Chapitre 43 - Un danger en approche
Cacher mes vêtements maudits ne s'était pas avéré être une tâche si compliquée : lorsque Neven et Cameron m'avaient vue rechigner à retirer mon manteau dans la classe, ils avaient longuement insisté pour connaître la source du problème et j'avais fini par leur montrer le massacre. Après une éternité de fou rire qui m'avait valu une humiliation dans les règles de l'art, Cam était allé me chercher un jogging qu'il gardait dans son casier et Neven avait retiré son pull pour me le tendre.
Ainsi, de mémère sortant faire ses courses en portant son chihuahua dans les bras, j'étais passée à une ado rebelle au style over size qui faisait peur aux gamins dans les rues. J'exagérais à peine. Mais bon, c'était beaucoup mieux que ma première tenue alors je ne pouvais pas me plaindre.
La journée s'est déroulée mieux que prévu, les cours sont passés à une vitesse impressionnante et, entourée comme je l'étais par mes amis, la dispute qui avait eu lieu plus tôt dans la matinée m'était complètement sortie de l'esprit. De plus, Neven avait pris grand soin d'éviter Lily au maximum et celle-ci n'avait pas eu d'autre choix que de s'éclipser avec les autres petites sorcières à l'heure du déjeuner – les nouvelles règles du Coven les y obligeant.
Arrivée en fin de journée, Neven m'a proposé de me raccompagner – il s'était rendu au lycée en voiture – et je n'ai même pas eu besoin de lui raconter pourquoi personne ne venait me chercher ce soir, ce qui était un soulagement immense.
— Comment tu vas ? a-t-il demandé tandis que je regardais les champs défiler sous mes yeux sans discontinuer.
Je n'ai pas tourné la tête, ne sachant pas trop quoi répondre à une question si vaste. Entre le faire d'avoir appris que les vampires existaient, qu'ils étaient à mes trousses, qu'ils avaient tué trois sorcières par ma faute, que Neven faisait partie de leur espèce, que je devais déclencher un éveil précoce et que ma famille me prenait pour une moins que rien, c'était un peu difficile de faire la part des choses.
Mais en même temps, si je prenais un peu de recul, on pouvait dire que je gérais assez bien la situation. Aussi, j'ai déclaré d'un ton égal :
— Ça va, je crois.
Une main s'est posée sur ma cuisse et j'ai baissé les yeux, regardant les doigts de Neven serrer mon genou. Étant donné que notre proximité surnaturelle intégrait forcément un contact de peau contre peau, le fait qu'il me touche par-dessus mes vêtements m'a fait bizarre : je n'étais pas envoûtée par notre connexion et le geste me semblait soudain beaucoup plus fort de sens.
— Tu ne te sens pas trop effrayée par tout ce que tu viens d'apprendre ? a repris Neven, mine de rien, comme si m'attraper la jambe était une action tout à fait naturelle qu'il faisait sans réfléchir.
— Un peu, mais je crois que je suis encore en état de choc, en ce moment. Je ne suis pas aussi stressée que je devrais l'être, ai-je expliqué, continuant de loucher sur sa main.
— C'est peut-être mieux comme ça. Si tu paniquais dans cette situation de crise, on serait vraiment mal.
C'était sûr. J'ai acquiescé en remerciant mon corps pour avoir développé je ne sais quel mécanisme de défense qui me permettait de ne pas être en train d'hyperventiler face aux informations que je venais d'apprendre.
— Je doute d'être toujours aussi calme si on parvient à se débarrasser des vampires. En fait, je pense que j'ai fait une sélection dans ma tête sur le plus important à traiter et j'ai mis de côté mes peurs. Mais elles sont encore là et, l'adrénaline passée, je ne suis pas sûre de rester aussi saine d'esprit.
Je préférais me montrer honnête : j'avais beau avoir l'air serein, comme ça, je sentais les nuages s'accumuler dans les tréfonds de mon esprit. La veille, j'avais permis à Neven de boire mon sang, il était maintenant complètement dépendant de moi, j'avais aussi accepté l'idée d'être liée à jamais à une créature inconnue qui, selon ses dires, était « chasseuse née ».
D'accord, j'avais eu la preuve que Neven et moi étions effectivement puissants lorsque nous étions ensemble – la guérison de ma blessure au cou en était la preuve et sa propre morsure avait miraculeusement disparu dès qu'il avait écarté ses lèvres de ma peau – mais j'en connaissais si peu sur le phénomène des Adelphes, si peu sur les sorcières de la nuit, si peu sur les Igel, que c'en était terrifiant.
