Lorsqu'un rêve remet tout en cause.
Lorsqu'un rêve remet tout en cause.
Sarna observa longtemps le paysage morne qui s'offrait à elle. Tout était sec : le sol poussiéreux ne laissait rien pousser et les quelques arbres et buissons qui avaient réussi à s'élever hors de terre semblaient avoir connu les pires fournaises. De temps en temps, elle levait les yeux vers la masse sombre, flottant dans le ciel et qui laissait s'écouler des trombes d'eau dans le vide. La jeune fille avait encore des difficultés à croire ce qu'elle voyait. La beauté de l'inexplicable spectacle qui s'offrait à elle, lui semblait trop improbable et merveilleuse pour exister. Pourtant, chaque fois que ses yeux se posaient sur la masse, celle-ci était toujours là, géante et puissante, loin au-dessus de Canyan, ville vers laquelle ils se dirigeaient.
Après avoir tenté plusieurs fois de communiquer avec Linéa, Sarna avait renoncé devant le mutisme de la jument. Les questions sur Zelin s'étaient heurtées à un silence borné et les interrogations sur la forêt n'avaient pas eu plus de succès. Alors, la jeune fille s'était laissé aller sur l'encolure de la jument et avait vaguement somnolé. Le paysage se prêtait à la sieste et comme personne ne parlait, autant en profiter pour rattraper quelques heures de sommeil.
Sarna tenta de réfléchir à ces deux mondes, puisqu'elle en était quasiment sûre, elle ne se trouvait plus sur Terre. Deux mondes bien différents. Un monde normal et un monde effrayant de magie. Elle ne voulait pas rester là. Sa maison, sa famille, ses amies... Tout cela lui manquait. Mais si ce que Zelin lui avait dit était vrai, alors, elle n'avait plus ni maison, ni famille, ni amies. Rien. Elle n'avait plus rien. À côté de ça, enfin dans cet autre monde, elle avait fait la connaissance de Moscan, qu'elle avait pris pour un dingue, puis de Linéa, qu'elle avait pris pour un monstre, enfin qui en était un théoriquement parlant. Puis, sa rencontre avec Zelin, cet homme étrange, aveugle et si charmant. Mais, elle l'avait vu à l'œuvre. Elle l'avait vu tuer plus rapidement qu'un claquement de doigt et sans montrer le moindre remord. Et Linéa qui lui murmurait en pensées de ne pas lui faire confiance...
Puis, Sarna repensa à Moscan. Celui qu'elle avait pris pour son ravisseur, il y avait de cela quelques jours, ou peut-être quelques mois même, elle ne savait plus, ce dingue s'était révélé être un jeune homme très agréable. Il avait risqué sa vie pour elle et elle ne savait plus trop que penser de lui. Sarna se sentait bien en sa compagnie, mais ils n'avaient pas vraiment eu le temps d'échanger sur leur vie respective. Et peut-être était-ce mieux ainsi. Elle avait bien vu la façon dont il l'avait regardé lorsqu'elle avait parlé de lycée et de films. Cela lui avait semblé à l'opposé de son monde et de sa vie. Peut-être n'étaient-ils pas faits pour s'entendre autrement que dans l'action. La jeune fille hésitait sur la conduite à tenir et finalement, elle décida de ne pas réfléchir et de laisser faire les choses. Après tout, si elle arrivait à retourner sur Terre, aucune relation entre eux n'était envisageable...
À force de songer à ses compagnons de route, Sarna en oublia un peu les questions qui tournaient en boucle dans son esprit.
Soudain, Zelin arrêta son cheval et mit pied à terre. Sarna s'approcha de lui et malgré les pensées embrouillées et agitatrices de son esprit, elle eut pitié de lui envoyant son visage aux traits tirés. Il s'était tourné vers un arbre magnifique, le seul qui semblait avoir fleuri dans la plaine aride. Grand et vert, ses branches s'étiraient loin vers le ciel pour redescendre en courbes délicates vers le sol. Les feuilles bien vertes bruissaient dans le vent des hauteurs. Ses racines reflétaient les rayons du soleil en une multitude de petites étincelles. Elles paraissaient s'enrouler autour d'une forme oblongue. La jeune fille descendit lentement du dos de Linéa afin de ne pas trop solliciter ses muscles endoloris.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.
Zelin tressaillit et se tourna vers Sarna. Elle eut un pincement au cœur en voyant sa peau pâle. L'aveugle paraissait hébété, désorienté, comme si le monde venait de s'effondrer autour de lui. Il se passa la main sur sa bouche, ses rares poils de barbe râpant sa peau. Ses yeux bleu électrique semblaient avoir perdu leur vivacité habituelle.
- Une tombe... C'est une tombe, répondit-il d'une voix cassée.
Vu le visage décomposé de l'aveugle, la jeune fille était suffisamment perspicace pour comprendre que la tombe appartenait à une personne proche de Zelin. Elle ne savait pas comment l'arbre avait pu pousser autour d'un corps de cette manière. Ni comment l'aveugle avait pu deviner à qui appartenait la tombe. Intérieurement, elle haussa les épaules et se rendit compte qu'elle commençait à s'habituer à l'inhabituel. Moscan les avait rejoints et se tenait proche de son ami pour lui apporter un soutien vain. Après quelques instants de silence, Sarna brisa l'ambiance froide et triste qui s'était emparée du groupe.
- Je ne sais pas de qui il s'agit et je ne sais pas si vous m'en parlerez un jour... Mais cette tombe est magnifique et qui que soit la personne qui l'a réalisée, je suis sûre qu'elle y a mis tout son cœur. Je ne pourrais espérer plus belle dernière demeure...
- C'était un ami proche, murmura l'aveugle. Il se racla la gorge et reprit : Tout aurait été différent s'ils m'avaient attendu. Mais les jumeaux sont têtus, surtout Jaser. C'est lui qui a créé cette tombe, je reconnais sa marque dans l'aura qui l'entoure. Et le saphir sur les racines accompagne les voyageurs perdus... C'est ce que je lui disais parfois.
- Qu'a-t-il pu se passer ? demanda Moscan, inquiet.
- Les Kabols, cracha Zelin. Ces saletés de Kabols.
- C'est-à-dire ?
- Sarna, prie les Muses pour ne jamais croiser les Kabols. Ils sont la mort de ton bonheur et de ta joie. Et n'espère pas leur survivre...
- Et qu'est-ce que c'est, là-bas ? On dirait un chariot...
Moscan se tourna dans la direction indiquée par la jeune fille et remarqua lui aussi le chariot abandonné. Il allait se diriger vers lui lorsque Zelin l'arrêta de son bras.
- Ce n'est pas la peine. Il n'y a que la mort et la peur. Nous allons nous arrêter ici pour nous reposer. Je ne suis pas en état de continuer pour aujourd'hui. Puissent les Sentinelles veiller sur nous.
Le vieil homme se dirigea vers la tombe et s'assit à l'ombre de l'arbre. Sarna aida Moscan à décharger les chevaux et Linéa se contenta de rester avec les deux montures. La jeune brune était ravie de cet arrêt même si l'endroit lui paraissait empli d'une tristesse infinie. Elle aurait préféré s'éloigner un peu, mais Zelin n'avait pas l'air de vouloir bouger. Sarna ne pouvait que comprendre la souffrance de l'aveugle et bien qu'elle ait souhaité en savoir plus sur les personnes liées à cette magnifique tombe, la jeune fille n'osait pas en parler avec Zelin. Pour une fois, elle décida de garder ses questions pour elle, malgré sa curiosité. Si Zelin décidait de lui dire de quoi il retournait, alors, elle serait heureuse de l'écouter. Mais elle était fatiguée de poser des questions et de n'avoir aucun retour.
Après avoir pansé les chevaux et s'être nourri, Moscan et Sarna s'installèrent à quelques pas de la tombe, mais suffisamment loin pour ne pas déranger Zelin qui semblait perdu dans ses pensées, dans un ailleurs plus agréable.
- Tu vas bien ?
Sarna sursauta en entendant la question du jeune homme.
- Je crois que ça va... Je m'adapte. Non... J'essaye de m'adapter.
- Je trouve que tu t'en sors plutôt bien, tu sais ?! Je suis assez impressionné par ta force intérieure... Beaucoup aurait craqué bien avant !
- Crois-moi Moscan, je craque intérieurement depuis des jours, mais j'essaye de ne pas m'effondrer parce que ça ne servirait pas à grand-chose, n'est-ce pas ?
Le sourire de Sarna était empli de nuages, des nuages gris qui n'attendaient que le souffle du vent pour s'en aller. Moscan le remarqua, mais ne sut que répondre. Qu'aurait-il pu dire ?
- Mais merci de te soucier de moi, ajouta la jeune fille, chassant le malaise entre eux. Et je n'ai jamais eu l'occasion de m'excuser...
- De quoi ? s'étonna Moscan en secouant la tête. T'excuser de quoi ?
- Je... Dans la grotte... Je te prenais pour un fou... Un dingue qui m'avait enlevée et emmenée je ne sais où pour me faire je ne sais quoi...
Le jeune homme resta un instant interdit et passant la main dans ses mèches brunes, il s'esclaffa.
- C'est donc pour ça... Je croyais que tu avais un trouble de la personnalité...
- Moi ? s'étrangla Sarna, étonnée. Tu peux parler ! Entre tes prières folles, tes regards froids puis tes sourires rassurants... J'ai eu du mal à m'y retrouver.
