20. Zachir au manoir
PDV de Zachir, au Manoir volant.
Le lendemain, je pris ma douche tôt. La veille, j'avais longuement réfléchi sur la présence de la mamie. Je devais l'avouer : sa présence m'arrangeait bien plus que je ne voulais l'admettre. En dehors du ménage, l'ambiance au manoir avait changé : mon apprenti était bien plus appliqué et Hestia rougissait de bonheur.
Je ne pouvais pas ignorer ce pincement douloureux : je me sentais honteux. Je n'avais pas remarqué à quel point Hestia se sentait seule. Pourtant, ce n'était pas son genre de ne pas me faire savoir ses envies. Je me savais très occupé depuis le début de l'hiver : dès que j'avais du temps libre, je travaillais sur ma nouvelle invention. Je réalisais amèrement que j'avais bien trop délaissé mon amie et mon apprenti.
Ce que je comptais remédier au plus tôt.
Le soleil n'était pas encore tout à fait levé, mais je décidais de me lever. Je me redressais d'un seul coup en grognant durant mes étirements. Je sortis par la suite du lit pour commencer ma journée avec une séance d'Aïkido.
C'était un art ancestral qui permet d'améliorer la concentration, la confiance en soi et la maîtrise de soi. Elle fait travailler le corps et l'esprit en chœur dans des séries de mouvements qu'on pouvait faire seul ou en duo. La magie d'un mage reposait sur un principal facteur : une clarté d'esprit. Les doutes, les questionnements infinis et ressasser étaient les adversaires du contrôle de la magie.
Pendant une heure, j'exécutais une série de mouvements et de posture. Mon attention était focalisée sur chacun de mes membres, sur leurs mouvements. Je visualisais mon corps dans son ensemble, élargissant ma conscience de ce qui m'entourait. Chacun de mes gestes devaient être fluides, respectant le rythme lent de ma respiration. Ça m'imposait de maintenir un équilibre constant et soutenu. Je percevais mon corps se couvrir d'une pellicule de sueur, mais je reléguais l'information en arrière-plan. Je devais demeurer conscient sans m'attarder sur ce renseignement.
Rien ne devait interférer sur ce que je faisais. Ces exercices étaient un entraînement parfait pour être en mesure d'user de la magie dans toutes circonstances.
Je terminais la dernière figure en expirant lentement. Mon pouls pulsait bruyamment dans mon corps, et j'avais terriblement chaud. Je me dirigeais donc vers la salle de bain pour la seconde partie de ma routine. Je relaxais dans le bain, laissant les potions dans l'eau chaude m'aider à me rétablir.
« Un esprit sain, dans un corps sain pour une magie saine et libérée. » , entendis-je dans ma tête, écho de souvenirs d'enfance.
Je secouais la tête avant de me glisser dans une méditation. Je ne passais qu'une heure dans la salle de bain. Après tout, j'allais faire du coconnage, à l'image des vêtements que j'avais enfilés : confort et maison.
Lorsque j'arrivais au rez-de-chaussée, je trouvais Thalia qui préparait du café à vue de nez. Elle bâilla longuement en s'excusant auprès du démon qui me regardait. Suivant la direction du regard d'Hestia, elle me vit enfin. Elle parut brièvement surprise malgré sa fatigue évidente. Il semblait même qu'elle avait les yeux rouges et bouffis. Cela me rappela les traces que j'ai vu son visage la veille.
— Bon matin, Zachir, tu as bien dormi ? s'enquit-elle poliment en terminant de lacer sa robe d'été.
J'acquiesçais avant de saluer Hestia d'une caresse sur son plumage. Elle frémit de bonheur avant de se pencher pour regarder par-dessus mon épaule. Faisant un pivotement, je remarquais la nervosité flagrante de Thalia. Elle me lança des petits coups d'œil discrets, par-dessus le foulard qu'elle portait au cou. Je devinais qu'elle était mal à l'aise de me voir ce matin. Habituellement, je sortais en coup vent, et je ne descendais jamais aussi tôt.
Je récupérais la cafetière que me tendait la Faesidh du foyer pour remplir ma tasse, puis celle de la mamie. Je voulais qu'elle s'approche, pour mieux voir le foulard. Ce bout de torchon rouge et sale me rappelait quelque chose. Où avait-elle trouvé ce foulard ?
— On dirait que tu aurais eu besoin de dormir plus longtemps, mamie.
— Je suis habituée à me lever tôt, me répondit-elle en buvant une première gorgée de son café. Merci pour le café, je vais pouvoir y aller.
Je haussais un sourcil, attendant davantage d'explications. Mais déjà, Thalia quitta la cuisine en direction de l'atelier. Sur le cul, je ne sus comment réagir : venait-elle vraiment de m'ignorer ?
— Mais... où va-t-elle ? grognai-je, encore stupéfait par la scène.
Je me tournais vers la Faesidh, la seule personne présente dans la pièce. Elle était en train de jouer avec des flammes. Un peu plus et elle jonglait.
Elle se foutait de ma gueule, à coup sûr.
Elle finit par s'immobiliser, me lançant un regard las. Elle finit par dire :
— Elle va s'occuper de son petit jardin dans la cour de bâbord. Elle le fait tous les matins.
— Et ça lui donne le droit de me prendre pour une plante ?!
— Je tiens à te faire remarquer que Thalia n'ignorait pas une plante, me répondit Hestia avec nonchalance. Elle pourrait peut-être ignorer une roche. Tu en es une ?
Je passais une main rageuse dans mes cheveux. C'était frustrant de vivre avec un Faesidh, surtout cette petite peste. Elle avait la fâcheuse manie de tourner en bourrique qui elle voulait, maniant l'art subtil et humain de l'ironie.
Quelle idée avais-je eu de lui expliquer comment faire de l'ironie ? J'avais créé un monstre.
— Laisse-la boire son café avant de te fâcher, finit par dire Hestia d'un ton conciliant. Je te trouve très impatient avec elle.
Je me pinçais le nez avant de prendre quelques instants pour me calmer. Je ne pouvais m'empêcher de trouver Thalia énervante. Elle semblait complètement à l'ouest, passant du coq à l'âne. Et ça, si elle ne m'ignorait pas comme elle venait de le faire.
C'était officiel : elle devait être un peu folle.
Le bruit de pas descendant l'escalier attira mon attention. J'entendis mon apprenti crier mon nom avant de le voir. Il s'élança vivement vers moi, me posant une panoplie de questions. Je le fis taire d'un mouvement de la main avant de déclarer :
— Oui, je reste au manoir aujourd'hui. Je vais juger tes progrès, et on travaillera sur du nouveau. Tu es prêt ?
Le petit acquiesça joyeusement avant de se transformer en tornade humaine. Il courait de gauche à droite pour rassembler son matériel. Je le laissais faire, amusé de voir un tel entrain chez lui.
C'était peut-être un mioche, mais il était déterminé.
Je passais une première demi-heure pour mesurer ses progrès avant de lui donner un nouvel exercice. Il devait travailler sur un sort simple de lévitation. J'avais choisi par exprès de le faire sortir de sa zone de confort. Le vent n'était pas un des éléments avec lequel Lucaï avait une affinité. Le but était de voir sa capacité d'adaptation dans une situation qui n'était pas à son avantage.
Je voulais que le petit soit familier avec tous les éléments primordiaux. On n'apprenait pas ça à l'Institut, car selon les doyens, c'était une perte de temps. Ils préféraient faire perfectionner ce dans quoi nous excellons, au détriment du reste. Je ne partageais pas leur avis : chaque expérience avait sa valeur. Et ce genre d'expérience allait lui servir un jour pour transcender les limites de sa magie.
«Les limites de l'esprit sont celles que tu décideras », m'avait dit le premier jour mon maître, le grand mage Falardo. Et malgré que j'aie quitté mon maître, son enseignement m'avait toujours suivi et je savais reconnaître la valeur de ce savoir.
C'était peut-être un vieux fourbe, mais il était sage.
Après avoir laissé le petit seul avec son exercice, je rejoignis Hestia à l'intérieur. Je n'avais pas oublié ma promesse : Thalia allait avoir son propre lit.
J'avais rassemblé dans le salon tout le matériel nécessaire à la création du lit.
— Prête, Hestia ?
— Et moi ? Je peux aider ?
Surprise, je fis volte-face pour découvrir Cifer dans le foyer. Il salua chaleureusement Hestia avant de se tourner vers moi. Je ne m'attendais pas à le voir : il n'aimait pas être à l'intérieur, préférant la salle des machines du manoir. Par contre, je ne dirais jamais non à l'aide de Cifer : c'était lui qui m'avait pratiquement tout enseigné les lois physiques de ce monde. C'était lui qui m'avait trouvé, un soir, peu de temps avant que je ne quitte l'Institut de magie.
C'était grâce à lui que nous avions le Manoir.
— Qu'attendez-vous pour commencer ? lançai-je sur un ton faussement présomptueux.
Sans répondre, Hestia sauta hors du foyer pour atterrir entre mes mains tandis que Cifer s'installa sur le matériel. Liant nos magies, je laissais l'énergie nous entourer. J'avais toujours apprécié l'énergie magique de Hestia : elle était si chaleureuse, réconfortante sans être étouffante. Je percevais sa présence autour et en moi, tandis que mon énergie flambait en moi en réaction à la sienne. Je percevais également la chaleur intense et presque suffocante de Cifer : il était la persévérance, l'accablement de l'effort qui mène à la satisfaction.
Nos magies s'enroulèrent dans une danse connue que de nous.
Pendant que Cifer s'occupait de l'architecture du lit, je m'occupais de coordonner l'énergie magique entre nous trois. Quant à Hestia, elle apporta sa touche en offrant une de ses plumes écarlates. Je fus momentanément surpris par la déflagration de sa magie, telle une vague de chaleur. Je lui lançais un coup d'œil surpris par ce cadeau : « elle apprécie vraiment la vieille ».
Je reposais délicatement ma compagne de magie dans le foyer. Puis, d'un simple claquement de doigt, le lit fut recouvert d'un drap et d'une couette bien chaude d'une jolie couleur d'ivoire et d'un rose saumon.
Je souris, satisfait du résultat. Je me tournais vers Hestia et Cifer, relevant la tête fièrement.
— Alors ? Qu'en pensez-vous ? Ne suis-je pas génial ?
— Je crois qu'elle va mieux dormir, maintenant, avoua la peste de feu, balayant mes espoirs de recevoir un compliment.
— Et elle n'aura pas froid, la mamie, rajouta Cifer, m'ignorant ouvertement.
Je levais les yeux au ciel. Je les trouvais énervants de ne jamais admettre combien j'étais doué en magique, surtout Hestia. Je savais qu'elle avait une grande estime de mon talent, mais elle refusait obstinément de me complimenter. Elle était une Faesidh extrêmement puissante ; il était donc certain qu'elle devait se lier à quelqu'un de son niveau.
Et Cifer... Eh bien, pour lui, l'avis des autres n'est qu'une perte de temps pour un inventeur comme lui. Comme le fait qu'il ait déjà disparu, sans crier gare.
Pourquoi je m'étais lié qu'à des Faesidhs aussi mal polis et misanthropes !
— Bande de garnements, marmonnais-je tout ignorant son regard mécontent avant de dire à voix haute. Bon, allons voir comment s'en sort le petit...
Je me dirigeais rapidement vers la cour, non sans avoir laissé une boîte sur le nouveau lit. Le contenu allait bien plus utile à Thalia qu'à quiconque dans la maison.
Quand je rejoignis Lucaï, je vis qu'il peinait à maintenir le sort, mais je trouvais qu'il sortait plutôt bien. En moins de deux heures, il était parvenu à élever dans les airs un bout de tissu. M'ayant remarqué, le petit perdit sa concentration. Je le regardais perdre patience. Il grogna plusieurs jurons pour son âge, tout en tapant du pied. Je cachais habilement mon sourire amusé avant de le rejoindre.
— Calme toi, petit. Les gros mots ne feront pas léviter le torchon.
Je souris intérieurement en le voyant rougir à mon commentaire. Je pris le temps de lui montrer les faiblesses dans sa façon d'utiliser le sort. Je lui fis plusieurs démonstrations qu'il regarda attentivement.
Enfin, à ma manière. Ce petit avait du potentiel, aussi agaçant soit-il.
Tout d'un coup, une odeur de fumée inhabituelle s'éleva dans les airs, m'alarmant. Qu'est-ce que c'était ?
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Nous revoilà avec Zachir ! Pauvre Zachir, je t'adore, mais je te rends pas les choses simples !
Il commence peu à peu à accepter la présence énervante de Thalia tout comme on le découvre dans une intimité rarement perçu par les autres. On voit comment le génie incompris peut se faire rembarrer par les mêmes êtres qui le considèrent comme étant digne d'eux.
Un peu comme un grand frère ou une grande soeur, non ?
La semaine prochaine, on retrouve Thalia. Que peut bien faire Thalia... ?
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