1. Thalia au festival de Beltaine
PDV Thalia, les jardins de la boutique familiale dans la célèbre petite ville de Gové, au nord du Royaume de Dendérah.
Je reposais mon outil en soupirant, la tête lourde. Je fermais les yeux, fatiguée par le travail minutieux que je m'imposais. Être agenouillée pour m'occuper des fleurs de camélia était en train d'achever ma colonne. Ma vue se troublait un peu, mais ce travail me plaisait réellement jusqu'au tréfonds de mon cœur.
— Ma belle Thalia, va te promener, me conseillait une voix grave et familière. Va t'amuser à la Grande-place.
Je levai le regard dans cette direction pour trouver mon père. Papa, de son nom Martis Foisson, était un grand homme avec une musculature fine que je tenais de lui. Il avait la chevelure d'un roux brun que maman avait toujours aimé. Face à sa paire de lunettes qui cachait ses yeux bruns, je lui tendis l'outil entre mes mains. Puis, j'acceptais sa main tendue pour me redresser. Je pris le temps de m'étirer en rouspétant contre son énième tentative pour me faire sortir de la maison :
— Mais, Papa...
— Donc, tu n'iras pas au spectacle de magie organisé pour Beltaine ?
L'excitation m'envahit alors que je me souvenais de ce détail. Je m'empêchais de sourire en critiquant mentalement la fourberie paternelle. Il faisait exprès de dire cela d'un ton détaché, comme s'il ne savait pas à quel point j'appréciais les spectacles de magie.
Je n'en avais jamais manqué un seul, jamais.
— J'avais fini Papa avec les camélias, mais tu es venu me déranger, rétorquai-je avec un calme apparent en levant les yeux au ciel. Comme si j'allais oublié le spectacle...
— Bien sûr, comme je suis bête, me répondit-il en voyant clairement dans mon jeu.
Je sentais l'amusement de mon père à mon égard, mais je refusais obstinément de lui donner raison. Je lui cachais ma joie en m'adressant à mes fleurs, comme à chaque fois que je les quittais :
— Je reviens avant le coucher du soleil ! Soyez sages, mes fleurs !
— N'oublies pas de te laver le visage ! s'écria la voix de mon père.
Je me départis rapidement de mon tablier de travail que Papa rattrapa dans les airs. M'élançant dans la maison, je déplissais ma robe de travail aux couleurs sable et écorce. Elle était faite de tissus légers et opaques qui résistent aux griffes du temps. De plus, ma robe me permettait de la relever grâce à une petite cordelette que j'attachais à mon jupon pour marcher plus librement. Elle était adaptée à toutes les saisons et c'était un excellent modèle pour toutes sortes de tâches.
Malgré que je l'affectionne, elle commençait à être bien usée. Je détestais faire les boutiques de linge, mais je ne pouvais pas me défiler. J'avais bien grandi, et je devais me faire à l'idée.
Après avoir passé l'arche qui reliait la boutique à la maison, je m'arrêtai devant le miroir pour vérifier si j'étais présentable. Mes yeux sombres ne trouvèrent heureusement rien de scandaleux. Je vis une jeune femme à la longue chevelure d'ivoire qui allait fêter ses dix-neuf ans après l'été. Selon Papa, ma jumelle et moi ressemblions beaucoup à notre mère à l'âge où ils se sont rencontrés. Personnellement, je ne le croyais pas réellement : si ma sœur était le Soleil, je n'étais qu'une étoile discrète dans la nuit. Et cela me convenait amplement : je n'avais pas la même passion pour la mode ou le social de ma sœur. Pour ma part, je préférais le confort à la beauté, le calme d'une bibliothèque à celle des foules.
Si je devais enfiler l'une de ses robes pour jardiner, elle finirait déchirée et tachée. Autant pour moi, je passais mon tour.
Dépassant le miroir, je finis par prendre rapidement mon chapeau. Je sortis en coup de vent. Vivement, je traversais un des grands ponts, l'un des rares endroits qui permettaient de voir au-delà de la ville jusqu'aux montagnes. En les voyant, je ralentis pour observer ses monts enneigés, des pensées plein la tête.
J'adorais m'occuper des fleurs et de la serre, mais alors que mon regard se perdait dans les Alpes... Je me disais que je souhaitais en voir davantage de ce monde : découvrir ses secrets; rencontrer les créatures merveilleuses peuplant nos légendes ; ou encore parcourir le monde comme le faisait le grand Mage Zachir !
— Oui, j'aimerais rencontrer ce magicien, celui qui a vu le monde..., me dis-je en m'appuyant contre la rambarde du pont.
