dans cet archipel? Dis-je, un peu timidement.
Elle me regarde de haut en bas, semblant devoir jauger la réponse qu'elle doit donner en fonction de mon apparence. Ses yeux se lèvent au ciel et elle reste immobile quelques secondes, perdues dans le monde inaccessible de ses pensées secrètes. Puis:
-Il y en a beaucoup. Mais le mieux, c'est de se jeter à l'aventure pour les découvrir, non?
Mon coeur est transpercé par la flèche de la reconnaissance. Ces paroles sont celles que j'espérais. Celle que je voulais entendre, peu importe la personne qui les aurait prononcé. Des mots débordant d'aventure, de découverte et de magie. En quelques instants, cette inconnue à la peau burinée par le soleil, cette messagère du destin, cette improbable touriste, a transpercé de sa flèche d'espoir les nuages de mon indifférence.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro