CHAPITRE 9
Je suis assis sur une chaise, tout ce qu'il y a de plus simple, dans une étendue de vide. Du vide, à perte de vue. Je rêve, je le sais.
Ce que je sais, aussi, c'est qu'il va être là. Et qu'il va m'écouter.
— Je me sens mal. Je me demande si c'est réel de souffrir autant.
— Ne t'inquiète pas, Peter.
Un mélange entre un cri et un souffle. Impossible d'en déterminer le genre. J'ai fini par l'appeler la Chose. La Chose reprends, sur un ton se voulant doux :
— Elle va bientôt arriver, celle dont je t'ai parlée.
— Comment veux-tu que j'y crois ? Comme si quelqu'un pouvait arriver et tout changer, comme ça, du jour au lendemain ?
— Peter, t'ai-je déjà menti ?
Je ne réponds pas et me contente de serrer des poings sur mes genoux. Nous sommes à quelques semaines de la rentrée et je ne sais toujours pas comment je vais survivre. Surtout, comment je vais l'arrêter. Jay. Avant qu'il ne détruise une nouvelle personne.
— Il faut que je devienne plus fort. Bien plus fort. Il faut que j'accomplisse le rituel.
— Pour cela, il faut encore que ta mère accepte. Sans son accord, je suis voué à rester ici, au plus profond de ton inconscient.
La voix de la Chose semble plus lointaine. Il est en train de partir. Pris d'une fureur incontrôlé, je hurle :
— Je peux bien faire quelque chose. N'importe quoi. Le temps presse.
— N'oublie pas, Peter. Elle sera bientôt là. Et, quand tu la verras, tu sauras.
Au même moment, la chaise sur laquelle je suis assis commence à tomber. Comme à chaque fois, mon cœur semble rester à plusieurs mètres au-dessus de moi. Je sens mon corps attiré par la gravité. Je tombe, encore et encore. Et, quand enfin je touche ce qui semble être le sol, j'ouvre les yeux.
***
Je me réveille en sursaut, couvert de sueur. Mon premier réflexe et de jeter la couverture par terre et de me lever d'un bond. Je me propulse sous la douche et laisse couler l'eau froide sur mon corps chaud. Je halète. Oui, c'est de la peur que je ressens. Comme toujours. Cette chute me fait toujours le même effet. Je pense ne jamais m'y habituer.
Je repense aux mots distincts de la Chose. "Elle sera bientôt là". Et de qui est-ce qu'il parle ? Toujours tant de mystère, pendant ce temps je reste toujours sans réponses. Lorsque je sors de la douche, après m'être habillé, je passe dans le couloir. Je remarque que tous mes frères sont déjà levés. Il ne me reste plus qu'une demi-heure pour me préparer et partir à mon tour.
Le travail à la commune n'est pas ce qu'il y a de plus simple, mais ça paye bien et ça renfloue les caisses.
J'entends du bruit dans la cuisine. Au début, je ne perçois que des murmures. Je me rapproche à pas de loup et surprend une conversation, assez houleuse entre ma mère et mon grand-frère.
— Il va avoir dix-huit ans. Bientôt, ce sera trop tard. Il ne pourra plus effectuer le rituel.
— Peter n'a pas besoin de ce foutu rituel. Je ne veux rien entendre de plus à ce sujet.
— Papa, dit quelque chose. C'est dans la famille depuis des générations. On ne peut pas tout détruire comme ça. Qui sait ce qui nous tombera dessus ?
Je repense aux mots de la Chose. Si ma mère n'est pas d'accord, alors tout sera impossible. Je ne pourrais jamais tenir tête à Jay. Je fais un pas et je pénètre dans la cuisine. Tout le monde se tait.
— Oh, Peter, tes œufs seront bientôt prêts, déclare ma mère avec un timide sourire.
— Ce n'est pas parce que Jill est mort que je subirais le même sort.
Mon père s'éclipse discrètement de la cuisine, son café à la main. Mon grand-frère, lui, me fait signe de me taire tout en reculant légèrement.
— Il aurait voulu que je le fasse, déclaré-je durement.
Ni une, ni deux, ma tête part sur le côté. Je sens un goût de sang se répandre dans ma bouche. Je me masse ensuite la joue, puis fixe ma mère. Sa main est toujours figée dans l'espace. Et me lâche, pleine d'amertume, son sourire disparu :
— Comment peux-tu savoir ce qu'il aurait voulu, s'il n'est plus là pour en témoigner ?
Elle baisse la main, puis nous fixe à tour de rôle, mon frère et moi.
— Tant que je serais en vie, je ne prendrais plus jamais le risque de perdre un autre fils. Et si vous revenez sur le sujet, alors en plus de votre frère, c'est votre mère que vous perdrez.
Jetant son torchon sur le bord de l'évier, elle sort furibonde de la cuisine. Mon grand-frère soupire, me pose une main sur l'épaule et quitte la pièce. Je me retrouve seul, encore un peu sonné.
Je me rends jusqu'à la gazinière pour retourner mes œufs avant qu'ils n'attachent à la poêle. Cette journée, encore une fois, promet d'être longue.
C'est d'ailleurs mon grand-frère qui me dépose à la mairie, quelque temps plus tard. Armé de notre débroussailleuse, mes collègues et moi avons pour rôle de nous débarrasser des mauvaises herbes. Quelques heures plus tard, c'est la pause. Je fais ça depuis le début des vacances et je commence à avoir l'habitude.
Ce travail manuel m'aide à me vider la tête et ne pas trop penser. Puis, je me demande : il y a-t-il un moyen pour me lier à la Chose, sans passer par ma mère ? Je note dans un coin de mon esprit qu'il faudra que j'en parle à mon frère.
La journée continue et cette fois j'enfile ma tenue de serveur, dans le bar où je travaille pour Carlo, mon oncle, le frère de mon père. Il n'est pas très bavard, mais c'est un brave homme. Il est attentif au moindre détail et sait gérer sa clientèle. Surtout, c'est un homme juste, qui n'a pas hésité une seule seconde à me faire travailler quelques heures chez-lui, me permettant de récupérer quelques sous supplémentaires.
La soirée se déroule normalement. Nettoyer les chiottes, les tables, servir les clients. Je ne pensais plus du tout à ce que m'avait dit la Chose. Jusqu'à... jusqu'à ce que je la vois.
— C'est toi qui a besoin de passer un coup de fil ?
Je n'ai jamais vu cette fille. Plutôt petite, de beaux cheveux bruns, des yeux bleus - très intenses - et ce visage... d'une douceur. Elle est exactement comme il les aime. Fragile. Inoffensive. D'une fragilité évidente. Il ne va en faire qu'une bouchée.
En même temps, je repense à ce que m'a dit la Chose.
Est-ce que cette fille se retrouve de près ou de loin, lié à mes rêves ?
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