Lorsque la fin n'est que le commencement.
Lorsque la fin n'est que le commencement.
- Plus vite ! Allez ! Dépêchez-vous !
- Hanel ! Le chariot ne peut pas aller plus vite. Sinon Père ne tiendra pas.
- Je sais Zaël ! Mais je pensais que nous avions semé les Kabols.
Les quatre voyageurs avaient repris leur route dans la plaine, quelques heures plus tôt. Ils avaient avancé tranquillement, évitant les ornières du chemin afin de préserver l'homme dans le chariot. Jusqu'à ce que Hanel aperçoive la nuée noire qui les pourchassait. Une nuée de Kabols. Ils n'avaient pas abandonné, sentant l'espoir des voyageurs devant eux. Les petits humanoïdes aux poils noirs avançaient vite, griffant le sol, se poussant les uns les autres pour avoir accès à un bonheur éphémère. Leur tête recouverte d'une toison rouge se balançait au rythme de la course.
Jaser était monté sur le cheval tirant la carriole. Il avait jeté un regard inquiet à son père. Celui-ci, allongé au fond du chariot, avait les traits tirés. Le cœur du jeune homme se serra, sentant que le voyage jusqu'à Canyan était compromis pour son père. Jaser s'en voulait. Il aurait dû attendre Zelin. Mais l'aveugle avait disparu et il ne pouvait plus attendre.
- Jaser...
Le jeune homme ferma les yeux et grinça des dents avant de prendre la parole.
- N'imagine pas une seule seconde me demander de t'abandonner.
- Jaser, répéta le père d'une voix lasse. Vous n'avez pas le choix. Vous n'arriverez pas à les semer. Et je n'ai plus la force de les combattre.
Jaser savait que son père avait raison. Comme il savait pertinemment que jamais il ne pourrait faire une chose pareille. C'était au-dessus de ses forces. Et jamais il ne pourrait se le pardonner.
Sa sœur, Zaël, se retourna sur sa selle et lui intima de maintenir son allure. Elle comprit que quelque chose n'allait pas en voyant son frère.
- Jaser ! Ils nous rattrapent ! Que se passe-t-il ?
- Je ne peux pas aller plus vite. Je...
Il hésitait, taraudé par un obscur doute qui assombrissait ses yeux gris. L'orage dans ses iris fit frémir Zaël. Elle savait. Les liens du sang les unissaient plus fortement que n'importe qui d'autre.
- Jaser, non, on ne peut l'abandonner. C'est notre père.
- Tu crois que je ne le sais pas ? explosa le jeune homme. Qu'il ne m'en coûte rien ?
- Jaser, je sais. Calme-toi. Essayons d'avancer le plus vite possible. Peut-être qu'en ayant à nouveau des pensées funestes, ils n'insisteront pas.
Leur père toussa fortement dans le chariot. Il prit la parole d'une voix enrouée.
- Ma chérie, tu te fourvoies. S'ils nous poursuivent c'est qu'ils ont senti de l'espoir. Et rien ne les détournera de nous à présent.
- Mais que pouvons-nous faire qui n'implique pas de t'abandonner ?
- Je crains que vous n'ayez pas le choix...
Zaël baissa les yeux, tenant toujours les rênes de sa monture dans les mains. Elle savait qu'il restait une possibilité. Mais elle avait peur de ce que cela lui coûterait. Avait-elle les capacités de les sauver ? Elle s'arrêta de réfléchir et prit sa décision.
- Il y a une solution. La seule qui nous laisse une chance.
- Non ! Zaël ! Je t'interdis...
- Que veux-tu m'interdire Jaser ? Nous ne sommes pas en état de discuter de tout cela maintenant. Laisse-moi essayer.
Hanel qui avait continué son chemin seul, devant, revint sur ces entrefaites.
- Mais, que faites-vous ? Ce n'est pas le moment de s'arrêter !
Zaël ne lui jeta pas un regard et fit faire un demi-tour à sa monture. Elle se pencha sur l'encolure de son cheval et lui murmura des paroles inaudibles. Une lumière blanche, éclatante s'échappa de ses longs doigts et déploya des sortes de tentacules blancs qui s'agrippèrent au poitrail de l'animal. Celui-ci galopa, prit de la vitesse, encore et encore jusqu'à atteindre une allure incroyable. Ses pattes foulaient la terre, la survolant presque, soulevant un nuage de poussière ocre. En quelques secondes, l'animal et sa cavalière avaient laissé derrière eux leurs compagnons de route. Zaël ne se retourna pas. Elle savait que son frère et Hanel tenteraient de la retenir alors elle galopait aussi vite que son cheval le pouvait.
Le vent s'engouffra dans sa capuche, la rabattant et libérant sa longue chevelure blanche aux éclats de lune. Ses cheveux brillaient dans la lumière du soleil, parant la jeune fille d'une lueur éclatante.
Hanel écarquilla les yeux. Même au loin, elle lui semblait irréelle, magnifique. Il ne l'avait jamais vu aussi libre et vive qu'en cet instant. Son frère, Jaser, la contemplait, hésitant entre la rattraper ou rester avec leur père. Finalement, le spectacle auquel il assista, l'empêcha de prendre une décision. Leur père aurait voulu courir après sa fille afin qu'elle évite de risquer sa vie mais il resta allongé, incapable de porter secours à la chair de sa chair.
Loin des pensées de ses compagnons, Zaël s'était redressée sur son cheval. Elle approchait de la nuée de Kabols qui ne semblait pas ralentir, comme une vague noire et meurtrière. Son cheval prit peur devant la foule de monstres qui s'approchaient. La jeune femme voulut se dresser sur sa selle mais n'en eut pas le temps. Son cheval se cabra à cent mètres des bestioles. Elle lâcha les rênes et d'une impulsion, se projeta dans les airs. Elle partit en arrière d'un puissant saut, délaissant sa monture qui s'éloigna le plus possible des Kabols.
Zaël retomba au sol, les genoux pliés, les paumes ancrées dans la terre. Elle se releva, rejetant ses cheveux dans son dos. Dans ses yeux gris, un ouragan venait de naître. Une tempête sans nom qui risquait de tout dévaster.
Elle leva les bras au-dessus de sa tête, semblant vouloir happer l'air autour. La jeune fille regarda vers le ciel, tentant de percer l'immensité bleue de son regard tourmenté.
Les Kabols arrivaient. Leurs petits cris plus ou moins aigus se rapprochaient. Leurs pattes griffues labouraient le sol, laissant des marques relativement profondes.
Zaël entonna un chant ancien dans une langue inconnue. Sa voix fut portée sur une centaine de mètres par un vent soudain. Ses magnifiques cheveux blancs entamèrent une danse hypnotique. Elle ferma les yeux alors que les Kabols étaient à moins de trente mètres d'elle.
Elle ouvrit ses incroyables yeux gris et se tut.
Puis, abaissa les mains d'un geste gracieux.
Le temps parut s'arrêter tandis qu'une intense lumière blanche jaillissait du bout de ses doigts. La lueur s'intensifia tellement que les Kabols furent aveuglés et n'eurent d'autre choix que de freiner leur course.
Zaël claqua ses mains et dans l'une d'elles, la lumière blanche prit la forme d'une immense épée. La jeune fille balaya l'espace devant elle de sa gigantesque épée de lumière qui souffla les premières lignes de Kabols. Ils furent expulsés au loin comme chassés par une bourrasque insoutenable.
Zaël recommença son geste, dispersant d'autres Kabols. Elle les blessait suffisamment pour qu'ils ne reviennent pas en les envoyant valser loin, très loin d'elle. Face à elle, se tenait encore une centaine de créatures qui s'avancèrent, évitant l'épée avec plus d'agilité que leurs prédécesseurs. L'une d'elles n'était plus qu'à quelques pas de Zaël. La jeune fille transpirait abondamment, laissant son pouvoir s'écouler hors de son corps. Elle raffermit sa prise sur son arme de lumière et leva de nouveau les mains vers le ciel.
La lumière changea de forme et devint une boule d'intensité qu'elle projeta sur ses adversaires au moment où ils allaient la toucher. Les Kabols hurlèrent en brûlant, tout leur être se consumant. Leurs poils noirs devinrent blancs avant de tomber par poignées. Leur peau sombre se couvrit de cloques blanchâtres pour finir par disparaître, laissant apparaître les os et les muscles. Finalement, il ne resta plus que des petits tas grisâtres un peu partout dans la plaine. Un vent puissant se leva et emporta les restes des créatures. La cendre s'envola en un tourbillon de fumée et de poussière.
Et tout fut fini.
Il n'y avait plus aucun Kabols à l'horizon.
Zaël relâcha la tension qui l'habitait et se tourna vers ses compagnons. Ils lui paraissaient loin, très loin. Trop loin. Elle commença à voir flou, le monde tourna autour d'elle avant de disparaître. Sa tête heurta le sol avec un bruit mou.
Elle ne sentit pas le choc, pas plus qu'elle ne vit son frère et Hanel galoper à toute allure vers elle. Elle n'entendit pas non plus le cri de son père.
Zaël avait plongé dans l'inconscience. Elle voguait sur des rêves énigmatiques, explorant les confins de son subconscient. Une image lui apparu : une jeune fille, ses cheveux bruns flottant derrière elle. Une jeune fille dont les yeux verts renvoyaient des ondes rassurantes. Elle était entourée d'un halo de lumière dorée qui éclipsait les alentours. Zaël se sentit sereine en l'apercevant. Comme si ses malheurs s'atténuaient à ses côtés.
N'aie pas peur. Accroche-toi. Je suis là.
La voix de la jeune brune dans sa tête apaisa ses tourments. Tout irait bien à présent. La voix revint, douce et chaleureuse, promesse d'une rencontre à venir.
Bientôt.
Hanel arriva le premier aux côtés de Zaël, Jaser le suivant de près. Les deux hommes s'agenouillèrent et saisirent la jeune fille inconsciente. Ils la redressèrent et Jaser écarta les longs cheveux de sa sœur.
- Elle respire faiblement. Mais qu'est-ce qui lui a pris ? Faire usage de son pouvoir de cette manière...
- Jaser ! Calme-toi !, intervint le géant, délaissant le vouvoiement respectueux qu'il utilisait depuis des années. Elle nous a sauvés. Tu devrais la remercier au lieu de lui jeter la pierre. Aide-là ! Tu sais que mon pouvoir est trop faible par rapport au tien.
Jaser resta un instant coi face aux paroles de son compagnon. Puis, il appuya une main sur le front de sa sœur et l'autre sur son plexus. Le jeune homme serra les dents et ses mains rougeoyèrent. Comme une pulsation lente et douce, il envoya des ondes bienfaisantes à sa sœur. Au bout de quelques instants, la jeune fille aux cheveux de lune respira plus calmement, elle reprit des couleurs et quand son frère retira ses mains, elle ouvrit les yeux.
- J'ai... J'ai réussi ? demanda-t-elle d'une voix faible.
- Oh ! Zaël ! Tu nous as fait tellement peur ! Ne refais jamais ça !
La jeune fille eut un sourire las. Ses yeux gris papillonnèrent avant de se fermer.
- Zaël ! hurla Jaser. Ouvre les yeux ! Reste avec moi !
Hanel s'écarta en serrant les poings, les mâchoires contractées. Il était là pour protéger cette famille et une fois de plus, il avait failli à sa tâche. Pourtant, la voix légère de Zaël le fit revenir :
- Je l'ai vue Jaser. L'espoir est là. Elle te plaira, j'en suis sûre.
Le jeune homme baissa la tête, refoulant les mots qui menaçaient de franchir ses lèvres et de blesser sa sœur. Elle était réveillée ? Grand bien lui fasse. Il avait trop perdu pour qu'elle sorte de son sommeil sans fin. Il avait trop sacrifié pour la faire revenir parmi eux. Alors, non. Non, elle ne lui plairait pas, jamais. Il lui en voulait et il ne savait pas comment il réagirait s'il croisait son chemin. Il ne pourrait rien lui faire, certes, car l'espoir reposait sur ses épaules, mais il trouverait un moyen de lui faire payer tout ce qu'elle lui avait inconsciemment prit.
Zaël avait replongé dans des songes plus heureux, laissant le soin à Jaser et Hanel de la ramener jusqu'au chariot. Ils récupérèrent le cheval de la jeune fille au passage qui paissait tranquillement dans un coin, maintenant que le danger était écarté.
Le père, très inquiet, questionna Jaser du regard. Celui-ci le rassura d'un geste et, à l'aide du géant, déposa sa sœur à ses côtés. Le père lui saisit la main et caressa sa joue.
- Je suis désolé au-delà des mots. Notre famille n'est plus qu'une faille et je suis désolé de vous avoir fait porter un fardeau trop lourd et trop grand pour vos épaules. Je ne pensais pas que les sacrifices seraient si puissants et si destructeurs. Je vous demande pardon, que les Sentinelles veillent sur vous et protègent ce qui doit être.
Puis, il continua à caresser les joues et les cheveux de sa fille, songeant à leur vie de nomades.
Hanel était soulagé de voir que Zaël dormait, il avait craint pour la vie de la jeune fille. Utiliser une telle puissance, c'était inconcevable. Lui-même ne possédait qu'un faible ensorcellement. Son niveau ne dépassait pas le troisième palier dans ses meilleurs jours. Il était un combattant, pas un ensorceleur. Jaser, Zaël et leur père étaient au sixième niveau. Le plus haut, mais aussi le plus dangereux depuis que le pouvoir n'était plus. Faire un usage aussi important de sa puissance, comme l'avait fait Zaël, risquait de pomper l'énergie vitale et de ne laisser qu'un cadavre après le combat.
C'est pour cela que la Gardienne devait se réveiller. Elle seule pouvait rendre le pouvoir accessible et le diffuser afin que les ensorceleurs puissent user de leur puissance sans en souffrir.
Il espérait que la Gardienne arriverait à maîtriser suffisamment vite son énergie pour que la fin d'un combat, plus que centenaire, ait un dénouement différent.
Jaser avait reprit sa place sur le cheval tirant le chariot. Ils devaient rejoindre Canyan au plus vite, afin de se mettre à l'abri. La dépense de pouvoir de sa sœur avait sûrement éveillé les démons et il voulait, à tout prix, être dans la capitale avant de les rencontrer. Il jetait sans cesse des regards inquiets à sa sœur et son père se chargeait de le rassurer.
Jaser guida sa monture, regrettant amèrement d'avoir quitté Omlen trop tôt. Les choses auraient-elles été différentes ? Et si la Gardienne était éveillée, pourquoi le pouvoir ne revenait pas ?
C'est ainsi que personne ne remarqua le Kabol isolé qui s'était accroché sous le chariot.
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