16. La nouvelle routine de Thalia
PDV de Thalia, dans le Manoir volant de Zachir, quelque part dans les montagnes et frontières naturelles de Dendérah.
Cela faisait maintenant une semaine que je vivais chez Zachir avec Hestia et Lucaï. Enfin, le célèbre mage n'était pas souvent au manoir. Depuis le jour où j'avais vendu mes cheveux, il partait tôt le matin et revenait tard le soir. Ou bien, je ne remarquais pas ses allées et venues. D'après ce que m'avait expliqué Lucaï, Zachir était un homme très occupé. Je ne pouvais m'empêcher de penser que j'étais en partie responsable de cette attitude. Durant les courts moments où on se croisait, il ne me parlait pratiquement pas. La désagréable impression de ne pas être la bienvenue s'était accentuée à chacune de nos conversations, si je pouvais les désigner comme telles. Et c'était encore pire quand Hestia y mettait son grain de sel, agissant à l'exact opposé de Zachir. Disons que cela avait un peu calmé mes ardeurs de groupie de la magie.
Au moins, Hestia et Lucaï étaient très chaleureux avec moi. Ils m'aidaient à m'intégrer. Les premiers jours, j'avais beaucoup pleuré en faisant le ménage de la maison. Je n'arrêtais pas de me morfondre, de souhaiter stupidement que ce ne soit qu'un mauvais rêve. Je regardais tous les jours mon reflet, espérant que j'allais revoir mon véritable visage.
En vain. À quoi m'attendai-je d'une sorcière, en même temps ?
Hestia n'avait posé aucune question à chaque fois. Ça m'avait fait étrange d'avoir ce type de soutien. Chez moi, ma famille aurait posé toutes sortes de questions jusqu'à ce que je leur explique. Et là, personne ne posait de questions ; seule Hestia continuait de me couver de son regard de braise.
Étrange et bizarre, mais ça m'avait fait vraiment du bien. Elle ne dévoilait pas ses émotions, mais elle était une présence réconfortante et silencieuse. Comme l'étaient mes fleurs.
Puis, les larmes avaient fini par se tarir, et je m'étais ressaisie. Évidemment, la curiosité avait repris le dessus. Excellente méthode pour ne pas penser au bordel ou aux malheurs de ma nouvelle vie en tant que vieille peau fripée.
Par exemple, la fameuse porte magique. Je l'avais examiné sous tous les angles. Il s'agissait d'une magnifique porte en bois massif d'érable verni. Elle avait été finement ouvragée telle une œuvre d'art. Avec un œil averti, je vis certaines répétitions dans des formes géométriques et des symboles ésotériques. En effleurant le bois, je ressentis la même impression que lorsque je m'occupais de mes fleurs ou lorsque je voyais un spectacle de magie : un sentiment d'euphorie et d'admiration.
Je savais que c'était exceptionnel par la chair de poule qui envahissait mon corps.
Même si j'étais folle comme une puce à l'idée d'en savoir plus, je ne posais pas de questions. J'étais seulement heureuse d'avoir trouvé cet endroit. Et surtout de rencontrer l'un des plus grands magiciens. Bon, on en savait très peu sur lui. Depuis qu'il avait fait sa sortie fracassante de l'Institut de magie cinq ans plus tôt, je guettais le journal dans l'espoir de trouver un article sur lui. Bien des gens parlaient de lui, mais bon nombre d'entre eux étaient des articles de scandales sans réelle preuve. Le peu qu'on savait réellement de lui, c'était qu'il était un mage plutôt secret, mais dont les inventions étaient reconnues à travers le pays. Il avait contribué à l'avancée technologique des machines à vapeur, par exemple.
Je lisais aussi ceux qui racontaient les dernières actions de d'autres mages, dont celui qui répondait au nom d'Ozzy. Celui-ci était sans cesse dans des histoires de cœur qui finissait rarement sans scandale. Il devait être le mage le plus cité, pour son orgueil et sa vanité, ainsi que son obsession pour la beauté. Pourtant, de nombreuses filles acceptaient encore de passer une soirée en sa compagnie.
