Lorsque la nuit vous apporte des conseils pas forcément recommandables.
Lorsque la nuit vous apporte des conseils pas forcément recommandables.
La nuit. L'obscurité. La cécité.
Aveugle.
Pourtant, une palette de couleurs semblait percer le nuage sombre qui voilait sa vue. Comme si les Dieux de ce monde lui avaient donné une nouvelle chance. Un espoir de se racheter. Alors, malgré sa cécité, il ressentait les choses, les gens, le monde. Il percevait ce que personne ne voyait. L'aura.
Les gens lui apparaissaient comme des silhouettes sombres entourées d'une sorte de halo lumineux de plusieurs couleurs dont l'intensité variait en fonction d'une multitude de critères que seul Zelin pouvait comprendre. Des critères concernant l'âge de l'individu, son niveau d'ensorcellement, ses valeurs humaines, son courage et bien d'autres. Tout cela contribuait à aider Zelin à mieux juger les gens. Ainsi, il n'accordait pas sa confiance à n'importe qui.
Pour les objets, sa cécité agissait d'une manière différente. Il ressentait les choses sans avoir besoin de les voir. C'était bien sûr fatigant et cela exigeait une concentration soutenue. Et comme il l'avait expliqué à Sarna, l'aura des personnes ayant créé tel ou tel objet, un banc, un meuble, un bâtiment par exemple, imprégnait l'objet, le faisant ressortir de l'obscurité dans laquelle il évoluait.
Sarna. Lorsqu'il avait senti la vague brûlante passer sur la ville, il avait compris que quelque chose avait changé. Il avait donc prévenu Zoa de son départ imminent, enjoignant à la fillette de rester à l'abri dans sa maison. Il s'était ensuite dirigé vers la source de l'onde dorée et avait découvert Moscan et une jeune fille, tous deux inconscients. Il avait compris l'importance de la fille en voyant son aura. Une aura particulière, qu'il n'avait jamais vue. Un halo d'or qui brillait faiblement. Et, lorsqu'elle s'était réveillée, son aura l'avait presque aveuglé, ce qui était un comble. La jeune fille resplendissait comme un petit soleil.
Il arpentait maintenant les ruelles de la ville, analysant les personnes qu'il croisait. Il tentait de trouver un halo qui posséderait les couleurs intenses de la trahison, du mensonge et de l'indifférence. Au détour d'une rue, il aperçut ce qu'il cherchait sous un porche. Une silhouette entourée d'un halo jaune verdâtre. Il s'agissait d'un homme, assis à l'entrée d'un bar miteux.
Zelin s'approcha, ombre parmi les ombres. Il susurra quelques mots, dans une langue gutturale et une onde bleutée se dirigea vers l'individu. Celui-ci n'eut pas le temps de crier. Il n'en eut pas la possibilité. Sa bouche venait de disparaître.
Le visage de l'homme exprimait la terreur la plus profonde. Ses yeux roulaient dans leurs orbites tandis que ses mains tâtaient le bas de sa figure, à la recherche de son orifice buccal. Mais, ses mains ne trouvaient rien d'autre que sa peau lisse et tendue. L'homme tomba de sa chaise mais avant de toucher le sol, Zelin le rattrapa et l'entraîna dans une impasse remplie d'ordures, comme s'il ne pesait pas plus lourd qu'une plume.
Le projetant à terre, Zelin dégaina un poignard qui attendait patiemment son heure, accroché à la ceinture de l'aveugle. Ce dernier pointa l'arme sur le cou de l'homme qui continuait à pousser des cris inaudibles.
- Tu vas répondre à mes questions, bâtard ! lui murmura Zelin à l'oreille d'une voix glaciale. Sinon, la disparition de ta bouche sera le dernier de tes soucis. Je peux transformer ton cœur en cendres, remplir tes poumons d'une eau empoisonnée ou encore modifier ton corps en lui donnant l'apparence d'une abomination qui sera pourchassée jusqu'à la mort. Alors, répondras-tu sincèrement ?
L'homme, déjà terrorisé, paraissait maintenant en proie à une panique incontrôlable. Il ruait, tentait d'échapper à la poigne de l'aveugle, lui donnant des coups qui ne l'atteignaient pas. Zelin le cogna fortement à la tête, se servant du manche de son arme pour maîtriser l'homme. Il parut légèrement sonné, clignant des yeux plusieurs fois. Zelin en profita, laissant sa colère s'amplifier :
- Écoute-moi bien, bouseux ! Personne ne t'entend, personne ne sait que tu es ici, avec moi et personne ne s'apercevra de ta disparition avant plusieurs jours. Tu finiras dans cette impasse, parmi les immondices qui te ressemblent et les rats s'empresseront de faire disparaître ta dépouille.
