Chapitre 17 - Les non-dits
— De quoi ?
Je lui ai fait signe de s'approcher. Il s'est à nouveau placé en face. Il a dardé sur moi son regard incandescent et l'espace d'une minute, la sensation de ses lèvres sur les miennes a explosé dans ma mémoire. Évidemment, je l'ai repoussée très loin. Gardant mon sérieux, j'ai demandé :
— Qu'est-ce qui s'est passé tout à l'heure ?
Neven a fait mine de ne pas comprendre où je voulais en venir.
— A quel moment ?
Je me suis mordillé la lèvre sous le coup de la frustration.
— Tu sais bien ! Pourquoi cette foutu tasse a éclaté, comment je me suis retrouvée avec un morceau planté dans le bras ?
Si jusqu'ici, Neven se montrait insouciant et distant, mes propos l'ont comme détendu et il s'est soudain redressé, m'adressant soudain une expression assurée. On aurait dit qu'il s'était attendu à ce que j'aborde un tout autre sujet.
— Tu l'avais posée trop près du feu. Ça arrive souvent, ici. La pièce n'est pas chauffée et la céramique a réagi à la chaleur des flammes alors qu'elle était fraîche. C'est pour ça qu'elle s'est brisée.
Je suis restée sans voix face à cette explication.
— Mais... Je pensais que...
— Tu pensais quoi ? Que j'étais membre d'une secte satanique et que j'avais lancé un sort sur cette tasse ? Tu sais, la magie ça n'existe pas Alya. Il faudrait peut-être arrêter de regarder des films d'horreur.
J'ai serré les dents. Il n'avait pas tort : j'avais tout de suite vu de la magie là où il n'y en avait pas forcément. L'excuse de Neven était beaucoup plus logique. Surtout venant d'un humain. Il n'y avait qu'une personne connaissant l'existence des sorciers de la vie pour croire en une autre hypothèse et pour ne pas chercher de raison rationnelle à l'événement qui venait d'avoir lieu.
Il devait me prendre pour une folle maintenant. Bon sang, ses baisers me faisaient vraiment perdre la tête ! Ils me rendaient complètement paranoïaque.
— Tu as raison, je suis désolée.
— T'inquiète.
Il a hoché lentement la tête sans me quitter des yeux, guettant la moindre de mes réactions. J'aurais aimé pouvoir disparaître dans un trou de souris, juste pour avoir l'occasion d'oublier mes accusations infondées. Malheureusement, il y avait encore un point à éclaircir.
— Et pour ce qui est d'avant... ai-je murmuré.
— Tu veux parler de quoi ?
J'ai levé la tête, interdite. Se pourrait-il qu'il embrasse tellement de filles qu'il en oublie que c'était un détail qui comptait ? Cependant, je me suis vite détrompée en découvrant son sourire carnassier. J'ai levé les yeux au ciel, encore.
— À ton avis ?
Il s'est gratté le menton, faisant semblant de réfléchir intensément à la question.
— Je ne vois pas.
Agacée et gênée, je me suis levée d'un bond. Préférant ne pas remettre sur le tapis ce moment qui semblait ne pas l'avoir marqué plus que ça, j'ai lancé :
— Oh, tu sais quoi ? Laisse tomber. Je suis fatiguée, blessée et il est tard. Tu peux me raccompagner chez moi s'il te plaît ?
Un bref coup d'œil à mon portable m'a confirmé qu'il était dix-neuf heures quinze et qu'il fallait partir. Neven a souri de plus belle.
— Mais c'est que tu rougis, Alya Clarke.
Il ne manquait plus que ça. J'ai grincé des dents. Fuyant cette conversation périlleuse, je me suis penchée sur la table pour rassembler mes affaires dans mon sac.
— Oublie, j'ai dit ! ai-je répété, me concentrant sur ma tâche plutôt que sur la présence du garçon derrière moi.
— Pourquoi ça te gêne de m'avoir embrassé ?
Sa voix était si proche de mon oreille qu'elle m'a fait sursauter. Quand j'ai tourné la tête, j'ai trouvé son menton niché sur mon épaule et ses yeux qui continuaient de me fixer avec cette intensité dont lui seul avait le secret.
Sans hésiter, je me suis écartée, fermant partiellement la fermeture éclair de mon cartable.
— Ça ne me gêne pas, c'est juste que...
Mes mots sont morts entre mes lèvres. Je n'avais pas d'excuse : évidemment que j'étais gênée. Je n'allais pas dire que c'était mon premier baiser, mais chaque fois que j'avais partagé ce genre d'instants avec un garçon, ça avait eu de l'importance pour moi. Je détestais les gens qui se montraient intimes avec n'importe qui sans prendre la peine de se soucier des sentiments de chacun.
Je détestais me montrer intime avec n'importe qui sans prendre en compte mes propres sentiments. Aussi, cette situation était à l'opposé de tous mes principes et me mettait dans une position désagréable.
— C'est juste que quoi ?
De nouveau, j'ai frissonné : sa voix coulait dans mes oreilles, aussi veloutée que du chocolat et aussi chaude que les bûches qui se calcinaient doucement dans l'âtre. Refusant de lui dire la vérité, refusant de me montrer vulnérable face à ce garçon qui semblait ne me voir que comme une groupie parmi tant d'autres, j'ai soupiré.
— Oublie. Je dois vraiment y aller. Si je suis en retard, mes parents vont me gronder.
