38. Thalia en mission solo
Cela faisait un moment que Zachir était retourné dans son lit après son bain. Je me trouvais ridicule d'avoir dû attendre qu'il se soit endormi pour aller l'ausculter. Heureusement, la fièvre avait commencé à tomber, mais il avait encore besoin de repos pour être totalement remis. J'étais restée un moment dans la chambre à le regarder dormir. Il était beau ainsi, complètement détendu et paisible. Ses cheveux sombres, sa couleur naturelle, lui tombaient autour du visage.
Le hic, c'était Zachir furieux après moi.
Je soupirais en refermant la porte sur la chambre du mage. Celle-ci était étonnement petite, n'ayant à peine de place pour le lit et une section d'étude avec un bureau et une grande bibliothèque. Les murs étaient d'une teinte brun clair et il n'y avait qu'une fenêtre à droite du bureau ainsi qu'une sorte de renfoncement dans le mur. J'étais déjà rentré à maintes reprises dans cette pièce, mais je n'avais jamais osé faire un grand ménage. Je me contentais d'un coup de balai, de récupérer les vêtements à laver et de faire aérer la pièce.
Justement, je ramenais la cuvette d'eau fraîche au rez-de-chaussé enfin d'y laisser tremper les torchons. Pendant ce temps, je venais de récupérer un journal qu'avait ramené Lucaï ce matin. Le gros titre avait su attirer mon attention : Miracle dans la petite ville perdue d'Astris. D'après ce que je lisais, un homme disparu depuis plus d'un an était revenu chez lui. Le plus étrange, c'était qu'il n'avait aucun souvenir de ce qui s'était passé durant la dernière année.
« Au moins, tout est bien finit bien, non ?» , pensai-je en tournant une page. Une bonne nouvelle était toujours agréable à entendre.
Un soupir attira mon attention. Lucaï essayait de se concentrer dans ses études ce matin, mais je voyais qu'il était soucieux. Son inquiétude interpellait la mienne. Même si Zachir commençait à s'en remettre après une nuit de repos, je compatissais avec le petit. J'avais tout de même gardé le chevet du mage jusqu'à ce que Hestia me sermonne pour que j'aille me reposer. On ne pouvait rien faire de plus que patienter.
— Thalia.
C'était justement Hestia qui venait de me héler. Celle-ci avait le regard tourné en direction de la chambre de Zachir qui dormait là-haut avant de poser ses prunelles de feu sur moi. J'abandonnai le journal sur la table pour me rapprocher d'elle.
— Oui ?
— Aujourd'hui, tu vas me rendre un service.
— Bien sûr, répondis-je même si j'étais surprise par le côté soudain de sa demande. Lequel ?
Et ce fameux service s'agissait de transmettre un message au maître de Zachir, un certain Falardo, à l'Institut de magie. Cela m'avait surprise, mais la Faesidh ne me laissa pas le temps de poser une question. Elle m'indiqua rapidement le lieu et l'heure de mon rendez-vous, soit dans moins d'une heure. Et encore plus curieux, quand je lui demandais ce qu'en pensait Zachir, elle se mura dans un silence qui me mit mal à l'aise. J'eus beau poser différemment la question, elle l'esquiva sans mal. Face à ce second refus, je renonçais à en demander plus. Elle m'avait seulement assuré qu'il ne m'arriverait rien.
Je me demandais seulement pourquoi faisait-elle cela dans le dos de Zachir.
Ainsi donc, je quittais la maison pour me rendre à l'Institut de Magie. Elle était située à la Capitale, qui se trouvait littéralement à l'autre bout du pays. Grâce à l'intervention de Hestia, la porte s'ouvrit sur la Capitale même si je ne m'y étais jamais rendu. Je découvris avec stupéfaction, et pour la première fois, le centre névralgique de notre pays.
Et il y en avait du peuple ! Je me rendais compte à quel point la ville de Gové était paisible en comparatif. Ici, il y avait énormément de véhicules à vapeur qui passaient ici et là. Heureusement, j'étais tout de même dans une partie moins fréquentée. En effet, la Capitale avait été construite en demi-cercle autour du palais et ce qui protégeait les arrières du palais était l'Institut de magie. De ce fait, je pouvais entrevoir l'extérieur de la grande ville derrière le bâtiment qui me faisait face.
