4. Zachir, le Renégat prodigieux
PDV de Zachir, quelques parts dans les rues d'un quartier de la petite ville de Gové.
Le spectacle était terminé depuis un moment. Dès que je pus trouver une ruelle vide, je fis disparaître mon déguisement d'un claquement de doigt. Mes cheveux qui ne cessaient de changer de couleur au rythme de mes pas prirent la teinte du blé sous le soleil. Mon chapeau reprit sa véritable forme, se transformant en ma redingote aux couleurs pétantes. En l'espace de quelques pas, je passais d'un mage itinérant au célèbre et prodigieux mage Renégat, Zachir.
J'avais fait une entrée fracassante dans le quotidien de tous les citoyens du pays en quittant l'Institut de magie, cinq ans plus tôt. On parlait de moi dans pratiquement toutes les presses du pays, mais sous différents noms maintenant. Il le fallait pour ne pas se faire attraper par les Vieux du Cercle de magie, ceux qui gèrent et dirigent le milieu de la magie.
Ils me traitaient comme un enfant alors que j'étais bien plus puissant que certains membres haut placés de la magie.
« Pensent-ils réellement qu'un chat peut garder un lion ? » songeai-je en sortant mon compas de la poche intérieure de ma redingote.
Grâce au festival de Beltaine, nous avions pu nous produire en spectacle. C'était à la fois une excellente rentrée d'argent, et mon apprenti, Lucaï, avait pu mettre en pratique certains sorts qu'il étudiait depuis quelques semaines. Je devais admettre qu'il avait bien assimilé ces derniers apprentissages, mais je le trouvais un peu à la traîne dans ses études.
Ça devait expliquer les dérapages, mais, au moins, personne ne sembla les remarquer. Tous avaient cru que les apparitions de ces fleurs étaient de notre fait. Quant à Raiju, l'esprit de l'orage, il avait refusé de nous expliquer ce qui s'était passé. Il s'était contenté de partir en ricanant. Ce devait être une plaisanterie digne des Faesidhs.
Après avoir renvoyé le petit avec le matériel du spectacle, je m'étais mis en quête d'une boutique de fleurs. La petite ville de Gové était réputée pour sa grande variété de fleurs et de plantes, des plus communes aux plus rares, à cause du climat particulier de la région. D'après les informations que j'avais recueillies dans la journée, on m'avait référé une boutique en particulier. Le hic dans l'histoire était que personne n'avait eu l'intelligence de me donner l'adresse. Ainsi donc, je me trouvais dans les ruelles vides à la recherche de la fameuse boutique avec l'aide de mon compas ensorcelé. Ce dernier devait me guider vers ce que je désirais avoir.
Après une tentative qui m'avait fait tourné en rond pendant plus de deux heures aujourd'hui, je n'avais pas la patience à demander à nouveau l'aide des citoyens.
« Ils vivaient ici, mais ils n'étaient pas foutus de donner correctement le chemin ?!» maugréai-je pour moi-même dans ma tête.
Un échange entre deux personnes attira mon attention, tout comme celle de mon artéfact sans que je ne sache pourquoi. À coup sûr, c'était les voix d'une jeune fille et d'un artiste étranger, et ils ne semblaient pas se connaître. Curieux, je m'approchais pour voir ce que j'avais supposé, avec justesse.
Par contre, je ne m'attendais pas à découvrir que ce n'était pas une jeune fille, mais une femme. Elle avait les cheveux d'un blond clair comme celui de l'ivoire, noués lâchement en toque basse. De loin, je lui avais à peine donné 14 ans. Elle devait être la seule fille à ne pas s'être mise en valeur ce soir-là ; elle portait une robe aux couleurs fades et sales. Je ne pensais jamais avoir de la compassion pour une robe : cette fille ne faisait vraiment pas attention à ses vêtements. Et je ne voyais aucune trace de maquillage. Toutes les demoiselles, tout âge confondu, avaient revêtus de leurs plus beaux attirails pour la fête de Beltaine. À voir l'usure de sa robe, on voyait bien qu'il s'agissait d'un habit du quotidien.
C'était vraiment une étrange créature, cette femme.
