Ch 8: Étranges réveils (Partie 1)
Dégageant une aura intimidante, le jeune cultivateur resta un moment à observer Yuan Sunjie, avec un visage aussi indéchiffrable que du marbre.
N'y portant guère attention, Yuan Sunjie continua tranquillement de lui parler, le ton léger :
« Cet étranger, tu le connais, toi ? »
Qian Jingliu changea d'appui sur sa jambe. Il ne semblait guère apprécier les airs familiers de ce voleur.
Le cultivateur exhalait la prestance et la grâce de ceux qui venaient du milieu de la noblesse. Yuan Sunjie arrivait à le deviner rien qu'en regardant son allure ; insolente et à la fois élégante.
En dépit de son air juvénile, l'être tout entier de cet adolescent paraissait pourtant grand et puissant. L'atmosphère et l'air autour de lui semblaient intimidés par le simple fait de devoir toucher sa peau. Si Yuan Sunjie plissait les yeux, il croirait même voir une froide lumière qui dansait autour de sa silhouette aux longues manches flottantes. Quelque chose de plus singulier encore, de plus dominateur et de dangereux, semblait provenir de ce type. Son instinct le lui disait. C'était comme respirer une odeur de vinaigre sans savoir d'où ça venait.
« Il a l'air dangereux. Vous ne devriez plus vous approcher d'un tel étranger, prévint le jeune homme, le sortant de ses pensées.
— Il n'est pas humain, n'est-ce pas ? » questionna Yuan Sunjie, reprenant son demi-sourire effronté, relevé à la commissure des lèvres.
Qian Jingliu fronça les sourcils et lui demanda d'une voix autoritaire :
« Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
— Oh, juste une impression... »
''Mes poils !'' admit-il intérieurement. ''Et il est grand !''
Son signal d'alarme biologique marchait toujours quoi qu'il arrive. En présence d'un esprit, quel qu'il soit, les poils de son corps se redressaient instinctivement, pareils à une réaction cutanée ou une sorte d'allergie. Cette capacité, un peu étrange certes, lui servait énormément dans la chasse aux esprits. Ça marchait si bien qu'il s'était mis à faire une confiance aveugle en cette habilité singulière. Mais ça non plus, il ne le dira jamais à personne.
Qian Jingliu sembla moins disposé à perdre son temps. Il laissa flotter son épée dans les airs et tourna les talons pour partir, mais contre toute attente, d'un coup, il fit volte-face en direction de Yuan Sunjie et lui lança un regard noir.
« Je te laisse partir pour cette fois, lui dit-il sur un ton aussi calme que l'eau qui serpentait dans la rivière. Je ne tiens pas à tuer un gamin. Tu n'auras pas la même chance si je croise à nouveau ton chemin. Encore heureux que la Pierre d'Opaque soit toujours en bon état, sinon, je te l'aurais fait payer cher. Que je ne te reprenne plus à voler, sale voleur ! »
Le volume de sa voix était monté vers la fin. Surpris de sa réaction, Yuan Sunjie écarquilla de grands yeux.
Qian Jingliu monta sur son épée, ses longs cheveux à peine attachés avec deux de ses propres mèches flottaient dans le vent.
Il monta dans les airs et disparut avec l'obscurité de la nuit.
Un sourire se dessinant sur son visage, Yuan Sunjie porta ses mains en porte-voix autour de sa bouche et hurla à tue-tête, un éclat de rire dans la voix :
« J'AVAIS VRAIMENT L'INTENTION DE LA RENDRE ! XIUZHE, JE NE SUIS PAS UN VOLEUR ! JE SUIS YUAN SUNJIE ! »
Sa voix s'évanouit au-dessus des clapotis de l'eau, puis rapidement, les bruits de la nature reprirent leurs cours.
Yuan Sunjie se releva avec un sourire et il se remit en route vers le campement, ressassant les événements surprenants qu'il venait de vivre juste en l'espace d'une nuit.
''Quel personnage intéressant ce Qian Jingliu de Yelang '', pensa-t-il avec un sentiment d'excitation.
Qui était ce Kaze ? D'où venait-il ? Ce nom étrange lui paraissait familier et faisait vibrer un sentiment indescriptible en lui.
« Bon, je rentre me coucher ! »
Il avait eu une rude soirée et beaucoup de surprises en une seule nuit. Rentrer dormir était de loin la meilleure option.
