Ch 48: Les flammes du Printemps
Yuan Sunjie sursauta en entendant des explosions de pétards quelque part sur le volcan et ouvrit les yeux sur un ciel illuminé. C'était temps de fête et c'était une vue magnifique. Le ciel était inondé d'un collier de perles lumineuses. Pourtant, rapidement, il abaissa les yeux pour regarder une autre scène.
Qian Jingliu disait quelque chose à Huang Chenxi en pointant du doigt une lanterne dans le ciel, avant de s'éloigner. Yuan Sunjie comprit qu'il voulait aller chercher une autre pour remplacer la lanterne qui venait de brûler.
Yuan Sunjie releva un léger changement dans le comportement de Huang Chenxi au moment où elle se retrouva seule avec Zhu Yaling. Elle semblait avoir chaud, car elle se mit à s'éventer frénétiquement avec l'éventail qu'elle portait, et ses joues prirent une légère teinte rosée. C'était étrange, vi qu'au bord de la falaise, le vent marin n'était pas ce qui manquait et il ne faisait pas spécialement chaud cette nuit.
Pendant qu'ils se parlaient, par mégarde, Zhu Yaling effleura sa main qui tenait l'éventail. Cette fois le visage de Huang Chenxi s'empourpra d'une couleur écarlate qu'elle tenta vainement de dissimuler en détournant la tête et en s'éventant nerveusement. Zhu Yaling lui, perdit toutes ses couleurs et ses gestes devinrent soudain maladroits. Un air confus et embarrassé se lisait sur le visage de ce dernier, alors qu'il frottait sa nuque en riant avec nervosité. C'était drôle comment ils avaient l'air tous les deux gênés par ce simple contact.
La scène fit sourire tendrement Yuan Sunjie qui ferma ses yeux un instant. Se sentant repus et alourdi, ou parce qu'il succombait désormais à la fatigue de son combat contre Hundun, ou de son rêve d'homme et de femme dragons, ses paupières se rejoignirent, sa tête bascula doucement sur le côté. Par inadvertance, Yuan Sunjie s'enfonça à nouveau, dans un sommeil contre le pied de l'arbre.
« Ne t'endors pas ici. Les insectes vont te dévorer. »
La voix grave de Qian Jingliu lui parvint telle une légère mélodie au loin, mais elle lui sembla hors du temps. Son esprit trop embrumé de fatigue et de sommeil, Yuan Sunjie n'eut pas la force de comprendre le sens de ses mots. Il se sentit tiré par le haut et se laissa emporter par le mouvement. Il se laissa faire, vaguement conscient de ce qui lui arrivait et ne montra aucune résistance.
« Réveille-toi. Je vais te ramener chez toi. Où vis-tu ? demanda le Tigre en le secouant légèrement.
— Je cherche un parfum... ssent bon... marmonna-t-il à moitié endormi.
— Un parfum qui sent bon ? » répéta Qian Jingliu un brin amusé.
« YUAN SUNJIE ? YUAN SUNJIE ? » crièrent soudain, deux voix qui firent écho l'un avec l'autre près des falaises.
Ne le trouvant ni chez lui, ni dans les salles de fêtes, Ying Luo et Wang Xiao, suivi de Xia Shuibo mangeant un dessert, s'étaient mis à sa recherche. En apercevant Zhu Yaling et Huang Chenxi, ils cessèrent de crier en s'approchant d'eux, présentèrent leurs respects et leur demandèrent s'il n'avait pas croisé l'intéressé.
Qian Jingliu poussa un soupir blasé en tenant Yuan Sunjie, adossé contre le tronc de l'arbre, alors que le sommeil s'était emparé de ces yeux qui lui rappelaient la couleur dorée de l'eau chatoyante au soleil. Son visage enfantin lui parut soudain si... innocent. Hormis ce sourire narquois en coin qu'il avait tendance à arborer malicieusement à chaque fois qu'ils se voyaient, cette image paisible de Yuan Sunjie fut un contraste à la fois stupéfiant et énigmatique. Quoique, si Qian Jingliu devait se l'avouer avec sincérité, ce trait distinctif et moqueur n'ajoutait qu'un charme supplémentaire à ce visage qu'il trouvait déjà si unique et particulièrement fascinant plus que nul autre. Pour un jeune homme, Yuan Sunjie était sans conteste attirant, et sans se mentir, extrêmement désirable.
Il avait l'air si paisible, endormi de la sorte, et dévoilait une facette inattendue de lui. Qian Jingliu eut la sensation coupable d'avoir découvert un secret jalousement gardé. Soudain, dans la vôute parsemée de petits points lumineux qui voguaient doucement vers les étoiles brillantes, un énorme bouquet lumineux éclata et éclaira brusquement la nuit, illuminant au passage le visage enfantin du jeune junzi devant les yeux du Tigre qui s'arrondirent d'émerveillement.
Au moment où il s'y attendait le moins, une puissante décharge agrippa son cœur tandis que sa gorge se noua. Il eut le souffle coupé et il se sentit violemment propulsé de la terre sans la quitter. Le choc, tel un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage, s'abattit sur Qian Jingliu, le laissant sans voix.
Ce qu'il vit, lui sembla être la chose la plus adorable et sublime qu'il eut jamais contemplée. En l'instant d'une seconde, ni le monde, ni rien d'autre, n'exista à l'exception de Yuan Sunjie.
Les yeux de Qian Jingliu s'écarquillèrent dans la lumière des fleurs scintillant comme des diamants sur le velours de la nuit. Son cœur martela si fort et explosa en même temps que le ciel, quand une autre flèche lumineuse éclata en forme d'oursin blanc au-dessus de leurs têtes en crépitant. Le Tigre eut la sensation que mille chants raisonnaient.
Qian Jingliu se rapprocha immédiatement de son visage pour admirer de plus près les taches de rousseur parsemées sur son nez et ses pommettes, sous la timide lumière des crépitements s'éparpillant en dents-de-lion. Le souffle court, ses lèvres s'entrouvrirent machinalement. Envoûté dans l'instant, Qian Jingliu pensa qu'il avait toujours trouvé que ces taches rousses et brunes accentuaient davantage le doré de ses yeux. Elles attiraient la lumière et faisaient rayonner son visage d'une façon troublante, donnant l'impression que Yuan Sunjie était son propre soleil.
Fasciné, Qian Jingliu approcha son visage plus près, pantelant et n'écoutant que les battements de son cœur. Il glissa une main sous sa joue, et comme il s'y attendait, sa peau était douce et soyeuse. Tout en Yuan Sunjie rayonnait d'une étrange manière qui l'ensorcelait. Son visage était si parfait, si incroyable, qu'il jurerait que chaque centimètre de lui s'était concerté pour pousser sa beauté à son paroxysme. Le cœur bouleversé de Qian Jingliu se serra soudain et une étrange lueur brilla dans ses yeux.
L'étrange vue qui se dressa devant eux, leur donna un frisson dans le dos. Qian Jingliu tenant Yuan Sunjie par ses vêtements, en le plaquant contre l'arbre, et la tête de ce dernier qui balançait nonchalamment, sans vie, leur firent penser qu'ils s'étaient encore battus. Sans perdre de temps, les amis de Yuan Sunjie, et même Zhu Yaling plus loin, se mirent à courir dans leur direction.
Qian Jingliu poussa un soupir agacé. À cause du bruit des fleurs d'artifices ou parce qu'il avait sa garde totalement baissée, Qian Jingliu ne les avait pas entendus arriver. Peut-être les avaient-ils découverts à cause de la lumière projetée par les bouquets lumineux ?
À contrecœur, le Tigre dut se résoudre à relâcher ce bref instant de magie.
Pourtant, d'un coup, il se retourna à toute hâte et laissa choir Yuan Sunjie sur son dos en douceur. Son souffle chaud balaya la joue maintenant rosie de Qian Jingliu. Prestement, le jeune Tigre s'accroupit, laissant glisser le menton de Yuan Sunjie au creux de son cou, sa tête blottie contre son épaule. Ensuite, il enroula les bras de Yuan Sunjie autour de son cou, puis glissa les mains sous ses jambes pour le pousser sur son dos à califourchon. Caché par la profonde obscurité, Qian Jingliu se retourna pour le regarder et respirer une dernière fois son odeur de soleil.
Soudain, il se retrouva tiraillé... tenté par l'envie incroyable de s'enfuir en gardant Yuan Sunjie pour lui, rien que pour cette nuit. Une seule pensée persistait dans son esprit, telle une sourde plainte :
" Mien ! "
*****
Quelques jours plus tard, en dépit du froid matinal, Yuan Sunjie marchait dans la forêt de bambous quand le ciel s'obscurcit et une pluie menaça de tomber. Son expression était mauvaise et il avait lui-même un petit nuage noir au-dessus de la tête. Ce qui le mettait de si mauvaise humeur, c'était qu'un autre renard s'était volatilisé ! Et s'il était en colère, c'était parce qu'il soupçonnait Qian Jingliu, en visite au clan Zhu comme chaque année apparemment, d'être derrière cela. Huit-Gris disparu, Yuan Sunjie avait décidé d'aller confronter Qian Jingliu et se dirigeait vers la cabane qui lui servait d'atelier.
Il fut surpris, en s'approchant de l'atelier de Qian Jingliu, de constater qu'il n'y avait aucune limite qui empêchait quiconque de s'approcher et découvrit Zhu Yaling à la porte, qui donnait des coups de pieds aux derrières de quelques disciples qui portaient des boites pleines et des paniers remplis d'herbes. En se concentrant sur l'ouïe, il entendit Zhu Yaling qui parlait à quelqu'un d'autre dans l'atelier, sur un ton colérique.
« C'est à cause de toutes ces commandes idiotes pour avoir une peau de pêche satinée, qu'il a fui d'ici ! Pourquoi les femmes se sentent-elles obligées de se farder pour changer de visage ? Regarde le nombre de commandes pour des taches de rousseur qu'il y a sur la table ! Si le léopard ne peut changer ses taches*, pourquoi les vouloir sur son visage ?
— Des taches de rousseur sont un critère de beauté sur le Mont Zhu depuis un an cher neveu, répliqua calmement la voix qu'il reconnut. C'était Zhu Xueren.
— Il me laisse seul avec Huang Chenxi ici ! se plaignit l'héritier sur un ton dépité. Qu'est-ce que je dois faire shushu ?
— Huang Chenxi est une gentille fille et elle adore être ici pour aller à la mer. Ça lui change du désert. Offre-lui quelques pots de 'Peau Pêche de Satin' et de... 'Constellation d'Étoiles Roses Merveilleuse' qui reste. Puisque les femmes d'ici aiment tant ces produits de beauté, elle appréciera sûrement ce cadeau.
— 'Peau Pêche de Satin'... 'Constellation Merveilleuse d'Étoiles Roses'... Depuis quand cette tour d'indifférence est devenue aussi sensible ?
— Heureusement que nous les hommes, n'avons pas besoin de mettre toutes ces choses sur nos visages ! D'ailleurs, je ne connais aucun homme qui a... non, faux ! rectifia promptement Zhu Xueren. Il y a cet énergumène de disciple à la mèche, celui qui a des taches de rousseur... Yuan Sunjie ! »
L'adolescent tressaillit en entendant Zhu Xueren prononcer son nom.
« Il a même un léger bronzage et la peau satinée d'une pêche ! C'est vrai que sur un homme, ça peut être beau aussi ! Attends mon neveu, je vais prendre un pot de chaque. Je ferai une surprise à mon bien-aimé à son retour de mission, ce soir. Il aimera peut-être ?
— Shushu... » soupira Zhu Yaling.
En quelques battements de cils, Zhu Xueren sortait de l'atelier en courant à toute vitesse avec deux pots sous les bras. Il riait en détalant comme un gosse, soulevant la poussière derrière lui.
Yuan Sunjie s'approcha de l'un des disciples et lui demanda poliment ce qui se passait dans la cabane. Ce dernier ne voulut pas lui répondre et s'excusa prestement en filant avec une pile de coffrets en bois laqué. Il tenta auprès d'une shijie portant des paniers d'herbes variées et remporta plus de succès. Âgée d'une vingtaine d'années, elle avait de légères taches de rousseur roses sur l'arête du nez et les pommettes qui la rendaient plutôt mignonne.
« Xiujun Zhu fait débarrasser cette cabane puisque Xiujun Qian est déjà reparti pour Yelang, lui confia-t-elle.
— Xiujun Qian n'est plus ici ? C'est vrai !? Shijie, sais-tu depuis quand ?
— Il est parti dès le lendemain de la Fête des Lanternes, à l'aube. Tu n'as aucune chance de le voir et il ne va pas revenir. C'est pour ça que Xiujun Zhu est si en colère. Je voulais moi-même lui commander de la poudre de soleil 'Peau Pêche de Satin', j'ai presque plus de réserve... Ah !
— Ça alors... quel dommage » fit Yuan Sunjie pensivement.
'' S'il est parti dès le lendemain de la Fête des Lanternes, cela veut dire que Qian Jingliu est parti depuis trois jours et qu'il n'a probablement rien à voir dans la disparition de Huit Gris ? Serait-ce un autre cultivateur, ou peut-être que Huit Gris n'a rien et qu'il est juste parti...?'' songeait-il en silence.
Parce que la pluie tombera toujours et les filles se marieront*, Yuan Sunjie savait pertinemment que les Yao étaient des esprits cycliques et qu'ils disparaissaient d'eux-mêmes naturellement au bout d'un certain temps pour se régénérer dans le Monde Astrale afin d'enclencher leur prochain cycle.
La formation de Yao dans le monde mortel avait des incidences différentes, selon s'ils étaient dans un cycle Yin ou Yang. Quand un esprit s'ancrait dans un être organique pour prendre vie, les cultivateurs appelaient ce processus, le 'Déluge de la Création'. Chez le yaoyang, ces événements survenaient toujours avec grands fracas de tonnerre et catastrophes naturelles, parfois ajoutant à la calamité humaine, là où chez le yaoyin, les naissances étaient sournoisement paisibles, arrivant comme des voleurs dans la nuit.
À leurs morts pourtant, c'était l'inverse. On appelait ce moment, le 'Désastre de la Destruction'. Quand ce processus était naturel chez le yaoyang, ils quittaient leurs ancres en silence et paisiblement, là où chez le yaoyin, ils provoquaient chaos et déchaînement de la pire manière qu'ils pouvaient. De vraies pestes, que les cultivateurs se faisaient une joie d'exterminer avant qu'ils n'atteignent cette phase.
À contrecœur, Yuan Sunjie devait avouer que cette explication était tout aussi plausible et qu'il y avait une possibilité que le petit renard se soit simplement lancé dans la poursuite naturelle de son existence. Néanmoins, Yuan Sunjie ne pouvait s'empêcher de ressentir un immense sentiment de frustration en tournant les talons pour se diriger vers les jardins de la Cour Intérieure. Le Tigre était reparti et il n'aurait pas l'occasion avant l'an prochain pour régler ses comptes sur la mort de Sept-Roux. Inconsciemment, ses poings se serrèrent.
Après la disparition de Sept-Roux, il avait mis un collier de liaison autour de Huit-Gris et de Neuf-Blanc qui l'aurait permis de retrouver sa trace si l'animal était encore dans le Monde Mortel, ou encore sur le Mont Zhu. Si au moins il avait retrouvé le collier de Huit-Gris ! Il aurait pu trouver une piste, une raison ! Hélas, si le petit renard était reparti dans le monde des esprits, alors le collier avait aussi disparu avec lui.
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Notes et Références :
⎨* le léopard peut changer ses taches ? : Il est difficile de changer sa nature, on ne peut changer qui on est.
* la pluie tombera et les filles se marieront : c'est dans l'ordre des choses, personne ne peut aller à l'encontre de ⎬
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