Lorsque certaines questions trouvent des réponses.
Lorsque certaines questions trouvent des réponses.
Au matin, alors que les premiers rayons du soleil n'avaient pas franchi les bords arides du monde brisé, Zelin secoua ses compagnons de route. Sarna et Moscan maugréèrent en chœur, peu enclins à se lever, préférant s'enrouler pleinement dans leur couverture. L'aveugle persista et finalement, Sarna s'extirpa de son étrange sommeil. Une drôle de sensation s'était nichée en elle suite à ses rêves incohérents.
- Il faut y aller ! Dépêchez-vous !
Moscan grogna et se repositionna en boule, cherchant à rattraper les filaments de ses rêves qui s'échappaient doucement. Sarna se leva et s'étira. Les étoiles au-dessus d'elle clignotaient de plus en plus faiblement, alors que le ciel à l'horizon rosissait pour la naissance d'une nouvelle journée.
- Laissez-moi cinq petites minutes, marmonna Moscan sous sa couverture. Juste...cinq... minutes.
Sarna sourit et se tourna vers l'aveugle qui leur avait préparé un repas rapide mais complet.
- Quand arriverons-nous à Canyan ? Il nous reste beaucoup de chemin ?
Zelin ne répondit pas, se contentant d'observer le fond de sa tasse. Sarna s'approcha et passa ses mains devant ses yeux.
- Vous m'écoutez ?
L'aveugle secoua la tête et regarda la jeune fille face à lui. Son visage pâle, ses lèvres charnues et craquelées, ses yeux verts interrogateurs, ses cheveux emmêlés. Aurait-elle la force d'aller jusqu'au bout de ce qui l'attendait ? Aurait-elle la carrure pour supporter la pression qui se manifesterait une fois à Canyan ? Il espérait que l'accès à la bibliothèque lui permettrait de trouver des réponses aux interrogations qu'il se posait à propos de Sarna. Peut-être pouvait-il lui donner quelques explications avant d'arriver. Elle avait cette manie relativement agaçante de poser une multitude de questions lorsqu'elle se trouvait en situation inconnue. Il pouvait la comprendre, mais il aurait aimé qu'elle s'arrête au moins une journée.
Zelin fixa Sarna et la jeune fille retrouva une lueur intense dans son regard. Il l'attira vers lui et la conduisit devant le magnifique tombeau enroulée dans les racines de l'arbre.
- Sarna, commença l'aveugle, tu as devant toi la tombe du plus grand homme que j'ai jamais connu. Le dernier Roi des Terres de Grâce, Asulf, le Loup-Guerrier des Dieux. Fils d'une grande lignée de Rois et Reines qui ont veillé sur ce monde, cela faisait plus d'un siècle qu'il tentait de reprendre ce qui lui était dû. C'est son fils, Jaser qui a conçu cette tombe. Et sa fille qui a versé ses larmes dans la terre, offrant une nouvelle vie et une nouvelle mission à cet arbre. Asulf aurait été un bon Roi. Il était sage et avait une vision du monde très particulière. Nous étions comme frères et ses enfants étaient les miens. Jaser et Zaël. Les héritiers du trône des Terres de Grâce.
Zelin posa sa main sur l'épaule de la jeune fille et la pressa doucement.
- Je sais que tu as plein de questions, malheureusement, je n'ai pas toutes les réponses. Et je ne veux pas me tromper, ni t'emmener sur un chemin que je ne maîtrise pas. C'est pourquoi je ne peux satisfaire toutes tes interrogations. Dans la mesure du possible je veux bien essayer de te répondre, mais à Canyan, cela me sera bien plus facile.
Sarna ne répondit pas. Elle tentait d'assimiler ce que l'aveugle venait de lui dire à propos d'Asulf. Un Roi sans trône, des héritiers sans royaume... Plus elle avait de réponses, plus elle avait de questions. La jeune fille avait l'impression de faire un pas en avant pour mieux reculer de trois.
- Que s'est-il passé ? demanda-t-elle finalement. Pourquoi a-t-il perdu le trône ? Et pourquoi était-il le Loup-Guerrier des Dieux ? Et les Terres de...
- Sarna ! Stop ! s'agaça Zelin en haussant la voix. Arrête de poser des questions !
Puis, voyant l'air stupéfait de la jeune fille, il s'adoucit.
- S'il te plaît Sarna ! Je comprends ton besoin d'avoir des réponses, mais une question après l'autre, d'accord ? Réveille Moscan, nous allons prendre la route et je tenterai de satisfaire tes demandes. Cela te convient ?
Sarna resta un moment interloquée par le ton qu'avait pris Zelin pour lui parler. Il ne lui avait pas crié dessus, mais elle avait senti l'énervement dans sa voix. Cela l'avait blessée qu'il ne se mette pas à sa place. Oui, elle avait besoin de réponses parce qu'elle ne comprenait absolument rien et se sentir entraînée dans une aventure où elle n'était pas certaine d'avoir sa place, ne l'enchantait pas. Alors, si elle pouvait obtenir un minimum de renseignements pour s'en sortir sans trop de dommage, cela l'arrangeait.
- Très bien ! Allons-y ! Moscan, cria-t-elle. Moscan, on y va. Tu restes là, ou tu viens ?
Le jeune homme qui avait réussi à se rendormir, grommela et rejeta sa couverture. Il se leva, les yeux mi-clos et, baillant du mieux qu'il pouvait, il se servit une tasse du breuvage matinal préparé par Zelin. Après deux ou trois gorgées, son esprit sembla s'éveiller et son regard s'éclaira.
- Par les Muses, ça fait du bien ! Je ne suis vraiment pas du matin...
- Pas besoin de le préciser, Moscan ! grinça la jeune fille, un léger sourire aux lèvres. Je crois qu'on avait compris...
- Merci Sarna ! Je ne suis peut-être pas un lève-tôt, mais au moins, j'évite l'ironie matinale...
- Allez vous deux, ça suffit ! les gronda gentiment Zelin. Moscan, il faut partir ! Vous terminerez votre échange de politesse sur la route.
Moscan remballa les affaires et avec l'aide de l'aveugle, il accrocha le tout aux selles des chevaux. Linéa accepta de porter une partie des sacs afin de soulager les autres montures. Chacun grimpa sur son cheval, puis, après un dernier regard vers la tombe étincelante du Roi Asulf, le Loup-Guerrier des Dieux, ils s'élancèrent au trot vers Canyan.
Après plusieurs minutes de silence, Sarna n'y tint plus et se rapprocha du cheval de Zelin. Linéa ne broncha pas même si la jeune fille sentit une légère tension chez l'animal qui coucha ses oreilles.
- Alors ? Vous allez m'expliquer ?
- Tu n'abandonnes jamais, Sarna Feydone ! soupira l'aveugle en tournant son regard électrique vers elle.
Il tira sur les rênes et son cheval se mit au pas. Linéa s'adapta à la nouvelle allure et se maintint à hauteur de Zelin. Moscan les rejoignit et ils avancèrent de front dans la plaine desséchée.
- Asulf devait monter sur le trône des Terres de Grâces à la mort de ses parents. Mais le destin en a décidé autrement. Ezedior a massacré la famille royale lors de sa prise de pouvoir, mais Asulf a été épargné. Il ne se trouvait pas sur les lieux du drame. Et depuis ce jour, il fuit. Enfin, il fuyait. Ce n'était pas un lâche, loin de là. Il a su rallier des hommes et des femmes à sa cause, non pas pour régner mais pour ramener la justice dans ce monde. Ezedior n'est pas connu pour ses bienfaits et les Terres de Grâce, étant séparées à cause des mondes brisés, ne sont plus qu'un lointain souvenir. Mais le royaume est toujours là, dans la Citadelle derrière Canyan, rattachée par un gigantesque pont à notre monde. La Citadelle des Dieux.
Zelin s'arrêta un instant pour reprendre son souffle et pour s'assurer que Sarna suivait bien son récit.
- Asulf, reprit-il, signifie Loup-Guerrier dans les vieilles langues du nord. Cela lui correspondait tant dans sa personnalité que dans son physique. Tu l'aurais vu Sarna, il dégageait une aura resplendissante. Pas aussi forte que la tienne, mais sa présence suffisait à imposer le silence et le respect. Il a rencontré sa femme, Jalia, quand il fuyait Omlen. Elle lui a ouvert sa porte et, alors qu'il ne devait rester qu'une nuit, ils ne se sont plus quittés. C'était une femme magnifique. Zaël, sa fille, lui ressemble, même si elle a le caractère de son père.
L'aveugle s'arrêta de parler et un sourire triste l'emporta ailleurs, dans ses souvenirs sûrement plus heureux. Moscan connaissait l'histoire de cette famille royale déchue de son titre et savoir qu'Asulf n'était plus de ce monde, l'emplissait d'une forte mélancolie. Ils n'avaient pas eu l'occasion de se rencontrer souvent, mais chaque fois cela avait été des journées délicieuses. Des journées emplies de récits d'aventures, de découvertes et d'humanité. Sarna, quant à elle, appréciait de plus en plus les histoires de Zelin. Elles ressemblaient à des légendes oubliées et cela lui plaisait.
Il aura au moins raison sur une chose... Asulf aurait été un grand Roi.
Sarna sursauta lorsque la voix claire de Linéa envahit son esprit. Elle se reprit rapidement et se réinstalla sur la couverture qui lui servait de selle.
Tu connaissais Asulf ? demanda la jeune fille à sa jument.
Le monde le connaissait et n'attendait qu'une chose : son retour dans la Citadelle.
La jeune brune réfléchit un instant. Tenta de mettre ses idées dans l'ordre. Secoua la tête devant l'enchevêtrement de pensées qui flottaient par-ci, par-là dans son esprit.
- Qu'est-ce que la Citadelle ? Rattachée par un pont ? Cela veut dire qu'elle flotte comme les mondes brisés ?
Moscan regarda Zelin et les deux hommes poussèrent un profond soupir résigné. Ils commençaient à s'habituer aux questions de Sarna et ce n'était pas forcément pour leur plaire.
- La Citadelle est, enfin était, l'endroit où nous pouvions prier nos Dieux. Tous les êtres de ce monde s'y rendaient pour prier, ensemble. Tous égaux dans notre foi. Quelque soit notre niveau d'ensorcellement, dans la Citadelle, les pouvoirs n'avaient pas leur place. Mais, elle servait surtout de lieu de repos pour les Gardiens. Tu vas me demander ce que sont les Gardiens, je suppose, alors laisse-moi te répondre.
Sarna eut un grand sourire pour l'aveugle qui soupira de nouveau.
- Les Gardiens se sont succédé pendant des siècles pour répandre le pouvoir afin que les ensorcellements soient accessibles à tous. Ils sont comme des phares, diffusant leur lumière et guidant les hommes dans le noir. Les Gardiens ont une ressource de pouvoir quasiment infinie. Ils le libèrent dans la citadelle pendant plusieurs jours et le pouvoir se répand sur le monde. Ainsi, les ensorceleurs n'ont qu'à puiser dans ce pouvoir pour éviter de se fatiguer ou de risquer leur vie avec des ensorcellements trop puissants.
- Mais, cela n'affecte pas le Gardien ? Je veux dire, s'il libère son pouvoir, et que tout le monde l'utilise... il doit le ressentir non ?
Zelin accueillit les questions de la jeune fille avec un demi-sourire.
- Non, cela ne l'affecte en rien. Les Gardiens protègent le peuple, ils sont nés pour ça. Leur vie entière est dédiée aux autres. Si les Gardiens disparaissent, les ensorceleurs devront se débrouiller seuls et utiliser totalement leur propre pouvoir. Cela les rendraient faibles et sans beaucoup de défenses. Imagine, si quelqu'un avec un faible niveau tente de se défendre, disons... contre un démon d'Ezedior. Malheureusement, s'il utilise un ensorcellement trop fort pour lui, cela pompera toute son énergie. Et la mort l'emportera vers les Sentinelles.
- Donc, les Gardiens servent aux personnes dont le niveau est plus faible... Et combien y-a-t'il de Gardiens ? Si Ezedior règne, où sont-ils ? Je suppose qu'ils doivent se cacher non ?
- Tu suppose bien, dit Zelin. Ezedior a exterminé les Gardiens, les uns après les autres. Il les a traqués, les a torturés pour tenter de s'emparer de leur puissance. Il a fait des manipulations sur les corps de ces hommes et femmes et a finalement abandonné... Ezedior n'avait aucune possibilité d'accéder à ce pouvoir ancestral. Rien, ni personne ne peut se prétendre Gardien. Seules les Déesses, amantes des Dieux choisissent les Gardiens. Le mal s'étant répandu dans la Citadelle, les Déesses ne se sont plus manifestées depuis des années.
- Il n'y a donc plus aucun Gardien ? Il n'y en aura plus jamais ?
Zelin arrêta son cheval et Linéa fit de même. Ce qu'il s'apprêtait à révéler à la jeune fille, devait être fait avec précaution.
- Je n'ai pas dit qu'il n'y avait plus de Gardiens... Au contraire, il en reste un. Ou plutôt une. Une Gardienne. La dernière Gardienne des Pouvoirs Sacrés.
Sarna regarda Zelin, ses yeux étincelants dans le lever du jour. Le cœur de la jeune fille eut un raté. Comme une dernière pièce de puzzle, la révélation de Zelin venait de trouver sa place dans l'enchevêtrement de pensées qui agitaient son esprit. Se pourrait-il que...
- C'est toi Sarna. Tu es l'Héritière Oubliée. Tu es celle qui détient les Pouvoirs Sacrés. Les Déesses t'ont choisie lorsque tes parents ont été sacrifiés. Tu es notre espoir.
A ce moment-là, tout prit sens dans la tête de la jeune fille. Tout parut s'éclaircir. Tout menait à cette vérité. Elle n'était pas cette jeune fille, lycéenne sur Terre. Elle avait un rôle important dans ce monde et elle ne savait pas si cette situation lui correspondait. Sarna ne se sentait pas spécialement importante, bien au contraire.
Les marques noires sur sa poitrine se mirent à luire. Comme une promesse, le vent vint souffler sa reconnaissance dans la chevelure brune de Sarna. Un halo doré s'empara de son corps et la jeune fille regarda cette étrangeté avec détachement. Elle acceptait son statut. Elle savait maintenant.
Elle savait qui elle était.
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