Ch 35:Trouver le soleil en dépit du ciel gris
« Tous les disciples doivent passer un mois à se former là-bas, c'est une étape dans notre formation de Junzi, expliqua Wang Xiao, adossé contre une fenêtre en bois traditionnelle qui donnait sur des haies de bambou devant un haut mur blanc. C'est devenu une tradition entre nos deux clans depuis dix ans, continua-t-il. Pour célébrer l'amitié ou je ne sais plus quoi entre le Tigre Blanc et le Bambou de Jade. Ou sinon c'est à cause d'une femme, je pense la mère de ce type... On dit que Shen Shuwen était amoureux de sa mère... Enfin je crois... Mais pourquoi je connais tout ça, moi ?
— Tu traînes trop avec les shimeis, Wang Xiao, lui dit Yuan Sunjie qui cirait le sol de la salle de cours.
— Toi tu devrais traîner plus souvent avec elles. Tu sais que je dis aux filles que tu as fait voeu de chasteté pour qu'elles arrêtent de me poser des questions sur toi ?
— À mon âge ? Et elles te croient ? fit-il en se redressant sur des patins à l'autre bout de la salle.
— Tu as été moine, tu disparais tout le temps pour aller méditer, le reste du temps tu pratiques les arts martiaux et tu ne vois aucune des filles qui te regardent ! Même moi, j'ai fini par le croire à force.
— .....
— Les filles ! Elles oublient complètement qu'on existe maintenant ! » houspilla Wang Xiao qui rognait visiblement ses dents sur un problème.
Occupé à porter une montagne de rouleaux coincée sous le menton, Yuan Sunjie garda le silence en glissant sur ses patins de parquet. La salle rectangulaire était spacieuse de soixante tables et sentait bon la cire fraîche. Les pupitres bas avaient été nettoyés, repoussés dans un coin et lustrés à la cire naturelle. Le vent sifflant à travers les feuilles de bambous venait répandre une agréable fraîcheur de fin de journée, tandis que Wang Xiao poursuivait le fil de sa pensée en croisant les pieds et les bras.
« En ce moment, elles n'en ont que pour ce type de la Tour D'Eau ! Ce Qian Jingliu ! Toutes !»
Un bruyant fracas de tubes rebondissants retenti dans la salle et effraya Wang Xiao qui laissa échapper un hoquet. Les rouleaux de Yuan Sunjie venaient de lui glisser des mains et se déroulaient comme des rubans s'étirant dans toutes les directions.
« Tout va bien ? » l'interrogea Wang Xiao.
Yuan Sunjie poussa un long soupir dépité et se laissa choir au sol lourdement. Wang Xiao continua et reprit sa conversation l'air de rien.
« Tu n'as pas remarqué qu'elles nous collent moins depuis que ce gars est arrivé ? Je ne comprends pas les filles. Toi et Ying-xiong vous sauvez Yu Shengcai et vous devenez des héros. Toutes les shimeis n'ont d'yeux que pour nous trois et du jour au lendemain, on redevient des étrangers !
— Ah bon ? releva Yuan Sunjie sans lever les yeux, ni la voix au-delà d'un murmure.
— Tu ne vois vraiment rien ? fulmina vivement Wang Xiao en se laissant tomber sur ses fesses. À ce qu'il parait, ce gars est fiancé et il serait sur le point de se marier, alors pourquoi elles sont toutes autour de lui comme des mouches ? Tu peux m'expliquer ? Je ne comprends pas... ! Il passe tout son temps enfermé avec Shen Shuwen ou en voyage avec Zhu Yaling ou bien, il se cloître dans son laboratoire ou dans la salle des concoctions. Comment font-elles pour savoir quelle odeur il a chaque jour ? Tu crois que... ? Qu'il... et les shijies... ? »
Wang Xiao grinça des dents et cracha de la fumée par les sept orifices. Yuan Sunjie ne put s'empêcher de relever un coin de sa bouche en voyant la tête déconfite de son ami. Il essaya de le réconforter en roulant un rouleau qu'il lui envoya sur la tête.
« Rien ne les empêche d'apprécier la vue du jardin du voisin, non ? Elles sont peut-être attirées par ce qui est inaccessible. Ou juste parce qu'il est... il est... il est...? hésita Yuan Sunjie qui perdit ses mots avant de poursuivre précipitamment. ...Il est sublime ! Ou... ou les deux à la fois ! Beau et inaccessible !
— J'aimerai plutôt pas... Il vaut mieux entretenir son propre jardin et ses propres fleurs !
— Ce n'est pas de leurs fautes, ni de sa faute s'il plaît autant, marmonna Yuan Sunjie en choppant un autre rouleau.
— En plus c'est le chouchou de Shen Shuwen! Il le considère plus que n'importe quel disciple d'ici ! Pourtant il vient d'une autre secte ! soupira Wang Xiao. Je me demande à quoi ressemble sa sœur ?
— Vu comment il est beau, elle doit être encore plus belle, suggéra Yuan Sunjie.
— Une déesse ? » rêva Wang Xiao.
Yuan Sunjie, qui s'était approché, donna un léger coup de pied à Wang Xiao qui s'était affalé sur ses fesses à son aise, les bras posés sur ses genoux repliés.
« Arrête de rêver et mets-toi au travail !
— Dis... je dois prévenir qui à propos de ce trou ? »
Yuan Sunjie se pencha légèrement, l'index sur la bouche, ses taches de rousseur s'étendirent telle une constellation d'étoiles.
« Absolument personne ! » s'exclama-t-il, tout excité.
Depuis cette découverte, Yuan Sunjie et Wang Xiao prirent une étrange habitude. Celle de parler à travers cet orifice quand la salle d'en dessous faisait classe. En déguisant leur voix comme celui d'un vieillard, ils se firent passer pour le père fondateur du clan Zhu, parfois juste après une explication d'un maître en plein cours, ce qui déclenchait inévitablement des explosions de rire dans la salle.
La première fois, un maître donnait quelques explications :
« Le Yeren* est recouvert entièrement d'un pelage épais d'un roux foncé et il est d'une taille imposante pouvant faire deux ou trois fois celui d'un homme. Il s'agit en fait d'un Mo, une créature mi-homme, mi-singe.
— Et re mi-homme », ajouta la voix sépulcrale du Fondateur.
Les autres fois, il intervenait avec courroux.
« Faux ! »
« Vous avez tort ! ... »
« Ce n'est pas exactement vrai, demandez à votre mère ! »
La voix faisait écho et résonnait sur les murs au grand dam des maîtres. Toute la salle remplit d'étudiants hurlait de rire à tous les coups. Le 'fondateur' donnait souvent son opinion alors que le maître finissait de discourir. D'autres fois, il racontait des anecdotes de la vie au Paradis :
« Hier, un rossignol a pondu un oeuf... »
« Le chat n'a pas eu le rossignol, alors celui-ci a chanté... »
« J'ai fait pleuvoir au Mont Zhu... »
Parfois, c'étaient des pensées plus intimes :
« L'alchimiste est-il aussi un herboriste ? » ou,
« Ce n'est pas de l'eau de mer évaporée si la pluie est salée au Mont Zhu... Pardon !»
Pour ne pas se faire prendre, Yuan Sunjie et Wang Xiao essayèrent à tour de rôle et jouèrent la farce à plusieurs groupes. Avec différents emplois du temps, les deux amis purent intervertir leur tour pour dissiper tout soupçon.
Leur mascarade dura bien une quinzaine de jours. Au début, les interventions étaient peu nombreuses et malgré diverses tentatives pour trouver qui était derrière cette voix, on ne les démasqua pas.
En parallèle, Yuan Sunjie eut l'idée de lancer un pari qui prit de l'ampleur parmi les disciples et les apprentis. Le but consistait à parier sur le temps que prendraient les maîtres à trouver le coupable et mettre fin à la farce.
Au début, on crut à un Trompeur, une créature en forme de fleur permettant de reproduire sa voix, ou à un quelconque objet magique. On vérifia les murs, dans les livres et les rouleaux, les affaires des élèves, sous les pupitres, les salles d'à côté, sans succès. On pensa à vérifier le plafond, hélas pas de fond en comble et c'était trop haut pour se donner vraiment la peine.
Officieusement, tout le monde soupçonnait Yuan Sunjie d'être derrière cette comédie, mais on ne trouvait aucune preuve contre lui. Certains allèrent jusqu'à le suivre en journée, mais il ne changeait rien dans sa routine habituelle. Quand il déviait l'attention de ses espions loin de la réserve, Wang Xiao s'y glissait pour jouer au 'fondateur', ainsi, les soupçons sur lui s'éteignirent à l'usure.
Le pari arriva jusqu'aux oreilles de Shen Shuwen qui entra dans une colère noire et fit appeler Yuan Sunjie à son bureau. Acculé devant le maître de secte, Yuan Sunjie avoua être à l'origine du pari et livra le pactole. L'identité du Fondateur, heureusement, resta secrète.
Le maître de secte confisqua le magot et Yuan Sunjie dut aller avouer aux participants qu'ils pouvaient dire adieu à leur argent.
« Zhangmen-Zi a confisqué tout l'argent du pari ! se plaignit Yuan Sunjie quand il fut de retour dans la salle commune qui grouillait de monde à l'heure du déjeuner.
— On a tout perdu ! pleura Wang Xiao qui avait du mal à digérer la catastrophe.
— Qui est la balance ? Comment Zhangmen-Zi l'a su ? demanda Lu Xingxing, une fille de son âge, furieuse en tapant du poing sur la table.
— Yuan Sunjie ! Tu vas devoir me rembourser ! Je n'avais pas encore perdu et j'avais misé gros ! réclama Tan Wen, en se levant et en saisissant Yuan Sunjie par le revers de son col. Elle était belle comme le jour, mais elle avait un tempérament de feu qui lui faisait un peu peur.
— Arrêtez ! Je n'ai pas d'argent ! À moi aussi, il m'a tout pris ! Je vais même vous dire, il n'y a que moi qui suis puni ! fit-il en tirant sur sa tunique. En plus, j'ai refusé de lui donner le livre des comptes, là où il y a vos noms inscrits à tous, et c'est ainsi que vous me remerciez pour mon sacrifice ? »
À l'entendre, on aurait pitié de lui.
« C'était ton idée d'abord ! Tout est de ta faute ! réprimanda la voix de Ren Jin par-dessus des autres. Ce dernier était l'équivalent d'un délégué de classe pour les apprentis.
— Et je sais ce que nous allons encore faire ! s'exclama Yuan Sunjie avec un grand sourire. Faisons table rase et misons à nouveau !
— Quoi ? Tu veux encore parier après ce qui est arrivé ? » récria Lu Xingxing, gesticulant sur sa chaise qu'elle en tomba presque.
Yuan Sunjie se mit debout sur un banc et se pencha légèrement pour étaler son nouveau plan en parlant à voix basse. Pour pouvoir mieux entendre, tous les corps attablés se penchèrent vers lui. Ils étaient au moins une cinquantaine à écouter son discours, les yeux braqués sur lui.
Après avoir jeté un coup d'oeil pour s'assurer qu'il n'y avait aucun risque, il leur révéla alors :
« Zhangmen-Zi n'a toujours aucune piste sur la voix du 'Fondateur'... Pensez-y ! Il croit que nous avons compris la leçon en nous privant du pactole, il ne pensera jamais que nous allons oser parier une deuxième fois là-dessus !
— Tu penses vraiment que tu vas nous avoir Yuan Sunjie ? railla Ren Jin.
— Tu nous crois aussi bêtes pour parier encore avec toi ? » siffla une autre voix dans son dos.
Un brouhaha s'éleva parmi la foule qui s'était levée et amassée autour de lui. Yuan Sunjie leva les mains et la voix.
« Les amis, laissez-moi vous dire une chose ! »
Yuan Sunjie prit une grande inspiration et ferma les yeux. Il garda le silence exprès pour susciter l'attention. Quand il rouvrit les paupières et parla à nouveau, tous étaient suspendus à ses lèvres et le calme était installé.
« ...Zhangmen-Zi, le grand Faiseur de Feu, m'a annoncé, Yuan Sunjie continua sa phrase en sautant au sol et en frappant dans ses mains, ce qui déclencha un « oh » général autour de lui, qu'il a lâché le fameux traqueur aux yeux de lynx du clan Qian sur la piste du Fondateur ! »
Il parla comme s'il révélait l'intrigue d'une histoire saisissante et passionnante.
« Qian Jingliu, le tigre traqueur dans la brume, a pour mission d'élucider le mystère du Fondateur et de mettre la main sur lui ! Le niveau se corse les amis ! Ce n'est qu'une question de temps ! Alors que fait-on ? L'étau se resserre ! Le Fondateur s'évanouira t'il aussi subitement qu'il est apparu ? Qian Jingliu va t'il réussir à découvrir qui est derrière cette voix du ciel ? Moi, je suis curieux ! Ne l'êtes-vous pas ? »
Suscitant leur intérêt et une vive curiosité, sinon un certain amusement parmi les apprentis et les junzis réunis autour de lui, bientôt, tous se mirent à brailler :
« Arrête de jacasser !
