
Prologue
"Hmm...Où... Où suis-je...? Que... Ah, je me sens si... vide. Pourquoi suis-je ici...? Et surtout... Qui suis-je...? Cet endroit... c'est...";
Perdue, déboussolée, et en proie à l'incompréhension, je me réveillais, allongée sur la roche froide d'une petite grotte, avec le sentiment de ne rien reconnaître... Pas même moi.
Obscur lieu où s'illuminait quelques gravures bleutées dans une langue qui m'était inconnue, ou du moins, c'était ce que je pensais. Se redressant lentement, partiellement assommée par l'impression pesante d'avoir dormi durant des siècles, j'observais autour de moi les moindres détails.
Ainsi, je regardais la roche sombre, tâtais de mes pieds nus le sol glacial, et dans un frisson, fis l'effort d'avancer jusqu'à la paroi aux étranges écritures bleuâtres. Qu'est-ce que cela pouvait bien raconter ? J'avais la vague impression de l'avoir su, il y a fort longtemps. Que m'était-il arrivé...?
Restant un moment à contempler les symboles intraduisibles, je me décidais finalement à sortir de la pièce, guidée par une faible lueur. Je supposais que celle-ci devait indiquer la lumière extérieure, mais quelle fut sa surprise en trouvant un endroit désert, grisâtre, et sans soleil ! Seuls les nuages parcouraient le ciel, et leurs variantes ténébreuses n'étaient pas des plus rassurantes.
Jetant un œil un peu plus attentif aux alentours, je m'aperçus que je me trouvais quelque part, en pleine forêt, et qu'un long chemin sinueux et peu engageant se dessinait devant moi. Repoussée par l'idée de m'y aventurer de suite, je préférais d'abord rester un moment pour m'examiner. Je me questionnais :
Suis-je même capable de me débrouiller ? Et mon corps, dans quel état est-il ?
M'examinant sous toutes les coutures, je me rendis bien vite compte de l'état dans lequel je me trouvais. Ne portant rien de plus qu'un vêtement déchiré au niveau des genoux pour me servir de pantalon et étant en partie recouverte de bandages aux bras, aux jambes et au torse, je sentais le froid caresser ma peau de son doux baiser et me faire trembler imperceptiblement.
Mes longs cheveux blonds, d'une allure plutôt sales, très peu entretenus et fourchus au niveau des pointes, se laissaient porter par ce vent léger, tout comme le bout des bandelettes qui le pouvaient. L'heure était au crépuscule, et le ciel grisâtre commençait à se mêler à l'orange.
Les teintes brumeuses flottaient devant moi, et cette sensation de gel me prit d'un coup. Mes joues se mirent à se contracter, et deux fentes sur celles-ci me faisaient souffrir en silence. Je passais un doigt sur celle droite, là où je sentais la brûlure, et perçus cette fine coupure qui fendait ma peau pâle et fraîche.
Inquiète, je fis de même pour l'autre, et fis le même constat. Inconsciemment, je commençais à jurer en silence, et me dis :
Mais comment ? Comment me suis-je fait ça ? Et pourquoi surtout ? Je...
Puis, réalisant que le temps me pressait un peu, je me mis à marcher, sans le vouloir vraiment.
Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je risque à faire ça...? Et s'il m'arrivait malheur ? Enfin... il ne faut pas partir perdante après tout. Commençons déjà par trouver un endroit où passer la nuit à l'abri du vent. Parce qu'à ce rythme, je ne tiendrai pas jusqu'à demain...
Ainsi, je me mis en quête d'un lieu où dormir sans être dérangée ni par le temps, ni par personne. Au sein de cette lugubre forêt, nombre d'animaux dangereux pouvaient se cacher. Pourtant, je ne ressentais plus aucune crainte, plus de doute là-dessus. J'avais un but, un premier objectif: je voulais savoir. Pas même un Dieu n'aurait pu m'arrêter dans mon élan à ce stade. Et puis, pourquoi faire ?
M'avançant plus profondément dans la forêt aux allures cauchemardesques, je n'entendais que le bruit régulier de mes pas, marchant tantôt sur les feuillages d'automne, tantôt sur les branchages secs qui parsemaient la route terreuse, tantôt sur le sol humide et boueux.
N'ayant pas forcément le choix d'y poser les pieds, ces derniers me ralentissaient, me frigorifiaient, et m'handicapaient plus qu'ils ne m'aidaient. En effet, cette terre froide et gorgée d'eau, à cause des températures qui ne tarderaient pas à atteindre le zéro, se cristallisait directement sur moi, m'engourdissant encore un peu plus que je ne l'étais déjà.
Sans refuge, sans vêtements secs, et déjà bien amochée, je n'avais d'autres choix que d'avancer. Si je m'arrêtais, je serais perdue, aussi bien physiquement que fatalement. Peut-être les créatures qui peuplaient ces bois m'aideraient ? A moins qu'ils ne me dévoreraient ? Que savais-je vraiment de ce monde ?
C'était déjà un miracle que je sois en vie ! Amnésique, blessée, à la recherche d'un logis, mais bien en vie ! Et c'était ça, le plus important. Je ne pouvais pas mourir maintenant, trop de questions étaient en suspens et traversaient mon esprit sans relâche.
Cela faisait à présent une heure que je suivais ce sentier, sans savoir où je me rendais. Malgré ça, je continuais. Puis, quand une voix qui semblait si lointaine, si irréelle, m'interpella, je crus être devenue folle.
— Toi... Eh, toi. Jeune fille des bois ! Regarde-moi, je suis là !
Cherchant désespérément d'où cela provenait, je scrutais les alentours de mon regard affaibli par la nuit. Dans un bruit, qui semblait être celui d'une aile ou d'une cape, quelqu'un se précipita vers moi, dans une course mesurée.
Les pentes jalonnant la route étaient risquées et une glissade suffisait pour se retrouver nez à nez avec un arbre ou un fossé. Mon interlocuteur n'attendit pas que je réagisse, et déposa sa longue veste noire sur mes épaules. Accablée par le froid, la fatigue et la faim qui commençaient sérieusement à se faire sentir, j'appréciais sincèrement son geste.
Il dit ensuite sur un ton calme, malgré son inquiétude palpable :
— Ça va aller. Laisse-moi t'apporter mon aide, tu sembles en avoir grand besoin. Regarde-toi... c'est à peine si tu tiens debout. Viens.
Ne me laissant que le temps de hocher timidement la tête, l'inconnu me plaça sur son dos et me transporta avec quelques difficultés un peu plus loin. Pendant le trajet, il se mura dans le silence, trop concentré à regarder où il mettait les pieds afin de ne pas trébucher et tentait consciencieusement de conserver un équilibre dans cette posture instable et désagréable pour lui.
Me laissant bercer par la marche régulière du mystérieux jeune homme, je m'endormis tranquillement sur ses épaules, la tête posée contre la sienne. Et tandis que mon esprit perdait en clarté, j'entendais d'autres bruits de pas de part et d'autre de mon corps ensommeillé, beaucoup plus légers, plus effacés encore ; comme une garde rapprochée, une escorte silencieuse qui faisait en sorte de se faire oublier.
Ne prêtant pas plus attention à cela, je me trouvais déjà dans les bras de Morphée quand nous fûmes enfin arrivés. L'inconnu me fit entrer dans une cabane en bois et m'allongea dans le lit à l'étage, pour me laisser dans un sommeil paisible, tout en prenant soin de moi.
Des heures durant, il fut là, à mon chevet, à m'observer, à marmonner quelques mots, à espérer, et attendre patiemment que je me réveille. Et ce fut aux premières lueurs de l'aube que j'ouvris enfin les yeux.
À mon réveil, je ne reconnus rien une fois de plus. Mais cette fois, je perçus une sensation de bien-être grandir en moi. Je ne souffrais plus, et me souvins rapidement des heures d'avant. Ainsi, je regardais autour de moi, d'abord immobile, pour découvrir un toit de bois ; une lumière chaleureuse illuminait la pièce de ses teintes rosées et le doux parfum qui flottait dans l'air me ravit le palais.
À qui appartenait-il ? Jamais je n'avais senti cette odeur avant... avant...? Lentement, cette certitude se flouta, jusqu'à ne devenir qu'une hypothèse indéfendable à mes yeux. En tout cas, cela m'évoquait un sentiment familier, et me donnait envie de rester ici pendant encore un moment, sans rien faire.
Brisant alors le silence, un bruit de pattes tapant le plancher précipitamment, son que je ne connaissais que trop bien pour d'obscures raisons, me fit me relever d'un bond. Puis, me retournant dans la pièce, pourtant vide à première vue, je m'interrogeais :
— Hm ? J'aurais pourtant juré que... Non, j'ai dû rêver.
Jetant un œil perplexe à travers la chambre, je m'assis en tailleur sur le lit, et m'aperçus que l'homme qui m'avait aidée hier était là, assis sur une chaise à côté du lit, la tête dans les bras, ceux-ci étant posés à quelques centimètres de là où je me trouvais quelques instants auparavant. Il ne portait qu'une fine tenue de coton noir, ce qui le faisait ressembler à un membre d'une société secrète.
Il déteignait complètement avec l'intérieur de ce qui semblait être « sa propre maison ». Mais après tout, à quoi bon juger un sauveur ? J'attrapais la veste sur laquelle elle j'avais dormi, la plaça avec lenteur sur les épaules de l'inconnu.
Sûrement à cause du bruit, du vent créé, ou de sa phase de sommeil, l'action le fit sortir de sa torpeur. Et dans un faible gémissement, il se redressa, s'étira et me regarda d'un air somnolent.
Dès qu'un éclair de lucidité eut frappé son esprit, il sembla gêné, et incapable de parler le temps de quelques secondes. Puis la parole lui revint et il commença à converser avec sa protégée :
— B-Bonjour... Tu te sens mieux ?
— Oui. Mais... pourquoi m'as-tu aidée ?
— Oh... Et bien je... enfin, c'est mon devoir, voilà tout.
— Comment ça... « ton » devoir?
— J-Je... je ne pense pas que tu comprennes... Il est encore bien trop tôt pour ça. Mais, tu dois avoir faim, non ? Viens, rejoins-moi à la cuisine dans quelques minutes, le temps que je te prépare quelque chose. Tu veux bien ?
— Volontiers.
Le sourire qu'arborait le garçon me paraissait étrange et tandis qu'il sortait de la chambre en silence, je le dévisageai avec une question en tête :
Comment ça...? D'où est-ce trop tôt ? Et puis, je...
Soudain, une bébête poilue s'engouffra dans la pièce à la vitesse de l'éclair avant de me bondir dessus sans prévenir. L'animal roux me lécha frénétiquement la joue et malgré sa faible corpulence, il réussit à me déséquilibrer.
Trônant au-dessus de moi, le renard au regard vif et plein de vie semblait vouloir jouer. Ses pattounes dansaient sur le lit, et dans leur course folle, me déroutaient encore davantage.
— Mais qu'est-ce que tu fais ?!
Puis, sans vraiment comprendre pourquoi, je me mis à rire bêtement et à prendre part au jeu proposé par l'animal. À peine quelques secondes après le début de la partie, une sorte de serpent vert feuille, de petite taille et aux yeux démesurés, se glissa dans la chambre et commença à faire la leçon au jeune renard à grands coups de :
— Vipé, Vipélierre! Vipélierre!! Vi-Vi, Vipé !
L'animal roux capitula complètement quand la créature mystérieuse sortit deux lianes de son col de lys avec un air menaçant. Quel étrange spectacle était-ce là ! La petite chose verte emmena ainsi le renard avec elle et m'invita à la suivre par la même occasion, ce que je fis sans discuter.
Descendant prudemment les marches étroites, je me rendis à la cuisine, qui avait des airs de lieux fantastiques tellement tout ceci me paraissait farfelu et familier par la même occasion. Avec des peluches sur le haut des meubles comme dans la chambre, des découpes décoratives du bois faites de volutes et de ces mêmes symboles étranges que ceux que j'avais vu dans la grotte le jour d'avant, tout cela me perturbait terriblement.
Il y avait également un endroit pour entreposer un chaudron, en plus de quelques belles plantes pour décorer les vases, fenêtres et murs, une table à peine suffisante pour manger à plus de deux, et de nombreuses sculptures en bois disposées un peu partout dans les quelques vitrines visibles.
Certains murs étaient également recouverts de peintures, qui formaient des fresques féériques ; quelques dragons, quelques autres créatures et quelques humains, que je ne reconnus pas au premier abord, étaient mis en scène dans ces petits dessins.
Alors que j'observais intensément cette œuvre qui me faisait écho, pour je ne savais trop quelle raison, le jeune homme me sortit de mes pensées:
— Je vois... Cela te rappelle quelque chose ?
— C-comment ça ? Je devrais ?
— Sûrement... Étant donné que ces fresques sont de toi. Et... En fait, c'est pire que ça...
— J-je... je ne suis pas sûre de bien tout saisir là...
— Et pourtant. Cette maison, cette décoration, cette fantaisie, c'est la tienne.
— Mais... comment ? Et dans ce cas-là, qui es-tu ?
— En voilà une bonne question... Mais est-ce vraiment raisonnable de te le dire maintenant...?
— Quel était ton but en m'aidant ? Et pourquoi m'avoir amenée ici ? Que m'est-il arrivé ?
— Trop de questions d'un coup... Tu sembles bien trop perdue pour l'instant, alors je vais te poser une question. Une simple question.
— Je t'écoute...
— Si tu devais découvrir un monde... Où voudrais-tu aller ?
— Et pourquoi une telle question ? C'est absurde !
— Réponds-moi, s'il te plaît. Du moins, juste où. Et si tu n'en connais pas le nom, décris-moi l'endroit.
— Et bien... Je ne suis pas du genre à aimer rester trop longtemps au même endroit... La routine, j'évite.
— Donc, tu veux vivre des aventures, explorer, voyager, découvrir par toi-même, et...
— Tu m'ôtes les mots de la bouche. Mais pourquoi cet air contrarié ?
— Pour rien. Disons qu'il reste une chose... Quel serait ton but ?
— Mon but ? Et bien... Sachant que je ne sais rien sur quoi que ce soit pour l'instant je...
— C'est ce que tu crois... Mais tu renfermes bien des choses, plus ou moins belles au fond de toi. Désirerais-tu t'en souvenir ?
— Q-Quelles choses...? Et... comment le sais-tu ?
— Je sais beaucoup de choses, mais ce n'est pas vraiment une chance. Disons que... c'est un devoir. Et donc, je dois savoir comment te guider au mieux. Alors, accepte de coopérer, je t'en prie.
— Croire un inconnu qui m'a sauvée du froid et qui semble en savoir bien plus sur moi que moi-même, j'ai un peu de mal, je l'avoue.
— Alors... Où veux-tu aller ?
— En fait, je m'en fiche du moment que je ne suis pas contrainte à vivre sous le joug de quelqu'un. Et même si mes devoirs me forcent à obéir à quelqu'un, je ne veux pas avoir à lui rendre de compte. Ce qu'il serait plus simple de faire, c'est que je sois cette personne, à qui je devrais rendre des comptes, de manière à suivre mon aventure comme bon me semble ! Voilà. Ça te va, c'est bon ?
— Tu ne devrais pas t'énerver pour ça... Bien. Maintenant que j'ai toutes les infos nécessaires. Tu veux partir quand ?
— Maintenant. Pourquoi attendre ?
— Comme tu voudras... Mais, je vais juste te dire une chose. Tu reviendras un jour, sois-en assurée. Et même si tu oublies ce détail, n'oublies pas une simple chose: Moi, Vay, je garderai toujours un œil sur toi. Ne l'oublie jamais."
D'un coup, en une simple incantation, le jeune homme tendit la main vers moi d'un mouvement violent et je fus transportée dans un monde qui me parut inconcevable. De la même manière que je m'étais retrouvée quelques heures avant sur un socle de pierre dans une grotte bordée de forêt ; c'était surprenant de voir à quel point c'était identique.
Néanmoins, les symboles, cette fois-ci, n'étaient plus les mêmes. Ceux-là, je pouvais les lire :
« Toi, qui t'es vu pousser des ailes. Va, vole, parcours ces terres, et découvre ce qu'elles recèlent, ce qu'elles te cachent, et ce qui te lie à elles jusqu'à la fin de ton passage ici-bas. Suis ton cœur qui mène tes pas et écoute ton destin. Ton passé ressurgira enfin, du fond des âges, du fond des abîmes et des vies qui peuplent ce monde. Et ne te perds pas en chemin. Nous te souhaitons bon courage, tu en auras besoin. »
Répétant les mêmes gestes, je me rendis enfin dehors et constatais une très nette différence entre les deux mondes pourtant si similaires : le ciel était d'un bleu azur et la forêt d'un vert printanier.
J'avais peine à croire que cette « téléportation » avait pu être instantanée. Toujours dans le même accoutrement inapproprié pour ce monde, je me mis en route d'un pas assuré.
Peut-être cette fois pourrai-je obtenir les réponses que j'attends. Et... me changer, aussi...
J'avançais, sans vraiment savoir où je me rendais, traversant le sentier forestier fleuri et enchanteur. Combien de détails m'avaient ralentie ? Combien de choses m'avaient émerveillée, attirée, retenue un instant, le temps que je les observe d'un peu plus près le long du chemin ?
Cela ne m'importait que peu. Au moins, j'arrivais finalement quelque part. Ce qui me parut être un petit village, peut-être de pêcheurs, mais sûrement d'êtres humains. Que pourrais-je bien trouver là-bas ?
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