Zelin raffermit sa prise sur l'homme, l'air se troubla pour finalement s'épaissir. La moiteur remplaça la douce fraîcheur de la nuit et l'électricité crépita, rendant l'atmosphère insoutenable. Les yeux de l'aveugle retrouvèrent leur blancheur laiteuse, son visage se fit plus dur, tous ses muscles contractés, tendus dans un seul but : la vérité.
Les yeux de l'homme renvoyaient sa peur, pourtant, il parut retrouver un semblant de lucidité et arrêta de donner des coups. Sa respiration restait saccadée et une de ses mains cherchait continuellement à trouver sa bouche. Zelin eut un sourire carnassier.
- C'est bien ! Tu es plus calme. Tu vas retrouver ta bouche mais ta voix ne sera qu'un murmure. N'essaye pas de crier, cela ne servira à rien, à part à me rendre plus en colère. Maintenant, réponds à mes questions. Qui donne les ordres ?
L'homme qui tâtait la peau lisse à la place de sa bouche, failli se mordre la main lorsqu'elle réapparut. Il toucha ses lèvres, se mordilla les doigts et passa sa langue sur ses dents pour s'assurer du retour de sa bouche sur son visage. Une fois cela fait, il contempla Zelin avec effroi, déglutit et répondit dans un murmure hésitant :
- Le Vautour. C'est notre chef.
- Où puis-je le trouver ?
- Au bastion de la dernière sortie.
- Qu'avez-vous fait il y a deux jours ?
- Rien.
Zelin secoua l'homme et plongea son regard blanc dans les yeux sombres de l'homme. Il répéta sa question, sa voix prenant des accents de sauvagerie.
- Qu'avez-vous fait il y a deux jours ?
L'homme voulut reculer, mais la poigne de Zelin l'en empêcha. Ne voyant pas d'échappatoire, il se décida.
- Je... Nous avons enlevé une fillette.
L'aveugle contint tant bien que mal sa rage. Il bouillait intérieurement, mourant d'envie d'en finir avec l'homme. L'air était tellement moite dans l'impasse que l'atmosphère en devenait irrespirable. Les doigts de Zelin crépitèrent, envoyant des décharges électriques dans le corps de l'homme qui murmura de douleur.
- Où est-elle ? Où l'avez-vous emmenée ?
- Je ne sais pas. Ce n'est pas moi qui décide. Nous devions juste l'amener au Vautour. C'est tout. Je vous jure. Je ne sais rien d'autre.
Les chuchotements de l'homme se transformèrent en sanglots. Zelin le lâcha et resta un moment à contempler l'individu gémissant à terre. Il s'adossa à un mur pour tenter de se calmer. L'aveugle hésitait sur la suite. Devait-il le tuer ? Devait-il lui effacer la mémoire et partir ? Et le Vautour. Il en avait déjà entendu parler et pas en bien, étonnamment, mais ne l'avait jamais vu. Il regrettait de ne pas avoir poussé sa curiosité plus avant et tenté de l'apercevoir. Mais, peu importait, il connaissait le bastion. Il allait continuer ses recherches là-bas.
Tout à ses pensées, Zelin ne se rendit pas compte que l'homme à terre avait tiré, de sous son habit, une fine lame. L'homme se releva vivement et projeta son arme sur l'aveugle. Ce dernier n'eut que le temps de se baisser pour éviter que l'aiguille n'atteigne son cœur. Elle se planta dans son épaule, lui tirant un cri de douleur mêlé de surprise.
Zelin réagit vivement et lança son poignard tout en psalmodiant des paroles incompréhensibles. L'arme décrivit une courbe improbable et prit une vitesse incroyable. En un effroyable bruit de craquements, le poignard transperça le corps de l'homme, brisant ses côtes, explosant son cœur, pour finir fiché dans sa colonne vertébrale.
L'individu mourut dans un murmure.
L'aveugle retrouva son apparence anodine, ses yeux redevant bleus et se pencha pour récupérer son poignard. Il y eut le bruit écœurant de l'arme arrachée du corps, puis le bruit du tissu froissé sur lequel est essuyée l'arme et, enfin, le bruit du glissement du poignard dans son fourreau.