- Mais tu n'arrêtais pas d'être contradictoire. Tu disais quelque chose et tu faisais l'inverse. Je n'arrivais pas à te suivre... C'était toi la dingue. Pas moi !
Ils continuèrent à s'envoyer des piques pendant plusieurs minutes, oubliant peu à peu le monde autour. Sarna ne se rendit pas vraiment compte que le poids sur ses épaules s'était allégé et que des papillons prenaient leur envol dans son estomac. Elle se sentit mieux, juste mieux. Son moral n'était pas au beau fixe, mais la compagnie du jeune homme lui était bénéfique. Ils observèrent en silence le soleil passer derrière la masse du monde flottant et une fois de plus, le spectacle fut impressionnant. Le scintillement de l'eau créa une multitude d'arcs-en-ciel qui teintèrent le ciel de mille et une couleurs. Sarna resta subjuguée par le panorama et tournant la tête vers Moscan, elle s'aperçut qu'il l'observait. Ils échangèrent un grand sourire, empli de gratitude et d'émerveillement. La jeune fille n'aurait échangé sa place pour rien au monde
Sauf pour rentrer chez elle.
Lorsque la nuit commença à s'installer sur la plaine, Zelin les rejoignit pour manger quelques lamelles de viande froide. Moscan avait négocié durement avec Iel pour qu'il leur fournisse des provisions pour le voyage. En échange, le jeune homme lui avait promis de revenir pour nettoyer l'auberge de fond en comble. Cela lui prendrait sûrement plusieurs jours, mais il ne manquerait pas d'honorer sa promesse.
Les voyageurs avaient décidé de ne pas allumer de feu, ni d'utiliser d'ensorcellements afin d'éviter d'être repérés par les gardes à leur recherche ou par les bêtes qui vivaient dans la plaine.
- Nous dormirons proche de l'arbre, dit Zelin d'un ton impassible. J'ai ajouté un peu de protection à l'ensorcellement de Jaser. Cela nous suffira pour la nuit. Nous partirons tôt de toute manière.
- Zelin, je...
- Pas maintenant, Sarna. Pas maintenant.
L'aveugle avait murmuré et la tristesse dans sa voix dissuada la jeune fille d'insister. Elle le regarda se lever pour s'installer sous l'arbre, au plus proche de la tombe. Mais la curiosité était trop forte pour la jeune fille. Les mystères, les milliers de questions qui la taraudaient, les millions de réponses qui n'arrivaient pas... Tout ça l'empêchait de contrôler se curiosité. Elle décida de passer outre.
- Moscan, commença Sarna, dans un chuchotement. Qui est dans cette tombe ? C'était un proche de Zelin, c'est ça ? Qui est Jaser ?
- Je pense qu'il t'en dira plus demain matin. Laisse-le se reposer. Il en a bien besoin.
- Mais... Moi aussi j'ai besoin de réponses ! Tu peux au moins me dire qui est ce Jaser qui a réalisé cette tombe ? C'est tellement beau, j'aimerais en savoir plus sur lui.
Moscan soupira, conscient qu'il ne pourrait pas dormir s'il ne satisfaisait pas l'intérêt de la jeune fille.
- Jaser et Zaël sont jumeaux. Ils ont tous deux un haut niveau d'ensorcellement qui ne cesse d'augmenter du fait de leur lien très fort. Ils devaient nous attendre avant de quitter Omlen, mais ils ont dû partir plus vite que prévu. Nous devrions les retrouver à Canyan. Je l'espère. Et, non Sarna, je ne répondrai à aucune autre question. Maintenant, allons dormir. Une longue route nous attend demain.
Le jeune homme se leva et s'installa sous l'arbre majestueux. Sarna resta à côté des chevaux et tenta de communiquer avec Linéa.
Linéa, pourquoi ne veux-tu rien me dire sur Zelin ? Est-ce que tu en sais plus sur cette tombe ?
La jument agita ses oreilles et tourna son regard étoilé vers la jeune brune.
Je ne peux influencer tes choix et tes décisions. Tu devras découvrir par toi-même de quoi il retourne. Je veillerai sur toi. Maintenant, va dormir, Moscan a raison, une longue route nous attend demain.
Sarna soupira en entendant les paroles sibyllines de la jument et se leva à son tour. Elle s'installa le plus confortablement possible et pensant qu'elle ne trouverait pas le sommeil, elle plongea dans ses rêves rapidement.
Ses rêves, plutôt sombres, alternèrent entre des images de loups géants et de chevaux en sang, de petits humanoïdes recouverts de poils, entourant une jeune fille aux cheveux de lune. A ses côtés, un géant aux muscles improbables et derrière elle, caché dans l'ombre des rêves...
- James... murmura Sarna dans son sommeil.
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