Certains disaient qu'il était aussi puissant, parce qu'il avait pactisé avec des entités, voire même avec des démons. Je n'aimais pas l'idée qu'on puisse diaboliser ainsi ces mystérieuses créatures. Notre histoire regorgeait de légendes vantant leur aide miraculeuse par le passé. Pourquoi ces créatures de légendes seraient-elles mauvaises ?
Le bruit strident d'une locomotive me fit sursauter avant de comprendre que sa fumée allait m'intoxiquer. Paniquant un bref moment, je m'élançai en direction d'un chemin qui me mènerait à la Grande Place. Je pouvais emprunter l'axe Sud, l'une des trois artères principales de notre petite ville. C'était également la seule qui possédait un chemin ferroviaire, permettant de rejoindre les plus grandes villes et la Capitale. Mais cette dernière était beaucoup trop utilisée par les véhicules et les gens. Je préférais nettement prendre quelques détours, quitte à marcher 45 minutes au lieu d'une demi-heure.
Donc, comme à mon habitude, je passais par des petites ruelles pour zieuter les divers marchands locaux et les quelques parcs. J'aimais marcher sur ces chemins de dalles antiques qui étaient parsemés de quelques pots de fleurs et d'arbres. Les maisons de deux étages pour la plupart étaient collées les unes aux autres, mais elles cachaient les cours intérieurs des villageois. Je respirais avec bonheur les odeurs de nourriture et de café des quelques bistros. Pour ce soir, les ruelles avaient été illuminées de lampions en l'honneur de Beltaine. Chaque année, à la première pleine lune de mai, notre ville organisait les festivités du début de la période estivale. Cette fête annonçait le retour de la chaleur ainsi que le commerce entre villes et contrés. Au cours des prochaines semaines, nous devrions avoir de plus en plus de marchands et d'artistes étrangers qui viendraient faire leur étalage de trouvailles et de talents. Une première vague d'entre eux était en ville et je me dirigeais vers leur démonstration. Je devais au moins profiter des festivités, surtout que Papa m'avait donné la soirée.
J'entendis la musique de la fête avant même d'avoir atteint la Grande-Place. La Grande-Place était, comme son nom le disait, l'endroit le plus grand sans bâtiment. C'était le lieu de prédilection pour toutes les festivités de notre ville. À l'ouest, il y avait l'amphithéâtre pour les spectacles.
En arrivant sur place, je découvris les chanteurs, danseurs et autres saltimbanques qui divertissaient les gens. La musique me parvenait tandis que j'avançais pour trouver un endroit où regarder le spectacle de magie. C'était le seul réel intérêt à mes yeux durant les grandes festivités de la ville. Seuls ces rares spectacles m'attiraient à la Grande-Place, quitte à affronter la foule et l'agitation humaine.
Un grand bruit surgit provenant de la scène, faisant crier certains spectateurs. Je fis volte-face pour m'approcher de ladite place. Sur ce dernier, il y avait un homme avec un petit garçon à la peau basanée d'une dizaine d'années. Et les deux n'étaient pas parentés, ce qui était assez rare pour des nomades. Ils portaient tous les deux un masque qui leur couvraient le haut du visage, nous permettant de seulement voir leur sourire. Les deux portaient des habits similaires : un pantalon noir avec une magnifique chemise blanche immaculé. Le jeune homme portait un chapeau sur ses cheveux qui se mirent à changer de couleur au fil de ses pas. Comme les autres, je poussais une exclamation surprise face à ce tour.
— Bonsoir, villageois et villageoises de Gové ! Nous vous remercions pour votre présence à notre spectacle de magie !
Les gens se mirent à les acclamer avec enthousiasme. Je partageais leur impatience, trépignant sur place. Je sentis des gens arriver derrière moi, créant un effet de vague qui nous forçait à nous rapprocher les uns des autres.
— Laissez-vous émerveiller par le ballet des flambées ! s'exclamèrent en chœur les deux protagonistes.
D'un mouvement synchronisé, ils exécutèrent un mouvement circulaire avec leurs bras. Je voyais leurs lèvres bouger, mais leurs mots n'étaient pas audibles pour nous. Des serpents de feu apparurent les uns à la suite des autres. Ses rubans ardents semblaient animés, s'entortillant dans les airs. Leur couleur vacillait au fil des boucles et des virages, passant par les douze couleurs de l'arc-en-ciel.
Ma respiration s'accélérait alors que je me sentis submerger par l'émotion, me faisant frémir de la tête au pied. L'euphorie s'amplifiait en moi au rythme du ballet des rubans de feu qui prenaient diverses formes, s'aventurant entre les spectateurs. L'un d'eux m'effleura et la douceur que je perçus me rappela le duvet d'un jeune chiot réchauffé par le soleil. Je crus même entendre un rire, mais le serpent de lumière était déjà reparti vers la scène, me laissant avec mon émerveillement.
