PROLOGUE
La vie. Puis le néant. Ce moment où de la réalité, nous passons dans un autre monde, indescriptible, intouchable, merveilleux. Je me souvins de cette chaude journée d'été où, la peau moite, mon père m'avait pourchassé le long de la plage. Mes pieds frappaient parfois l'eau, tantôt le sable, dans des éclats de rire incontrôlables. Mon cœur, gonflé par tant de bonheur, battait au rythme de mes pas endiablés. La brise marine soufflait dans mes cheveux, comme pour m'encourager, tandis que l'odeur du sel embaumait mes narines.
— Je t'ai eu.
Me soulevant facilement, celui qui m'avait vu grandir me révéla au soleil, éclatant, qui parcourait ma peau. Seulement là, je pu reprendre mon souffle, mais trop tard. Me prenant dans ses bras, ses deux grandes mains qui m'avaient si souvent bercée, me chatouillèrent. Riant de plus bel, étouffant dans mon propre fou rire, les joues douloureuses et le ventre contracté, je tentai tant bien que mal de le supplier d'arrêter. Lorsqu'enfin, épuisé, mon père me déposa, je me laissai tomber dans le sable, où ses grands pieds d'adulte s'enfonçaient.
— Tu abuses de ta force, ce n'est pas juste pour elle, fit ma mère, qui arrivait tout juste.
Ses cheveux étaient retenus par un bandana fleuri, et ses yeux bruns rieurs me scrutaient. Elle me fit signe de la rejoindre, je décidai donc de me lever sans faire de grabuge. Le reste de l'après-midi avait été parfaite. Ce souvenir, j'avais du mal à m'en défaire. Était-il trop heureux pour que je puisse, un jour, le jeter dans les méandres de ma mémoire ? Quelque chose de disparu, cesse-t-il seulement d'exister ? Les caresses de ma mère, les blagues de mon père, l'océan, les remous, les grains de sable s'effritant entre mes doigts...
Je repensai à tout ça, alors que le sommeil était à deux doigts de me happer. La vie. Puis le néant. J'avais souvent cru que je mourrais lorsque je m'endormais. Mais c'était faux. Dormir... c'était vivre, mais autrement. Je me rappelais une nuit sans rêve, sans rien, juste un long sommeil réparateur, un samedi soir. Puis, soudain, un bruit sourd. Comme un coup frappé à une porte... ou simplement, un battement de cœur. J'ouvris les yeux.
J'étais toujours dans mon lit mais, les paupières grandes ouvertes, il m'était impossible de regagner le sommeil. Quelque chose n'allait pas. Une sensation étrange m'envahissait. Une petite voix dans ma tête demandait à ce que je la rassure. Toujours allongée, je constatai qu'il faisait nuit. Tendant l'oreille, plus aucun bruit ne venait perturber la tranquillité ambiante. Alors, qu'est-ce qui n'allait pas ? Me redressant lentement, toute fatigue s'évapora de mon corps. La langueur qui m'habitait n'était plus, j'avais juste cette sensation de... ne plus être seule.
Mon regard trouble se balada dans la chambre que je connaissais si bien, pour avoir été la mienne pendant plusieurs années. Les ombres se dessinaient progressivement, je ne discernai presque rien. Les meubles semblaient à leur place, tout allait bien. Cependant, quelque chose m'alerta. Quelles étaient ces deux pupilles, suspendues dans la pièce, à quelques centimètres l'une de l'autres ? Mon cœur commença à tambouriner dans ma poitrine. Soudain, les nuages recouvrant la lune s'écartèrent, me laissant apercevoir la chose avec plus de netteté.
Longue, brumeuse, longiligne... et deux points blancs en guise d'yeux. Et des doigts... minces, griffus, qui pendaient le long de ce qu'il semblait être une forme... humaine ? Je poussai un cri à m'en déchirer les tympans, terrifiée, tout en fermant les paupières, aussi fortement que je le pouvais. Rapidement, j'entendis des pas dans la maison, la lumière de ma chambre s'alluma. Pétrifiée, je laissai ma mère m'enlacer. Elle me caressa tendrement le dos.
— Il... il est... re... revenu....
— Mais non, ma chérie... ce n'était qu'un cauchemar.
Lentement, j'ouvris les yeux. Mon père se tenait sur le palier de ma porte ouverte. Je fondis en larmes, constatant qu'ils ne me croyaient pas. Levant le bras, je pointai du doigt une zone d'ombre. Derrière la porte, la même silhouette s'était réfugiée. Son corps brumeux s'étendait insidieusement le long du mur. Et, je ne pouvais ignorer les deux diamants qu'elle projetait sur moi. Ce jour-là, j'étais âgée de sept ans. Et même dix ans après, je me souvenais avec précision de ces deux pupilles, que je n'avais plus jamais aperçu après cet incident... pourtant, la terreur était toujours la même, comme si, même avec le temps, elle n'avait jamais ternie.
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