Lorsque le monde s'est brisé.
Lorsque le monde s'est brisé.
Le trajet jusqu'à Omlen se déroula sans incident. Malgré une ambiance relativement détendue, chacun était plongé dans ses pensées, ressassant les événements passés. Zelin ouvrait la route, observant les alentours avec une attention accrue. Moscan suivait toujours appuyé sur l'épaule de la jeune fille. Sarna le soutenait du mieux qu'elle pouvait même si elle devait reconnaître que le jeune homme pesait lourd. Son bras engourdi menaçait de céder. Elle avait cessé de rougir, préférant se focaliser sur la marche bancale que formait leur étrange couple.
Zelin s'arrêta et commença à gravir la colline herbeuse et caillouteuse qu'ils avaient longée depuis des heures. Bien qu'il fasse nuit, ils arrivaient à voir suffisamment (notamment grâce à la lune haute) pour distinguer le chemin au pied de la colline. Plusieurs fois, Zelin avait tenté de grimper mais à chaque fois cela s'était soldé par un échec. La pente était trop abrupte. Sauf ici, puisque Sarna et Moscan pouvait voir l'homme aux yeux bleu électrique escalader le flanc de la colline avec une facilité étonnante.
- Venez ! Attention aux prises, elles ne sont pas évidentes mais vous devriez y arriver !
Sarna eut un léger rire. Cette phrase venant d'un aveugle l'aurait étonnée quelques jours plus tôt, cependant, après l'avoir vu éviter des branches, des troncs ou encore des racines avec habilité, elle ne pouvait plus douter des étranges capacités de cet homme.
- Tu vas y arriver tout seul Moscan ? Ou tu as encore besoin de mon épaule ?
- Je devrais m'en sortir, je pense. Mais je ne comprends pas pourquoi Zelin nous fait passer par là. Si nous avions continué le chemin, nous serions arrivés tout aussi vite, sans avoir à faire des acrobaties nocturnes.
- Il doit avoir ses raisons alors suivons-le !
Moscan passa devant Sarna et entreprit de grimper à la suite de Zelin. La jeune brune l'aidait du mieux qu'elle pouvait, le poussant, le retenant, mettant toutes ses forces au service de celui qui en avait fait de même une éternité plus tôt (enfin, c'était ce qu'il semblait à Sarna).
Zelin les attendait de pied ferme, au sommet, les guidant de sa voix chaleureuse. Finalement, il attrapa le bras de Moscan et le tira à lui avant de faire de même pour Sarna. Celle-ci se redressa et admira la vue. A ce moment-là, elle comprit mieux pourquoi il les avait fait passer par ce chemin.
Au pied de la colline, se dessinaient les contours d'une ville illuminée par des milliers de torches et de lampes. Ce n'était pas une très grande ville, mais à cette heure de la nuit, où la population aurait certainement dû être en train de dormir profondément, l'impression de fourmilière géante s'imposa dans l'esprit de Sarna. Il y avait du monde partout dans les rues et un mouvement flou et constant appuyait cette impression. Les maisons en pierre ou en bois étaient pour la plupart de forme ronde. Quelques unes possédaient une forme plus rectangulaire et se trouvaient aux deux entrées principales de la ville. Le panorama, vu du sommet de la colline, était étonnant. Sarna prit le temps d'observer l'architecture, bien différente de sa ville natale. Moscan remarqua l'intérêt de la jeune fille et attira son attention en tendant le bras à gauche de la ville.
- Regarde Sarna ! De ce côté, il y a l'Arène Sauvage. C'est une immense étendue de sable. Peu de personnes y vivent car elle abrite une grande partie de monstres, brigands et autres créatures malfamées. Dans des temps plus cléments, il se dit que c'est ici qu'est apparu le premier ensorceleur. Un temple gît au-delà des dunes ensablées et malheur à quiconque y pénètre ! Personne n'en n'est revenu vivant.
- Enfin, personne n'en n'est revenu tout simplement, ajouta Zelin. Qui nous dit que ceux y pénétrant n'y ont pas trouvé refuge et bonheur ?
- Hum, c'est une bonne question, mais ne compte pas sur moi pour aller y faire un tour. Ensuite, sur la droite de la ville, tu peux l'apercevoir tout à l'horizon, là où il y a les lumières, Canyan, la capitale. Et derrière, au pied de la capitale, la Grande Eau qui s'étend à l'infini. Encore une fois, personne ne s'aventure très loin sur la Grande Eau, car aussi loin que tu puisses aller, il n'y a rien.
Sarna écoutait, captivée par l'étrange présentation établie par Moscan. Tout cela lui semblait bien mystérieux : un immense désert, aux confins duquel se trouvait un temple maudit. Et un gigantesque océan sans fin, la Grande Eau. De vagues réminiscences lui rappelaient ce nom. Mais, une fois encore, elle se heurta à un mur dans son esprit. Elle ne pouvait que happer les quelques souvenirs qui passaient à sa portée.