Je ne comprenais pas très bien leur conversation, mais j'entendais clairement le malaise transparaître dans la voix de la femme. Elle bégayait et elle ne cessait de s'agiter : elle agissait comme un animal pris au piège. Baissant mon regard sur mon compas enchanté, je me retrouvais perplexe de voir l'aiguille pointée vers ces deux individus.
Pourquoi ça pointait dans cette direction ? Je cherchais une boutique de fleurs, pas une personne.
Je lançais un second regard dans leur direction, mais j'avais déjà pris ma décision : le devoir m'appelait. Les rejoignant, je blottis la jeune fille contre moi, empêchant ainsi l'homme de saisir son bras. Je plongeais mon regard dans celui de l'étranger. Il avait des yeux sombres et verts, et il semblait confus de me voir débarquer de nulle part. Heureusement pour moi, la demoiselle en détresse s'était figée et elle paraissait avoir perdue sa langue. Profitant de la situation, j'inventais facilement un mensonge avec aplomb, mu par l'expérience :
— Je te cherchais partout. Pardon, monsieur, je m'occupe de la raccompagner.
— Mais, vous êtes qui ? s'exclama l'étranger, me faisant face.
— Celui qui la raccompagne, rétorquai-je d'une voix faussement doucereuse, jubilant en voyant l'étranger défaillir. Et vous, vous allez retourner auprès des vôtres.
Ma main se mouva près de l'oreille de la femme, laissant la magie virer de bord cet homme. Tandis que je riais dans ma tête, les deux autres poussèrent des exclamations estomaquées : les bottes de l'étranger étaient animées d'une force qui l'éloignait d'ici. C'était plutôt amusant de le voir s'agiter comme un pantin désarticulé, toujours à deux doigts d'avoir une rencontre avec le sol. Je l'entendais encore protester lorsque je baissais les yeux sur la demoiselle en détresse. Celle-ci était encore sous le choc, clignant bêtement des paupières face à l'invraisemblable de la situation. Je laissais un petit sourire orner mes lèvres : je leur faisais toujours cet effet.
Je l'intimais gentiment à avancer :
— Venez, je vais vous raccompagner.
— Mais-Mais ce n'est pas nécessaire, s'exclama-t-elle soudainement en sortant de sa stupéfaction.
Sous mes yeux surpris, je vis la demoiselle en détresse passer du mode poupée de porcelaine à une petite sauvageonne impolie. Elle venait de pratiquement crier dans mes oreilles, et maintenant, elle me dévisageait sans vergogne. J'étais partagé entre l'idée d'être flatté ou insulté par tant d'impertinence. Au moins, il semblerait que je lui plaisais vu le temps qu'elle prenait à me reluquer. Ça allait m'aider à la convaincre de me laisser la reconduire chez elle. Il était tard et je n'allais certainement pas la laisser rentrer seule. Non pas que j'en avais vraiment envie, mais il n'était pas digne de moi de laisser une personne en détresse. Surtout pas après avoir vu comment elle repoussait un désobligeant.
Par contre, je ne comprenais pas pourquoi elle ne me remerciait pas : je venais de l'extirper d'une situation délicate. En plus, son visage exprimait deux choses qui me troublaient : elle semblait être soulagée de me voir, tout en ne l'étant pas du tout. Et toujours aucune reconnaissance de la part de cette ingrate de femme.
— Vous êtes perdue, et cet homme vous mettait mal à l'aise, expliquai-je avec douceur pour ne pas l'effrayer. Permettez-moi, mademoiselle, de vous conduire là où vous le désirez.
— Vous-Vous me mettez peut-être mal à l'aise vous aussi ! Je n'ai pas demandé votre aide !
La jeune femme se soustrayait d'un coup, imposant une distance de sécurité entre elle et moi. Elle tremblait légèrement, signe flagrant qu'elle était nerveuse. Je me demandais si c'était cet homme qui l'avait mise dans cet état. Chose sûre, cette jeune femme aux allures de gamine ne désirait pas mon aide, va savoir pourquoi. Et pourtant, elle semblait en proie à de nombreuses pensées, comme celle de me laisser l'aider. C'était plutôt amusant de l'observer, être en mesure de lire en elle comme un livre écrit dans une langue étrangère : on voit beaucoup, mais on ne comprend pas tout. En plus, elle était plutôt mignonne quand elle rougissait, soutenant stupidement mon regard.