''Et puis...'' songea-t-il un peu plus tard en fermant les yeux, allongé dans sa couche sous une tente, ''Est-ce qu'il m'a traité de gamin ou ai-je rêvé ? ''
Au petit matin à son réveil, tout son corps lui semblait beaucoup plus léger que d'habitude...
Yuan Sunjie était plus petit que la moyenne des autres jeunes hommes de son âge, mais il avait un corps bien dessiné dû à son entraînement martial depuis son enfance. Pourtant, ce matin-là, il lui semblait avoir pris trois doigts de plus !
Non seulement sa taille était maintenant dans la moyenne, mais ses muscles lui paraissaient plus saillants. Il poussa un cri de joie !
« Hier, c'était le jour de ma naissance ! Enfin ! Ma croissance a commencé ! » jubila-t-il de joie.
Après s'être habillé, il glissa un regard vers Shi Chang, emmitouflé dans sa couche, profondément endormi.
« Shifu, je crains que ton disciple ait besoin de nouveaux vêtements. Et puis tu vas aussi m'en vouloir, car j'ai cassé ta vieille épée hier. Ne me gronde pas quand tu te réveilleras » lui dit-il en finissant de s'habiller.
Il sortit de leur tente et tressaillit de tout son corps au contact de l'air frais matinal. Dehors, il y avait encore du brouillard. Il détestait la sensation d'avoir froid, mais cela avait le don de le réveiller.
Sans se presser, il traversa la brume puis alla se mettre sous un arbre pour s'asseoir et méditer. Dès qu'il ferma les yeux, une pression insoutenable comprima son crâne et des flashes d'images apparurent dans son esprit. Des cascades de feux, de la fumée, des yeux bleus. Ou bien était-ce des éclairs et des couleurs qui pulsaient ? Son coeur s'accéléra nerveusement et il se sentit soudain extrêmement oppressé.
''Qu'est-ce que c'était ? Que m'arrive-t-il ? '', fit-il en regardant autour de lui.
Il était seul. Il n'y avait rien.
Il referma les yeux. Plus rien.
Yuan Sunjie ne reçut aucune image étrange après cela. Alors, cessant d'y penser, il se replongea dans sa méditation, puis il entama ses tâches quotidiennes avant d'aller s'entraîner. Depuis plusieurs semaines, il s'exerçait à perfectionner une technique à l'épée que lui avait enseignée son Shifu : le 'Fil de la Déesse'.
Cette technique consistait à assaillir son adversaire avec une suite de plusieurs coups rapides. Il devait frapper vite, concentrer de l'énergie spirituelle dans ses pieds pour accroître sa vitesse et ensuite attaquer son adversaire deux fois de suite à l'épée, puis, accélérer et continuer par une attaque rapide sur la gauche ou sur la droite, s'il y avait des adversaires.
De visu, cela donnait l'effet qu'il plantait un coup d'épée puis deux coups successifs rapidement, et dans un flash, fonçait sur un autre adversaire pour l'asséner d'un coup fatal. Selon Shi Chang, il pouvait continuer à accélérer sa vitesse et ses mouvements pour attaquer cinq personnes à la suite, à condition que sa course ne soit pas interrompue par un adversaire plus fort.
Cette technique était vraiment remarquable et puissante. Quand il en vit la démonstration, Yuan Sunjie la qualifia même d'élégante. De la vitesse, de la précision et de la force réunies dans une superbe succession d'enchaînements.
Yuan Sunjie ne parvenait pas à reproduire la technique correctement, car n'ayant pas encore développé un jiedan comme les cultivateurs, il était dans l'incapacité d'inoculer son énergie spirituelle dans son arme. À cet instant, son esprit repensa à l'épée du jeune cultivateur qui l'avait traité de voleur et il sourit, ''Qian Jingliu", répéta-t-il son nom, or, l'image de Shi Chang qui se moquait de lui, chassa le jeune noble de ses pensées.
Yuan Sunjie eut l'impression d'entendre son ton moqueur, alors il mima les paroles en déformant sa voix pour l'imiter :
« Apprends à marcher avant d'apprendre à courir, sinon tu ne pourras jamais voler ! »
Le disciple se positionna avec une épée d'entraînement et mima l'effet de l'énergie spirituelle qui s'accumulait dans ses pieds en faisant 'zchoo', grimaçant avec la bouche, puis bondit à trois zhangs plus loin pour porter le premier coup dans l'arbre sous lequel il méditait plus tôt.
L'arbre explosa en mille copeaux !