Sans lui adresser un regard de plus, je me suis dirigée vers l'antichambre, bravant les nombreux mètres qui me séparaient de la sortie. Je sentais mon cœur battre à tout rompre dans ma poitrine et mes pensées virevolter dans ma tête, condamnant mon comportement dernier.
— Alya.
Le chuchotement de Neven est parvenu jusqu'à moi, flottant dans les airs pour ondoyer autour de ma tête. J'ai fait comme si je ne l'avais pas entendu et accéléré le pas. Je ne voulais plus parler. Et puis, je n'avais pas totalement menti : si à vingt heures tapantes je n'appelais pas mes parents depuis le téléphone-fixe, ma punition prendrait une ampleur dévastatrice.
La porte est enfin apparue devant mes yeux, se dessinant entre les nombreuses tentures qui glissaient sur les murs et le soulagement m'a envahie. Bientôt, je serais dehors, loin de cette maison et loin de l'erreur que je venais de commettre. Je ferais alors comme si je ne m'en souvenais plus et nous n'en reparlerions jamais.
Cependant, Neven ne semblait pas du même avis et, sorti de nulle part, ses doigts se nouèrent autour de mon bras, me retenant dans l'entrée, à quelques pas seulement de la sortie.
— Alya !
J'ai brusquement tourné la tête, interdite.
— Mais... comment tu as fait ? Je t'ai entendu sortir du salon il y a à peine quelques secondes...
Neven a balayé ma question d'un geste de la main.
— Pourquoi tu t'enfuies ?
— Je ne m'enfuie pas.
J'ai senti mes joues s'empourprer et je me suis insultée mentalement. Pourquoi mon corps ne pouvait-il pas suivre les instructions de ma conscience une fois dans ma vie ? Au lieu de me le faire remarquer, le garçon a attrapé mon deuxième poignet et m'a tirée vers lui. Seul le fin tissu de mon pull nous protégeait des effets de notre contact explosif et sans réfléchir, je me suis retenue de respirer.
— Si, tu t'enfuies, a insisté Neven.
Cette fois, j'ai hésité. Je ne me voyais pas le contredire indéfiniment alors que nous savions tous deux qu'il avait raison. Mais en même temps, je ne voyais pas non plus l'intérêt d'avoir cette conversation.
Alors, un agacement violent m'a assaillie et je me suis brusquement écartée, reculant de plusieurs pas pour reprendre mes esprits. Je venais de me rappeler que rien ne m'obligeait à lui répondre, rien ne m'obligeait à rester et rien ne m'obligeait à le laisser me traiter de la sorte.
La colère a pris le pas sur le malaise et je me suis emportée :
— Non mais sérieux, pourquoi tu te comportes comme ça ? Pourquoi tu as toujours besoin de t'approcher, de me toucher ? Pourquoi tu me poses cette question ? Oui, oui je te fuyais... et alors ? C'est juste parce que je n'avais pas envie de te parler, c'est tout ! Pas de quoi en faire tout un plat !
Neven est resté muet. Ses lèvres se sont pincées et il m'a longuement dévisagée, semblant intégrer un à un les mots que je lui avais balancés à la figure. Finalement, il s'est passé la main dans sa chevelure ébène, ébouriffant quelques mèches ce qui, ô miracle, réussi à le rendre encore plus séduisant.
— Je suis désolé si je t'ai gênée. Ce n'était pas mon attention, a-t-il marmonné.
J'ai haussé les épaules.
— La prochaine fois, écoute-moi. Je t'ai dit d'oublier, c'était évident que je ne voulais pas parler.
Neven a acquiescé.
— Excuse-moi.
Après avoir doucement hoché la tête, marquant que j'acceptais de lui pardonner, Neven m'a dépassée pour m'ouvrir la porte d'entrée. Il m'a tendu mon manteau, que j'avais dû oublier dans le salon en prenant mes jambes à mon cou et je l'ai enfilé tandis que l'air glacial de la nuit s'engouffrait dans la maison.
J'ai frissonné avant de suivre le garçon dehors, quittant enfin ce manoir qui me faisait froid dans le dos. La décoration avait beau être somptueuse, quelque chose me déplaisait. L'air semblait lourd et l'atmosphère chargée de souvenirs obscurs. J'ai marché avec Neven jusque sa voiture et il m'a raccompagnée sans parler, le silence nous enveloppant.
Pourtant, cela ne m'a pas gênée. J'avais besoin de calme pour me remettre de mes émotions. J'avais besoin de calme pour pouvoir accepter l'idée que je venais de l'embrasser et que je n'en reparlerais pas. C'était la première fois de ma vie que j'agissais comme ça, sur un coup de tête et bon nombre de questions pesaient sur ma poitrine.
Peut-être que l'épisode de la tasse n'était dû qu'à la chaleur des flammes, mais Neven avait un secret, j'en étais persuadée. Parce que je l'avais vu, tout à l'heure : lorsqu'il m'avait rattrapée, il avait pris soin de ne pas me toucher directement. J'avais surpris son regard prudent. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : le phénomène qui nous reliait l'un à l'autre l'affectait tout autant que moi.
Pourtant, il ne cherchait pas à m'en parler. Pourquoi ? Comment ne pouvait-il pas éprouver le besoin d'évoquer cette manifestation de magie ? Il n'y avait qu'une raison possible : contrairement à moi, il en connaissait la raison et il n'avait donc aucun besoin de réclamer des réponses.
Neven Arsher avait un secret, c'était une certitude. Et tout le long du trajet, je n'ai pu penser qu'à ça, l'observant à la dérobée alors qu'il regardait la route.
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