- Par les Ancêtres de la Déesse ! jura Zelin. Ne pas baisser la garde. Ne pas se déconcentrer. Rester fixé sur l'adversaire. Il m'a bien eu.
Dans un grognement, il retira la fine lame de son épaule. Le sang gicla et s'écoula rapidement de la blessure. Rien de superficiel. Elle semblait assez profonde. L'aveugle frotta ses mains l'une contre l'autre, comme pour les réchauffer. Il retint un gémissement de douleur à chaque mouvement. Puis, il appliqua ses deux mains sur la plaie. Sa peau parut rougeoyer et crépiter sous ses mains. Il resta ainsi, un long moment, debout dans l'impasse, un cadavre frais à ses pieds, les mains appuyées sur une blessure profonde.
Au bout de ce qui aurait pu sembler une éternité, Zelin laissa retomber ses mains. Il joua un instant avec ses muscles, faisant bouger ses épaules, vérifiant de cette façon, que la blessure avait bien disparu. Une fois cela fait, il se pencha sur le cadavre de l'homme. Il le prit par les pieds et le traîna sur quelques mètres, le poussant contre un mur et le recouvrant de détritus qui s'amoncelaient par-là. Puis, un geste dans l'air et quelques paroles inaudibles plus tard et le cadavre avait disparu aux yeux du monde. Seuls les rats pourraient satisfaire leur faim.
Zelin s'en alla, ne laissant derrière lui que l'odeur forte du sang ainsi que quelques traces écarlates qui s'effaceront avec la prochaine pluie. Sur sa veste, une fine ligne rouge et sur son visage, un pli de tristesse pour la mort donnée, seules preuves du combat qui avait eu lieu. Il rejoignit les rues principales, se frayant un chemin entre les passants, évitant habilement les uns et les autres, se dirigeant vers le bastion de la dernière sortie. Il frôla les murs, se confondit avec les ombres immobiles, se baissa pour franchir la barrière de sécurité qui entourait le bâtiment et observa avec intérêt la ronde des gardes.
Quatre gardiens du bastion. Quatre otages ? Quatre victimes ? Zelin réfléchissait à un plan d'urgence, un plan avec des failles mais un plan qui lui permettrait de trouver le dénommé Vautour et qui sait, peut-être de retrouver Zoa.
Il allait pour s'approcher du premier garde, lorsqu'il la perçut. La tension dans l'air. La force intense. La puissance brute. Sarna.
Il se passait quelque chose chez lui.
Il hésita.
Une fraction de seconde.
Sarna. Au détriment de Zoa. Elle était plus importante que sa fille. Plus importante que sa vie. Le choix était fait. Il rebroussa chemin pour rejoindre sa maison au pas de course.
Il arriva dans sa ruelle et la maison apparut à ses yeux, entourée d'un halo doré qui pulsait doucement. L'aveugle resta un instant stupéfait devant la vision qui s'offrait à lui.
- C'est incroyable !
Il pénétra chez lui et tomba nez à nez avec un Moscan légèrement paniqué. Qui lui jeta un regard interrogateur après avoir vu le sang sur sa veste.
- Zelin ! Enfin ! Je te cherchais partout. C'est Sarna ! Elle...brille. Comme quand je l'ai trouvée. Que t'est-il arrivé ?
- Laisse-moi passer Moscan ! Il faut la réveiller. Elle risque d'attirer du monde ici.
Zelin entraîna Moscan derrière lui et courut jusqu'à la chambre où dormait la jeune fille. La porte était déjà ouverte et rien ne laissait présager le spectacle qui se déroulait dans la pièce.
Sarna flottait dans les airs, comme quelques jours plus tôt dans la grotte. Autour d'elle, une multitude d'étincelles dorées ondoyaient gracieusement. Les cheveux bruns de la jeune fille tombaient en cascade jusqu'au sol. Sa respiration était calme, régulière. Ses yeux bougeaient derrière ses paupières closes. Un infime tressaillement venait parfois troubler son étrange quiétude.
Zelin s'approcha doucement, émerveillé par ce qu'il apercevait en dépit de sa cécité: des milliers d'étoiles dans l'obscurité. Des constellations entières entourant le centre de l'univers. Des galaxies d'or flottant devant lui. Et il lui suffisait de tendre la main pour toucher la Création. La Gardienne.
Sarna Feydone. La Gardienne des Pouvoirs Sacrés. Héritière Oubliée.
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