45. Zachir et son apprenti
Le lendemain, je m'étais levé avant tout le monde avec une idée en tête. J'avais l'intention de troubler cette paix matinale, surtout celle de mon apprenti. Bien sûr que je tirais un certain plaisir à agacer le petit, mais ce n'était pas tout. Il devait s'occuper de cette expédition. Ce n'était pas un quelconque voyage, mais son vrai premier pas pour devenir un mage.
Bon, j'accordais l'idée que de faire tomber Lucaï en bas de son lit n'avait rien à avoir avec son apprentissage. C'était juste amusant de rire à ses dépens. Surtout qu'il piaillait entremêlé dans sa couverture, avant de grommeler des mots inintelligibles. Il ressemblait à une sorte de chenille gigotante, avant qu'une tête avec des cheveux tout débraillés y sortent.
— Qu'est-ce tu dis ? lui demandais-je d'un ton faussement mielleux.
En me penchant vers lui, je croisais le regard mi-endormi et mi-furibond de mon apprenti. Il finit par soupirer en laissant sa tête tombée, ce qui me fit sourire. Je savais qu'il allait se lever et se préparer. Il n'avait pas vraiment le choix non plus : sinon, j'allais me faire un plaisir fou de trouver une nouvelle façon très originale pour le réveiller !
— Parfait petit, je te laisse une liste de trucs à faire, déclarai-je en lui laissant ladite feuille. On se revoit dans une heure.
Je me marrais en silence en l'entendant pester à voix basses. Je savais très bien à quel point j'étais intransigeant, comme mon maître l'avait été avec moi. Ce voyage était le sien, et il devait en prendre la charge sur ses épaules. S'il voulait être mage, il devait en passer par là.
Après l'avoir quitté, je pris la direction de la salle de bain. J'expédiais la douche pour me plonger dans une méditation d'une heure. Je me retrouvais dans en indien, immergé dans l'immense baignoire dans laquelle se mêlait diverses potions. Certaines aidaient à la circulation de ma magie, d'autres à m'aider à plonger dans un état de transe. Pour tout mage, il était nécessaire de prendre le temps de se retrouver seul avec soi-même. La magie était intrinsèquement liée à l'état psychique du mage. La méditation devenait ainsi un exercice important, fondamental. Elle permettait de savoir comment faire le vide en soi, et trouver cet espace intérieur hors du monde. Le plus dure, c'était d'être en mesure de se retrouver dans cet espace à volonté.
Un exploit que j'avais réussi, là où d'autres mages plus expérimentés que moi n'y parvenaient toujours pas. La prochaine étape était de l'apprendre au petit.
Justement, je rejoignis mon apprenti dans l'atelier. Il était en train finalisé ses préparatifs. Ça m'arracha un sourire de satisfaction de voir qu'il avait bien travaillé. Lucaï avait rassemblé plusieurs habits ainsi que trois sacs, dont l'un d'eux déjà bien rempli. Je pouvais voir qu'il avait rassemblé ses affaires avec bien plus de sérieux que jamais auparavant.
— C'est une journée importante, affirmai-je en prenant appuie sur le mur.
Mon élève leva les yeux vers moi. Il rougissait légèrement du haut de ses 11 ans. Il était bien plus frivole que je ne l'étais à son âge, mais j'avais préféré prôné une liberté dans son apprentissage.
Cela avait toujours été ma méthode : c'était l'élève qui décidait ce qu'il voulait apprendre. Vouloir forcer l'apprentissage n'amenait aucun véritable savoir, sauf une forme de connaissance mécanique. On finissait avec des gens qui répétaient ce qu'ils savaient sans savoir le pourquoi ou le comment.
Sans de solides fondations, toute maison était destinée à tomber.
— Oui, et je suis un peu nerveux, m'avoua Lucaï qui replaçait inutilement ses affaires.
Je m'approchais de lui pour fourrer ma main dans son épaisse tignasse. Ça eut l'effet de faire figer le petit garçon. Il cessa brusquement tout ce qu'il faisait. Je le savais nerveux : il ne m'avait pas repoussé. Après tout, le rite de Salomon était le moment le plus important dans la vie d'un mage. C'était l'épreuve suprême qu'un Faesidh faisait passer au mage avec qui il désirait passer le contrat.
Lucaï n'était pas prêt lorsqu'il avait rencontré Éfrit même si l'esprit du désert l'avait déjà reconnu comme son compagnon. L'affaire, c'était que le petit n'était pas initié à la magie lorsqu'il a découvert qu'il possédait un Arcane. La plupart des mages découvrait en premier leur don, et plus tard, il passait un contrat avec un Faesidh. Entre-temps, les apprentis travaillaient avec les familiers de leur maître, ou avec des esprits qui acceptaient de coopérer temporairement.
Lucaï était peut-être un cas à part, mais il n'était pas chanceux. Bien des mages de l'Institut l'avait complimenté sur le fait qu'il avait déjà rencontré un Faesidh qui acceptait de se lier avec lui. Ils avaient parlé à travers leur chapeau, sans savoir la peine que ce petit avait supporté.
« Imaginez que vous savez où se trouve la chose la plus précieuse à vos yeux, l'être le plus important pour vous. Mais vous n'avez pas le droit de voir, de pouvoir toucher cette chose inestimable. De devoir attendre, parce qu'on est trop petit, trop jeune, inexpérimenté... Je ne suis pas chanceux. Je suis juste... faible... Trop faible. »
Voici ce que m'avait crié un petit garçon de 7 ans. Il avait le regard rempli de larmes et la voix emplie d'impuissance. Ce jour-là, il m'avait convaincu de le prendre sous mon aile.
Alors, pour rassurer le petit, je lui confiais :
— Tu sais, c'est normal d'être nerveux et d'avoir peur, Lucaï.
— Mais je ne suis pas peureux ! Tu m'as appris que le savoir permet de chasser la peur-
Je levais ma main pour imposer le silence et l'attention de mon élève. Ce dernier se tut, mais il demeurait agité. Bon, il essayait de le juguler, de me le cacher, sans doute pour ne pas me décevoir. Je me savais par moment intimidant, intransigeant pour mon apprenti, mais j'étais attentif à tout ce qu'il faisait.
Je connaissais très bien ce gamin. Je savais tout le chemin qu'il avait parcouru.
Il venait d'une tribu nomade, un enfant joyeux et insouciant malgré la rudesse de ce mode de vie. Ce gamin avait découvert son don à un jeune âge alors que personne de son entourage ne possédait ce potentiel. Au moins, dans sa culture, quitter le nid familial était chose courante et même bien vue. C'était comme ça qu'il avait quitté son monde pour celui de l'Élite des mages, de ceux qui pouvaient façonner le monde. À l'époque, j'avais 18 ans et j'étais déjà un mage accompli.
J'avais tout de suite vu qu'il était un élève prometteur et déterminé à atteindre ces objectifs, tout en gardant son côté rêveur. En même temps, il était encore jeune, et je ne souhaitais pas qu'il délaisse cet aspect de lui. J'étais persuadé que ces atouts que bien des gens qualifiaient comme étant inutiles allaient lui permettre d'entreprendre tout ce qu'il désirait.
Le petit avait besoin seulement d'un ajustement sur quelque chose que je lui avais appris. Je m'asseyais donc à ses côtés, avant de lui balancer :
— La peur ne se contrôle pas, ne se chasse pas. Ce n'est qu'une information, une énergie qui nécessite que tu agisses. La peur ne fait que de te dire « si tu ne fais rien, il va arriver ça ».
Le petit fronça des sourcils, un peu sceptique à mes paroles. Quoi que je le comprenais : je me souviens moi-même à sa place, à penser que Falardo était un fou avec ces drôles d'idées. Même rendu un adulte, je pensais encore qu'il était dérangé, mais je savais que la plupart des génies l'étaient. Ce n'était pas parce que le monde ne disait pas comme lui, que ces propos étaient difficiles à comprendre qu'elles n'étaient pas vrais.
Je savais à quel point c'était frustrant de ne pas comprendre ce charabia. Le temps et l'expérience finissait par mettre en lumière ce qu'on ne comprenait pas. À condition de ne pas faire preuve de mauvaise foi : ce dernier critère était très important.
Rapidement, je poursuivis en espérant que ma réponse allait répondre à ses questionnements :
– Lucaï, là où bien des gens se plantent, c'est lorsqu'ils se mettent à rejeter une partie d'eux-même. La peur fait partie de toi, et la renier, c'est te renier. Elle n'est ni mal, ni bien.
Mon apprenti continuait de me regarder avec sa tête « quelle salade essaies-tu de me faire avaler ?» Je comprenais sa méfiance, mais au moins, il m'avait écouté. Pour le moment et pour moi-même, c'était le plus important.
Je remarquais que je venais de perdre l'attention de mon apprenti. Suivant son regard, je découvris que Thalia venait de nous rejoindre. Faisant volte-face, je la vis saluer le petit avec tendresse avant de lui offrir une boisson chaude, un chocolat chaud vu l'odeur. Je fis un simple signe de tête pour saluer notre mamie. Elle me sourit en me tendant une tasse de café corsé, chose que j'acceptais avec joie. Par la même occasion, je pus voir que le déjeuner était déjà sur la table, nous attendant.
Oui, j'aimais de plus en plus la présence de cette mamie. Elle avait rendu la maison plus conviviale pour tous. Et on mangeait beaucoup mieux aussi.
— Et bien, les garçons, vous vous êtes levés tôt. Je présume qu'on va partir tôt pour cette fameuse expédition... Où va-t-on déjà ? s'enquit la vieille femme, passant du coq à l'âne.
Je levais les yeux au ciel : elle me fascinait de passer du coq à l'âne sans vraiment logique. Heureusement pour moi, Lucaï se fit un plaisir de répondre à Thalia lorsque nous fûmes tous attablés. Il parla avec entrain du désert de Gophère, un lieu que le petit connaissait très bien. Lucaï venait d'une famille de marchands ambulants nomades de l'Ouest. Il avait passé son enfance dans ces contrées de sable, qui semblent inhospitalières que pour ceux qui n'y vivaient pas.
C'était son moment à lui, à Lucaï, là où il allait organiser le voyage pour ainsi mettre à l'épreuve ce qu'il avait appris. Moi, je me contenterais que de n'être qu'un spectateur, et apporter mon aide lorsqu'il sera nécessaire.
À la fin du repas, j'attirais l'attention de deux autres sur moi pour m'adresser spécifiquement au gamin :
— Lucaï, tu n'as pas encore terminé les préparatifs : c'est ton voyage, c'est toi qui se charge de tout. Nous devons être partis du manoir vers le milieu de l'après-midi.
Celui-ci acquiesça vivement de la tête avant de s'élancer en direction de l'atelier. Quant à moi, je m'apprêtais à quitter la table lorsque Thalia surgit devant moi. Je fus surpris par cette soudaine apparition, surtout que ce n'était pas le genre de la vieille dame. Elle paraissait être dans ses petits souliers, mal à l'aise devant moi. Je réalisais qu'elle commençait à changer auprès de nous : elle n'aurait jamais agi ainsi à ses débuts parmi nous.
Haussant un sourcil, j'attendis en silence le temps qu'elle ose s'exprimer.
— Dis Zachir, c'est quoi le but de ce voyage ? Si-Si ce n'est pas un secret...
Je hochais tranquillement de la tête, cherchant à trouver la façon la plus simple de lui expliquer le rite de Salomon. Je finis par l'inviter à me suivre pour récupérer un de mes grimoires contenant l'origine de ce rituel. Je lui narrais rapidement que c'était l'équivalent du passage à l'âge adulte, un moment où un apprenti devenait mage accompli en se liant avec un Faesidh. Non pas que le petit avait terminé son apprentissage, mais qu'une créature merveilleuse avait vu en lui un digne partenaire. Lucaï était un cas à part. Il n'était pas commun qu'un Faesidh choisisse son compagnon alors que le mage était aussi jeune et inexpérimenté.
Il y avait moi, mais moi aussi, j'étais un cas exceptionnel.
Après ce petit cours d'histoire, je laissais un moment à Thalia pour diriger toutes ses nouvelles informations. Elle demeura longtemps silencieuse, songeuse, avant de se tourner vers moi.
— C'est bien plus complexe que je ne le croyais être mage... Mais, toi, quand est-ce que tu t'es lié ainsi avec Hestia ?
— J'avais 5 ou 6 ans, lui répondis-je avec légèreté avant de pouffer de rire en voyant la tête de la vieille dame.
Thalia venait de s'étrangler, toussant comme si elle venait d'avaler de travers. Tandis qu'elle me fusillait du regard en cherchant son souffle, je continuais de me marrer par la scène. Ce n'était pas la première fois que les gens étaient incrédules lorsque je racontais cette histoire. Hestia avait toujours été à mes côtés : elle avait été une mère pour moi, ma meilleure amie et la plus chiante des grandes sœurs. C'était elle qui s'était occupée de moi jusqu'à ce que Falardo nous découvre. J'avais l'âge de Lucai à cet époque-là.
Au final, Thalia s'éloigna de moi, sans doute pour bouder et pour ne plus m'entendre ricaner. Je ne cherchais pas à savoir où elle allait : j'avais une tâche importante à faire.
— Il faut que je termine les bottes de Hestia avant que nous partions.
Sur cette phrase d'encouragement, je m'isolais dans mon atelier privé pour finaliser la surprise de Hestia.
***
Vers midi, tout le monde revint dans la cuisine pour le dîner, et ainsi passer aux derniers préparatifs de notre expédition. On se dépêcha d'expédier le repas, chacun occupé à ses propres tâches : Thalia terminait de préparer nos provisions, le petit finalisait les sacs et je finissais les ajustements des bottes directement sur Hestia.
Justement, le petit venait de me ramener une boîte contenant les habits nécessaires à notre voyage. Une chance qu'on avait toujours du matériel supplémentaire, même notre invitée surprise qu'était notre mamie avait son équipement. Cessant ce que je faisais, je fouillais dans la boîte jusqu'à trouver un paquet qui serait à la taille de Thalia. Je lui tendis une pile de tissus pâles avec une paire de lunettes d'aviateur aux vitres teintées.