Neven aurait pu me dire n'importe quoi, je n'avais pas d'autre choix que de le croire. Ce manque d'information me rendait vulnérable et j'en étais parfaitement consciente. Pour l'instant, je me fiais à lui parce que j'avais vu la meute de vampires et je savais qu'elle était à mes trousses. Nos intérêts étaient donc communs en cherchant à les arrêter. Mais après ? Je n'étais pas certaine de continuer à le suivre.
Nous arrivions dans l'antre de Silverwood quand Neven a rompu le silence entêtant qui noyait le véhicule.
— Je vais devoir m'absenter demain.
Sa remarque m'a immédiatement réveillée. Je me suis redressée brusquement pour lui adresser un regard interdit.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu viens à peine de rentrer. Et tu as vu ce qui s'est passé hier ? Sans toi, j'y serais restée ! Tu ne peux pas m'abandonner à nouveau.
Le garçon a pincé les lèvres, les yeux focalisés sur la route.
— Je n'ai pas le choix et ça ne sera l'affaire que d'un seul jour cette fois.
J'ai poussé un soupir d'indignation.
— Où est-ce que tu veux aller ? Tu veux faire quoi ? Je te signale que sans toi, je n'ai aucun allié à Ryneshire. Je suis complètement exposée.
— Je sais. Mais c'est dans ton intérêt : je veux me rendre à Londres afin de trouver du matériel qui pourrait aider à déclencher ton éveil.
— Du matériel ? ai-je répété en haussant un sourcil.
Il n'a pas cillé devant mes réticences évidentes.
— Oui. Des potions, si tu préfères. Je connais quelques sorciers de la vie qui me doivent une faveur. Je vais leur demander de me concocter des mixtures qui libèrent la magie.
La surprise de cette révélation passée, je me suis exclamée :
— Mais comment sais-tu qu'ils en ont la capacité ? Et pourquoi tu n'as pas ramené cette potion avant ? C'est complètement bête d'être rentré les mains vides quand tu savais que tu pouvais faire ça !
— Je ne le savais pas, Alya, a-t-il répliqué sèchement.
— Comment ça ?
— Je ne fais que des hypothèses : si les sorciers de la vie sont capables d'annihiler les pouvoirs de leurs homologues nocturnes, ils devraient pouvoir également les déclencher.
Je me suis tue, réfléchissant à ce qu'il venait de me dire. Effectivement, ça se tenait. Enfin, pour ce que j'en savais de la magie, c'est-à-dire pas grand-chose.
— Pourquoi tu veux partir si tu n'es pas sûr de ce que tu avances ? ai-je fini par demander après quelques secondes.
Les mains de Neven se sont serrées autour du volant et j'ai vu ses jointures blanchir.
— Parce que je n'ai pas trouvé d'autres solutions. Je ne vois pas comment t'aider et le temps nous est compté. Si je n'essaie pas, alors nous allons échouer et tant que tu n'auras pas fait ton éveil, je ne pourrais pas demander d'aide à qui que ce soit. C'est trop dangereux. L'attrait de ton pouvoir est trop tentant, même pour mes alliés.
— Tes alliés ?
Mais de quoi parlait-il ? De sa famille ? Sa façon de s'exprimer sonnait étrangement. Hélas, Neven n'a pas cru bon de développer cette partie de notre conversation : il est resté concentré sur le principal.
— Tu n'as même pas encore passé la deuxième phase de ton éveil. À ce train-là – même si c'est positif puisque ça signifie que ton pouvoir est très puissant – on en a encore pour un an. Et on ne dispose pas de tout ce temps.
Tu m'étonnes... Je me suis mordue la lèvre. Je détestais l'idée de me retrouver seule encore une fois, même si ce n'était que l'espace d'une journée. Après ce qui s'était produit la veille, j'étais loin de me sentir en sécurité et je venais à peine de retrouver Neven. Le fait de devoir l'abandonner à nouveau me rendait malade – au sens propre comme au figuré.
Cependant, je devais reconnaître que ses propos faisaient sens : nous n'avions plus que neuf jours, peut-être moins – cela dépendait de la vitesse à laquelle ma mère mettait en place ses sortilèges de protection au Coven. Si nous n'agissions pas vite, je n'osais imaginer la suite des évènements. Je ne voyais que l'obscurité et la douleur.