La mâchoire de Yuan Sunjie se décrocha si fort qu'elle manqua de toucher le sol.
« Aaah !!! Mais que s'est-il passé ?! » voulut-il crier sans qu'aucun son ne s'échappât de sa gorge.
Alarmé, il baissa les yeux sur son épée en bois. Il leva l'épée sans y mettre aucune force, quand une lame de vent en fut projetée et souffla sur les copeaux qui s'envolèrent partout, autour de lui.
« MAIS QU'EST-CE QU'IL VIENT DE SE PASSER ?! » hurla-t-il cette fois.
Ivre d'incrédulité, il tourna les talons et courut dans la tente pour réveiller Shi Chang.
Il tira sa couverture et le secoua par les épaules en criant son nom, en vain. Shi Chang n'était pas prêt de se réveiller si tôt.
Par dépit, Yuan Sunjie abandonna. Alors, il l'installa à nouveau confortablement sur son lit en lui remettant sa couverture. Il soupira et sortit de la tente. Dans ses yeux brillait pourtant une étincelle indiquant qu'il avait une petite idée.
Yuan Sunjie alla s'asseoir sous un saule pleureur près d'un coude de la rivière et se mit dans la posture du Lotus* comme pour méditer. Il ferma les yeux et lentement, il sonda son corps. Il sentit immédiatement ce qu'il redoutait.
Son coeur tremblant se mit à s'emballer, une excitation commença à ramper sous sa peau telle une termitière dérangée. Yuan Sunjie avait bien deviné !
Il ne se trompait pas ! Même si cela tenait du miracle et qu'il n'avait aucune idée sur comment l'expliquer, Yuan Sunjie ne pouvait que constater que son corps avait bel et bien développé un jiedan ! Un noyau d'énergie qui faisait de lui officiellement un cultivateur.
Il entrouvrit les paupières et vit une chaleureuse lumière rouge qui émanait de lui. Il souleva la main pour observer la douce lueur qui irradiait de sa paume, la retourna et regarda ses doigts, puis ses yeux glissèrent droit devant lui et vers la forêt.
Son souffle se coupa net. C'était comme s'il découvrait la nature et la forêt pour la première fois de sa vie.
« Incroyable ! Si belle ! » lâcha-t-il émerveillé.
On aurait dit que la nature s'était parée d'une magnifique robe éclatante et de ses plus beaux atouts. Les arbres exhalaient une sensation de béatitude qui atteignit son coeur et lui enleva les mots de la bouche. Il les entendait même chanter ! Ils se parlaient entre eux dans une langue qui lui était inconnue. Cette musique ressemblait à l'écho d'un vent qui portait le chant des baleines et des lucioles à son oreille.
Le jeune garçon eut le sentiment merveilleux d'avoir atteint le Nirvana, ses yeux se remplirent de larmes de bonheur. Il comprit alors pourquoi certains moines pratiquaient la cultivation. Devenir témoin d'une telle beauté, c'était en effet un privilège.
Yuan Sunjie resta en émerveillement pendant un long moment pour profiter de ce spectacle époustouflant avec le sentiment de flotter sur un nuage. Très vite, il réalisa que tous ses sens étaient aiguisés. Il arrivait à entendre toutes sortes de bruits étouffés, des pas feutrés de deux petits animaux qui se terraient dans un buisson ou le vol d'un oiseau à des lieux dans le ciel.
S'il poussait plus loin, il arrivait à voir un colibri qui butinait une fleur dans tous ses détails et une araignée qui tissait sa toile sous une feuille de chêne. Il parvenait même à détecter la présence de Shi Chang qui dormait et des animaux jonchant le sol ou volant dans le ciel.
Finalement, une demi-journée plus tard, son excitation s'étant légèrement apaisée, il était emporté par un voyage au fond de son propre esprit et de son propre corps. Il resta ainsi dans cette position, à apprendre à ressentir son environnement et cette boule chaude qui tournoyait au fond de son dantian*.
Il passa la journée et la soirée dans cette position sans bouger, sans boire, mangeant le vent et l'air froid. Quiconque passerait par là et le verrait ainsi penserait qu'il ne manquerait qu'un figuier et des pagodes pour compléter un magnifique tableau. Au bout de quinze heures, son corps exténué ne le supportant plus, s'écroula sans énergie comme un tronc creux.
Cette nuit-là, la lune resta cachée derrière de sombres nuages et derrière le brouillard constant de la région. Il n'y eut aucun témoin pour le voir s'endormir avec un grand sourire collé sur son visage, à même le sol, ses vêtements trempés par le froid et l'humidité.
Le matin suivant, Yuan Sunjie se réveilla la tête dans le blizzard. Si la veille, il se sentait fringant comme un pinson, ce matin-là, c'était tout l'inverse.
Yuan Sunjie avait l'impression de porter le poids du ciel sur ses épaules. Il se mit à ramper péniblement en fulminant contre lui-même jusqu'à sa tente.
''J'ai trop forcé sur mon corps hier... Mon corps me fait... si... mal ! Est-ce que j'ai ce qu'on appelle une déviation* du Qi ? '', Yuan Sunjie se traîna en s'emportant contre lui-même.
'' Je viens sûrement d'établir un nouveau record ! Celui du jiedan le plus bref qui soit ! Du plus jeune cultivateur qui ait développé un jiedan et le plus jeune à le perdre aussi vite...'', soupira-t-il. ''Qu'elle belle étoile filante ! La 'Bulle de savon', voilà comment on me nommerait ! Que quelqu'un vienne me tabasser, rageait-il, qu'on en finisse ! Mais quel... Aargh !!!''
En réalité, il voulait vraiment pleurer. Il parvint à ramper jusqu'à l'abri et se hissa sur son couchage. Il enfouit son visage dans sa peau de cabri et poussa un cri de rage avant de tomber dans un profond sommeil qui dura deux jours entiers.
**
Une fin d'après-midi, quelqu'un tira Yuan Sunjie endormi, de sa couverture en peau de cabri en le traînant par les deux pieds, laissant ses bras former un Y par-dessus sa tête bringuebalant. Shi Chang dormait encore paisiblement pendant ce temps.
De l'extérieur, on pouvait voir des nuages sombres qui débordaient de partout. C'était en réalité une scène effroyable. L'abri était par ailleurs, en proie à quelque chose de difficilement descriptible.
On croirait qu'un cyclone s'était réfugié sous la tente. Les cheveux blancs de Shi Chang volaient dans les airs telles des algues s'agrippant désespérément à son crâne pour ne pas se faire arracher par le courant d'air violent. Les affaires avaient disparu ou volaient, emportées dans un tourbillon noir, mais Shi Chang se retourna sur sa couche en tirant sa couverture sur les oreilles.
Le cyclone suivait Yuan Sunjie comme si son corps était l'oeil autour duquel il tournoyait. En réalité, cette tornade noire émanait de l'abdomen de l'adolescent.
À l'extérieur, ce n'était pas la scène, mais Yuan Sunjie qui faisait vraiment peur à voir.
« Oï ! Tu as la tronche d'une margose* ! » piaffa Kaze en regardant la tête de Yuan Sunjie avec un air de dédain.
Vraiment, sa tête faisait peur à voir ! Il fallait avoir le coeur solidement accroché pour garder les yeux rivés sur lui plus de cinq secondes. Son visage était entièrement ridé et boursouflé de centaines de petites bosses à l'aspect de « margose » comme le qualifiait Kaze. En plus de cela, on aurait cru qu'il s'était pris une masse de plein fouet en pleine face.
Son nez s'était retroussé à l'intérieur de son ossature et ressemblait plus à un museau qu'à un nez humain. Cette étrange bosse lui donnait l'air d'avoir été éjecté depuis le ciel et d'avoir raté son plongeon contre la surface plane d'un océan calme ; un plat si énorme que même son âme en avait ressenti le choc de la gifle. Ses sourcils étaient couverts d'épaisses écailles qui lui donnaient une expression fâchée, en plus d'une tête hideuse ; ce qui ne favorisait pas l'aspect général de la laideur allongée par terre.
Kaze aperçut un vide aberrant derrière ses paupières et l'appela plusieurs fois par son nom, sans succès.
Yuan Sunjie était porté loin, dans un songe de cauchemars, de cendres et de fumées.
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Notes et Références :
⎨* Posture du Lotus : posture assise, jambes croisées.
* Dantian: fait référence à la région du corps où le Qi d'une personne est concentré.
* déviation du Qi : Un état dans lequel la base de cultivation devient dangereusement instable, provoquant des dommages internes au corps et des symptômes de psychose.
* margose : fruit à la silhouette pour le moins originale. Leur caractéristique principale réside dans l'aspect verruqueux de sa peau. C'est extrêmement amer et souvent utilisé en cuisine. C'est même délicieux !
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