Latte vanille
Une fois douché et habillé d'un jean et d'un sweat-shirt à l'effigie de Greenpeace, Jimin descendit l'étroit escalier qui menait à la boutique.
Avant même d'allumer la lumière, il entendit les bruits que faisaient ses petits pensionnaires. Ici, un grattement dans le foin, là, le cliquetis d'ongles sur le carrelage ou encore le bruit d'une noisette qui venait de craquer sous la dent du gourmand qui allait en faire son petit déjeuner.
Il appuya sur l'interrupteur et la lumière inonda les lieux. Aussitôt les bruits étouffés qu'il avait entendus, se muèrent en un vaste brouhaha.
- Bonjour Jimin !
- Jimin, j'ai faimmmmmmm !! Berthe a mangé toutes les graines, cette nuit, et du...
- Voilà Min, voilà Min !!
- Délivranceeeeeeeee.
- Cocoricooooo.
- Ta gueule Hubert, tu es un perroquet, pas un coq ! Il est con ce piaf !
- Ne parle pas sur ce ton à ce pauvre Hubert ! Tu sais qu'il a subi un grand traumatisme pendant son enfance!!
- Quoi, il a été bercé trop près du nid ?
- Jimin, je ne veux plus vivre avec ce malotru, je demande à changer de cage !
L'intéressé ne put s'empêcher de sourire à ce qu'il nommait l'appel de la forêt.
Chaque jour, quand il descendait au café, le même phénomène se produisait et cela remplissait son cœur de bonheur, même si, généralement, il finissait la journée sur les rotules, avec un mal de tronche de titan à essayer de gérer sa ménagerie.
- Bonjour, bonjour, on en parlera plus tard George, coupa-t-il aux lamentations matinales du hamster.
Il se dirigea vers le comptoir et alluma le percolateur pour faire couler son deuxième café de la matinée, et Dieu sait que ce n'était que le début d'une longue série.
Cet endroit n'était pas une animalerie. Il s'agissait d'un café librairie où les gens venaient boire un chocolat chaud en plongeant dans le monde utopique des livres qu'il mettait à leur disposition.
Plusieurs espaces étaient aménagés au rez-de-chaussée de ce bâtiment qu'il avait hérité de ses parents. Il s'agissait d'une vieille bâtisse qui se situait en dehors de la ville sur une colline.
Les gens d'ici l'appelaient le Manoir et les enfants aimaient à penser qu'il était hanté, mais Jimin s'en fichait, il chérissait sa maison et l'univers qu'il y avait créé.
Il avait fait détruire tous les murs de séparation au rez-de-chaussée pour ouvrir la pièce à la lumière automnale qui filtrait par les bow windows. Deux cheminées d'époque victorienne brûlaient chaque hiver d'un feu joyeux, appelant au farniente et embaumant la pièce de la fragrance du feu de bois.
D'un côté, les murs étaient recouverts de rayonnages de livres, il y en avait pour tous les styles, tous les âges et en plusieurs langues.
Des grands fauteuils et canapés dépareillés étaient disposés un peu partout, pour que chacun puisse trouver son petit coin de sérénité.
Les espaces étaient délimités par des estrades et des plantes vertes qui apportaient une touche de couleur à cet espace qu'il avait voulu dans un camaïeu de beige et de marron.
Le centre de la pièce était occupé par un immense bar en chêne clair qui lui permettait de jeter un œil à chaque coin de l'espace, un immense aquarium en constituait la base.
De l'autre côté, une partie de la salle avait été aménagée pour les petits pensionnaires qu'il recueillait ou que parfois, on lui amenait.
Il les nourrissait, en prenait soin et de temps en temps, ils repartaient, adoptés par une bonne âme qui promettait de s'en occuper avec amour.
Une volière occupait l'un des pans de murs. Sur un autre, avait été créé un labyrinthe en plexiglas transparent où les clients pouvaient voir évoluer les hamsters et les écureuils, lancés dans des courses poursuites des plus comiques pour rejoindre leurs cages qui étaient situées dans la pièce de l'autre côté du mur et où il avait aménagé une cuisine et un lieu de soins qui leur était réservé.
Une sorte de chatière avait été percée dans la porte. Elle permettait aux lapins de rejoindre le petit parc en bois qui se situait dans un coin de la pièce.
Les enfants aimaient s'y asseoir avec une bande dessinée, la main perdue dans le pelage doux des lagomorphes.
Il avait également installé de petites banquettes circulaires qui entouraient de petites tables bistrots comme autant d'îlots de tranquillité.
