Chapitre 14 : Hilda Douzebranches
HELLO !!
(Perri est là). Elle tient à ce que je vous le dise haha ! D'ailleurs on a trouvé une super idée pour la fin de OP ^^ Vraiment une bonne équipe !
Mais aujourd'hui on se retrouve pour le chapitre 14 de LHDI et comme le titre l'indique, Noah va prendre un savon... Non, je déconne mais quand même un peu. On repart donc là où on s'était arrêté, à savoir le retour de Noah à Ilvermorny. Enjoy !
Désolée pour l'intro courte, mais je veux pas délaisser mon invité aka Perri haha ! (Elle est présentement assise sur mon canap à râler parce que Clem à déclarer qu'elle rejoignait mon camp sur le débat de a-t-on besoin une baguette pour transplaner ?)
On se retrouve en bas ^^
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Chapitre 14 : Hilda Douzebranches
« J'avais pas prévu d'un jour adopter
Mon enfant j'ai dû surtout m'adapter
J't'attendais pas
J'te laisserai pas
Même sans l'même sang, on s'aimera »
- Vianney -
// 8 septembre 1980 //
L'esprit encore perturbé, Noah referma la porte du dortoir et laissa Julian derrière lui. Il eut envie de la rouvrir dans la seconde.
Malheureusement, il ne le pouvait pas. Hilda lui avait donné quinze minutes avant de la rejoindre dans le bureau de la directrice et au vu de sa situation il ne pouvait pas se permettre un écart. Pourtant, alors qu'il traversait le Foyer, ce n'était pas le sort que lui réservait Hicks qui le préoccupait. Les paroles de leur conversation résonnaient encore profondément en lui... « Va falloir me reconquérir, Douzebranches ». Morgane... C'était peut-être la face de Julian qu'il préférait, celle que personne ne semblait vouloir voir, aveuglé par la façade de garçon calme et poli en toute circonstance. Ça devait être les tasses de thé, c'étaient trompeur. Mais il suffisait de gratter un peu le verni pour se rendre compte que Julian pouvait être buté, sûr de lui, intransigeant. Des caractéristiques qu'on avait davantage tendance à lui appliquer alors même que Julian et lui pouvaient être bien plus semblables qu'attendu. Malgré ça, il ne s'était pas attendu au défi de reconquête... même s'il supposait qu'il le méritait. C'était une vérité sur laquelle il avait eu tendance à fermer les yeux l'année dernière et qu'il ne pouvait plus ignorer. Il avait laissé ses peurs et ses colères le dévorer, il les avait fait rejaillir sur tout le monde, Jules compris. Ça avait été une spirale infernale où, rongé par le doute, il n'avait fait que repousser les autres et jouer à un chaud-froid qui avait dû paraître insupportable aussi bien à Jules qu'à Othilia.
Bon sang, Othilia... La clause finale dans l'ultimatum de Julian. Là encore, il comprenait. Quand il repensait à ce qu'il avait lui-même ressenti envers Hanna, il n'avait de toute façon pas d'autre choix : il avait détesté chaque seconde la voir près de Jules, comme si une douleur physique avait pulsé en lui pour lui rappeler la réalité. Quoiqu'il fasse, la loi était contre eux et il ne pourrait jamais « être Hanna », pas aux yeux du monde. Seulement, les choses avaient changé depuis l'hiver dernier. Il avait vraiment perdu Julian en un sens et il refusait de continuer à lutter contre ce qu'il ressentait. Ça ne finissait jamais bien.
Seulement, avoir conscience de ça ne l'aidait pas à savoir quoi faire avec Othilia. Il avait l'impression qu'il était perdant quoiqu'il arrive : s'il restait avec elle, il les condamnait à vivre un simulacre de couple et renonçait à Jules - et bon sang que rien que l'idée faisait mal - mais s'il la quittait, il s'exposait comme sa mère avait dit aux rumeurs et à la violence des autres, pareille à celle qu'avait subi Zack Ledwell. Et dans cette opposition, il savait aussi qu'il était terriblement égoïste. Parce qu'Othilia aurait dû compter davantage, ses sentiments auraient dû compter davantage... Mais justement, il avait l'intime conviction que si elle venait à apprendre la vérité sur lui, alors il la perdrait. La simple idée lui donna un coup au cœur. Mine de rien, Othilia faisait partie de sa vie et son quotidien. Ils avaient peu de points communs, mais elle était une des rares personnes à le connaître véritablement... Si elle réagissait comme Hanna avait réagit avec Julian, il n'était pas sûr de le supporter.
Tout ça rendait la situation encore plus chaotique que l'année dernière. A ce moment-là, au moins, il y avait encore un peu de distance émotionnel avec Jules et il avait ou s'accrocher à l'idée de leur expérience. Aujourd'hui, tout volait en éclat.
Seulement, il n'avait pas le temps d'y penser maintenant. Hicks et Hilda l'attendaient toujours et c'était son avenir qui allait voler en éclat s'il ne se dépêchait pas. Si ce n'était pas déjà fait. Le pas pressé, il monta donc les marches deux par deux pour arriver dans l'aile du château où était regroupé toute l'administration. Le bureau de la directrice se trouvait au fond du couloir. Les armoiries des quatre maisons étaient gravées au-dessus de l'embrasure, mais il ne s'attarda pas à les contempler. Il toqua deux fois pour s'annoncer sans se donner le temps de réfléchir. S'il le faisait, il était sûr de repartir en courant et rejoindre Jules dans le lit dans lequel il l'avait laissé.
Il poussa la porte et les vit directement dans son champ de vision. Hicks et Hilda, toutes les deux assises l'une face à l'autre de part et d'autre du bureau en vieux chêne qu'il connaissait par cœur. Ce n'était pas la première fois qu'il était convoqué ici, mais l'atmosphère ne lui avait sans doute jamais paru aussi lourde.
- Entrez, monsieur Douzebranches, l'invita Hicks avec un demi-sourire, même s'il sentait toute son autorité dans sa posture.
Le message était clair : il n'avait plus intérêt à protester. Le fait même qu'elle l'appelle par son nom de famille et non par son prénom était déjà significatif. Tendu, il s'avança donc à leur rencontre en tentant d'occulter Hilda. Peine perdue. Son regard d'acier le transperçait avec trop d'intensité pour qu'il parvienne à en faire abstraction et il vint prendre place à côté d'elle, la tête résolument baissée. Peut-être que s'il fixait assez le sol, il allait réussir à disparaître.
- Merci de vous être joint à nous, entonna Hicks après quelques secondes de silence pesant. J'avoue que je ne vous attendais même plus. Aviez-vous oublié que la rentrée commençait en début de semaine ? Avez-vous reçu un sort de confusion ?