Je me demandais si j'aurais le temps de visiter.
— Nous sommes arrivés, Thalia, me fit remarquer Baffie, blotti dans mon cou et caché par mes cheveux.
J'acquiesçais en observant l'immense bâtisse. Celle-ci était presque aussi grande que le palais qui se trouvait non loin derrière. Il y avait un gigantesque dôme de verre au milieu de la structure, entouré d'une série de bâtiments plus petits. Ils avaient des tailles différentes, le tout reliés par des couloirs comme un château fort. Même d'où j'étais, je pouvais percevoir la magie qui en exultait. Ça me fourmillait la peau, pratiquement comme une démangeaison. Je poussais un soupir en frictionnant mes bras pour chasser la chair de poule. Une vague de chaleur de Baffie me parvint, chassant la désagréable sensation sur ma peau. Je lui sourit, appréciant son geste.
— Merci, Baffie... Mais... Je suis inquiète, avouai-je d'une petite voix. Hestia semble faire une cachotterie à Zachir...
— Ne te fais pas de mouron ! Tu ne crains rien, et je suis à tes côtés !
Caressant sous la mâchoire de la salamandre, je tournais ma tête de gauche à droite, cherchant un accès ou une entrée. Tout ce que je pouvais voir était des jardins, mais rien n'indiquait une entrée officielle. Je me mis à jouer avec la bague à mon doigt, me rassurant avec sa douce chaleur. Hestia m'avait dit que quelqu'un viendrait me chercher pour me conduire auprès de Falardo, le maître de Zachir. Je devais avouer être un peu nerveuse de le rencontrer dans de telles circonstances. Je n'aurais jamais cru pouvoir rencontrer autant de mages, puissants de surcroît, dans ma vie.
— Vous pouvez me suivre.
Je poussais un couinement en sursautant pour découvrir une femme à la peau doré à mes côtés. Malgré qu'elle portait une robe et qu'elle avait une apparence humaine, je sus immédiatement qu'elle était une Faesidh. Elle avait une magnifique chevelure dense variant du blond à des mèches plus sombres. Ses incroyables prunelles dorées se posèrent sur les miennes, me faisant rougir spontanément. J'avais l'intime conviction que si je tentais de fuir, elle me rattraperait avant même que je ne puisse le réaliser. Une force incroyable se dégageait de cette Faesidh, semblable à celle de Hestia. J'ignorais comment, mais son visage semblait se modifier pour prendre les traits d'un félin. Mais l'instant suivant, celle-ci se mit à marcher sans regarder si je la suivais ou non. Rapidement, je me précipitais derrière elle en bégayant :
— Ne marchez pas aussi vite, s'il vous plaît !
Je serrais les dents en essayant à la fois de me dépêcher et de ne pas me blesser avec mes vieux os. Heureusement, la créature merveilleuse m'attendait et reprit le chemin lorsque je me trouvais à ses côtés. En silence, elle me guida à l'intérieur. Je découvris un hall plutôt banal pour la grandeur des lieux. Le plafond voûté, le sol en marbre ainsi que les grandes fenêtres illuminaient la pièce, la rendant moins vide à mes yeux. Un simple bureau trônait au centre et derrière, je pouvais entrevoir plusieurs couloirs sans indications précises. Et sur le bureau reposait une immense créature endormie, un Faesidh à coup sûr. D'où j'étais, je ne pouvais pas voir à quoi il ressemblait autre que son pelage dru et qu'il devait être plus grand que moi.
Tournant mon visage vers la magnifique créature féline, je demandais spontanément :
— Au fait, c'est quoi votre nom ? Moi, c'est Thalia.
Mon guide cessa de marcher. Elle fit volte-face pour me regarder longuement. Je rougis face à l'intensité de son regard, mais je ne détournais pas le regard. Je trouvais la couleur de ses iris incroyable : on aurait dit de l'or liquide. Enfin, ce que j'imaginais être de l'or liquide. Je fus même surprise de voir ses pupilles rondes changer de forme, comme celle d'un chat. J'étais si absorbée par ses yeux si particuliers qu'elle me surpris lorsqu'elle se pencha vers moi. Elle rapprocha son visage si près de mon cou, et je l'entendis me renifler. Sans broncher, je la laissais faire, mal à l'aise. Je me demandais si j'avais quelque chose dans le coup, ou encore, quelle odeur l'avait intriguée. Par contre, j'avais une certitude : elle ne me ferait aucun mal. Peut-être étais-je naïve, mais j'avais l'intime conviction que les Faesidhs ne me feraient aucun mal. Et pour le moment, aucun ne m'avait fait penser le contraire.
Le sourire de mon guide me sortit de mes pensées. Je levais mon regard pour croiser le sien qui pétillait. Elle avait vraiment une dentition digne d'un félin.
— Je me nomme Mafdet, me répondit-elle d'une belle voix rauque. Mon maître nous attend.
Elle me désigna un couloir avant de s'y rendre. Sous mon regard incrédule, son apparence changea et elle devint une femme... guépard. Sa peau était recouvert d'un pelage félin soyeux doré tacheté noir et des oreilles de félin prirent place de celles humaines. Sa robe se modifia pour devenir plus près du corps avec moins de tissus, mais ce nouvel habit paraissait mieux correspondre à sa physionomie. Je souris en découvrant que son attitude avait changé : elle marchait moins vite et elle jetait de discrets coups d'œil par-dessus son épaule. Je la trouvais belle, elle et sa démarche, me rappelant une danseuse.
Je suivis mon guide dans une série de couloirs sans aucune particularité. En levant les yeux, je pouvais voir par intermittence le ciel partiellement couvert par les nuages. Les couloirs que nous traversions étaient éclairés par des puits de lumière à une distance constante de les cinq pas. Le bruit de ses pas cessa, et j'arrêtais d'un coup de marcher. Je la vis devant une porte, me regardant calmement. Je bégayais des excuses en la rejoignant. Elle ne répondit rien, se contentant de m'ouvrir la porte pour me laisser passer en premier.
Je découvris une immense salle dont l'espace se divisait entre une sorte de serre et un lieu d'étude. Il y avait beaucoup de végétation, dont un arbre qui atteignait un plafond de verre. Renversant ma tête, j'eus de la difficulté à voir la cime à cause des rayons de soleil qui m'aveuglaient. En dehors de cela, les murs clairs étaient composés de bibliothèques ou de bureaux où s'entassaient du matériel de magie. Ce genre de bordel me dit sourire, me rappelant un certain mage qui se reposait au manoir.
Après avoir zieuté les lieux, mon regard se tourna vers le seul individu dans la pièce. C'était un homme aux cheveux poivre et sel avec une barbe fournie, âgé à vue de nez d'une soixantaine d'années. Il portait des lunettes rondes qui adoucissait ses traits dures. Ses habits étaient à la fois sobres et chics, en dépit de quelques plis et saletés démontrant qu'il devait travailler sur un projet quelconque. Avant, je l'aurais trouvé vieux, mais vu ma nouvelle apparence, j'étais gêné de paraître son aînée. Comme je l'avais fait, il me dévisagea un instant avant de prendre la parole :
— Bonjour, ma chère. Comment va le jeune Zachir ? Ou, devrais-je le nommer Merlion, ou Audrick, ou encore Ozzy... J'ignore sous quel nom vous vous connaissez.
La douceur de sa voix me déstabilisa autant que le fait qu'il parlait de Zachir. Je gardai un moment le silence, malaisée. Essayait-il de me troubler ou était-il sincère ? Mon cœur avait son avis : il essayait de semer la zizanie dans mon esprit. Je serrais les dents, prise entre colère et méfiance. Pourtant, sa voix contrastait tant avec son attitude et son air que j'en bégayais :
— Comment savez-vous que je connais Zachir ?
— Parce qu'il ressent sa magie sur toi, me répondit à voix basse la salamandre contre mon cou.
Je me crispais, surprise par l'intervention de Baffie. Et cela fit rire le vieux mage qui me présenta un siège. Je me détendis légèrement en me rappelant la présence de Baffie dans mon cou : il était si discret que je l'oubliais par moment. Je me forçais à prendre une longue respiration, me rappelant que la salamandre était là pour me protéger en cas de besoin. Jetant un coup d'œil un peu plus loin, je pouvais voir Mafdet préparer quelque chose dans une pièce annexe. Que faisait-elle ?
— Pardon, je suis un mauvais hôte, déclara le mage Falardo en ramenant mon attention sur lui. Désirez-vous boire, mademoiselle... ?
— Thalia, le coupai-je en prenant lentement place. Mais vous n'avez pas répondu à ma question...
Un sourire énigmatique s'épanouit sur son visage alors que Mafdet apportait un plateau à thé. Je la remerciais chaleureusement, prenant une gorgée de la boisson. C'était du thé, mais le goût n'était pas aussi mauvais. Naturellement, mes yeux trouvèrent celui du mage : il me dévisagea à nouveau. Ces yeux exprimaient quelque chose de différent par rapport à tout à l'heure. Je me demandais ce que pensait cet homme de moi. Quoique ces détails n'étaient pas vraiment importants, il m'intriguait. Il avait été le maître de Zachir, peut-être même était-il une sorte de père pour lui. J'étais tenté de lui poser des questions sur leurs passés; j'aimerais savoir comment Zachir était enfant, comment était-il avec son maître.
Mais ce n'était ni le moment ni l'endroit pour ce genre de conversation. Plus vite je partais, plus vite je pourrais rentrer au manoir. Je ne me sentais pas en sécurité entre ses murs.
Baissant les yeux sur la tasse, je chassais la pagaille de questionnements de mon esprit. Je relevais mon regard pour le poser sur le vieux mage qui fixait ma main, puis mon cou il me semblait.
— Eh bien, miss Thalia, mon apprenti et Hestia ne vous auraient pas laissé venir ici sans protection. Je le comprends de ne pas faire confiance au Cercle. Mais, ce n'est pas pour cela que vous êtes venu me voir.
Sortant de sa cachette, Baffie se dévoila aux yeux de tous. Je sentis sa puissance bourdonner contre ma peau, tel un ronronnement. En réaction, Mafdet fusilla du regard la petite salamandre en montrant les dents et mon gardien y répondit en claquant sa langue. Et de sa langue jaillit une étincelle de feu.
— Baffie, ce n'est pas poli ça, fis-je remarquer au petit lézard en lui caressant la mâchoire avant de m'adresser au vieux mage. Je suis venue vous voir pour vous transmettre un message, rien d'autre.
— Un message ? Comme c'est curieux de la part de Zachir. Je présume donc que c'était l'idée de Hestia. En passant, ton thé va refroidir.
Je me tus en fronçant légèrement les sourcils. Il passait du coq à l'âne, suivant une logique que seul lui voyait. Moi, il me donnait un peu le tournis. Je serrais les doigts autour de la tasse encore chaude, sans quitter des yeux le vieux mage. J'étais tenté de penser qu'il était distrait facilement, passant ainsi d'un sujet à l'autre sans transition. Mais je voyais briller l'intelligence dans son regard. On aurait dit le regard d'un renard.
De plus, je prenais conscience que cet homme connaissait intimement Zachir et Hestia. Sa façon de parler du jeune mage me conduisait à penser qu'il avait tenu un rôle plus proche du parent que d'un simple professeur. Hestia m'avait bien dit qu'ils se connaissaient depuis bien longtemps. Et pourtant, je ne comprenais pas pourquoi ces deux gens ne se parlaient plus.
« Qu'est-ce qui vous est arrivé entre vous deux ? » me demandai-je, attristé par l'idée. Moi, j'aurais le cœur brisé d'être en guerre avec mon père.
Secouant mentalement ma tête, je me concentrais sur la raison de ma venue.
— Voici ce qu'on m'a demandé de vous transmettre : la Sorcière chercherait à rallier l'Arcane de la Flora à sa cause.
Un froid glacial venait de s'étendre dans ces lieux. Ça provenait du vieux mage en face de moi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro