Ch 40: Derrière le chant de la feuille de bambou
Yuan Sunjie voyait rouge ! Qian Jingliu venait de lui révéler par mégarde qu'il avait exterminé Sept-Roux ! Le petit animal qu'il avait adopté, qu'il passait des jours à chercher et à attendre en se demandant sans arrêt si le yao avait disparu naturellement ou s'il lui était arrivé quelque chose. Cet animal représentait tellement pour lui ! C'était l'animal qui l'avait adopté en premier et grâce à qui il avait réussi à se faire accepter des deux autres renards, celui qui arrivait toujours en premier en lui sautant joyeusement autour pour quémander des sucreries, celui avec qui il jouait tout le temps et qui acceptait ses caresses et ses pétrissages, son renard favori ! Alors qu'il le cherchait désespérément depuis des semaines et guettait partout dans l'espoir de le retrouver ! Voilà donc la raison de la disparition de son animal : c'était Qian Jingliu !
Qian Jingliu eut à peine le temps d'esquiver le poing de Yuan Sunjie.
« Qu'est-ce qui te prends !? » rugit Qian Jingliu en bloquant le coup suivant.
D'une légère tape du pied, celui-ci bondit vers une fenêtre ouverte et se faufila à l'extérieur. Yuan Sunjie le suivit dehors sans perdre de temps et se mit à le pourchasser.
À l'extérieur de la cabane, ils se mirent à se battre tous les deux. Qian Jingliu ne pouvait que bloquer les coups, car Yuan Sunjie luttait comme un démené hors de lui. Un dragon contre un tigre, les poings et les ecchymoses pleuvaient sans relâche. Agacé au-delà du possible, Qian Jingliu était à deux doigts de lui envoyer un coup de poing chargé de ses pouvoirs spirituels afin de l'assommer, mais Yuan Sunjie comprit son intention et ouvrit sa première serrure.
Contre toute attente, l'attaque de Qian Jingliu fut stoppée par Yuan Sunjie sans difficulté. Saisi de stupeur, Qian Jingliu reçut immédiatement une contre-attaque, un coup de pied, que lui ne parvint pas à stopper, et il fut projeté dans les airs. Il atterrit en roulant sur plusieurs zhangs et vit Yuan Sunjie, qui avait bondi et fonçait sur lui depuis les airs, genoux en avant. Réactif, Qian Jingliu sauta sur ses pieds et lui décocha un coup violent au ventre avant qu'il ne lui tomba dessus.
Yuan Sunjie roula à son tour comme un sac d'os désarticulés et se releva péniblement en crachant du sang. Un goût de métal imprégna sa bouche alors que sa respiration était coupée net.
Qian Jingliu se trouvait à une poignée de zhangs de distance et le narguait :
« Tu m'attaques parce que j'ai tué le yao ? Tu voulais le tuer toi-même, c'est ça ? »
Yuan Sunjie ne répondit pas et courut de nouveau vers lui, portant une envie de tuer dans les yeux.
« Tu n'es qu'un apprenti ! poursuivit Qian Jingliu, qui cherchait à comprendre pourquoi il se faisait attaquer aussi soudainement. Tu n'avais aucune chance de vaincre ce yao et tu n'as aucune chance de me battre aujourd'hui ! Tu auras besoin de plus d'entraînement que ça, si tu veux un jour chasser des esprits. »
Sans se donner la peine de lui répondre, Yuan Sunjie sauta à nouveau sur lui, prêt à lui faire avaler le plus violent coup de poing qu'il recelait. En face, sourcils froncés et mâchoire serrée, Qian Jingliu l'attendait de pieds fermes et se prépara, quand soudain deux ombres se jetèrent brusquement au milieu pour les arrêter. C'étaient Zhu Xueren et Zhu Yaling !
« Qu'est-ce que cela signifie !? Avez-vous perdu la tête !? gronda Zhu Yaling qui retenait Qian Jingliu.
— N'as-tu pas compris ta correction ? Tu veux vraiment être banni d'ici ?! » menaça Zhu Xueren qui tenait l'autre démené.
À contre-coeur, ils arrêtèrent le combat.
« Attendez... ! Ce n'est pas ce que vous croyez, protesta Qian Jingliu. On ne faisait que s'entraîner. Je lui faisais une démonstration pour lui montrer comment j'avais fait pour tuer le yao renard. »
Son explication sembla peu convaincre ses deux intervenants. Serrant les poings, Yuan Sunjie fut dans l'obligation de se calmer. Il s'inclina très bas et essuya discrètement un filet de sang glissant au coin de ses lèvres.
« Tous mes remerciements Xiujun Qian. Je n'oublierai pas cet entraînement » mâcha-t-il avec du gravier, puis il salua Zhu Xueren et Zhu Yaling.
Penaud et amer, Yuan Sunjie tourna les talons et partit sans demander son reste. Il se fit la promesse en partant, de tout faire pour faire un jour payer à ce Tigre la disparition de Sept-Roux.
« Je vais quand même lui toucher deux mots à ce garnement, lâcha Zhu Xueren en voulant suivre Yuan Sunjie quand il fut stoppé par Qian Jingliu.
— Laissez-le, lui dit-il. Il se souviendra de cette leçon avec moi, j'en suis certain.»
***
Quatre saisons plus tard...
C'était la fin de l'hiver et Yuan Sunjie revenait de sa méditation matinale en traversant une forêt de bambou. Une douce mélodie lancinante berçait l'air glaciale et il entendit de faibles notes de musique bien perceptibles aux oreilles. Yuan Sunjie ne craignait rien, ni même le froid et s'avança. Il pouvait maintenant générer de la chaleur dans son corps par sa simple volonté et ses aptitudes avaient nettement progressé ces derniers mois.
Il marcha sans se presser et s'arrêta à un endroit de la forêt ou le bambou ne poussait pas et qui laissait respirer une petite clairière dans un trou de lumière. Il y avait bien quelqu'un qui se trouvait là, assis sur un coussin, appréciant du saké chaud sous une grande bâche à l'abri de la pluie, une feuille de bambou entre ses doigts et ses lèvres.
La personne qui l'attendait lui sourit à pleines dents en le voyant et s'exclama avec joie :
« Yuan-sama ! Il fait un bail ! »
Yuan Sunjie s'avança vers lui sans s'arrêter.
« Toujours amateur de musique à ce que je vois... Kaze, que fais-tu ici ? Tu as quitté les Enfers ? fit Yuan Sunjie en lui adressant un léger sourire.
— Je viens aux nouvelles ! Je me permets de venir prendre un peu d'air après tout ce temps. J'ai même emmené Hundun avec moi. Je ne peux la laisser plusieurs centaines d'années seule dans les Enfers. Je ne fais pas confiance aux démons, surtout les nouveaux que j'ai chez moi ! Bien trop curieux !
— Je m'en souviens, répliqua Yuan Sunjie en se tenant le menton. Une seconde ici représente cent ans aux Enfers. Je suis content que tu quittes un peu cet endroit, même pour quelques minutes. Ça me fait plaisir de te revoir Kaze. Est-ce moi ou tu fais vraiment grand ? »
Il s'avança sans crainte vers le démon qu'il connaissait bien. Yuan Sunjie ne se l'expliquait pas lui-même, mais jamais il ne l'a craint. Kaze lui était aussi dévoué que sa propre ombre.
« Je regrette seulement que le temps ici à vos côtés ne soit pas aussi long que dans les Enfers. »
Le Patriarche des Enfers, le premier être démoniaque, le destructeur des continents qui fit trembler mille générations et des milliers d'immortels, se leva pour s'incliner respectueusement à la manière des samouraïs devant Yuan Sunjie qu'il considérait comme son maître.
'Patriarche des Enfers', le 'Démon Originel,' le 'Premier Sang', le 'Roi des morts', 'l'Immortel Destructeur de Continents et de Royaumes', 'l'Avaleur de bébés', 'Celui qui a trop de Titres'... Autant de titres épouvantables que les hommes avaient donné à Kaze au fil des générations tant ils le craignaient.
« Ça tombe plutôt bien que tu sois là. J'ai réussi l'examen du jiedan à la secte du Bambou de Jade sans que personne n'ait soupçonné quoi que ce soit de louche avec moi ! Je serai bientôt promu à la Cour Intérieure pour devenir un véritable disciple, il me faut une épée. Je serai bientôt prêt pour affronter Hundun ! »
Kaze se leva en esquissant un grand sourire, inclina la tête et remarqua à voix haute :
« Ainsi, tu as réussi à intégrer un clan de cultivation. De moine à vagabond, de vagabond à cultivateur ! Tu es vraiment plein de surprises Yuan-sama !
— Je n'ai jamais été un vagabond ! En effet, je suis un apprenti de la secte du Bambou de Jade du clan Zhu. Kaze, tu es gigantesque, je te fais remarquer.
— Suis-je trop grand ? »
Oui mon brave. Vraiment grand, d'environ six têtes et trois épaules de plus pour être précis.
Dans sa forme naturelle, Kaze était plus haut qu'une immense montagne. Il avait réduit sa hauteur pour pouvoir paraître comme les humains. Cela revenait en quelque sorte, à faire entrer un boeuf dans la peau d'une fourmi.
« Là, ça ira mieux. »
Le jeune homme leva le bras au-dessus de sa tête et lui indiqua une certaine hauteur, d'environ une tête et demie de plus que lui. Yuan Sunjie lui avait montré une taille d'adulte raisonnable une fois quand il séjournait dans les Enfers, mais il constata que Kaze avait vite mis la règle de côté.
Le samouraï exécuta ses ordres et ajusta sa hauteur. Avec une taille plus raisonnable, Kaze put mieux contempler son maître. Il balaya Yuan Sunjie du regard et scruta les traits élégants qu'il avait développé pendant sa croissance. Kaze savoura l'allure de jeune homme distingué et la posture confiante qu'il dégageait de sa simple présence.
Il remarqua en silence à quel point son maître était agréable à regarder, même dans le corps d'un homme, et même aux yeux d'un homme. La discipline de la secte Zhu avait guidé la jeune pousse tel un modèle à l'image même de l'élégance. Détournant les yeux à contrecoeur, Kaze fit un mouvement de la manche pour faire apparaître un service à thé et invita Yuan Sunjie à s'installer sur des coussins posés à même le sol.
« Que me vaut ta visite Kaze ? Y a-t-il un problème avec Hundun ?
— Si je prends le risque de venir ici avec Hundun, c'est que le danger est tout autre, lui fit-il. Je crains avoir fait une erreur » révéla Kaze en allant droit au but tout en versant le thé.
Yuan Sunjie ne sembla pas entendre les mots de Kaze. Le démon se retourna et remarqua les yeux scotchés du bellâtre sur le fourreau pendu à sa ceinture.
Hundun ressentait aussi la présence de Yuan Sunjie et s'était mise à dégager de puissantes ondes qui la faisaient vibrer. L'épée voulait retrouver son hôte et ne refaire qu'un avec son corps.
Chaque seconde passée sur terre était précieuse et cruciale. Kaze n'avait pas de temps à perdre. La raison, c'était Hundun. L'épée qui renfermait une portion des pouvoirs originels de Yuan Sunjie. Les avoir tous les deux sur le même plan physique était risqué car Yuan Sunjie et Hundun ressentaient une puissante force d'attraction mutuelle.
Deux ans plus tôt, pour les garder séparés, Kaze avait trouvé la solution de les éloigner chacun dans un monde différent. Quand Yuan Sunjie vivait dans les Enfers, Hundun passa une seconde dans le Monde Mortel. Puis, Yuan Sunjie fut renvoyé auprès des siens et alors que le jeune homme continuait sa vie tranquillement, Kaze gardait Hundun sous sa protection dans les Enfers durant l'équivalent de plusieurs siècles.
Pour maintenir Hundun sous contrôle, Kaze l'avait enfoui dans un fourreau scellé par d'innombrables sorts et de sceaux. Le fourreau irradiait une forte aura de Yin : celui typique des Enfers pour tromper Hundun.
« Calme tes ardeurs si tu ne veux pas relancer ta transformation ici. Sauf évidemment, si tu n'en as plus rien à faire de ton monde et que tu veux que cela arrive. Je serai alors plus que ravi de libérer Hundun ! Figure-toi que je suis fatigué de veiller sur ce tas de ferraille et j'aimerai moi aussi profiter d'un peu de bon temps sur terre ! En plus, je vois que tu n'as pas encore ouvert ton sceau entièrement..., dit-il en portant la tasse de thé à ses lèvres.
— Non... Non, tu peux garder Hundun encore un peu, Yuan Sunjie tressaillit en reprenant ses esprits. J'y suis presque pour mon sceau. J'en suis à la cinquième serrure et...
— Il faut aller plus vite.
— Qu'y a-t-il ?
— Je crains que le temps nous manque. »
Le démon se tourna vers lui et lui planta un regard inquisiteur.
« As-tu été frappé par les fragments que j'avais envoyés dans les étoiles ? »
Yuan Sunjie évalua rapidement la question et répondit avec certitude :
« Pas depuis le jour où Shifu est mort. »
Ce jour-là, il s'en rappellera jusqu'à sa mort.
Le ciel des Enfers avait brillé comme baigné de lumière céleste devant une centaine de météorites qui fonçaient droit sur lui. Quand Yuan Sunjie avait été submergé par la peine, une poignée de fragments avaient capté son énergie et s'étaient décroché des étoiles pour revenir vers lui comme Hundun tuerait pour le faire. Heureusement, Yuan Sunjie avait parfaitement pu les absorber en lui.
Kaze prit un air pensif. Yuan Sunjie s'en inquiéta :
« Tu veux bien m'expliquer ? »
Le Patriarche poussa un soupir de lassitude et changea d'expression. Il avait un visage d'une beauté divine et la peau aussi blanche qu'une lune hivernale qui d'un coup changea de couleur, pour une vive teinte violacée.
« Je ne pouvais pas savoir qu'ils allaient réagir ainsi ! » se lamenta-t-il en roulant son dos en boule et en enfouissant son visage dans ses mains avant de secouer la tête.
Il resta ainsi un certain moment à se morfondre, puis il se frotta le visage et se gifla les joues. Quand il se calma, il leva les yeux vers Yuan Sunjie et se crispa en posant les coudes sur ses jambes.
« Qu'est-ce que tu veux me dire ? répondit Yuan Sunjie calmement en prenant une gorgée de thé aux notes douces et parfumées.
Kaze continua :
« Tous les fragments que j'ai envoyés dans les étoiles se sont agglutinés. ...Hundun vibrait étrangement depuis des jours, j'ai eu un mauvais pressentiment. J'ai pris le risque de laisser Hundun pour aller vérifier moi-même et je n'ai rien trouvé. Aucun fragment... Enfin, j'ai plutôt découvert... Autre chose.
— ...... ? répondirent les yeux inquisiteurs de Yuan Sunjie, la bouche remplit.
— Un dragon ! révéla Kaze en secouant la tête. J'ai trouvé un dragon dans les étoiles. En plein sommeil.
— Un dragon ? » suffoqua Yuan Sunjie en recrachant son thé noir aux notes de miel.
Kaze écarta les mains devant lui :
« C'était un tout petit dragon, un bébé dragon je devrais même dire...! Il faisait quand même une sacrée taille pour un bébé ! J'avoue que je ne peux pas trop dire... Comme il dormait, j'avais du mal à bien juger.
— Un dragon ? réitéra Yuan Sunjie avec des yeux ronds comme des billes.
— Je sais, je sais ce que tu dois te dire ! Un dragon... C'est effrayant, mais je dois bien dire, hmm... Que tu as raison ! Un dragon, c'est effrayant ! Je suis d'accord. Un dragon fait peur, c'est vrai. C'est justement pourquoi je suis venu te prévenir.
— Me prévenir ?! » répéta Yuan Sunjie qui avait du mal à suivre et à garder son calme.
Kaze prit une grande bouffée d'air frais et lui expliqua sans détour :
« Quand j'ai séparé ta force, j'ai fait de sorte à envoyer la moitié de tes pouvoirs loin dans les étoiles. En brisant cette moitié en autant de fragments que possible, j'avais prévu que petit à petit, ils allaient tomber pour revenir vers toi. De cette manière, j'espérais que tu pourrais les absorber et apprendre à maîtriser ta puissance. Mais je ne pouvais pas prévoir qu'au lieu de cela les fragments se seraient rassemblés entre eux !
— C'est ce qui est arrivé ?
— C'est ce qu'indique l'existence de ce dragon. C'est la moitié de ta puissance Yuan Sunjie... Quand il se réveillera, et je ne sais pas quand cela arrivera, ce dragon viendra rechercher son hôte : Hundun ou toi. »
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