Beaucoup de monde passait dans ces murs, mais les affaires ne marchaient pas vraiment et à vrai dire, il s'en fichait un peu. Il avait eu la chance de recevoir, avec cette maison, une coquette somme qui lui permettrait de vivre convenablement jusqu'à la fin de ses jours et c'est ainsi qu'il avait trouvé son bonheur.
Loin de l'agitation de la ville, dans sa bulle, en paix.
Enfin paix, c'est vite dit quand une meute enragée réclamait son petit déjeuner à corps et à cris, ou plutôt pour toute personne non initiée, à grands renforts de piaillements et autres aboiements.
Jimin fit le tour de la ménagerie et nourrit chacun de ses pensionnaires, distribuant caresses et croquettes à volonté ; sauf pour Ignace le piranha, à qui il donna une sardine congelée en la tenant au bout d'une pince de peur de perdre un doigt dans l'opération.
Ne riez pas, vous demanderez à Namjoon !
D'ailleurs, il se demandait où était passé son cousin qui était censé l'aider à sustenter tout ce petit monde. Mais c'est autre chose qui l'inquiétait : depuis qu'il était descendu, il n'avait pas encore vu Tannie.
C'était un petit poméranien qui avait été abandonné. Ses anciens propriétaires, qui avaient découvert qu'il souffrait d'une affection respiratoire grave, n'avaient rien trouvé de mieux que de l'attacher à un abri de caddies au centre commercial et de partir sans se retourner.
Tannie devait son salut à une petite fille qui avait supplié ses parents de l'amener au gentil monsieur déjanté qui vivait au Manoir a.k.a Jimin.
Cela faisait maintenant trois mois que le petit chien était arrivé. Il avait usé de tous les stratagèmes avec lui, mais l'animal, profondément traumatisé, refusait de parler, que ce soit à lui ou aux autres animaux.
- Tannie? Où est-ce que tu es, mon beau ? Viens par là, appela-t-il d'une voix douce.
- Lààààààààà, hurla George en le faisant sursauter violemment.
Jimin leva la tête vers l'un des tuyaux de plexiglas où un hamster brun et joufflu avait collé ses bajoues sur la paroi, dévoilant deux dents pointues qui pouvaient percer un doigt aussi sûrement qu'une épingle (vous demanderez aussi à Namjoon) et dont, si on se concentrait bien, on pouvait voir les amygdales tremblotantes au fond de sa gorge.
- George, combien de fois t'ai-je dit de ne pas hurler dans la maison ?
- Ne te fatigue pas, cet âne bâté n'écoute rien, commenta un écureuil roux qui s'assit tranquillement dans le tuyau du dessus.
George leva la tête si brusquement qu'il en tomba sur le dos.
- Un conseil, noisette, commence à courir parce que si je t'attrape, je te crève.
L'écureuil sursauta avant de s'enfuir en courant dans le trou du mur pour disparaître derrière la paroi en hurlant qu'il voulait déménager de cette maison de fous.
- George, laisse Paul tranquille s'il te plait ! J'ai autre chose à foutre que de régler vos problèmes domestiques. Où as-tu vu Tannie?
Le hamster se redressa tant bien que mal et indiqua de sa petite patte, l'espace qui se situait sous la volière. Jimin s'y dirigea et s'accroupit devant celle-ci.
Les perruches Berthe et Guindille en profitèrent pour venir s'accrocher au grillage et commencèrent à tirer ses mèches de cheveux blonds avec leurs becs.
- Quelle couleur magnifique, ça lui va tellement bien ! Qu'en penses-tu, Guindille ? demanda la perruche bleue à son amie.
- Je dois dire, ma chère Berthe, que j'adorais quand il était roux, mais cette couleur, mon Dieu, j'aimerais picorer un tas de graines sur son corps, répondit la perruche verte.
- Mesdames, je vous entends, dit Jimin en piquant un fard.
- Et ses yeux ! Regarde-moi ses yeux ! Ils sont tellement mis en valeur par cette teinte, Seigneur, je m'en trouverais mal, dit Berthe en penchant la tête en arrière comme si elle subissait un évanouissement.
- Mesdames...
- VOS GUEULES LES NYMPHOS ! s'écria Max le lapin noir qui venait d'arriver par la trappe. On vous entend de l'autre côté et il y en a qui aimeraient finir leur nuit !!! cria-t-il avant de repartir en sens inverse.