Noah se retint de rouler des yeux. Ça n'aurait sûrement pas arrangé son cas, mais Hicks employait la technique qu'il aimait le moins : la dérision pure et simple, comme s'il était un gamin de cinq ans à sermonner. Malheureusement, il avait peu d'éléments à lui opposer pour lui prouver qu'elle avait tort et il se contenta donc de se murer dans le silence.
- Noah, rabroua sèchement Hilda sans attendre. Je crois que la directrice t'a posé une question.
Bon sang, leur réaction était tellement prévisible... Comme si elles jouaient un rôle avec des dialogues appris par cœur. Autant qu'il joue donc le sien aussi.
- Et à quoi ça sert si elle connait déjà la réponse ? lança-t-il en croisant les bras pour faire bonne mesure. On sait très bien que j'ai loupé la rentrée, c'est bon.
Immédiatement, les yeux d'Hilda passèrent de l'acier à la noirceur de l'onyx. Un regard noir dans les règles de l'art. Par chance, Hicks fut la première à réagir.
- Justement, non, monsieur Douzebranches, dit-elle sans aucune trace d'amusement ni de dérision dans la voix désormais. Ce n'est pas « bon ». Et ne me faites pas l'affront de prétendre que vous ne savez pas pourquoi. (Elle croisa ses mains devant elle en évidence sur son bureau, signe que les choses sérieuses commençaient). Je viens de m'entretenir avec votre tante et j'aimerais, à la suite de cette conversation, vous rappeler quelques points de règlement. Les élèves de cette école, même majeurs, sont sous l'autorité d'une juridiction particulière puisque nous sommes responsables de tous les étudiants qui nous sont confiés. Cela veut dire, monsieur Douzebranches, que majeur ou non, vous vous devez de respecter le règlement de cet établissement. Or, j'ai bien peur que cela inclus le principe de base qu'est la rentrée scolaire.
Le sarcasme était de retour. Il encaissa de mauvaise grâce, même s'il détestait au fond de lui que son arme favorite se retourne contre lui au pire des moments et il se força à soutenir le regard pesant d'Hilda. Techniquement, il était au courant de ce que la directrice Hicks venait d'énoncer. Dans les faits, la réalité avait été bien plus compliquée qu'un simple règlement.
- Noah, s'il vous plait, reprit Hicks face à son silence obstiné. Votre posture ne vous aidera pas si vous persistez à agir ainsi. Si je me donne la peine de vous recevoir, c'est pour vous laisser une chance. Une énième chance, devrais-je même dire. Alors saisissez-la par Morgane.
Cette fois, ce fut de la colère qu'elle laissa entrevoir et il se retrouva à en éprouver en retour.
- Mais qu'est-ce que vous voulez entendre ? réagit-il finalement. J'ai loupé la rentrée, ça s'arrête là, c'est ce qui vous intéresse non ? Je sais que je vais avoir des heures de colle et que je devrais rattraper les cours. Je le ferai, je sais. C'est bon.
Le second « c'est bon », assené avec encore plus de résignation que le premier, parut davantage exaspérer les deux femmes. Hilda secoua la tête, dépitée, mais Hicks releva le menton comme si elle s'apprêtait désormais à partir en guerre. Il se demanda combien de batailles elle avait déjà livré face à des élèves comme lui.
- Bien, nous allons reprendre depuis le début pour dissiper certains... malentendus, déclara-t-elle avec précaution. Nous ne « voulons » rien entendre, Noah. Nous sommes là pour vous écouter. C'est la première chose importante et j'aimerai que vous l'entendiez dans tous les sens du terme. Parce que ce que nous voulons vraiment, c'est comprendre. Ça ne m'intéresse pas de vous donner des heures de colles comme vous dites, je ne suis pas là pour cela. (Elle décroisa ses mains et les plaça bien à plat sur le bureau dans un geste d'offrande). Vous savez, je vais vous faire une confidence : lorsque j'ai commencé ce métier, j'ai souvent songé à en changer. Je pensais que j'avais idéalisé ce qu'était être professeur et que je n'étais là que pour faire un peu de discipline au milieu de mes enseignements. Heureusement, ma route a croisé celle d'un homme brillant qui m'a rappelé la compréhension de l'âme humaine était justement la meilleure des clés à posséder pour comprendre les élèves en face de nous. Cet homme se nomme Albus Dumbledore et il n'y a pas un jour depuis que j'ai été nommée directrice où je ne me rends pas compte qu'il avait raison.
La solennité qui habitait Hicks était palpable. Elle tendait véritablement de partager quelque chose avec lui, Noah le sentait bien, même s'il ne comprenait pas vraiment où elle voulait en venir. A côté de lui, l'expression d'Hilda reflétait le même sentiment, même si celui-ci se mêlait à la sincère curiosité. Le coin de la bouche d'Hicks se releva légèrement.
- Ne me regardez pas comme ça, Noah, je sais très bien ce que j'affirme, s'amusa-t-elle. Et ça peut vous paraître absurde, mais c'est pourtant bien pour cela que nous sommes là : je veux comprendre ce qui vous a poussé à louper la rentrée. Pas juste vous punir de l'avoir fait. Je pourrais ainsi adapter mon jugement. Vous comprenez ?
Sur la dernière question, elle s'était à nouveau adressée à lui comme à un enfant, mais il tenta de ne pas se braquer cette fois-ci. Méfiant, il tenta de déterminer si elle était sincère. Depuis qu'il la connaissait, elle avait toujours été plutôt juste envers les élèves et il se força à ne pas répondre du tac au tac.
- J'étais avec ma mère... expliqua-t-il prudemment, mal à l'aise. On était en voyage, c'est pour ça que je suis revenu en retard.
- En voyage, hum ? Et vous êtes partis loin ? Vous ne pouviez pas revenir à temps ?
- Non, on est restés aux Etats-Unis mais c'était...compliqué.
L'euphémisme du siècle sans doute. Par flash, il revit le regard hanté de sa mère assise en bord de route sous un soleil de plomb, perdue au fin fond du Texas mais surtout dans ses souvenirs. Condamnée à répéter en boucle des paroles vieille de vingt ans comme un perroquet enfermé en cage. La vision lui arracha un frisson et Hicks plissa les yeux.
- Compliqué en quel sens, Noah ? Elle ne pouvait pas vous ramener ?
- Ou alors elle n'en avait aucune envie ? intervint Hilda, agacée. A moins qu'elle ne se soit même pas rendu compte que tes cours reprenaient en septembre, ça lui ressemblerait bien.
- Arrête... marmonna-t-il d'une voix sourde.
Evidemment, proche comme elle l'était, sa tante l'entendit et sa réaction fusa sans attendre.
- Je te demande pardon ?
- Hilda...
- Ne me dis pas « d'arrêter », J'ai toutes les raisons de lui en vouloir ! T'emmener comme ça, sans me tenir en courant, te faire louper la rentrée l'année Senior par-dessus le marché !
Hicks leva la main dans un geste apaisant.