Autour de moi, les arbres se sont refermés sur la voiture, nous enfonçant dans les ténèbres du bois. Nous serions bientôt arrivés. J'ai observé cette forêt que je connaissais depuis toujours, que j'avais chérie jusqu'à aujourd'hui et qui me paraissait maintenant hostile et dangereuse.
Si je voulais pouvoir m'y promener à nouveau, m'y sentir en sécurité, je devais me battre. J'étais peut-être terrorisée mais m'enfermer dans la peur ne me mènerait nulle part. Je n'avais pas d'autre choix que d'avancer, de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour survivre et pour sauver ceux que j'aimais. Dans le cas contraire, nous serions tous perdus, moi la première.
Prenant une profonde inspiration, j'ai fini par déclarer :
— Très bien. Tu pars quand ?
— Ce soir. Ne sors pas demain. Tu te fais porter pâle et tu ne quittes pas ta maison. C'est le seul endroit où les Igel ne peuvent pas t'atteindre. Tu ne fais pas un pas à l'extérieur avant que je sois revenu et tu n'ouvres pas la porte. Quoi qu'il arrive.
Ses directives m'ont profondément agacée. Je m'étais transformée en petite enfant modèle qui devait suivre le moindre de ses ordres. Je savais qu'il voulait me protéger mais, alors qu'il me répétait que j'étais une sorcière puissante, je me sentais fragile et inutile.
Le sentier cahoteux s'est soudain élargi, découvrant les contours de ma maison et j'ai répondu :
— D'accord. Mais fais vite. Je ne peux pas me cloîtrer indéfiniment chez moi.
Surtout en connaissant toutes les tensions qui s'accumulaient au sein de mon foyer.
— Je ferais le plus vite possible. Je n'aime pas non plus l'idée de te laisser seule après ce qui s'est passé hier.
Nous sommes arrivés devant la terrasse et un flot de souvenirs encore brûlants s'est répandu dans ma tête, glissant derrière mes paupières une pellicule effrayante ressassant ce que les vampires m'avaient fait subir. J'ai serré les dents.
Neven a passé délicatement ses doigts sous ma mâchoire et d'une petite pression, il m'a forcée à le regarder. Le simple contact de sa main a déclenché une vague de chaleur dans tout mon organisme. Mais grâce à nos étreintes récentes, j'ai pu aisément la contrôler. Le vampire avait raison sur un point : quand nous libérions notre désir mutuel, l'attraction qui nous liait était plus supportable.
— Je sais que c'est dur. Tu réagis déjà d'une manière extraordinaire, Alya. Mais ne t'inquiète pas. Je suis là. Je ne t'abandonnerai pas.
Il disait vrai : il n'avait pas le choix après tout. Mais ça ne me rassurait pas autant que cela aurait dû. Je redoutais de me retrouver encore face aux vampires, je redoutais que cette fois-là, Neven n'arrive pas à temps. Alors que m'arriverait-il ? Quelle sensation ressentirais-je quand je serais traînée dans les bois, attachée au milieu d'un pentagramme, nue comme un ver dans le froid mordant de la neige ?
La terreur que cette image éveillait dans mon cœur était incomparable.
— T'as pas intérêt de m'abandonner, ai-je finalement chuchoté.
Puis sans rien dire, j'ai coupé le contact entre nos deux peaux, me suis détachée et suis sortie de la voiture pour rejoindre ma maison sans un regard en arrière. J'aurais dû le remercier pour l'aide qu'il m'apportait, j'aurais dû... je ne sais pas moi, l'embrasser ? Mais je n'en avais pas envie. Pas alors que j'étais en danger et qu'il s'en allait, pas alors que mes pensées étaient dans un désordre pas possible, pas alors qu'un simple fil de couture imaginaire retenait tout le bagage émotionnel qui s'était constitué après ce que j'avais vécu la nuit dernière.
J'ai tracé ma route sans demander mon reste et me suis réfugiée chez moi, le souffle court sans avoir couru.
Un jour.
C'était le temps à passer seule, vulnérable. Ensuite, Neven reviendrait et nous provoquerions mon éveil. Nous règlerions le problème et le danger serait loin.
Un jour.
Vingt-quatre heures.
Je pouvais tenir jusque-là. J'avais réussi à survivre un mois et quelques. J'en étais plus que capable.
Enfin... c'était ce que je pensais.
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