Ch 4: Le Xiuzhe foudroyé
« Tu aurais pu perdre une main en attrapant cet objet alors que mon épée Pétrichor la tenait. À qui ai-je le déshonneur ? » fit le jeune cultivateur d'une voix plus rugissante que la pluie qui tombait.
Surpris par cette tournure inattendue, Yuan Sunjie bégaya en reprenant rapidement ses esprits :
« Eh... écoute Xiuzhe*... Je ne suis pas ici pour voler. J'emprunte juste cet objet pendant deux jours et après je reviendrai le rendre, promis ! J'en ai seulement besoin pour une chasse spirituelle et sans cet objet précis, mon maître n'aura aucune chance ! »
En guise de réponse, le jeune homme bondit vers lui sans sourciller, brandissant son épée avec la nette intention de l'arrêter. N'ayant pas d'arme pour se défendre, Yuan Sunjie attrapa une pelle de justesse pour bloquer l'attaque, mais elle fut aussitôt découpée d'un seul coup de lame.
Yuan Sunjie se précipita vers l'autre partie de la pièce en roulant sur une table, mais son adversaire lui colla au train comme un chien sur un os à moelle. Yuan Sunjie attrapa alors un gros vase vert en guise de défense et brandit la porcelaine devant lui. Son adversaire sembla ralentir et hésiter pendant une seconde.
''Bon réflexe ! Craint-il que je casse ce vase ?'', se demanda Yuan Sunjie, en posant sur lui un regard effronté tout en riant doucement.
C'était bien le cas. Même si les objets se trouvaient dans l'atelier de réparation, ils devaient, selon toute vraisemblance, être d'une grande valeur. Le cultivateur ne souhaitait sûrement pas causer des dommages matériels chez un hôte où il logeait en tant qu'invité.
Yuan Sunjie en profita pour tenter une approche, et d'une voix où vibrait une pointe d'insolence, il s'exclama :
« Dis l'ami, je n'ai pas d'épée pour me défendre. Le combat est déloyal. Ne veux-tu pas régler cela en gentilhomme ? »
'L'ami' sembla envisager la requête.
« Soit » fit-il simplement, contre toute attente.
Un parfum s'élevait dans la pièce et imprégnait le nez de Yuan Sunjie, maintenant qu'il y portât attention. C'était ce même arôme animal qu'il y avait dans la chambre à l'étage. Une odeur de fauve et de sang. « L'ami » devait donc être le locataire trop curieux de la chambre.
Le cultivateur avait une présence intimidante bien que ce n'était qu'un jeune, ' 'juste plus âgé que moi,'' selon les pensées de Yuan Sunjie. Même si Yuan Sunjie ne pouvait le voir de façon très nette, sa silhouette rayonnait quelque peu à ses yeux. L'adolescent avait un visage anguleux, cependant très gracieux. Deux longs rideaux de chevelure pendaient librement sur son torse. Son expression inspirait un certain danger à cause de son regard noir et glacial qui fit frissonner Yuan Sunjie, lui qui détestait le froid.
Le jeune homme rangea son épée dans son fourreau qu'il portait à la ceinture, et Yuan Sunjie, le vase qu'il tenait.
'L'ami' passa une main dans ses cheveux et laissa tomber un ruban noir qui avait glissé jusqu'à la moitié de son dos, ayant échoué à retenir sa longue chevelure trop lisse. Seules deux fines tresses, au-dessus des oreilles, liées entre elles sur l'arrière de sa tête, résistaient au châtiment soyeux qui rappelait le miroitement nocturne d'un lac paisible.
Sans prévenir, le cultivateur se jeta en avant vers Yuan Sunjie et tenta de lui assener des coups-de-poing, que ce dernier para de ses avant-bras. Yuan Sunjie riposta à son tour avec ses poings et ses pieds, et s'élança pour prendre le dessus.
Il constata avec une pointe d'admiration que son adversaire était doué en arts martiaux. Le jeune cultivateur ripostait et attaquait simultanément, tel un vrai félin. Il était aussi rapide que précis. Passant d'une position à une autre avec dextérité, chaque coup complexe, chaque posture millimétrée. Vraiment, Yuan Sunjie ne pouvait qu'être admiratif pendant qu'il reculait et perdait du terrain.