Sans nommer celui que certains nomment « le Renégat ». Mais bon, ce nom, je ne l'avais entendu que de la part d'un griot qui passait plusieurs fois par an à Gové.
Je levai les yeux de la vaisselle du déjeuner pour poser une question à Hestia :
— Dis, Hestia, est-ce que Zachir connaît le mage Ozzy ?
— En quelque sorte. Pourquoi ? me répondit-elle en penchant la tête.
— Parce que je trouve ce mage séducteur idiot. Comment fait-il pour toujours avoir des problèmes? Tout ça à cause des filles !
Hestia se mit à rire avant de héler Lucaï. On l'entendit pester dans l'atelier, la pièce voisine au salon. Ce dernier arriva de mauvaise humeur, pour finalement se faire charrier par l'esprit du foyer. J'avais vite compris que c'était comme un passe-temps pour elle de déranger le petit. Je trouvais cela un peu méchant de sa part : le petit travaillait si fort pour apprendre la magie !
Au moins, elle lui donnait des astuces à chaque fois qu'elle le dérangeait.
Par contre, je me demandais si elle ne venait pas d'éluder ma question.
— Bon, Hestia, déclarai-je en me redressant, je vais aller récupérer les vêtements dehors. Je reviens !
Je sortis du manoir, admirant la vue devant moi. On se trouvait dans une vallée, entre deux montagnes. C'était Hestia qui avait accepté de poser le manoir ici pour me permettre de faire la lessive et de voir l'engin de l'extérieur. Il s'agissait d'un curieux mélange entre un manoir et un bateau. De grandes voiles étaient attachées à des mâts et certains à de grands arbres. Il y avait une zone de gazon autour de la maison, protégé par des sorts anti-rafales. C'était là que j'avais étendu la lessive entrepris plus tôt dans la journée. Je m'étais levé au bruit de l'eau chaude acheminé jusqu'à la salle de bain : ma seule preuve que Zachir était revenu la veille.
Et ce dernier était reparti au matin, emportant avec lui son déjeuner.
— Je me demande ce qu'il peut faire de ses journées..., me demandai-je en regardant le ciel bleu parsemé de nuages ici et là.
— À qui tu parles, mamie ?
Je sursautais en découvrant Lucaï à mes côtés. Ce dernier me proposa son aide après s'être moqué de moi, une aide que j'acceptais volontiers. Il m'aida à entrer la plupart du linge, mais les couvertures et draps avaient encore besoin de sécher. Du coup, on n'avait qu'à attendre. Ayant du temps à tuer, je décidais de partir à la recherche de fleurs. Le garçon me suivait, son regard pétillant de curiosité. Il observait tout ce que je faisais, cherchant à tout comprendre.
– Que cherches-tu, mamie ?
– Des fleurs, et une sorte de bois en particulier. J'aimerais entre autres faire un cadeau à Hestia.
Le petit garçon pencha sa tête avec un air incompréhensif qui me faisait rire. Il était si mignon lorsqu'il ne comprenait pas quelque chose du haut de 11 ans selon ses dires. Je me penchais doucement, prenant garde à mon dos, pour cueillir quelques fleurs de lavande.
– Je connais certaines plantes que lorsqu'on les fait brûler, leurs parfums enrobent la maison, expliquai-je à Lucaï.
– Wow ! Tu en connais des choses sur les fleurs, mamie Thalia ! Moi, je ne connais que leur utilité pour des potions, et encore, qu'un tout petit peu...
J'acquiesçais, repensant subitement à ma famille. Mon sourire se fana légèrement. J'étais partie comme une voleuse, dans la panique et la confusion. J'espérais que Papa allait s'en sortir sans moi pour s'occuper des fleurs, et que les autres ne s'inquiétaient pas trop.
Je soupirais : c'était sûr qu'ils allaient se poser des questions. Je disparais le soir où mon grand frère que je n'avais pas vu depuis plusieurs années revient. J'étais certaine que rien n'aurait pu m'empêcher de le revoir ; au final, me voilà à mentir à tout le monde.
Une petite main effleura la mienne. C'était Lucaï. Je grimaçais en voyant son regard confus : j'étais en train de l'inquiéter, lui aussi. Comme les autres.
Vite, il fallait que je trouve un truc à dire.
– Ne t'inquiète pas, petit, tentai-je de dire en souriant. Quand on vieillit... on finit avec des regrets, comme des grains de beauté sur notre peau.
Le petit garçon fronça les sourcils, marmonnant quelque chose sur les « vieilles dames étranges». Je me contentais de rire avant de l'inviter à rentrer. Il ne se fit pas prier, me laissant seule pour la suite de ma cueillette de fleurs.
En effet, j'étais une vieille dame étrange : à dire des choses bizarres, à faire des choses bizarres, mais surtout des mensonges.
« Arrête de penser : occuper les mains occupe l'esprit » me sermonnai-je mentalement.
Le reste de la journée s'écoula rapidement entre le repas et le pliage de la lessive. Il fallait tout de même avouer qu'il y en avait eu beaucoup. En plus, ça m'arrangeait : je pouvais ne pas penser à mes problèmes. Enfin, jusqu'à ce que ce soit la fatigue qui me rattrapait. Le soleil s'était couché depuis un moment et je n'avais toujours pas terminé le lavage.
— Je crois que je vais aller me coucher..., marmonnai-je à moi-même, ma vue se troublant de plus en plus. Ça doit faire au moins deux heures que je suis assise.
Je me redressais en grognant faiblement. Je fis bien attention à ne pas déranger Hestia, mais elle ne prit pas forme humaine. Je m'étirais lentement, retenant difficilement les bâillements. Mon corps réclamait du sommeil après cette longue journée agenouillée à laver et à cueillir. Je me changeais rapidement, enfilant un pantalon de pyjama léger et un chandail à manches courtes. Je déposais la robe que je portais aujourd'hui sur la chaise près du feu. Je m'installais pour me coucher, me recouvrant de ma cape doublée.
J'eus une pensée pour ma famille, une autre encore. Mon cœur se serra douloureusement, et j'arrêtai de respirer. Je retenais mon souffle aussi longtemps que je pouvais, espérant étouffer cette horrible sensation.
Ces derniers jours, j'avais été capable de ne pas trop y penser, malgré les traces de larmes sur mon oreiller de fortune le lendemain matin. Je savais que même si j'évitais d'y penser, tout me ramenait à mes problèmes. Une sorcière avait débarqué dans ma vie pour enlever mon avenir, ma vie. Ses mots ne cessaient de revenir en écho. À chaque fois que je pensais oublier, à chaque fois que je pensais rentrer chez moi, la voix de la Sorcière revenait et je finissais terrorisée.
Terrorisée par je-ne-savais trop quoi : de ces menaces ? D'avoir tout perdu d'un seul coup ? De perdre le peu qui me restait ?
Je me mordis les lèvres en relâchant mon souffle tremblant. Mes yeux se fermaient sur mes larmes tant j'étais épuisée. Je voulais juste fuir, aller dans un endroit où je pouvais ne pas penser à mes problèmes.
« S'il vous plaît, faites que je puisse rêver cette nuit... »
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Nouveau chapitre, et nous revoilà avec Thalia !
Petite ellipse dans le temps, j'avoue que je ne voulais pas écrire un chapitre de déprime (j'ai été dégouté à cause d'un livre où le protagoniste est en dépression pendant 300 pages...)
Et là, Thalia a eu du temps pour elle-même, pour digérer l'histoire. Sauf que... Elle fait un peu la politique de l'autruche ?
Vous en pensez quoi ? Qu'est-ce que ça vous dit sur Thalia, tous ces choix et ces actions ?
On se revoit la semaine prochaine avec Zachir !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro