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CHAPITRE 8

Ma cousine ne cherche pas plus longtemps à savoir de quel ami je parle. Elle replonge son attention dans son film, tandis que je me dirige vers Peter. La dernière fois que je l'ai vu, il travaillait comme serveur. Voilà que ce jour-là, il est devenu agent communal, plus particulièrement jardinier. Cette remarque me fait rire. Ce jeune homme est polyvalent et a manifestement le goût pour le travail, que ce soit celui qui va au contact des gens ou le manuel.

Quand il relève la tête dans ma direction et qu'il réalise que je viens le voir, il se met à regarder nerveusement autour de lui.

Je ralentis ma marche, il semble vraiment anxieux, comme s'il a peur que quelqu'un le voit. Ses yeux croisent les miens une dernière seconde, pendant laquelle il me parait aussi froid que la glace. Son regard sonne comme un avertissement, un « ne bouge plus ou je me sers de cette cisaille pour te refaire le portrait ». Mais, comme je continue d'avancer, son expression faciale change une dernière fois. La dernière fois que je l'ai vu, c'est lorsque je lui ai souhaité à bientôt, dans le bar. Un air de désespoir mêlé à de la mélancolie. Peter ne le sait peut-être pas, mais il est un garçon très expressif. Ce qui le rend d'autant plus touchant... je me surprends à trembler légèrement des mains.

J'inspire une grande goulée d'air et continue mon avancée. Quelques mètres nous séparent désormais, durant lesquels je tente de sourire pour le mettre à l'aise.

— Salut, lui dis-je gaiement.

— Salut.

Et il contourne l'arbuste sur la gauche, si bien que je ne le vois plus. Je le suis et, les mains dans les poches arrière de mon short, je le regarde tailler avec minutie cet arbuste verdoyant.

— Je voulais te remercier, encore, pour la dernière fois.

— Ce n'est rien. N'importe qui aurait fait pareil.

Un silence pesant s'installe entre nous. Je semble vraiment le déranger et, comme il me tourne toujours le dos, je décide de ne pas insister.

— Je vais retourner avec ma famille, j'ai été contente de te voir. Passe une bonne journée.

Je commence à contourner l'arbuste, mais il m'arrête. Exactement de la même façon que dans l'arrière salle du bar. Sans le vouloir, nous nous mettons à répéter un schéma identique à celui d'il y a quelques jours.

— Euh, attends... je... je peux bien prendre quelques minutes.

Je me retourne vers lui, tout sourire aux lèvres, tandis qu'il dépose son outil. Ensuite, il retire ses gants et les pose par terre.

— Tu veux qu'on aille s'asseoir ? me propose-t-il en désignant un banc, non loin.

J'acquiesce et le suis jusqu'à l'assise. Il y a un sac à dos usé qui y est posé, il me semble en avoir aperçu un identique au bar, dans la salle des employés. Il le prend d'une main, s'installe et commence à l'ouvrir.

— Je vais en profiter pour manger, si ça ne te dérange pas.

— Laisse-moi deviner. Un hot-dog ?

Son regard brun croisa le mien pendant à peine quelques secondes. Il rit. Je me rend compte que je l'aime, son rire. Il me gonfle et réchauffe mon coeur. Comme une bouffée de chaleur, en moins désagréable.

— Raté. Ce sera plutôt un sandwich au bacon et aux œufs.

Il commence alors à déguster son repas, tandis que j'étends mes jambes pour me mettre plus à l'aise. Sans le vouloir, ma peau nue frotte contre sa jambe. Il s'arrête de mâcher avant de reprendre, comme si de rien était. Cependant, à aucun moment il ne rompt le contact.

— Tu changes souvent de travail, comme ça ? lui demandé-je pour combler le silence.

Après avoir avalé sa bouché, il prend le temps de s'essuyer les lèvres avant de me répondre.

— Oh non, je suis plutôt stable. La journée, je travaille pour la commune en m'occupant d'espaces publics en tout genre. Puis, le soir, j'aide mon oncle au bar, il me rémunère en fonction des heures que je fais.

Alors, Peter est du genre à assumer deux travail ? Et dire que je me la coulais douce avec ceux qui m'héberge. Shopping, piscine, sorties en tout genre, restaurant, cinéma, il faut aussi dire qu'ils tentaient de me faire rattraper deux semaines d'Enfer.

— Tu es très courageux.

J'examine un peu plus son visage, à la lumière du jour. J'aperçois à nouveau deux immenses cernes sous ses yeux bruns, qui s'éclaircissent avec la luminosité. Il a les joues légèrement rondes et une mâchoire forte. Je remarque une fine pellicule de transpiration sur le bord de ses cheveux et ses bras me semblent puissants.

— Ce n'est pas une question de courage. Je fais ce que j'ai à faire, c'est tout.

Je voulais lui demander à quoi lui servirait l'agent qu'il gagne. Cependant, nous ne nous connaissons pas encore assez.

— C'est bien de se battre pour ce qu'on veut, mais tu devrais penser à te reposer aussi.

Je me sens mal à l'aise. Après tout, qui suis-je pour le conseiller de se ménager ? Je pense me faire rembarrer, mais c'est tout le contraire qui se produit.

— Tu as raison. Mais bon, chaque chose en son temps, pas vrai ?

J'acquiesce lentement, tout en regardant les gens passer face à nous. Peter termine son sandwich dans la minute, c'est fou comme il mange vite. Dire que Bill se moque de Cidna et moi car nous sommes les dernières à finir nos plats. Peter, lui, ne semble pas avoir le temps. Pourtant, il en a pris pour que nous puissions discuter un peu. Et, cela, par deux fois.

« Arrive à différencier ceux qui prennent de leur temps pour te parler et non ceux qui le font sur leur temps libre », me disait souvent ma mère.

— Tu es prêt pour la rentrée ? lui demandé-je alors qu'il sortait une bouteille d'eau de son sac.

Il se fige dans son geste, avant de prendre un ton dur.

— Abelle, je... je crois... je crois que... tu ne sais vraiment pas ce qu'il se passe dans ce lycée. Cette ambiance lourde, permanente, à devoir surveiller le moindre de ses faits et gestes. Je... ça m'épuise rien que d'y penser.

Peter me semble profondément bouleversé. Subitement, je m'en veux de lui avoir rappelé par deux fois son malaise apparent concernant ce moment important, dans la vie d'un adolescent.

— Je suis désolée, Peter. Je ne voulais pas...

— Ce n'est rien, me coupe-t-il, prenant un ton plus doux, en déposant son sac à côté à côté de lui. C'est moi qui m'excuse, pour m'être emporté.

En même temps, il passe une main lourde sur son visage et se frotte les yeux. Ensuite, il étire son dos puissant, puis laisse sa tête légèrement retomber en arrière. Suivant le mouvement qu'on leur imposait, ses cheveux bruns se dégagent de son front, me laissant l'admirer. Peter n'est pas comme les autres et, définitivement, c'était ce qui m'attire chez-lui. Il y a quelque chose de profond, de vrai, qui me fait me rapprocher de lui tandis que je repousse les autres.

— Bon, je dois y retourner, déclare-t-il ensuite en se réinstallant.

Sur ces mots, je me relève, toujours aussi souriante.

— D'accord, j'ai été contente de te parler, lui dis-je, ravie. J'espère qu'on se reverra et, bon courage pour la suite.

— Merci.

Il se leva et, une fois à ma hauteur, il sourit à son tour.

— On se verra au lycée, ajouté-je.

J'ai vraiment l'impression de forcer. Mais, cette fois, il ne s'en offusque pas. Il acquiesce simplement, avant de me faire un signe bref. J'ai à peine parcouru quelques mètres, que je décide de tourner la tête. Peter me fixe, tandis que je m'éloigne. Et toujours cette même mélancolie dans son regard, si poignante que j'en ai des frissons.

Je le laisse donc à son travail et retourne à ma famille. Mais l'image qui se présente soudain devant mes yeux m'interpelle. Cidna semble bouleversée et, tout en gesticulant dans tous les sens, elle explique quelque chose à ses parents qui l'entourent. Je m'assieds à leur côté avant de m'enquiert de ce qui arrive à ma cousine.

— C'est la fille de la fête, celle qui a fait un malaise. Elle a fait une tentative de suicide, sa mère vient tout juste de nous prévenir.

Je le prends comme une douche froide. Il m'est simplement impossible d'imaginer de mettre fin à mes jours. Et puis, de toute évidence, ma déduction a été bonne : cette fille n'est pas n'importe qui pour Cidna.

Ma cousine semble complètement bouleversée car, soudain et pour la première fois, je la vois éclater en sanglots.

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