— Êtes-vous prêt pour la suite ? s'enquit le jeune homme, alors que les rubans ardents tournoyaient paresseusement autour de lui.
Mon cœur palpita confusément dans ma poitrine alors que j'étais pendue aux lèvres des prouesses de ce magicien. Lui et son apprenti se donnèrent la main avant que le plus jeune soit propulsé dans les airs. On vit un tourbillon apparaître entre eux qui s'illuminaient de rouge et d'or. Je poussais un cri en découvrant qu'il était soutenu par cette bourrasque de vent. Puis, une forme sombre ressemblant à un nuage rejoignit le plus jeune. Ce dernier le cueillit au creux de sa main avant de tendre l'autre main vers nous, les spectateurs. Un éclair de lumière surgit, suivant une route en zigzag que personne ne prévoyait. À chacun de ses arrêts, des cristaux colorés apparaissaient pour créer des constellations de lumières. Elles flottaient dans les airs comme une pluie suspendue dans le temps. J'entendis vaguement les cris et les engouements des autres spectateurs. J'étais bien trop hypnotisée par la course de l'éclair. Je frémissais, la peau recouverte par la chair de poule. Pourtant, je ne pouvais pas quitter des yeux l'éclair qui disparût subitement sous nos yeux.
Comme s'il avait été avaler par le nuage sombre !
Toutefois, je ne voyais pas qu'un simple nuage : je crus reconnaître la morphologie d'un écureuil. Il sautait et bougeait comme cet animal, de cristaux en cristaux. Cela faisait bouger les pierres brillantes qui s'écrasaient les unes aux autres dans des explosions dignes de feux d'artifices. Les gens poussèrent des cris de peur, mais ce furent des pétales de lumière qui retombèrent sur nous. Je me sentis émue par la vision, et je ne pensais pas être la seule. Les pétales lumineux rebondissaient au contact de ma peau avant d'éclater comme une bulle de savon.
Enfin, pas toute. Ma main en avait attrapé un au vol, et celui-ci demeura un instant dans ma main brillant comme une flamme. Le flocon de lumière frémit avant de rebondir dans les airs. Au lieu d'exploser comme les autres, il sembla se suspendre dans l'air pour éclore telle une fleur. Je frémis en reconnaissant la forme d'un camélia. Elle avait la même couleur que celles dont je m'occupais ce matin.
Cette fleur au parfum discret et aux pétales rouges pétantes fit taire tous les spectateurs. Tous étaient sous le charme du camélia dont le centre était composé de ce nuage sombre qui ressemblait tant à un écureuil. Je suivais des yeux ce nuage-écureuil qui retourna auprès des deux mages qui semblaient... Troublés ? Le temps d'un battement de paupières, le jeune homme nous souriait en faisant la révérence.
— Merci peuple de Gové ! Voici l'entracte. Nous vous revenons très bientôt !
Rapidement, tous se dispersèrent comme moi. Sauf que j'accourais pour aller me chercher à manger avant de reprendre place. Je croquais dans mon bâtonnet de saucisse et de fromage avec bonheur, impatiente de la suite.
Enfin, jusqu'à ce que la voix familière d'une voisine me parvint :
— Regarde, c'est la fille de Martis...
— Ne deviendra-t-elle jamais une dame ? répondit son amie qui tentait d'être discrète. Elle ne sera pas éternellement une enfant...
Je perdis mon sourire en les reconnaissant. Elles habitaient dans mon quartier, et je connaissais trop bien ces mots. Je savais ce que les gens pensaient de moi.
J'avais atteint l'âge adulte, mais on disait que j'agissais encore comme une enfant. Oui, j'oubliais souvent de vérifier si je n'avais pas de boue sur le visage, ou les mains sales après avoir travaillé la terre. J'admettais également que j'avais peu de considération pour mes vêtements qui finissaient souvent sales. Rien de tout cela n'était volontaire. C'était juste que j'oubliais la réalité quand je m'occupais de mes fleurs ; ou encore quand je plongeais dans un roman d'aventure qui m'emmenait si loin sans me faire quitter la maison.
Mais ça faisait tout de même mal d'entendre encore ces mots en dépit des années.
Quel était le mal à rêver, aimer le merveilleux et l'incroyable ? Je n'étais pas une criminelle : j'étais seulement une rêveuse.
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Et je vous présente Thalia ! Je présume que beaucoup d'entre vous se reconnaîtront dans cette jeune fille, peut-être que pour quelques facettes pour certains... Elles parlent des inquiétudes que nous avons tous un jour : l'avenir, suivre ou non ces rêves et ce désir puissant de vouloir franchir le pas du rêve à la réalisation...
Mais la peur de l'échec, le conscience de nos faiblesses et de nos défauts, la pression sociale...
Et vous, que pensez-vous d'elle ?
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