Elle contempla l'horizon de lumière et resta songeuse un instant. Un court instant.
- Mais, il n'y a pas d'autres villes ? Ou d'autres villages ? demanda-t-elle étonnée. C'est un bien étrange pays s'il ne possède qu'une ville et une capitale !
Zelin eut une moue d'hésitation avant d'expliquer :
- Il y a quelques villes menant à l'orée de l'Arène Sauvage et les autres villes se trouvent derrière nous, derrière la forêt que vous avez traversée. Elles ne sont pas très éloignées les unes des autres, cependant, les gens évitaient les longs trajets. Il était difficile de traverser la forêt pour se rendre à la capitale. Mais je crois qu'avec ton exploit, Sarna, bien des gens te seront redevables. Le commerce va pouvoir reprendre petit à petit et les échanges en seront facilités.
- Mais je n'ai rien fait, enfin rien dont je me souvienne vraiment.
- Sarna, tu as annihilé le Maître des Titans ! répliqua Moscan. Tu as en quelque sorte libéré la forêt. Je ne sais pas pourquoi tu fais un blocage sur tout ce qu'il s'est passé hier, mais il faudra bien que cela te revienne un jour.
Moscan n'avait, lui aussi, que peu de souvenirs de la veille, survivant entre l'inconscience et la mort, mais il avait vu, ou plutôt ressenti, la puissance et la violence de la destruction de la bête. Et il savait pertinemment que Sarna y était pour quelque chose. La jeune fille soupira, une fois de plus, et continua sa contemplation du paysage.
- Sarna, regarde là-haut...
- Non ! Moscan, pas maintenant ! le stoppa Zelin.
Mais, trop tard.
La jeune brune leva les yeux au ciel et resta stupéfaite devant l'incroyable spectacle. Des myriades d'étoiles scintillaient, remplissant la voûte céleste de milliards de lucioles. Elle eut le temps d'apercevoir quelques constellations avant que ses yeux ne rencontrent une ombre gigantesque, bien au-delà de la capitale Canyan. Si Moscan ne lui avait pas montré le ciel, elle n'aurait jamais fait attention à l'immense masse qui semblait flotter loin au dessus de la Grande Eau. Sarna n'avait absolument aucune idée de l'identité de la chose. Elle resta un instant subjuguée par cette vision de l'ombre bloquant les étoiles, avant de se tourner vers ses compagnons.
- Qu'est-ce que c'est ? Une météorite ?
Zelin lança un regard noir à Moscan qui sembla se ratatiner sur lui-même.
- Je ne voulais pas que tu voies cela maintenant. J'aurais préféré attendre. Mais, nous y sommes alors... Assieds-toi. Je vais tenter de t'expliquer. Sarna s'installa aux côtés de Moscan, se serrant doucement contre lui pour se réchauffer.
- Il y a cent cinquante ans, Ezedior a déclaré la guerre aux Anciens de notre monde en s'alliant à l'extrêmagie.
- Oui, je sais cela, Moscan me l'a expliqué. Votre méchant, là, Ezedior, a trahi l'ensorcellement, tué des gens. Bref, c'est un monstre.
- Oh ! Très bien, dit Zelin en jetant un regard perçant cette fois, au jeune homme. Je peux passer à l'autre phase alors. Après avoir détruit notre gouvernement, Ezedior avait les pleins pouvoirs. Il possédait tout ce qu'il avait toujours voulu. Richesse, puissance, il faisait peur et imposait sa dictature dans la plus grande crainte du peuple. Rien ne pouvait l'arrêter. Même les alliances des quelques résistants n'eurent pas raison de lui. Son inhumanité l'a rendu bestial. Il incarne tout ce qu'il y a de plus horrible. Les hommes ont abdiqué, craignant leur vie et celle de leurs proches. Ezedior a manipulé, trahi, séduit dans le but de détruire, il a usé de sa force pour commettre des actes répugnants. Mais, cela ne lui suffisait pas. Il voulait plus. Toujours plus. Plus de pouvoir, plus de cruauté. Il a donc puisé au plus profond de l'extrêmagie, allant jusqu'à sacrifier sa propre famille pour arriver à ses fins. Mais, même le mal a ses limites. Et lorsqu'il a immolé sa plus jeune fille, il a brisé notre monde.
Sarna avait les larmes aux yeux. Elle ne pensait pas que cette histoire lui ferait autant d'effet. La voix douce de Zelin devait y être pour quelque chose. Même Moscan paraissait envoûté par le récit, bien qu'il en connaisse déjà les grandes lignes.
- Que s'est-il passé ensuite ? demanda-t-elle en essuyant les larmes qui menaçaient de déborder.
- La ligne d'énergie du monde s'est d'abord fendillée. Cela s'est ressenti à travers de multiples séismes et des tempêtes dévastatrices. Puis, cette ligne vitale s'est séparée en plusieurs parties. Et cette fois, notre monde s'est dissocié. Notre planète n'a pas explosé, non. C'est comme si le monde sur lequel nous vivions s'était détaché du sol. Ce que tu vois, là-bas, au-delà de Canyan est une des cinq parties de notre monde originel. Des familles entières ont été détruites, des pays ravagés. Nous n'avons aucune idée de ce qu'il se passe sur les autres mondes.
La jeune fille était horrifiée et étrangement captivée par l'histoire. Des mondes séparés, quoi de plus incroyable ? Elle se sentait intriguée et intéressée par tout ce que Zelin leur racontait. Sa petite vie tranquille à...Foley (décidément, ce nom commençait à lui échapper) lui paraissait bien loin.
- Mais, où sont-ils tous, ces autres mondes ? Je n'en vois qu'un.
- Il y en a un au-delà de l'Arène Sauvage, mais il est bien trop loin pour que tu puisses le voir d'ici. Un autre se trouve un peu éloigné de celui que tu vois. Si tu regardes bien, tu devrais l'apercevoir.
Effectivement, en plissant les yeux, Sarna remarqua une nouvelle masse flottant sous la voûte céleste. Elle cachait le joyeux scintillement des étoiles offrant au regard une nouvelle ombre insolite. La jeune fille avait des difficultés à imaginer que la vie continuait sur ces mondes éloignés. Mais, était-ce le cas ? Après tout, personne n'y avait mis les pieds, alors...
- Et la dernière partie ? questionna-t-elle. Où est-elle ?
- Deux théories existent à ce sujet. La première veut que ce monde ait explosé lors de son détachement de notre planète. Si le sol n'était pas suffisamment solide, c'est une spéculation valide. La deuxième théorie suggère que cette cinquième partie se trouve sous la notre. Dans notre ombre. Depuis plus de cent ans.
- Oh ! C'est terrible. Ces deux théories sont terribles. Vivre dans l'ombre, ne plus voir le soleil... Pourquoi n'ai-je pas vu les mondes plus tôt ?
Moscan qui avait écouté tranquillement le récit de Zelin, se décala légèrement afin de pouvoir regarder Sarna.
- Nous étions dans les Montagnes d'Argent puis dans la forêt, il n'y avait aucune visibilité. Et ensuite, nous avons longé la colline. Mais, tu verras, demain matin, le spectacle est encore plus étonnant le jour.
- Alors je ne comprends pas pourquoi vous ne vouliez pas que je sache pour les mondes, Zelin. J'ai bien vu votre regard envers Moscan. Qu'est-ce que ça change que je sois au courant maintenant plutôt que demain ?
Zelin s'approcha d'elle et lui agrippa le bras pour la relever. Une fois debout, il étendit les bras, lui offrant le monde qui s'étendait autour d'eux.
- Je sais que tu te sens perdue dans notre monde. Ton monde. Je ne voulais pas te rajouter encore plus d'inquiétude. Une chose à la fois, je pense que c'est le plus simple. J'espérais te garder au calme demain afin de clarifier certains points. Mais, une fois de plus, mes plans viennent de changer.
Il la contempla de son regard électrique, songeant à l'incertitude de leur destinée. Le monde tel qu'ils le connaissaient, allait sûrement connaître de grands changements. Il espérait juste que le prix à payer ne serait pas trop élevé. La jeune fille face à lui, admirait le paysage, fixant avec beaucoup d'intérêt les masses sombres immobiles dans les cieux étoilés. La lune éclairait le panorama, baignant le tout dans des nuances oniriques.
- Est-ce qu'ils bougent ? Je veux dire, les mondes, est-ce qu'ils se déplacent ?
- Tu verras demain. Comme dit Moscan, le spectacle est saisissant. Allons-y maintenant. Profitons que la nuit soit bien installée pour entrer dans la ville.
Ils commencèrent donc à descendre le versant de la colline qui conduisait à Omlen. Plus ils s'approchaient, plus le bruit de l'agitation leur parvenait. Arrivés au pied de la colline, Zelin les stoppa.
- A partir de maintenant, je ne veux plus vous entendre. Personne ne parle. Les oreilles trainent par ici et les nouvelles se répandent vite. Sarna prend la veste de Moscan, il y a une capuche intégrée. Mets-là. Personne ne te connaît ici. Et mieux vaut passer inaperçu. Ne touche à rien, ne regarde que tes pieds et surtout suis-moi. Si quiconque t'arrête, ne le regarde pas, ignore-le et continue ta route. Tu as bien compris ?
L'urgence dans sa voix fit tressaillir la jeune fille. Elle prit la veste odorante de Moscan et rabattit la capuche sur ses cheveux bruns. Elle suivit son guide, aidant de nouveau le jeune homme à marcher sur le sol redevenu plat.
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