— Cesse de dire n'importe quoi ! Tu essaies de nous avoir sous divers prétextes !
— Nous savons tous bien que c'est toi, commenta Lu Xingxing en levant son visage rond comme la lune.
— En as-tu la preuve ? objecta Yuan Sunjie avec zèle en se remettant debout sur sa chaise. Aux dernières nouvelles, le Fondateur est toujours un mystère... Personne n'a pu trouver un indice pour prouver que je suis, ou ne suis pas, le Fondateur, pas vrai ? Personne, ni même l'ainé Zhu Xueren, le lévrier de chasse du Bambou de Jade, n'a pu trouver d'où venait la voix !
— Non, mais nous savons tous ici que c'est toi... ou l'un de tes amis ! Qui d'autre cela pourrait être ? répliqua Ren Jin d'une voix agacée.
— C'est à cause des murs dans cette pièce ! ajouta shimei Ling, une jeune fille qui se coiffait toujours d'un chignon de chaque côté de la tête. On dirait que la voix du Fondateur résonne sur tous les murs ! C'est pour ça que personne n'arrive à trouver d'où elle vient. »
Il n'en fallut pas plus pour relancer Yuan Sunjie qui leva un sourcil et son sourire en coin.
« Mes amis, ne voulez-vous pas saisir l'occasion de transformer le malheur survenu en bonheur ? Pensez-vous que Qian Jingliu va réussir à déjouer le Fondateur ? D'ailleurs... à quel point est-il doué ? Va t'il capturer le Fondateur ? Vous lui donnez combien de temps ? Un mois ? Une semaine ? Un jour ? Je ne crois pas qu'il soit aussi fort que Zhangmen-Zi le croit ! Moi je dis... allez, je suis gentil. Je suis prêt à parier cinq taels et je lui donne trois semaines ! Et vous !? »
Sur le moment personne ne réagit, mais en un battement de coeur, comme dans une basse-cour énervée, un brouhaha monstrueux s'éleva subitement :
« Deux semaines ! Je mise deux taels !
— Pareil ! Quinze jours pour moi aussi. Trois herbes spirituelles du Mont Yi !
— Shijie Ling ! Dix jours, c'est trop ou pas assez ?
— Je ne peux mettre qu'un tael cette fois, moi...
— Tu as de la chance ! Moi, je n'ai plus rien !
— Je ne sais pas shimei Tan, mais je suis sûre que Xiujun Qian...
— Quatre ! Deux pour lui et deux pour moi ! On parie une semaine !
— ...Xiujun Qian est très fort ! Parie moins de sept jours shimei Tan !
— Moi, je dis trois jours ! Trois pièces, cinq pilules et trois herbes de Kono ! »
Wang Xiao restait bouche bée par la tournure des événements, tentant tant bien que mal de tenir tout l'argent et que lui tendait Yuan Sunjie.
« Alors, si je m'attendais à cela.... Sacré Yuan Sunjie ! » s'exclama quelqu'un près de Wang Xiao. Il se retourna machinalement et aperçut Yu Shengcai qui regardait Yuan Sunjie avec une expression d'admiration.
« Je parie comme toi Yuan-shidi !
— Yuan Sunjie ! Que me conseilles-tu de parier ? Veux-tu bien m'aider ?
— Moi aussi Yuan Sunjie ! Regarde-moi ! Je parie quatre taels et je dis que Jueye* Qian trouvera en trois jours !
— Trois jours shimei Ling ? Tu as une haute opinion de lui, répliqua Yuan Sunjie en se tournant vers elle.
— Je te donne trois jours ! C'est parce que j'ai une bien meilleure opinion de toi !
— Ah celle-là ! Sans gêne ! » souffla Tan Wen.
''Sacré Yuan Sunjie !'', pouffa Wang Xiao en se frappant le front.
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Notes et Références :
⎨Ref *Jueye : terme honorifique pour s'adresser au fils du duc, signifie aussi 'noble seigneur'. Ce terme est surtout utilisé par les membres du clan Qian quand ils s'adressent à l'héritier du clan Qian.
*Yeren ou Yeti ⎬
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