- Mrs Douzebranches, sauf votre respect, j'aimerais entendre la version de Noah sans parti pris. Je vous laisserai un moment ensemble à la fin de cet entretien pour... discuter, mais nous ne sommes pas là pour régler des comptes, d'accord ?
D'un coup, Hilda eut l'air d'avoir mordu dans un citron, mais ne protesta pas. Impressionné, il jeta un regard reconnaissant à sa directrice. Il n'avait ni l'envie ni la force d'entendre la diatribe habituelle d'Hilda contre sa mère, même s'il comprenait de plus en plus les racines de sa colère. Lui-même la ressentait par intermittence depuis le fiasco qu'avait été le road-trip ; c'est juste que la tristesse prenait davantage le dessus la plupart du temps.
- Reprenez, Noah, lui intima Hicks. Vous disiez que c'était compliqué ? Pourquoi ?
Il fit mine d'hausser les épaules et s'enfonça un peu plus dans son siège. Il n'avait pas envie non plus de revivre les choses en les exprimant à voix haute, mais il sentait bien que Hicks ne le laisserait pas se dérober.
- Rien de nouveau, marmonna-t-il, les yeux baissés. Elle s'est sentie mal, elle a refait une de ses crises... On devait s'arrêter plus souvent et elle voulait absolument rentrer en voiture, peu importe ce que je disais. (Il déglutit). Alors je l'ai laissé faire... Quand on est arrivés sur New York, elle a fini par appeler elle-même les Aurors et je suis revenu ici. C'est tout.
Il s'impressionna lui-même. Quelques phrases avaient suffi à résumer la semaine lourde et tendue qu'il avait vécu pour revenir dans le Massachussetts, même si elles ne retranscrivaient en rien la réalité. La musique à fond dans la voiture quand sa mère avait été d'humeur, les moments où elle avait dû s'arrêter en plein milieu de la route, les mots durs et implacables, toujours et encore : « Je n'ai jamais voulu être mère, tu comprends ça ? Je ne voulais pas tomber enceinte, c'est juste arrivé ! Je n'ai jamais su quoi faire de toi ! Mes parents m'ont poussé à te garder, ils disaient que je devais assumer... ». Une boule douloureuse dans la gorge, il détourna à nouveau la tête. Il tenta de repenser à ce que Julian lui avait dit. L'amour ne pouvait pas se gagner, on pouvait simplement tenter de le mériter et d'en être digne, mais il se doutait qu'il mettrait un certain temps à vraiment assimiler l'idée.
- Morgane... souffla Hilda, l'air las.
Elle coula dans sa direction un regard peiné et il eut l'impression pendant une seconde suspendue qu'elle allait ajouter quelque chose, mais la directrice Hicks reprit avant.
- Je vois... dit-elle avec gravité. Ça n'a pas dû être simple à gérer pour vous, n'est-ce pas ?
- Non...
Il ne voyait pas pourquoi il devrait nier, c'était assez évident. A nouveau, un tic agita le coin de la bouche d'Hilda même si elle garda résolument le silence. Hicks finit par soupirer et recroisa les mains devant elle.
- Bien, je pense m'être fait une idée des faits. Dans tous les cas, vous comprenez bien Noah que votre retard ne peut pas rester sans sanction.
- Hum...
- Je pourrais vous donner des heures de colles de façon bête et méchante si vous me permettez l'expression, mais je pense que cela s'est assez révélé inefficace vous concernant. Mon but est ailleurs de toute façon. Pour tout dire, j'aimerais vous faire prendre conscience que cette école et le corps professoral dans son ensemble peuvent être de votre côté, même dans la sanction et même si vous pensez le contraire. Nous allons donc tenter quelque chose d'inédit. (Elle planta son regard sombre sur lui et asséna alors). Des travaux d'intérêt général.
Pris de court, il la dévisagea. Il n'avait effectivement pas vu venir cette possibilité et il se demanda soudain si Hicks le prenait pour un cobaye afin de tester ses nouvelles idées pédagogiques. Il la jugea avec circonspection.
- C'est-à-dire ? fit Hilda à côté de lui d'un ton méfiant.
Visiblement, elle partageait sa retenue et il ressentit un élan de reconnaissance envers elle. C'étaient dans ces rares moments qu'ils arrivaient à être sur la même longueur d'onde.
- C'est-à-dire que Noah mettrait son temps au service de l'école, explicita Hicks sans se démonter. Cela pourrait prendre diverses formes, mais une petite voix me dit que remettre de l'ordre dans les archives de la bibliothèque ou aider notre concierge dans ses tâches n'éveilleraient pas chez vous un grand esprit d'initiative.
- Il fera ce que vous lui demanderez, madame la directrice.
- Mais...
Hilda coupa sa protestation avant qu'il n'ait même pu la formuler d'un nouveau regard sévère.
- Oh je le sais bien, assura Hicks. Qu'on soit clair, Noah, nous ne vous offrons pas non plus un choix, ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent et il faudra bien que vous l'appreniez avant de sortir d'Ilvermorny. Mais vous avez de la chance, cela fait longtemps que j'envisage un projet pour l'école et je pense qu'il vous conviendrait parfaitement.
- Un projet ?
- Tout à fait. J'aimerais qu'Ilvermorny ait une identité visuelle plus forte et un symbole porteur de cohésion. Et c'est dans cette optique que je voulais qu'un projet artistique soit réaliser, une sorte de grande fresque sur un des murs de l'école qui la représenterait.
D'un geste plein d'amplitude, elle désigna le vide, sûrement pour représenter l'idée de cette fameuse fresque et Noah se retrouva à se pencher en avant, soudain alerte. De toutes les choses auxquelles il s'était attendu en matière de punition, l'art était sans doute tout en bas de la liste. Non, en fait l'art n'avait même pas fait partie de la liste ! L'idée même de fresque fit s'emballer son esprit et il visualisa les plus grands murs de l'école, véritable surface vierge de pierres nues et anciennes qu'il avait toujours trouvées austère. Y mettre un peu de couleurs et de style pouvaient donner quelque chose de percutant.
- Evidemment, un projet de cette ampleur serait encadré, reprit Hicks face à lui. Il faudrait soumettre le dessin de la fresque à moi-même ainsi qu'au Conseil des parents d'élèves, puis déterminer où elle serait placer dans l'école. Vous aurez des points réguliers à faire pour nous tenir au courant de son avancée et, comme nous sommes en début d'année, le but serait qu'elle puisse être terminée avant juin prochain. Ilvermorny vous fournirait en contrepartie tout le matériel nécessaire et... disons qu'un projet artistique tel que celui-ci pourrait très bien figurer dans votre dossier si vous devez postuler dans des écoles spécialisées après votre diplôme.
Noah écarquilla les yeux. La dernière phrase venait de provoquer un bond de son cœur dans sa poitrine et il se tourna vers Hilda d'instinct pour jauger sa réaction. Ce que Hicks venait de proposer à mots à peine voilée, c'était de soutenir son projet d'orientation qu'il avait dû noter quelque part dans les documents administratifs à remplir l'année passée. Non seulement elle avait dû y prêter attention, mais elle s'en était rappelé et était en train de proposer d'élaborer sa punition en conséquence. C'était inespéré. Depuis le début, tous les adultes et même ses amis comme Othilia ou son frère n'arrêtaient pas de lui répéter qu'intégrer une école d'art était une idée plus que bancale. Hilda était même la figure de proue de ce mouvement. Seul Julian semblait croire que c'était possible et voilà que Hicks le rejoignait, elle qui représentait l'autorité suprême dans cette école. Hilda la fixa d'ailleurs, interdite, clairement prise au dépourvu.
- Ecoutez, je me doute que ce projet en tant que travaux d'intérêt général doit vous paraître surprenant, se justifia la directrice. Mais je reviens sur ce que je vous ai confié tout à l'heure. Le cœur de mon métier, c'est de comprendre les élèves en face de moi. Et très clairement, vous avez réussi à faire passer vos... avis, Noah, si j'ose dire cela comme ça. Je sais très bien que ça ne servirait à rien de vous donner une sanction classique, nous n'en tirerions rien, ni vous ni moi. En revanche, mettre vos talents à contribution me semble une meilleure idée pour tous les partis impliqués. J'ai simplement besoin de votre aval, Mrs Douzebranches.
A nouveau, elle riva ses yeux sombres vers Hilda sans se départir de son calme apparent. Noah ne savait pas comment elle faisait. Lui-même sentait son cœur s'emballer un peu plus jusqu'à battre à ses tempes. Si Hilda acceptait ce projet, ça serait un premier pas vers l'école d'art. Ça serait aussi un point énorme pour son book à constituer pour le dossier d'inscription, une chance que peu de personnes pouvait se targuer d'obtenir. Pourtant, comme toujours, il n'arrivait pas à décrypter les traits de sa tante sous le masque bien en place. Elle semblait peser le pour et le contre intérieurement, mais ne laissait rien filtrer, et il attendit au bord de sa chaise, suspendu à son jugement. Puis, finalement, elle soupira.
- C'est une sanction qui aura le mérite d'être utile, reconnut-elle. Et si vous jugez que c'est la bonne, alors je ne vois aucune raison de m'y opposer, d'autant qu'Heather a aussi une part de responsabilité dans ce qui s'est passé.
Sur ces mots, elle ne s'adressait plus à Hicks, mais bien à lui. Il en ressentit une émotion particulière. Elle avait eu l'air si en colère et déçu en le voyant revenir avec l'agent Fischer qu'il avait été glacé de l'intérieur, mais maintenant que la réaction à chaud était passée, elle paraissait relativiser à plusieurs niveaux, même s'il n'arrivait pas encore à interpréter tout ce qu'il lisait dans son regard.
Hicks dû se rendre compte qu'elle était de trop car elle se râcla la gorge et conclut :
- Bien, ravie que nous soyons arrivés à cette finalité tous ensemble dans ce cas. Comme convenu, je vais vous laisser quelques instants avec votre neveu, Mrs Douzebranches. William, notre concierge, vous attendra derrière la porte pour vous raccompagner. Quant à vous, Noah, vous pourrez aller faire un tour aux stands des clubs, mais j'en profite pour vous rappeler que vous êtes toujours inscrit à celui de Duel et qu'aucune absence ne sera tolérée cette année. Je veux un dossier disciplinaire exemplaire, c'est clair ?
Il hocha la tête. De toute façon, il n'aurait pas voulu changer de club, pas alors qu'il ne lui restait qu'une seule année et que Julian y participait aussi. L'air satisfaite, la directrice se leva donc, puis contourna son bureau avant de sortir de la pièce. La véritable épreuve commençait. Affronter Hicks n'avait jamais été le plus dur, elle faisait partie d'un système éducatif aux règles prévisibles et définies... Hilda, en revanche, pouvait se révéler surprenante dans tous les sens du terme. Et le silence qui s'étirait ne lui inspirait pas confiance.
Sur les nerfs, il osa jeter un coup dans sa direction. Elle se tenait parfaitement droite sur sa chaise et le toisait avec insistance. Il comprit le message : elle ne serait pas la première à prendre la parole. C'était à lui d'assumer ses responsabilités.
- Hilda...
- Réfléchis bien aux prochains mots que tu vas prononcer, l'admonestera-t-elle. Ils risquent d'être déterminants.
Il déglutit, coupé dans son élan. Au moins, le ton était donné. Dans son esprit, les mots tourbillonnaient, indistincts, et il ne savait plus sur lesquels se concentrer. Il décida d'exprimer les plus importants.
- Je suis désolé... murmura-t-il. Je sais que je n'aurais pas dû partir comme ça, j'aurais dû te prévenir avant de le faire et pas après...
- Parce que tu crois que même après, cela suffisait ? Tu crois que j'ai arrêté de m'inquiéter juste comme ça ?
Elle claqua des doigts pour faire bonne mesure et le bruit sec lui arracha un tressaillement.
- Je me doutais bien que tu étais parti la rejoindre, Noah, mais je ne m'étais pas imaginée que vous alliez partir si loin sans m'en informer avant ! poursuivit-elle en élevant la voix. Pas alors qu'Heather est toujours sujette aux crises. Est-ce que tu as pensé à tout ce qui aurait pu mal se passer ? Un accident de voiture, une mauvaise rencontre quelque part ?
A nouveau, il voulut se murer dans le silence. Il savait que peu importe ce qu'il avait à dire, ce n'était pas ce qu'Hilda voulait entendre. Parce que la vérité, c'était qu'il n'avait pas pensé à tous les risques, non, pas au moment de partir en tout cas. Il n'y avait pensé qu'après sur le chemin de retour. La crise de sa mère l'avait ramené des années en arrière quand elle l'enfermait dans sa chambre le temps d'aller mieux, ce qui pouvait souvent prendre plus d'une heure. Elle était de toute façon incapable de se conduire normalement dans cet état et c'est ce qui avait rendu leur route du retour si chaotique. A un moment, il avait même songé à prendre lui-même le volant mais la pensée d'Hilda si on lui annonçait qu'il avait fini dans un fossé l'en avait empêché.
Bon sang, il aurait voulu une cigarette à cet instant, juste pour s'occuper les mains ; mais il n'avait pas besoin d'aggraver encore plus son cas. Hilda soupira devant son mutisme.
- Tu sais que je ne peux pas t'aider si tu ne me parles pas, n'est-ce pas ? fit-elle, l'air las. Parce que je me doute bien qu'il y a quelque chose, Noah, je ne suis pas idiote. Je refuse de croire que tu es parti seulement parce que j'ai refusé qu'Heather vienne nous voir pour ton anniversaire.
- Hum...