Les perruches s'envolèrent un peu plus haut et s'installèrent sur leur perchoir, la tête levée de vexation et muettes comme des tombes.
Jimin savait que le calme ne durerait pas longtemps et en profita pour reprendre son activité initiale en marmonnant.
- Pas étonnant que ce chien passe son temps à se cacher, il est tombé dans un repère de psychotiques.
Il se pencha un peu plus et passa la tête sous le support de la volière dans laquelle il entendait quelques battements d'ailes. Les commères étaient certes vexées, mais la curiosité était la plus forte.
- Tannie, appela-t-il doucement, viens mon beau, il faut que tu manges.
Dans la pénombre de sa cachette, il voyait le poméranien pencher la tête sur le côté et l'observer avec méfiance. Allez viens, ils sont bargeots, mais ils sont gentils, n'aies pas peur.
- Gentil, gentil, gentil.
Hubert le perroquet qui s'était perché au-dessus de la volière venait visiblement d'apprendre un nouveau mot.
Jimin soupira et continua son avancée sous la cage, mais il sursauta violemment et se cogna la tête quand il sentit quelque chose lui passer sur la main.
- Putain, Placide, dit-il en reconnaissant le gecko, tu ne peux pas avertir !
Le lézard s'arrêta un instant et le fixa de ses yeux ronds avant de tirer la langue et de partir à toute vitesse.
- Désolé, Boss.
- Désolé, désolé mon cul, je vais avoir un œuf de la taille du cul de Potter.
- Tu sais ce qu'il te dit Potter ? entendit-il crier depuis l'étage.
- Putain, c'est vrai que les chats ont une ouïe très fine.
- Et pas que ! répondit le félidé qui visiblement n'était toujours pas d'humeur.
Il tendit la main et allait presque atteindre Tannie quand il entendit Namjoon se mettre à hurler derrière lui, le faisant à nouveau sursauter et se cogner sur la bosse qui grossissait déjà sur sa tête.
- JE SUIS LÀ !
Jimin laissa tomber sa tête entre ses bras. Il en aurait chialé de rage et de douleur aussi. Putain que ça faisait mal.
- Tiens, voilà le boulet ! dit Spot, le lapin tacheté qui se nettoyait les oreilles avec la régularité d'un métronome.
- On se passera de tes commentaires, Spot, répondit Fleur la lapine blanche, la seule dans cette foutue baraque à ne pas avoir un caractère de cochon.
- Merci Fleur, dit Jimin en sortant de sa cachette et en massant son crâne.
- Qu'est-ce qu'il a encore dit le lapin ? demanda Namjoon en regardant Spot d'un air mauvais.
- Rien, absolument rien, répondit le jeune homme en se redressant. Tu es en retard Nam et je peux savoir ce que c'est que cette tenue, demanda-t-il en regardant le short et le débardeur échancré de son cousin. Il doit faire cinq degrés dehors.
- Un pompier ne craint pas le froid.
- Nam, tu n'es pas pompier...
- Boulet, le seul mec au monde à avoir loupé douze fois le concours d'entrée, s'écria Spot avant de recevoir un coup de patte derrière la tête de la part de Fleur.
Jimin le regarda en plissant les yeux et Namjoon suivit son regard.
- Quoi, qu'est-ce qu'il raconte ? Je suis sûr qu'il a encore dit une saloperie sur moi.
- Mais non, t'inquiète, répondit Jimin. Tu devrais aller te changer et allumer les cheminées, on dirait qu'il va pleuvoir, les gens auront envie de se réchauffer.
- Okay, j'y vais, grommela-t-il.
Jimin regarda son cousin partir avec le sourire. Ce colosse était d'une maladresse pathologique. Son plus grand rêve était de devenir pompier, mais à chaque concours, il provoquait une catastrophe.
La dernière en date était l'incendie qu'il avait déclenché au sein même de la caserne, ce qui avait valu à Jimin, la visite du capitaine des pompiers, passablement agacé, le suppliant de le faire renoncer à ce rêve absurde sous peine de représailles sanglantes.
Comme lui, il n'avait plus de famille, non pas qu'ils étaient décédés, mais ils l'avaient renié quand celui-ci avait refusé d'utiliser ses capacités intellectuelles pour faire de hautes études, préférant rêver à sauver le monde.
Il était brut, souvent maladroit, servait de souffre-douleur aux animaux qui adoraient lui grignoter un doigt ou un mollet à l'occasion, pourtant il était la douceur même et un soutien indéfectible dans sa vie.
Et il était le seul à connaître son secret.
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