Chapitre 29 : Confrontation avec Marie-Agnès
Ewen eut encore une fois toutes les difficultés du monde à respecter le code de la route tellement il était impatient d'en découvrir davantage à propos de leur enquête. C'est Maggie qui le rappelait constamment à l'ordre, amusée par l'engouement de son collègue.
Après un temps relativement court, mais qui leur parut interminable, les deux détectives arrivèrent enfin devant la maison à colombage appartenant à Marie-Agnès du Moulins. Ils bondirent hors de leur véhicule et traversèrent l'allée au pas de course avant de frapper à la porte.
C'est la même femme qui avait ouvert la porte à Felipe quelques heures plus tôt qui vint leur ouvrir à leur tour. Elle se présenta à eux. Il s'agissait bien d'Eva, l'employée de maison. La femme à la chevelure teintée de bordeaux conduisit les détectives auprès de Marie-Agnès. La vieille femme faisait du crochet, confortablement installée dans son fauteuil.
Après qu'elle eut congédié Eva, qui rentra donc chez elle, Ewen et Maggie furent invités à se rasseoir dans le sofa. La froideur de leur salutation n'avait pas échappé à l'attentive Marie-Agnès. À peine étaient-ils assis qu'elle mit les pieds dans le plat :
« —Laissez-moi deviner, vous avez eu vent du passage d'Isabel à la clinique Sainte-Julienne, c'est ça ? »
Alors là, les détectives n'en revenaient pas. C'était encore une fois absolument inespéré. Pourtant, ils étaient en colère après la vieille femme. En colère qu'elle ne leur ait rien dit les deux fois où ils étaient venus lui rendre visite.
« —Pourquoi nous l'avoir caché ? se maîtrisa Ewen pour ne pas hurler sur la femme diminuée qui se tenait face à eux.
—Parce que vous ne me l'avez pas demandé. Et je n'allais pas bêtement devenir une suspecte alors que, je peux vous le promettre sur les prunelles de mon petit-fils adoré, je suis absolument innocente dans cette affaire. Ma seule culpabilité est de ne pas avoir cru Isabel à l'époque. Et d'avoir voulu à tout prix protéger ma famille.
—Maintenant vous nous devez des explications, exigea Maggie avec douceur et fermeté. »
Marie-Agnès ferma les yeux, prit une grande inspiration, et se lança :
« —Comme j'ai déjà pu vous le dire, j'adorais Isabel. C'était une jeune femme avec des valeurs qui se faisaient déjà rares dans les années 2000. Un amour pour le religion absolument ancré dans ses valeurs personnelles et son comportement. Et elle était si gentille, si douce.
« Pourtant, je l'ai sentie changer au fur et à mesure des semaines et des mois qui passaient. J'avais bien compris qu'elle ne se plaisait pas en France et qu'elle souhaitait par-dessus tout rentrer en Espagne, notamment pour y retrouver son grand amour, Felipe. J'avais aussi l'impression qu'elle changeait. Que ses valeurs, si chères à mes yeux, évoluaient de manière absolument négative.
« Isabel était de moins en moins patiente, de moins en moins agréable, et de plus en plus craintive et agressive. Je l'ai aussi vue délaisser sa religion. À l'époque, j'avais imaginé qu'elle en voulait au Tout Puissant de lui faire mener cette vie-là. J'essayais donc de la maintenir dans le droit-chemin. J'ai usé de beaucoup de patience pour retrouver notre Isabel telle qu'on l'avait connue à son arrivée : pure et innocente.
« Jusqu'au jour où ça a été la goutte de trop. Un matin, Isabel est arrivée chez moi avec beaucoup de retard. C'était inhabituel, même après son changement de comportement. Toute ma vie je me rappellerais ce matin de décembre, où elle est arrivée avec un visage... Mon Dieu, quel visage... Si l'effroi avait un visage, il aurait eu le sien. »
Marie-Agnès marqua une pause silencieuse tandis qu'une larme roulait sur sa joue ridée. Puis, après avoir pris une grande inspiration, elle poursuivit son récit :
« —Ce matin-là, elle est venue m'annoncer qu'elle était enceinte. Et je l'ai mal pris, très mal pris. Je m'étais beaucoup trop projetée dans cette jeune femme, je n'étais plus objective du tout. J'ai été affolée par la chose. Je n'ai rien voulu savoir, il fallait qu'elle avorte et qu'elle garde le secret. Qu'elle fasse croire à Felipe, lorsqu'elle le retrouverait, qu'elle n'avait connu aucun autre homme que lui.
« J'ai tout de suite fait le lien avec son changement de comportement et d'attitude. Pour moi, elle s'éloignait des valeurs chrétiennes car elle avait rencontré un homme avec qui elle était allée plus loin que de raison. En plus, elle était issue d'une famille dans laquelle on ne parlait pas de sexe. Jeune, docile et influençable, je me suis dit que ce garçon l'avait manipulée pour qu'ils ne se protègent pas. Et la voilà avec un polichinelle dans le tiroir.
« J'ai donc pris rendez-vous pour elle dans la clinique que je fréquentais afin qu'elle puisse se faire avorter en toute discrétion. Elle ne s'est pas élevée contre moi et a accepté son sort. Si vous saviez à quel point je me considère comme un monstre depuis tout ce temps... Mais nous ne sommes pas là pour nous lamenter sur mon sort. De toute façon j'espère être bientôt libérée de tout ce fardeau. Il serait temps, j'ai donné tout ce que j'avais à donner ici, maintenant je suis prête à m'envoler pour d'autres aventures. »
La simplicité et le courage avec lesquels Marie-Agnès parlait de sa mort serrait d'émotion la gorge des deux détectives. Loin de ces considérations, la vieille femme poursuivait :
« —Si j'avais eu une boule de cristal et que j'avais pu prédire la mort d'Isabel et toute l'enquête qu'il y aurait, j'aurais pris davantage de précautions et l'aurais inscrite dans un établissement que je ne fréquente pas. Je ne suis pas assez bête pour me rendre suspecte toute seule.
« Les rendez-vous s'enchaînent rapidement et, ironie du sort, son avortement a lieu le même jour que mon opération. Nous sommes entrées en même temps dans cette clinique. Mais elle est ressortie bien avant moi. Elle a dû être libérée en début d'après-midi, tandis que je ne l'ai été qu'en début de soirée. La suite, vous la connaissez déjà. »
Un silence s'empara de la pièce. Marie-Agnès attendait une réaction des détectives qui étaient encore en train d'assimiler toutes les informations qui leur avaient été données durant cette interminable journée.
C'est finalement Maggie qui posa la première question :
« —L'avez-vous croisée pendant cette journée du 21 décembre 2000 ?
—Comme je viens de vous le dire, nous sommes arrivées à la clinique en même temps. C'est la dernière fois où je l'ai vue. Nous n'étions pas dans le même service, nous n'avons pas pu nous croiser pendant nos interventions respectives.
—J'ai une autre question pour vous. Et j'espère sincèrement que vous pourrez y répondre. »
Maggie n'eut pas besoin de poser sa question que Marie-Agnès y répondait déjà :
« —Non Mademoiselle Annisterre, je suis désolée, mais non. Elle ne m'en a jamais parlé et, j'ai eu beau chercher pendant toutes ces années, je n'ai jamais réussi à trouver qui aurait pu être le géniteur de ce bébé.
—Absolument aucun nom ?
—Ce serait mentir que de vous dire oui. Bien sûr, j'ai tout de suite pensé à mon frère Thierry. Je pense que c'est aussi la raison pour laquelle j'ai réagi de cette manière à ce moment-là et en gardant le silence pendant tout ce temps. Parce qu'au fond, je savais qu'il avait perdu l'esprit et qu'il était passé à l'acte. J'étais dans le déni. Je ne voulais pas voir qu'il y avait un monstre dans ma famille, mon propre frère qui plus est. »
Marie-Agnès pleura avec beaucoup de retenue. Lorsqu'elle se fut un peu calmée, Maggie poursuivit son interrogatoire :
« —Est-ce que quelqu'un d'autre que vous pourrait être susceptible d'obtenir cette information ? Felipe par exemple ? Il n'est pas venu vous rendre visite à ce propos aujourd'hui ?
—Il vous a dit qu'il venait me voir ?
—Nous l'avons suivi.
—Vous êtes effroyablement efficaces. Malheureusement, non. Felipe n'est pas venu me voir pour ça aujourd'hui. Il est venu mener sa propre enquête, avec un train de retard par rapport à vous. Je n'ai rien laissé paraître concernant cette tragique histoire. Ce n'est pas à lui de découvrir ces choses. Il est aveuglé par la tristesse et la haine après avoir passé sa vie à espérer le retour de son aimée. Il n'avait pas à savoir ce genre de... d'informations.
—C'était la première fois qu'il vous contactait ?
—Non. Il est déjà venu ici il y a environ 17 ans. Mais il était beaucoup plus calme et posé. Il avait encore de l'espoir. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pauvre homme... »
Ewen et Maggie ne tirèrent rien de plus de la vieille femme. Ils venaient d'obtenir une montagne d'informations. Il fallait à présent qu'ils fassent le tri.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro