Ch 51 : Invocation 'Sept-Sept'
Qian Xiuying saisit le bras de son frère avant qu'il ne tentât de s'acharner sur leur invité.
« Arrête Qian Jingliu ! Ne lui fais pas de mal ! »
Une longue nuque élégante, un visage plus petit et délicat que celui de son frère, Qian Xiuying était une beauté si éblouissante que les poissons se laisseraient couler et les oies sauvages cesseraient de voler. Frère et sœur avaient le même teint de jade et le même raffinement dans leurs traits gracieux. L'un à côté de l'autre, ils étaient pourtant aussi identiques que le jour et la nuit. Ses yeux de biche avaient des cils recourbés, maquillés par un trait de noir, un nez mince et elle portait un voile de rouge sur sa bouche qui se déforma d'une grimace d'effroi derrière les deux énergumènes déchaînés.
Son cadet ne l'écouta pas et bondit à nouveau, prêt à attaquer Yuan Sunjie qui fuit en grimpant sur les remparts, puis à l'étage au-dessus. Qian Jingliu le prit en chasse et tenta de l'attraper dès qu'il pouvait le coincer. Yuan Sunjie gloussait et rigolait ouvertement, ce qui eut le don d'énerver davantage son attaquant.
Qian Xiuying les suivait du regard, scandalisée. Impuissante, ses yeux ne purent que suivre l'insouciante brise de printemps qui se faisait talonner par une tempête d'hiver déchaînée dans le bâtiment circulaire.
« A-Ling ! Arrête ! Qu'est-ce qui vous prend de vous battre ici ? »
Un vase à fleurs s'écrasa à ses pieds en la faisant sursauter, puis elle entendit deux autres objets se briser à l'étage, suivit par le fracas de la porcelaine détruite.
Qian Jingliu était semblable à un molosse enragé qui avait cassé sa laisse. Il n'entendait pas sa sœur et ne voyait devant ses yeux que Yuan Sunjie qu'il avait envie d'attraper. Celui-ci fuyait et esquivait les coups en sautant de mur en mur et de balustrade à balustrade en dévalant les étages, heureux comme un fou. Ils cassèrent des vases et quelques meubles au passage.
Utilisant un poteau comme barrière entre eux, Yuan Sunjie gloussa, le nargua en lui demandant :
« Jueye Qian, que vous arrive-t-il ? Mais, pourquoi vous jetez-vous sur moi de la sorte ?
— ...
— Qu'ai-je fait ? Tu essaies de me tuer ? Où sont tes manières Jueye Qian ? » ria Yuan Sunjie derrière ses yeux de braise.
En réalité, Qian Jingliu ignorait lui-même pourquoi il s'était emporté aussi facilement. Son corps avait bondi seul et maintenant il ne pouvait plus s'arrêter. D'un unique regard, Yuan Sunjie avait réussi à l'enflammer et il ne lui a fallu que quelques mots pour l'embraser.
Un brin de défi dans le regard, Yuan Sunjie l'esquivait tel un acrobate. Les dents et la mâchoire serrées, Qian Jingliu tenta de l'arrêter, le manqua de près, son poing envoyé laissa un trou dans le mur !
La voix de Qian Xiuying s'éleva en-dessous, elle les supplia encore d'arrêter. Mais puisque personne ne l'écoutait, elle imposa, radicale :
« Invocation 'Sept-Sept' ! »
Qian Jingliu lança une autre salve de coups. Yuan Sunjie réussit à fuir et sauta de la balustrade pour le couloir d'en face, à l'opposé. En plein saut, son corps fut soudain freiné dans son élan. Yuan Sunjie resta un battement de cils dans une posture figée à mi-chemin dans les airs avant de tomber de quatre étages et de tout son poids aux pieds de Qian Xiuying qui esquiva d'un pas de côté. Qian Jingliu le suivit et sauta dans le vide.
« Arrête petit frère ! J'ai besoin de lui ! s'interposa-t-elle. Ne lui fais pas de mal ! »
Qian Jingliu, articula un mot à la fois, avec une rage frémissante qu'il contenait mal dans la voix, s'efforçant de se calmer face à sa sœur ainée.
« Que dis-tu ?
— Ne prends pas cet air outragé et ne sois pas si impatient ! Laisse-le se relever. Ce jeune maître a accepté de m'aider pour la prochaine tenue que je vais proposer aux nouvelles recrues. J'ai besoin d'un modèle masculin et il est parfait pour ce rôle ! Il a la bonne taille et il est bien proportionné. Il a un équilibre parfait entre muscles et finesse, exactement comme une jeune recrue ! Le rendu sera parfait ! »
Qian Jingliu avait justement son attention entière, focalisée sur ce modèle de perfection se tordant de douleur par terre en se tenant le dos. Le Tigre sortit ses mains de ses manches et se caressa ses cheveux relâchés en arrière pour cacher le haut de ses oreilles rougies.
« Oooh... » gémissait l'intéressé.
Étalé à côté du puits central, Yuan Sunjie était tombé coccyx-première sur une pierre plate et il s'essuyait maintenant une petite larme en se pinçant les lèvres.
« Je vous présente mes excuses, mais vous ne m'avez pas laissé le choix, siffla Qian Xiuying d'une voix courroucée. Regardez le grabuge que vous avez fait !
— Accepte mes excuses Jiejie, je ne voulais pas faire obstacle à ton projet.
— Je le sais bien A-Ling, tu es trop adorable pour ça, je ne t'en veux pas » répondit Qian Xiuying en caressant la joue du molosse redevenu un poussin docile.
Qian Jingliu balaya ses yeux autour de lui. Aux alentours, l'état des lieux faisait pitié. Ils avaient fait un vrai carnage ! Il y avait des trous dans le mur, des balustrades et des poutres cassées à tous les étages, des vases brisés, des rideaux déchirés, même une sandale plantée dans un poteau, du mobilier en morceaux parmi d'autres décorations qui n'avaient pas tenu. Certains faisaient peine à voir, comme s'ils s'accrochaient à un dernier fil de dignité perdu d'avance.
« Que m'avez-vous fait ? gémit Yuan Sunjie d'une voix chuintante tandis que Qian Xiuying l'aidait à se relever.
— Je vous ai jeté un sort. À tous les deux ! Ce sera votre punition ! À tous les deux ! pesta-t-elle.
— Grande sœur, je te demande pardon... Je ne sais pas ce qui m'a pris...
— Des excuses ne suffiront pas cette fois ! Mais que va dire notre père en voyant cela ? Tu es l'héritier de ce clan, tu ne peux pas te permettre de tout casser ainsi ! Voilà pourquoi, pour vous apprendre à vous entendre tous les deux, je vous ai jeté le sort de Sept-Sept ! Ce sera ta punition petit frère et à vous aussi !
— Jiejie ! Ne fais pas cela ! Je risque de le tuer ! Vraiment !
— He... oh, marmonna Yuan Sunjie silencieusement en redressant péniblement le dos. Vraiment ? Ha... Chaque chien a son jour !*
— C'est trop tard, c'est déjà fait. Voyez cela entre vous ! » répliqua-t-elle avant de tourner les talons et sa colère pour partir.
Qian Jingliu courut après sa sœur pour tenter de la dissuader.
Resté en arrière et perplexe, Yuan Sunjie se demanda, ''Le sort de Sept-Sept ? Sept-Sept ? ...Sept ? Qu'est-ce que c'est ? Et comment ai-je fait pour me faire punir même ici ?''
Il scruta dans sa mémoire. Il n'avait jamais entendu parler de cette invocation. Pas de souvenir non plus dans le livre de Shi Chang, sinon il s'en serait rappelé. Cela voulait donc dire que c'était un sort secret de leur clan et il allait bien vite comprendre à quoi il servait.
Saisi d'une force invisible qui le poussa, ou plutôt, qui le tira en avant, Yuan Sunjie ne put s'empêcher de marcher dans la direction que le frère et la sœur avaient prise. Il suivit donc leurs pas et tomba sur Qian Jingliu immobile, tandis qu'elle s'éloignait avec sa suite. La force d'attraction s'arrêta à quelques pas de Qian Jingliu. Arrivé à sa hauteur, il lui demanda :
« He Jueye, de quoi il s'agit au juste ?
— Nous sommes coincés ensemble pendant sept jours » sa voix était posée et calme, pourtant Yuan Sunjie y perçut une légère pointe de nervosité.
Qian Jingliu se retourna vers Yuan Sunjie et il crut apercevoir sur son visage, le temps d'un si bref instant qu'il pensa l'avoir imaginé, l'expression victorieuse du chasseur refermant son piège sur sa proie avant qu'il ne redevienne ce masque d'indifférence.
Perplexe, Yuan Sunjie regarda autour de lui.
« Où est-ce qu'on est coincés pendant sept jours ? Ici ?
— Ce n'est pas où, lui répondit-il de sa voix redevenue calme et grave. On est coincé ensemble, car on ne peut pas s'éloigner l'un de l'autre de plus de sept pas pendant sept jours. »
Au son de cette ronronnante voix virile, Yuan Sunjie sentit un frisson courir le long de ses bras, en même temps son entrejambe se réveilla en sursaut et se dressa comme un fier bambou.
''Hein ??''
Le sens des paroles de Qian Jingliu le percutant à leur tour, il s'écria de nouveau silencieusement en se penchant en avant pour faire semblant de frotter son dos qui lui faisait encore bien mal :
« HEIN !? »
Le sort ne pouvant être rompu, Yuan Sunjie et Qian Jingliu se retrouvèrent bien obligé d'apaiser la dispute par la conciliation s'ils voulaient que leur cohabitation se passe agréablement. Piégés dans un rayon de sept pas ensemble, ils ne pouvaient faire autrement que d'essayer de s'entendre et de se suivre mutuellement dans un silence gêné, en arpentant les couloirs qui faisaient le tour du bâtiment des résidences privées des disciples.
Ils décidèrent que Yuan Sunjie dormirait dans la chambre de Qian Jingliu pendant les jours qui viendraient. Compte tenu de son rang, c'était à Yuan Sunjie de suivre Qian Jingliu à l'instar de son ombre dans tous ses déplacements pendant le temps que durerait le sort. Il dut également faire une croix sur tout le programme qui fut prévu pour lui.
Juste avant d'aller au banquet du dîner, ils quittèrent le grand bâtiment circulaire et se dirigèrent à l'extérieur des grandes bâtisses avec les affaires de Yuan Sunjie récupérés dans sa chambre.
À première vue de ce qu'on appelait la Tour d'Eau, on comprenait immédiatement que ce n'était pas une tour à proprement parler, mais bien trois tulous* construis pour offrir une défense complète aux habitants. Au centre, se trouvaient un temple et un minuscule village composé de quelques pavillons extérieurs et de palais où vivait les familles les plus aisées et les nobles de la communauté. Le tout, devant un rideau allongé de cascades blanches, était protégé par une cloche de verre, baignant dans un embrun éternel et d'arcs-en-ciel. C'était un endroit d'une beauté à couper le souffle et à saisir le cœur d'un choc merveilleux.
Les trois tulous s'élevait jusqu'à six étages. Ils possédaient chacun une cour circulaire, entourée de couloirs et de pièces d'où s'élevaient de majestueuses poutres vernies et brillantes. Baignés de lumière sur l'intérieur, ils offraient une vue dégagée et ouverte sur la vertigineuse scène extérieure.
Entouré par ces trois forteresses imprenables, un plus petit bâtiment de forme carré avec des tuiles cramoisies, puis quelques pavillons et des maisons isolés s'y logeaient, tapis à l'abri. Autour de chaque bâtisse, une multitude de petits bassins reliés par des cours d'eau qu'il fallait traverser en empruntant des ponts et des passerelles. C'était vers les pavillons isolés à l'extérieur, que les deux jeunes hommes se dirigeaient.
Yuan Sunjie se disait que le jeune Tigre devait littéralement bouillir sous son flegme de façade pour s'être retrouvé de force collé à lui. Lui-même était loin d'être confiant de la tournure que prendrait cette cohabitation. Malgré tout, la satisfaction d'avoir poussé Qian Jingliu dans cette situation, était en soi une victoire largement suffisante pour le jeune Bambou qui voulait se venger un peu de lui.
Yuan Sunjie avait mis la réaction étrange de son corps sur le compte de la présence de la princesse Qian, mais quand il avait compris ce que signifiait le sort, il avait immédiatement repris ses esprits et s'était calmé. L'idée ne lui déplaisait pas, loin de là, pourtant il n'était pas sûr.
'' À la base, je voulais juste l'emmerder pour lui faire payer la disparition de Sept-Roux. Qu'est-ce que je vais faire avec lui ? Nous ne sommes pas amis, il ne me porte pas dans son cœur et ce n'est pas en sept jours que je pourrais changer ce qu'il pense de moi... Si j'apprends à le connaître, quel est l'intérêt, puisque de toute façon nos chemins se sépareront... ? Est-ce qu'il a des amis en dehors des autres héritiers ? ''
Yuan Sunjie n'avait pas attendu longtemps avant de se faire incendier par Zhu Yaling qui le menaça de renvoi pour avoir mis leur hôte, qui plus est l'un de ses proches amis, dans cette position inconfortable et gênante. Ce n'était pas seulement au fils du duc à qui Yuan Sunjie avait fait perdre la face devant son clan, mais c'était également, à toute la secte du Bambou de Jade ! Comment Zhu Yaling pouvait-il tolérer cela ? Si Qian Jingliu n'avait pas été à sept pas de ce morveux, l'héritier junzi aurait volontiers tirer ce disciple effronté pour le pendre par les deux oreilles.
Or, s'il ne voulait pas se faire renvoyer sur-le-champ par le clan Zhu après toute la pagaille provoquée chez leur hôte, Yuan Sunjie devait trouver un moyen d'amadouer le bloc de glace à ses côtés et faire en sorte que le reste de son séjour à la Tour d'Eau se passe sans accroc.
Quelques bâtons d'encens plus tard, l'atmosphère était encore plus froide et palpable qu'une peau de chagrin un matin d'hiver et Yuan Sunjie désespérait de devoir finalement désamorcer la pression. Zhu Yaling lui avait hurlé plus tôt :
« Tu te tais, tu ne dis rien, tu ne lui dis rien, tu marches à sept pas derrière lui et c'est tout ! C'est entré ?
— Oui Xiujun.
— Pour toi, il n'est ni Xiujun, il n'est ni Gongzi. Tu l'appelleras Jueye comme si tu étais un serviteur du clan Qian et ne crois pas que tu as le droit de lui adresser la parole ! Tu n'es rien de plus qu'un bout de bois ou un rideau dans son décor, hmm ? menaça l'héritier, l'index pointé vers lui.
— Oui Xiujun, s'inclina Yuan Sunjie avant d'ajouter avec la veine qui pulsait sur son front, je prendrai soin de Jueye. »
Et depuis, il marchait en silence à sept pas derrière le jeune noble portant des vêtements immaculés aux rebords rouge, son dos couvert d'un rideau d'encre jusqu'à hauteur des reins. Yuan Sunjie n'espérait pas que Qian Jingliu fasse attention à lui en lui adressant la parole rapidement, mais il pensait qu'au bout de plusieurs heures, il allait craquer... Faux !
Qian Jingliu ne s'était pas retourné une seule fois, ni ne lui avait, ne serait-ce, adressé un seul mot et rien qui pouvait être qualifié réellement d'un regard. Yuan Sunjie n'était pas le seul. Qian Jingliu n'adressait la parole à aucune des personnes qu'il croisait mais qui eux pourtant, ne manquait pas de le saluer en s'inclinant avec tout le respect qu'ils lui devaient. Tantôt, on le saluait par « Jueye », tantôt par « Shixiong ». Yuan Sunjie devait s'incliner à chaque fois que quelqu'un le faisait et au bout de plusieurs heures, il commençait sérieusement à en avoir plein le dos.
Quand ils se dirigèrent ensemble vers la salle des banquets dans le premier tulou, la nouvelle de leur punition s'était déjà répandue telle une traînée de poudre au sein de la Tour d'Eau, mais personne n'osa venir leur faire la moindre allusion. Tous les observèrent du coin de l'œil avec beaucoup d'amusement. C'était chose rare pour le jeune héritier d'être puni, car ce dernier était de nature disciplinée, voire un modèle de droiture plébiscité par les siens. D'autant plus qu'il était assez discret et solitaire, Qian Jingliu était aimé et admiré par son clan depuis sa plus tendre enfance.
Arrivés à la salle remplit de monde, Qian Jingliu montra sa paume et lui dit en se retournant pour le regarder.
« Sois à mes côtés. »
Yuan Sunjie remarqua qu'une place avait déjà été préparée pour lui aux côtés de la table de Qian Jingliu et il ne put s'empêcher de rougir, la tête haute, en y prenant place sous le regard amusé des hôtes prestigieux du clan du Tigre Blanc.
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Notes et Références :
⎨* Chaque chien a son jour : un peu l'équivalent de 100 jours pour le voleur, 1 jour pour le maitre⎬
Photo tulou* :
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