« Quel style élégant ! » complimenta-t-il sous les coups qui pleuvaient.
Un court instant, Yuan Sunjie manqua de se faire prendre de revers par trois paumes lancées par 'l'ami', qui se changèrent en Griffes de tigre. Yuan Sunjie recula tout en esquivant les attaques de son adversaire. Yuan Sunjie frôla un KO de justesse, mais il n'avait aucune crainte. Il avait perfectionné la technique des 'Huit Tonnerres de Feu' avec Shi Chang.
C'était une impressionnante manoeuvre de combat, où il devait frapper son poing huit fois de suite, chaque coup asséné avec une force considérable. De plus, il avait été formé dans un monastère de moines guerriers... En matière de combat rapproché, autant dire qu'il en faisait chaque matin, avant le petit-déjeuner, depuis qu'il était sorti du ventre de sa mère. Petit, il croyait aussi dur que la pierre que le soleil se levait pour lui le matin parce qu'il avait déjà accueilli plus d'un millier de premiers rayons du matin dans la posture de l'Accueil auprès de ses frères moines, prêt à enchaîner la danse du combat.
« Tu te fais des illusions, si tu crois que tu me feras me coucher par terre ! »
Yuan Sunjie attaqua à son tour en faisant appel aux différentes techniques de combat qu'il connaissait et enchaîna les styles. Ses réflexes étaient parfaits. Lui, coincé contre un mur ? Même pas en rêve ! Yuan Sunjie était rusé et il avait d'autres ressources. Il lui fallait simplement utiliser les murs et les meubles comme appuis.
Si l'un se battait comme un agile félin, l'autre se battait comme un primate farceur. C'en était presqu'une danse. Il était vrai que l'ancien petit moine était un extraordinaire combattant depuis son jeune âge. Pourtant, Yuan Sunjie ne pouvait que pousser un sifflement d'admiration. Son adversaire ripostait admirablement, sans fléchir d'un pouce.
Les deux adolescents livraient bataille dans une chambre remplie d'objets fragiles, évidemment, ce n'était qu'une question de temps avant une catastrophe imminente. Son adversaire se cogna contre une grande armoire sur laquelle était posée une amphore. L'objet fragile vacilla, bascula sur lui-même, menaçant de tomber fatalement, jusqu'à tituber vers la dalle de poussière.
Le sang des deux garçons se figea !
Ils retinrent leurs respirations dans un même souffle...
Juste à temps, le cultivateur avança un pied et arrêta l'amphore dans sa chute.
Bonheur ! Son pied l'avait stoppé en glissant, d'un geste souple, dans son anse. Ils laissèrent échapper leurs souffles retenus. Avec beaucoup de précaution, le jeune homme remonta sa jambe pour remettre l'amphore, identique, à sa place, en toute douceur, avec le bout du pied. Jusqu'à ce que le jeune maître ne repose son pied, le temps sembla s'être arrêté. Puis, le combat reprit.
Les deux adolescents soulevèrent des nuées blanches qui les enveloppèrent dans des nuages. À cause de la poussière de plâtre et de marbre dans la pièce, on aurait dit que de la neige tombait entre les quatre murs et tourbillonnait comme un tourbillon de fleurs autour de leurs silhouettes prises dans ce combat effréné. Or, à peine avaient-ils commencé que leurs mouvements furent encore entravés par la multitude d'objets fragiles.
Soudain, le temps se figea à nouveau. Un vase tomba d'une armoire pour aller chuter aux pieds de Yuan Sunjie !
D'un réflexe, il l'arrêta de justesse par le goulot, du bout des doigts. Il le remit à sa place avec beaucoup de précautions. Puis, de nouveau, poings, pieds et tibias se heurtèrent ; chacun annulant le coup de l'autre.
Ils avaient l'air d'être deux créatures mystiques, n'appartenant pas à ce monde. Aucun d'eux ne semblait montrer de signes de faiblesse et ils étaient quasiment au même niveau dans la maîtrise des arts martiaux.
''Comment se fait-il qu'il soit aussi doué ? Mon entraînement, est-il encore si faible ? Suis-je si loin derrière ?'', rouspéta Yuan Sunjie entre deux serres d'aigle, il remonta le masque qui lui cachait la moitié du visage.