Il ne réussit toujours pas à saisir un mot au vol dans la tempête qui s'agitait en lui et les traits d'Hilda se crispèrent une fois encore. Elle alternait entre colère et lassitude de toute façon, ça allait faire dix ans que ça durait et il ne voyait pas pourquoi ça changerait aujourd'hui. Elle voulait l'aider ? Peut-être qu'elle ne le pouvait pas, peut-être qu'il n'en avait pas besoin. La nuance était mince.
Hilda émit un claquement de langue agacé et finit par se lever. Il crut une seconde qu'elle allait carrément partir et le laisser là, mais elle se contenta d'arpenter l'espace du bureau de Hicks, étudiant d'un œil critique les étagères couvertes de dossiers. Le sien devait se trouver parmi eux, sûrement bien épais.
- Tu sais, j'espérais qu'en étant dure avec toi, cela ferait une différence, déclara-t-elle soudain, à moitié tournée vers la fenêtre. Je le pensais vraiment.
Noah retint un rire ironique, un poids dans la poitrine. Il aurait voulu lui dire qu'il n'avait jamais eu besoin de sa dureté. Il avait toujours eu besoin de l'opposé.
- Parfois, j'ai l'impression que tu es une forte tête juste pour le plaisir ! continua-t-elle, implacable, et il n'osa pas avouer qu'elle avait en partie raison. Je ne peux rien faire contre ça, contre ton envie de défier tout et tout le monde !
- Peut-être que j'aurais été meilleur si tu ne m'avais pas toujours regardé comme quelque chose qui avait besoin d'être changé ou réparé. Comme si je n'étais pas normal dès le départ.
Les mots avaient jailli sans qu'il puisse les retenir. Confus depuis tout à l'heure, ils venaient enfin de prendre forme et il n'arriva pas à savoir qui en était le plus surpris entre lui et Hilda. En tout cas, elle se retourna vers lui, sourcil dressé et Noah déglutit. Il se cala un peu plus contre le dossier de sa chaise lorsqu'elle s'avança. Alors qu'elle retraversait l'espace qui les séparait, elle garda ses yeux braqués sur lui et il se sentit à nouveau comme un petit garçon pris en faute.
- Tu sais, je n'avais pas à te prendre chez moi. Rien ne m'y obligeait.
Elle asséna cette vérité d'une voix neutre, presque factuelle. Seulement, pendant un battement de cœur intense et horrible Noah crut qu'elle n'allait rien ajouter et simplement en rester à cette affirmation. Ou pire, elle allait lui dire qu'elle regrettait de l'avoir recueilli. C'étaient ses pires doutes qui se confirmaient et le poids qui tomba dans sa poitrine fut plus lourd que jamais.
- Je l'ai fait, reprit-elle malgré tout en détachant bien chaque syllabe, parce que je voulais que tu ais une chance dans la vie. Une chance d'être la meilleure version de toi-même, une chance que tes parents ne t'avaient pas donné.
D'un geste souple, elle vint se rassoir en face de lui et rapprocha sa chaise pour être à sa hauteur. Il n'osa pas l'interrompre.
- Petit, ça te mettait tellement en colère, Noah... Je le voyais chaque jour dès que je te gardais, c'était une colère que Raphaël n'avait pas et encore aujourd'hui je ne peux pas expliquer pourquoi. (Elle secoua la tête, soupirante). Alors oui, tu avais besoin de changer, d'être réparé si tu veux utiliser ce mot. Mais si je l'ai fait, ça a toujours été pour toi.
- J'avais juste besoin d'être aimé, répliqua-t-il, s'étouffant à moitié sur ses mots.
A nouveau, les mots avaient chuté de ses lèvres, comme s'ils se jetaient dans le vide. Peut-être que c'était un peu le cas, mais il aurait voulu les ravaler à peine prononcé. Il détestait demander des choses aux autres, il avait toujours détesté cela. Leur amour plus que tout. Et c'était paradoxal car il supposait que chacun de ses actes était une façon pour lui d'attirer l'attention - pas besoin d'être psychomage pour s'en rendre compte - mais l'exprimer à voix haute se rattachait à une autre dimension, bien plus concrète et vulnérable.
Penchée en avant, Hilda émit un souffle moqueur, le regard toujours rivé droit sur lui.
- Et je suppose que tu penses que je ne t'ai pas aimé ? dit-elle d'une voix sans timbre. C'est ça ?
- Tu n'as jamais apprécié qui j'étais en tout cas, affirma-t-il.
Cette nuance là aussi était importante : ça aurait été injuste de sa part de dire qu'elle ne l'avait jamais aimé. Il aurait même eu tort de le soutenir et il n'était pas assez en colère pour franchir ce pas. Mais elle n'avait jamais cherché à le connaître, à savoir ce qu'il aimait, ou ce dont il avait besoin. Quand il avait eu besoin que quelqu'un le prenne dans ses bras pour le rassurer après le départ de sa mère, elle était restée à distance. Lorsqu'il avait eu besoin que quelqu'un lui dise qu'il avait le droit de commettre des erreurs et d'en tirer des leçons, elle l'avait ignoré avec condescendance. Et maintenant, alors qu'il avait besoin de quelqu'un pour tolérer qui il aimait, pour l'accepter comme il était, il savait qu'elle le jugerait. Elle l'avait jugé pour l'art, pour s'accrocher à sa mère, pour ses difficultés scolaires et elle le jugerait pour Julian.
- Alors c'est pour ça que tu es parti... Le 4 juillet ? voulut-elle savoir, le visage indéchiffrable. C'est parce que tu crois que je ne t'aime pas assez ?
Il se contenta d'hocher la tête imperceptiblement. C'était trop réducteur, mais il se sentait incapable d'expliquer la complexité de sa décision. Après tout, si sa propre mère l'aimait autant qu'elle l'avait affirmé et avait pu partir quand même ; qu'est-ce qui retenait Hilda ? Peut-être que la distance entre eux venait de là : il ne s'était jamais laissé aimer non plus par peur de revivre la même chose. Car si Hilda l'abandonnait, il n'était pas sûr de s'en relever cette fois-ci.
- Oh Noah... souffla-t-elle. Je ne pensais même pas que j'avais besoin de le dire. Tu crois que je m'inquiéterai autant pour toi si je ne t'aimais pas, hum ? Tu crois que je n'aurais pas consacré des années de ma vie à t'élever si ce n'était pas le cas ?
- T'étais obligée...
- Obligée ? Tu crois ça ? Tu crois que quelque chose m'a obligé à tout laisser tomber à la minute où j'ai appris qu'Heather avait accouché ? Tu crois que je me suis sentie obligée de fêter ton anniversaire et de passer Noël avec toi et ton frère ? De vous offrir ma porte sans même hésiter ?
- Mais le juge...
Elle le coupa avant même qu'il n'ait pu former une phrase.
- Non, Noah. Le juge m'a donné votre garde quand tu avais douze ans. En ce qui me concerne, je l'avais bien avant et c'est pour cela que je lui ai demandé moi-même de me la donner.
- Quoi... ? murmura-t-il.
Hilda lui jeta une œillade entre amusement et condescendance.
- Allons, qu'est-ce que tu t'étais imaginé ? Les choix de tuteurs légaux n'étaient pas infinis si votre mère n'était pas apte. Votre père ? Qu'on m'enterre avant qu'il se conduise en homme ! Tes grands-parents ? C'était hors de question, ils n'avaient déjà pas réussi à aider ma sœur, je refusais qu'ils interfèrent avec votre éducation. Crois-moi, ça n'a jamais été un choix pour moi, c'était une évidence.
Elle tenta de rendre son ton plus doux sur le dernier mot, mais ça ne suffit pas à faire reculer totalement ses peurs. Elle dû le lire sur son visage car elle reprit, toujours avec cette même voix assurée.
- J'ai conscience que les choses ont pu être tendu entre nous, d'accord ? Je ne le nie pas. Mon cadre et mes idées correspondent plus à Raphaël qu'à toi, mais je reste persuadée que ça ne te ferait pas de mal que les valeurs que je tente de faire rentrer dans ton crâne finissent par prendre racine. Avoir la tête sur les épaules, travailler, choisir une voie stable, ne dépendre de personne. C'est grâce à ça que j'ai avancé dans ma vie, tu sais. Mes parents voulaient me marier et faire de moi une jeune femme respectable en voyant qu'Heather en serait certainement incapable. J'ai toujours refusé, j'ai ouvert et fait prospérer mon café par moi-même. C'est comme ça que j'ai bâti ma vie !
Tête haute, elle l'affirma avec fierté et Noah esquissa un sourire, sans doute le premier depuis qu'il était entré dans ce bureau. A bien des égards, Hilda était la femme la plus forte qu'il connaissait et il était fier d'elle pour ça. Pourtant, un grain de sable venait toujours enrailler la roue de ses doutes.
- Mais est-ce qu'on n'a pas gâché ça pour toi ? protesta-t-il en enfonçant ses ongles dans la paume de sa main, le cœur affolé. Tu voulais être indépendante, tu ne voulais pas d'enfant, tu voulais pas être cette femme-là ! Sauf qu'on débarque sur le pas de ta porte et tu te retrouves enfermé dans ce rôle de mère dont tu voulais pas.
En écho, il réentendit la voix d'Heather, hystérique sur le bord d'une route. « Je n'ai jamais voulu être mère... ». Tout à l'opposé, Hilda ne tressaillit même pas et répondit avec une sérénité qu'il lui avait rarement vu :
- Ecoute-moi bien Noah et entends même bien ce que je vais te dire car je ne le répéterai pas, exigea-t-elle. Je ne t'ai peut-être pas porté moi-même pendant neuf mois, mais je n'ai jamais cessé de le faire à partir du moment où on t'a posé dans mes bras. Et s'il faut que je continue à te porter jusqu'à ma mort, je le ferai sans hésitation ni regrets. Il n'y a pas un jour où je ne t'ai pas voulu auprès de moi, même ceux où mes mots ont pu être durs. Et... et je suis désolée de ne pas être ta mère, ni de pouvoir... la remplacer. Ce n'était pas facile non plus pour moi de trouver ma place auprès de vous. Je ne voulais pas... usurper le rôle de ma sœur, ni la remplacer, mais je ne pouvais pas vous laisser livrer à vous-mêmes. Je vous aimais trop pour ça.
Sa voix manqua de flancher à cet instant, mais elle inspira profondément avant de poursuivre, les yeux brillants.
- J'ai fait tout ce que j'ai pu... ce n'était peut-être pas assez, mais je jure que j'ai fait tout ce que j'ai pu.
Les derniers mots s'éteignirent dans un souffle et Noah ne se souvint d'aucun moment où Hilda avait montré plus d'émotions. Pour une femme qui se targuait d'être toujours directe et professionnelle, ce rare élan de franchise et de vulnérabilité était inédit. Il sentit sa poitrine se comprimer en réponse. Chaque phrase était venue se loger en lui et répandait une sensation de chaleur liée à des souvenirs d'enfance qui remontaient, prégnants et si importants. Pour la première fois depuis des semaines, il se sentit aimé inconditionnellement. C'était vertigineux. Un frisson le parcourut et Hilda ne devait pas être la seule à avoir les yeux brillants mais, l'un comme l'autre, ils se détournèrent plusieurs secondes pour reprendre constance. Il avait l'impression qu'un poids venait de se lever de ses épaules, un poids qu'il n'avait pas eu conscience de porter et chaque mot qu'Hilda venait de prononcer se gravèrent en lettres de feu dans son esprit.
- Bien... reprit sa tante en se râclant la gorge. Est-ce que j'ai répondu à tes questions ?
C'était un bel euphémisme pour désigner le fait qu'ils avaient plus parlé en quinze minutes qu'en dix ans, mais il saisit au vol cette porte de sortie avec reconnaissance.
- Oui... c'est bon. Et encore désolé.
- J'espère bien. Mais ne t'inquiète pas, je penses que nous avons assez évoqué cette affaire, décréta-t-elle.
Le soulagement l'envahit. Il voulut donc pousser un peu le vice.
- Merci... souffla-t-il. Merci, « Tatie 'Da ».
- Oh n'abuse pas !
Il lui fit un sourire ironique et elle roula des yeux, à nouveau assise contre le dossier de son siège pour remettre de la distance entre eux. Il eut alors une prise de conscience. Hilda était une femme qu'il admirait, même s'il avait tendance à l'oublier. Elle était forte, droite, fidèle à ses convictions. Peut-être un peu trop parfois, ce qui gangrénait leur relation, mais elle avait son honneur pour elle. Et peut-être qu'elle avait une sorte de pudeur et avait du mal à exprimer ses sentiments, particulièrement quand ça concernait sa propre famille, seulement il commençait à comprendre que ça aussi ça faisait partie de sa philosophie : Hilda était une femme d'acte, elle préférait agir que proférer de grands discours comme sa mère et elle l'avait prouvé mainte et mainte fois en restant avec et auprès de lui. Tout cela avait contribué à la fracture entre eux, mais aussi à les souder paradoxalement car ils se rejoignaient malgré tout sur plusieurs pans de leur personnalité. Noah n'était pas idiot : sa forte tête, son sarcasme, sa personnalité que certains qualifiaient de percutantes, il les tenait aussi d'Hilda. Il n'avait pas été élevé par n'importe qui, et certainement moins par sa mère qui prenait la fuite à la moindre occasion. Ou peut-être que c'était faux... En réalité, et à bien y regarder, il était sans douce le produit des deux femmes qui l'avaient élevé.
Plongé dans ses pensées, il dut garder le silence trop longtemps car Hilda se râcla finalement la gorge et reprit :
- En parlant de ton mot d'anniversaire, tu es donc parti trop vite le 4 juillet mais tiens, fit-elle d'un air volontaire. C'était pour toi, si tu avais pris la peine de réfléchir deux minutes.
Elle plongea la main dans son sac à main, posé à ses pieds, avant de lui tendre un paquet soigneusement emballé. Son ton et ses gestes secs étaient de retour, mais il ne s'en formalisa pas, trop surpris.
- C'est pour moi ? s'étonna-t-il.
- Oui, c'est ce qu'on appelle un cadeau d'anniversaire. C'est ce que les garçons bien élevés qui ne fuguent pas sont censés recevoir le jour J.
Le sarcasme lui arracha un rictus contrit. Hilda était visiblement redevenue elle-même. Avec intérêt, il étudia le paquet rectangulaire, tentant de deviner ce qu'il pouvait bien contenir. Elle l'observa faire sans commenter, bras croisés, et il finit par déchirer le papier. Sous celui-ci, il découvrit un épais volume à la couverture rigide. Un motif familier s'y étalait : une étendu d'eau recouverte de fleurs et surmontée d'un pont suspendu. Les Nymphéas de Monet. Le titre du livre était inscrit en lettres d'or juste au-dessus. Histoire de l'art : de la renaissance à l'époque moderne.
- C'est un livre Non-Maj', précisa-t-elle de mauvaise grâce. Il n'existe pas d'équivalent chez nous et je me suis dis que même si les images ne bougeaient pas, il serait sûrement intéressant.
Pris au dépourvu, il l'ouvrit pour faire défiler les pages. Elle ne mentait pas, il était bien de facture Non-Maj' et il passa la main le long des images immobiles. Il n'arrivait pas à croire qu'Hilda ait fait l'effort d'aller trouver un cadeau pareil. Il avait toujours préféré la pratique à la théorie et ce genre d'ouvrages aurait sûrement été plus l'apanage de Julian, mais il y voyait une sorte de main tendue : ce cadeau alliait le sens pratique d'Hilda et son goût pour l'art. Il leur correspondait bien. Etrangement ému, il continua à fixer l'ouvrage en essayant de faire abstraction du regard d'Hilda qui jaugeait ses réactions.
- Il est génial, articula-t-il finalement. Merci beaucoup.
- De rien. Et joyeux anniversaire... Dix-huit ans, ça se marque, non ?
Il sourit faiblement.
- Ouais, je suppose. On l'aura bien marqué en tout cas, pas vrai ?
- Ah ça, je ne te le fais pas dire !
Son faux air revêche ne le trompa pas. Alors, avant de se dire que c'était une mauvaise idée, il amorça un geste pour se lever à demi et vint déposer un baiser léger sur la joue d'Hilda. C'était une façon de dépasser les mots, de la remercier pour tout ce qu'elle avait fait et ce qu'elle continuerait à faire. Il espérait en tout cas qu'elle le comprendrait ainsi. Prise au dépourvu, Hilda cilla mais ne protesta pas. Elle se contenta de poser un nouveau regard sur lui, plus apaisé. Pour la première fois depuis longtemps, il ne se sentit pas en décalage en sa présence.
**
*
Othilia se sentait en décalage avec la bonne humeur générale qui habitait le hall d'Ilvermorny. Tous les élèves passaient de stand en stand pour choisir un club et elle avait perdu Théa dans la foule. De loin, elle arrivait à distinguer les cheveux roux d'Aileen, sûrement avec Liam et Maria Gonzales à tenir le stand du journal de l'école même si elle ne les voyait pas par-dessus la tête des autres. La foule était dense en plein cœur de la matinée et elle joua des coudes pour atteindre les escaliers.
- Eh Wilde ! héla-t-elle brusquement en avisant la stature imposante de son camarade.
Posté près de la statue des Womatou, Wilde Wilkinson tourna sur lui-même, cherchant la voix qui venait d'appeler son prénom et elle fit un grand geste du bras pour être repérée.
- Ah Fontaine ! Désolé, je t'avais pas vu. (Il avança vers elle bon gré mal gré). C'est dingue, cette année ! On recrute à tout va pour l'équipe de Quodpot.
- C'est vrai ? Trop bien pour vous ! se réjouit-elle, distraite, avant de se pencher vers lui pour être entendue. Ecoute, toi qui est grand, t'as vu Noah arriver ? J'ai entendu des gens dire qu'il était revenu.
Wilde écarquilla les yeux.
- Oh t'as loupé son retour triomphal ?
- Son retour... ? Donc il est bien revenu ?
- Ouais, y'a une demi-heure environ je dirais. Il était avec sa tante et un Auror. Je crois qu'ils sont partis avec la directrice.
Elle retint une exclamation de victoire. Elle avait bien fait de demander à Wilde, sa grande taille lui permettait de tout voir. Impatiente, elle commença à monter les escaliers.
- Merci Wilde ! lança-t-elle par-dessus son épaule. A plus tard.
- Euh ouais... de rien !
Le bureau de la directrice, elle aurait dû y penser elle-même, mais au moins elle en avait la confirmation maintenant. Et elle allait pouvoir passer le savon de sa vie à Noah Douzebranches pour l'avoir laissé sans nouvelle tout l'été ! Elle ne devait d'ailleurs pas être la seule à vouloir le faire, mais qu'importe. Peut-être qu'il finirait par comprendre que ses actes avaient des conséquences sur les personnes autour de lui. Surtout, elle était curieuse de le revoir après tout ce temps et d'apprendre ce qui s'était passée, même si une boule de nervosité commençait à se loger dans son ventre. D'un pas déterminé pour éviter de trop réfléchir, elle s'engouffra dans l'aile réservée à la direction et s'avança jusqu'au bureau d'Hicks.
Elle n'était plus qu'à quelques mètres quand la porte s'ouvrit, révélant Hilda Douzebranches qui en sortait. Othilia pila net. Vêtue d'une cape élégante et ses boucles bien coiffées derrière sa nuque, la tante de Noah plissa les yeux en l'apercevant.
- Bonjour, Mrs Douzebranches... marmonna-t-elle.
Elle tenta de s'éclaircir la gorge immédiatement, les joues rouges. Même le passage du temps ne lui avait pas permis de se détendre en présence de cette femme si impressionnante et elle se doutait qu'elle devait avoir l'air un peu cruche à chaque fois. Hilda eut toutefois assez de tact pour ne pas le relever aujourd'hui.
- Miss Fontaine, salua-t-elle. Vous venez voir mon neveu, je suppose ?
- Oui... Il va bien ?
- On peut dire ça. Disons que nous avons eu une explication sur son comportement.
- Ah...
Sa nervosité redoubla. C'était donc quitte ou double, elle pouvait trouver une version très différente de Noah dans ce bureau selon la direction que « l'explication » avait prise. Hilda parut capter son hésitation car elle inclina la tête d'un geste de reconnaissance.