Je haussais un sourcil sans me départir de mon sourire en répliquant :
— Vous êtes comme un livre ouvert. Mais soit, si vous désirez, je m'en vais. Après tout, tant de belles filles seraient heureuses de me tenir compagnie.
Son visage prit une teinte encore plus rouge et ses yeux s'écarquillaient. Elle cligna plusieurs fois des paupières, bouche bée. Je riais dans ma tête en la voyant ainsi s'offusquer. Elle prenait vite la mouche, et c'était plutôt amusant. Bon, c'était peut-être enfantin et immature, mais je pouvais bien la narguer un peu. Ce n'était pas comme si je comptais la séduire ou la revoir un jour, non ? En plus, c'était elle qui avait commencé ce jeu puéril d'impertinence et d'absence de reconnaissance.
— Goujat, marmonna-t-elle en détournant vivement la tête.
Je déduisais que je méritais ce compliment, parce que je continuais de sourire en la voyant fulminer. Plus je la regardais, plus j'avais l'impression d'avoir affaire à une enfant qu'à une jeune femme. Autant ça m'exaspérait que ça m'amusait. Peut-être à cause de la nouveauté de la chose ? Cette jeune femme était sans l'ombre d'un doute très différente des autres.
Or, une vague de magie fit hérisser les poils de ma nuque. Zieutant les alentours, je cherchais l'origine de cette émanation de la magie, mais je ne vis personne. Par contre, j'avais reconnu sans mal la propriétaire de cette magie. Prenant au dépourvue la jeune femme blonde, je pris sa main pour l'attirer à moi.
Il fallait déguerpir.
Elle poussa un petit cri surpris en s'accrochant à ma chemise au moment où je fis appel au sortilège fixé à mes souliers. D'un claquement du talon, la magie glissa sur moi comme la caresse du vent sur la peau. Cette émanation se manifesta par de petites ailes sur mes chaussures, ou comme je préférais nommer : le sort d'anti-gravité.
— Tenez-vous bien, et quoi qu'il arrive, ne paniquez pas.
Contrairement à ce que j'appréhendais, elle ne cria pas, ni s'évanouissa. Elle aurait eu toutes les raisons de le faire : nous étions littéralement en train de flotter dans le ciel. Jetant un bref coup d'œil en direction de ma passagère improvisée, je la trouvais étonnamment maîtresse d'elle-même. Bon, il était évident qu'elle était dans tous ses états : elle avait les yeux grands ouverts et les mains un brin trop crispées. Pourtant, la fille était docile et confiante entre mes mains, ce qui m'impressionna. N'importe qui d'autre aurait hurlé de se retrouver aussi haut en l'espace d'un instant.
D'un rapide coup d'œil, j'établis un parcours pour m'éloigner de ce quartier pour prendre la direction du Sud-Est. Encore plus léger et libre que lorsqu'on nage, libéré de la contrainte de la gravité, je nous éloignais en douceur, le tout en ne quittant pas du regard cette femme aux allures de gamine. Sa peur avait laissé place à un pur émerveillement qui me gonfla de fierté. Elle regardait le ciel avec une fascination enfantine, s'éloignant imperceptiblement de moi. Face à cela, je la rapprochais doucement de moi pour rééquilibrer notre trajectoire et éviter qu'on tombe. Son dos plaqué contre ma clavicule, je la sentis frémir et son pouls s'agiter sous mes doigts. Je resserrais avec délicatesse mes doigts sur les siens, libérant ainsi son poignet. Nos regards se croisèrent, et je ne retins pas un sourire face à son regard brillant.
Je me demandais si je devais lui faire remarquer qu'elle avait failli tomber deux fois dans le vide.
— Vous appréciez la vue, mademoiselle ?
Elle acquiesça vivement de la tête en silence. Et son silence ne me gêna pas. Je savais que j'étais en train de lui faire vivre le moment le plus incroyable de sa vie. Nous semblions voler sur les toits, très loin de l'agitation du festival, dans une bulle hors du temps. On partageait le ciel avec les nuages, les étoiles et la lune qui éclairait les environs jusqu'aux Alpes enneigées. Ces immenses montagnes recouvertes d'un manteau blanc était la frontière naturelle entre ce pays et celui voisin, une vue d'exception dans les airs.
Qui pouvait se vanter de vivre quelque chose d'aussi incroyable ? Peu de gens, car les mages faisaient rarement ce genre de démonstration. Ce n'était pas pour rien que j'étais considéré comme étant un mage marginal et anarchique, n'obéissant pas à l'autorité de l'Institut de magie.
Selon eux, la magie devait respecter les antiques traditions. Elle ne devait pas être utilisée à tout-va, et encore moins pour de « basses besognes » comme les doyens ne cessaient de le répéter.
Un hoquet de ma passagère clandestine me ramena au présent dans lequel je compris le mot « maison » . Elle semblait avoir reconnue le coin, ce qui tombait bien : il fallait bien que je la ramène chez elle. Je nous orientais dans cette direction, descendant vers une route passante. En douceur, je laissais ma magie se dissiper lorsque nos pieds retrouvèrent la solidité du sol. La jeune femme aux allures de gamine chancelait contre moi. Elle devait être étourdie. Je la soutenais sans broncher, profitant de ce moment pour scruter les environs. Je ne sentais aucune présence magique, mais je ne devais pas me fier qu'à cela. La Sorcière pouvait bien être dans le coin, mais je devais attendre que la demoiselle entre mes mains soit en sécurité chez elle.
Ensuite, je pourrais aller enquêter sur la présence de la Bannie à Gové.
Les mains de la jeune femme se crispèrent sur les miens, attirant mon attention sur elle. Je percevais son pouls et sa respiration, rapides et fébriles sous mes doigts. Je passais délicatement mon pouce sur le dos de sa main, et cela sembla l'aider à se détendre. Elle relâcha la tension dans ses épaules et elle leva son regard sombre sur moi.
— Rentrez, mademoiselle. Vous devez être épuisée, lui conseillai-je en levant le regard vers sa maison.
Voyant la devanture, je retins de justesse une expression de surprise. Une pensée se dirigea vers mon compas magique, caché dans une poche intérieure de ma redingote. Derrière la jeune femme se trouvait la boutique de fleurs que je cherchais ! Je savais que la magie était imprévisible et indomptable, mais c'était tout de même étrange comme concours de circonstance.
Enfin, j'avais trouvé la boutique, c'était le plus important.
Repoussant mes questionnements, je me concentrais sur la demoiselle qui me répondit :
— Oui... Merci. Je vous dis adieux, alors ?
Je reculais d'un pas, en acquiesçant silencieusement. La sauvageonne semblait s'être adoucie, retrouvant quelques manières. Elle me regardait avec intrigue, les lèvres pincées pour retenir ses propres questions. Ces mêmes questions qui semblaient lui brûler les lèvres, et pourtant, elle garda le silence alors que je disparaissais. Un véhicule à vapeur passa devant moi, me laissant le temps de devenir invisible. Je venais d'enfiler le Kunée, un masque d'invisibilité magique. C'était un artéfact antique, très difficile à avoir, car il appartenait à Aïdôneus, un Faesidh misanthrope.
Alors que je m'éloignais de là, elle resta un instant là où je l'avais laissé, son murmure portant jusqu'à moi :
— Disparu comme par magie...
Je ne pouvais que la corriger sur un point : ce n'était pas comme de la magie, c'était de la magie. J'étais le prodigieux mage Renégat, Zachir. Nos chemins se recroiseront lorsque je reviendrai, mais elle ne me reconnaîtra pas.
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Et enfin, Zachir !
Je vous le dis, c'est celui qui me donne le plus de misère ! Pourtant... Je l'adore.
Vous allez peut-être reconnaître le type de personnage. Vous direz peut-être qu'il est cliché, mais je vous le demande : laissez lui la chance de vous séduire, il en vaut la peine ;)
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