Ce qu'il ne savait pas, c'était que son adversaire se faisait aussi une remarque à voix basse. Lui, trouvait surprenant qu'un banal adolescent sans notion de cultivation, parvenait aussi bien à contrer ses attaques.
Inquiet de prendre la clé des champs, maintenant qu'il avait la relique en sa possession, Yuan Sunjie commença à s'impatienter.
''Je dois trouver une échappatoire hors de cette mort certaine ! Et vite !''
Aussitôt, une étoile malicieuse brilla dans son regard. Il ajusta son masque sur son nez.
Depuis peu avec Shi Chang, Yuan Sunjie avait appris une technique qui allait s'avérer fort utile à cet instant précis. Yuan Sunjie saisit une cruche et détourna l'attention de son adversaire en passant l'objet devant ses yeux. Il fit semblant de la lâcher et comme prévu, le jeune maître se détourna pour l'attraper.
Profitant de cette distraction pour se rapprocher de lui, Yuan Sunjie lui assena quelques tapes raides du bout des doigts ; sur les épaules, puis à certains points précis sur le corps. Ce dernier s'écroula sur ses genoux, incapable de bouger plus longuement, le corps figé.
Une façon rapide et efficace d'en finir avec son ennemi sans aller au KO. La Danse de la Mante, une des techniques du Toucher de la Mort, qui malgré son nom terrible, ne faisait que paralyser la victime en bloquant ses articulations par pression ou en frappant des acupoints.
Aussi fier qu'un coq, Yuan Sunjie ne put s'empêcher de glousser et tenta de rassurer sa victime.
« J'avais aussi le choix de la syncope par étranglement, tu sais ? Rassure-toi, l'effet de la paralysie va se dissiper d'ici quelque temps. »
Hélas, comme si quelqu'un l'égorgeait, le jeune disciple se mit à brailler à tue-tête :
« AU VOL... Hmmpff !!! »
Qui a dit qu'il resterait silencieux ? Il avait hurlé de toutes ses forces ! Yuan Sunjie a bondi par réflexe pour se jeter sur la bouche du cultivateur. Sa main s'écrasa violemment contre les lèvres ouvertes du jeune homme qui lui lançait des éclairs noirs à travers des yeux furieux.
Quand Yuan Sunjie croisa son regard nimbé de furie, il sentit tous ses poils se redresser et la terre se dérober. Son intuition lui cria immédiatement de fuir. Son coeur s'arrêta un instant, puis se mit à s'accélérer si fort qu'il le sentit cogner violemment contre sa cage thoracique. Désarçonné, Yuan Sunjie se détourna instinctivement et ferma les yeux.
Dehors, la pluie se mit à tomber de plus belle. Il crut même avoir entendu le tonnerre qui s'était abattu juste au-dessus d'eux. Par chance, le son de la pluie sembla calmer un peu ses nerfs et les martèlements qui résonnaient dans tout son corps. Le bruit assourdissant des grosses gouttes qui tombaient sur les tuiles et les pavés avait certainement étouffé les cris alarmants du xiuzhe.
Tout d'un coup, la situation dans laquelle il se trouvait lui parut très comique. Sûrement à cause de sa position accroupie, ou du regard de son adversaire qui le maudissait visiblement, mais ne pouvant se retenir plus longtemps, Yuan Sunjie se mit à pouffer avant d'éclater de rire. Il rit de si bon coeur que ses yeux s'emplirent de larmes.
'L'ami' gémissait rageusement contre sa main et marmonnait sûrement un flot d'injures à son égard, ce qui lui chatouilla les doigts et rajouta de l'huile sur le feu. Yuan Sunjie partit dans un fou rire inarrêtable.
Finalement, il essuya ses larmes, reprit son souffle et se calma. S'approchant du jeune homme, il lui chuchota sur un ton se voulant rassurant :
« Jeune maître, j'aurai besoin de ma main pour partir. J'aimerais te la laisser, mais je préfère la garder pour le moment. Tu promets de ne pas crier si je l'enlève ? »
Hors de question !
À peine bougea-t-il ses doigts que les cris étouffés tentèrent à nouveau de s'échapper.
«AL... ! »
Ce jeune homme n'avait nulle intention de rester calme, ni de se laisser faire !
Yuan Sunjie n'eut plus le choix. Il glissa sa main libre derrière la tête du cultivateur, retira l'autre de sa bouche et bascula sa tête en avant pour récupérer sa main droite. Il colla ses lèvres sur les siennes à travers son masque, le faisant taire à nouveau, cette fois, sous le coup de la surprise. Les yeux du cultivateur s'écarquillèrent comme ceux d'un poisson.
Avec sa main libérée, Yuan Sunjie détacha le foulard qu'il portait autour du visage. D'un rapide mouvement, il transféra les coins du tissu derrière la tête du cultivateur et bâillonna le jeune homme à qui il venait de forcer un baiser voilé.
Il fallait préciser que Yuan Sunjie était lui-même abasourdi par ses propres actes. Il avait certes trouvé une échappatoire à la mort, mais quelle échappatoire !
''Mais... Qu'ai-je fait ?''
Maintenant, il riait jaune ! De plus, c'était un garçon !
''Trois dizaines de coups de fouets comme punition ! Ha ! ha... !'', fustigea-t-il d'effroi en fermant les yeux, couvert de honte et mort d'embarras.
Il jeta un coup d'oeil à son adversaire muet comme une carpe qui semblait s'être mangé la foudre. Yuan Sunjie cacha sa gêne et tenta même de paraître plus sérieux, voire un brin charmeur avec ses yeux espiègles. Il se pencha avec un tic farceur à la commissure de ses lèvres.
« Promis, je ne fais que l'emprunter. Deux jours, pas plus. Je reviendrai la rendre. Promis ! »
Sur ce, Yuan Sunjie décampa et fuit comme un rat en se couvrant la tête, sans demander son reste. Il fila à vive allure en rigolant dans la brume.
Il escalada les murs et rejoignit la demeure du voisin, puis sauta de toit en toit, en mettant le plus de distance possible entre cette maison et lui-même. Enfin, il disparut en empruntant les sentiers qui menaient vers la rivière et loin du village.
Aucune cloche ne sonna, aucun garde n'avait été alerté. Yuan Sunjie s'échappa aussi furtivement qu'il était entré dans la demeure du haut fonctionnaire.
Plus loin, près d'une jetée, il retrouva le radeau qu'il avait pris soin de dissimuler et descendit la rivière.
La rivière Yu était silencieuse, le calme du brouillard régnait autour. Seul le bruit de son bâton de bambou se faisait entendre quand il le plongeait et le sortait hors de l'eau. Pendant qu'il naviguait, Yuan Sunjie repensa au jeune homme qu'il avait combattu et se donna trois bonnes gifles sur les joues.
''Mais à quoi je pense ? Si seulement Maître Wei me voyait ! Il me battrait à mort à coups de bambou, c'est sûr !''
« Hé, où tu vas là-bas ? » une voix surgit sur l'autre côté de la rive. C'était Shi Chang.
La tête dans les nuages, Yuan Sunjie avait dépassé le point de rendez-vous du campement et aurait fini à l'ouest si son maître ne l'avait pas intercepté.
Il changea de direction et alla accoster.
« Tu l'as ?
— Oui Shifu.
— Tu n'as pas eu d'ennui ?
— Si Shifu, mais le problème est résolu. Personne ne m'a suivi.
— Bien. Nous n'aurons guère le temps de nous occuper de l'esprit de la montagne ce soir. Nous irons demain. »
Yuan Sunjie poussa un soupir de soulagement. Il avait envie de se poser après cette soirée riche en émotions. Il devait encore se châtier des actes qu'il avait commis ce soir.
''Des coups de fouet, voilà ce que je mérite ! Ensuite, je devrais... méditer des jours entiers, et finir par faire un jeûne de pénitence."
En y songeant de plus en plus, l'idée lui plut de moins en moins. D'un seul coup, Yuan Sunjie ressentit les effets écrasants d'une grosse fatigue sur ses épaules. Le contrecoup de cette soirée lui pesait maintenant sur le corps.
Épuisé, Yuan Sunjie partit s'allonger sur sa couche, près du feu. Légèrement sonné, il lutta pour garder les yeux posés sur Shi Chang, qui descendait son vin de riz fermenté en silence.
Son corps se détendit lentement. N'y tenant plus, il sombra dans un lourd et profond sommeil.
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Notes et Références :
⎨* xiuzhe : un cultivateur de manière générale⎬
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