Cette dernière fronçait les sourcils en avisant les objets empilés avant de me demander bêtement :
— On part en... avion ?
— Non, nous y allons à pied et les lunettes vont servir à protéger tes yeux du soleil et du sable, expliquai-je en retenant difficilement mon rire moqueur avant de m'adresser à l'esprit du foyer. On va pouvoir tester tes nouvelles bottes, Hestia.
Celle-ci était justement en train de chausser les bottes en question. Je ne cherchais pas à retenir mon sourire en voyant une lueur différente briller dans le regard de Hestia. Cela faisait plusieurs années que je travaillais sur un moyen de contourner sa nature d'ancre à l'esprit du foyer. Au début, j'étais parvenu à stabiliser le concept de transfert d'énergie grâce à la machine qui nous permettait de garder au frais nos aliments (maintenant baptisé « réfrigérateur »). J'avais étudié ce sort pendant plusieurs semaines, puis j'avais fait tous les ajustements nécessaires avant d'analyser de nouveau en quête d'une imperfection. C'était une chose de vouloir maintenir un lien entre deux choses inanimées, mais je ne pouvais pas prendre ce risque avec elle. C'était un être vivant, mon compagnon, mon amie.
Et ma patience avait payé : Hestia allait enfin pouvoir se déplacer comme elle le désirait.
Un silence se fit dans le manoir lorsque la Faesidh termina d'enlacer ces bottines magiques. J'ignorais pour les autres, mais pour ma part, mon regard était rivé sur mon amie Faesidh. En dépit de la parfaite impassibilité de cette dernière, je savais qu'elle était un peu craintive. Je pouvais sentir son hésitation enserrer mon coeur, mais je percevais aussi son espoir et son impatience à faire le saut. Nos regards se croisèrent et je pus y lire son inquiétude, son hésitation, mais je voyais surtout un brasier dans son regard : celui de la confiance qu'elle m'accordait. Une des plus belles richesses que je pouvais posséder était de voir cette lueur dans ce magnifique regard de feu.
Prenant son élan, elle sauta hors du foyer, plus loin que la limite qu'elle et moi connaissions. Elle se réceptionna, les genoux fléchis, et rien ne se passa. Je relâchais mon souffle alors que je percevais que nos énergies magiques étaient en parfait équilibre.
J'avais réussi ! Le cercle de transposition de l'ancre fonctionnait à merveille !
Je tempérais mon enthousiasme, mais j'étais réellement heureux d'être parvenu à créer cet artéfact magique. Si j'avais été seul, je m'aurais autorisé à exprimer ma fierté. Mais ça me faisait tout aussi plaisir de voir la réaction des autres face à mon succès. Je tournais ma tête vers Lucaï et Thalia qui semblaient troublés, partagés entre la joie et l'incrédulité. Finalement, ce fut le petit qui se mit à courir et à me crier des louages. Je ricanais doucement en écoutant toutes les flatteries de mon apprenti. Thalia semblait encore trop sous le choc pour avoir une réaction claire, mais la voir sourire me rassurait.
Quant à Hestia, elle manifestait pour la première fois depuis longtemps ses ailes. Avec une joie non dissimulée, je la contemplais faire apparaître ses ailes dans une lente déflagration. Un silence de stupéfaction s'installa alors que tous pouvaient voir des flammes apparaître et glisser sur la colonne vertébrale de l'esprit du foyer. De magnifiques ailes au plumage de la couleur du feu vivant. Comme ses pupilles, ses ailes semblaient être des flammes qui dansaient, en grande partie rouge, orange et jaune, mais nous pouvions voir des petites plumes d'un bleu azur et blanche à la base de ses ailes.
— Alors, comment on se sent ? m'enquis-je en regardant mon amie de toujours.
— Libre, avoua-t-elle, les yeux brillants.
Même si Hestia tempérait facilement ses émotions, je sentais toute sa joie, toute sa reconnaissance qu'elle avait envers moi : je venais de tenir ma promesse faite lorsque j'étais enfant, lorsque nous avions conclu notre contrat de compagnon.
Je lui avais offert une véritable liberté.
Je me frottais le nez de la main, légèrement embarrassé par la gratitude que je ressentais de la part de l'esprit du foyer. Ses émotions m'affectaient tant ils étaient puissants, et j'étais bien incapable de ne pas partager sa joie, elle qui avait toujours été limité à son foyer.
Mais nous étions attendus, et nous devions pas être en retard.
— Bon, maintenant que tout est réglé, il va falloir qu'on y aille ! m'exclamai-je, attirant ainsi l'attention de tous sur moi.
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