- Vous pouvez aller le voir, tout va bien. Pour ma part, nous passons à autre chose, même s'il devra mener à bien ses travaux d'intérêt général cette année auprès de l'école bien sûr.
Othilia fronça les sourcils. Ainsi, Noah avait écopé de travaux d'intérêt général. Ce n'était pas une punition habituelle, mais il s'en tirait sûrement bien. Gênée, elle se contenta donc d'hocher la tête en guise d'assentiment, soudain privée d'inspiration quant à savoir quoi dire à la tante Hilda. Cette dernière n'avait de toute façon visiblement aucun envie de s'attarder et réaffermit sa prise sur son sac à main.
- Bien, je vais donc rentrer, il faut que je rouvre mon café pour midi. Bonne journée, miss Fontaine.
- Merci... à vous aussi.
Elle s'effaça contre le mur pour la laisser passer. Hilda fit quelques pas, menton dressé fièrement, mais s'arrêta à peine l'eut-elle dépassée. Othilia resta à la contempler, perplexe, alors que le temps d'arrêt d'Hilda se prolongeait, comme si elle hésitait ou débattait avec elle-même. Puis, sans prévenir, elle revint en arrière.
- Attendez miss Fontaine. Vous auriez une seconde ?
- Euh oui...
La boule de nervosité, qui s'était pourtant calmée, reprit de l'ampleur. Hilda et Noah n'étaient pas de la même famille pour rien et elle ne savait jamais à quoi s'attendre avec cette vieille tante parfois un peu franche et revêche pour son propre bien. Elle se prépara à encaisser une énième remarque désobligeante.
- Je ne vous retiendrai pas longtemps, n'ayez crainte, assura Hilda d'un air pincé. Je voulais simplement... m'excuser, je suppose. Oui, c'est cela, m'excuser.
Othilia resta immobile, perplexe.
- Vraiment ? lâcha-t-elle sans réussir à cacher toute la surprise qui filtra dans sa voix.
- Et oui, confirma Hilda, presque ironique. Je dois reconnaître que je vous avais... mal jugée. On m'a fait comprendre aujourd'hui que ma façon de communiquer pouvait être un peu froide, je suppose, et j'aimerais que vous sachiez que je n'ai rien contre vous.
- Mais ça n'a pas toujours été le cas, c'est ça ?
Honnêtement, elle ne savait pas d'où lui venait son audace. Hilda s'excusait déjà, c'était bien suffisant, mais elle voulait aussi comprendre d'où était venu cette froideur initiale.
- Non, c'est vrai. Pour tout avouer, j'ai toujours eu cette sensation que... vous vous pensiez mieux que Noah, je pense. C'est ce qui m'a rendu méfiante. Je m'inquiétais aussi de ce que Noah pouvait être amené à faire si on l'emportait dans une certaine direction...
- Une certaine direction ? répéta-t-elle, perplexe. C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire, miss Fontaine, qu'il peut être parfois un peu trop comme sa mère. Ça n'aurait pas été hors caractère pour lui de tout envoyer valser par amour. Avant d'apprendre la vérité, j'ai même cru qu'il avait fugué avec vous. Il en aurait été capable. (Hilda secoua la tête en soupirant). Tout cela a fait que votre relation m'a peut-être un peu trop inquiété dès le départ.
Interdite, Othilia dévisagea cette femme rigide qui lui parut soudain plus humaine. Ce fut comme si une lumière venait d'être jetée sur les deux dernières années, éclairante et frappante. Rationnellement, ça se tenait. Noah aurait bien été capable sur le papier de vriller par amour, d'être capable de toutes les frasques. Quant à savoir si elle s'était déjà crue « meilleur que lui » dans un sens hautain... Elle avait honte de l'avouer, mais elle voyait aussi d'où Hilda avait pu tirer ce sentiment. Il y a encore quelques minutes, elle venait ici dans le but de faire la morale à Noah. Elle n'avait jamais non plus rappeler Théa à l'ordre quand sa meilleure amie affirmait qu'elle était trop bien pour un garçon comme Noah. Toutefois, elle se garda bien de le dire à Hilda. Au lieu de ça, un autre démenti lui monta aux lèvres, aussi lourd que du plomb :
- Je comprends en partie, oui... et je suis désolée de vous avoir inquiétée, Mrs Douzebranches, mais je crois que vous n'avez pas à le faire. Si Noah envoie tout valser pour quelqu'un comme vous dites, je doute que ça sera pour moi...
C'était une vérité sans doute douloureuse, mais une vérité malgré tout. Sa fugue de juillet le prouvait : elle n'avait rien eu à voir dedans, tout avait tourné autour de sa mère si elle en croyait ce qu'elle avait appris au cours de l'été. Et même si Noah tenait à elle, il ne lui avait jamais donné l'impression qu'il enverrait un jour tout valser pour elle, ce qui lui allait plutôt bien. Ça aurait été une responsabilité et une pression trop importante. Non vraiment, elle s'en portait bien mieux.
- Bien, me voilà donc rassurée, finit par en conclure Hilda, une expression étrange sur le visage. Dans ce cas, je suis ravie que nous ayons pu enfin échanger ensemble...
- Oui, moi aussi...
- Parfait. Alors bonne journée, miss Fontaine.
Et à la pure manière d'Hilda Douzebranches, elle s'éloigna enfin avec un dernier mouvement de tête bref et sec en guise d'aurevoir. Othilia la regarda partir jusqu'à ce que le bruit de ses talons sur les dalles de pierres s'évanouissent. Il n'y avait pas à douter : cette femme était bien ce qu'on appelait une grande dame.
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Verdict ? ^^ (Perri dit qu'elle aime le chapitre et que vous avez intérêt à l'aimer aussi haha sinon elle vous jette dans le Lac Noir)
Je tenais vraiment à mettre Hilda en avant lors de ce point final à la fugue de Noah. Il avait besoin de l'entendre et il a fallu arriver à cette extrémité pour que Hilda arrive elle aussi à parler à son neveu. Toute cette famille est dysfonctionnelle, tous les membres ont sont donc marqué... Que ça soit Heather, Noah ou Hilda, et ces derniers chapitres étaient là pour le montrer.
Pareil, la dernière scène était courte mais me semblait essentielle en peu de mots pour comprendre la dynamique Othilia-Hilda : Othilia s'est toujours vue comme "mieux" que Noah, ce qu'Hilda avait du mal à supporter au-delà de sa peur de voir Noah partir en vrille, et surtout Othilia ne se sent pas prête à être l'objet de cette intensité.
Donc voilà ! Et puis évidemment le projet de fresque était tout indiqué pour Noah, il reviendra tout au long du tome !
Voilà voilà ! Bisous et à dans deux semaines everybody :) Bon courage pour le bac à ceux.lles qui ont des épreuves.
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