Gold 13 : Silver
De retour dans ma chambre, notre premier réflexe est de fouiller pour trouver d'éventuels micros. Il n'y a rien. En tout cas nous ne trouvons rien. C'est déjà ça.
Appuyé contre le mur, les bras croisés, Silver semble en pleine réflexion et je finis par l'interpeller :
« Écoute, on peut parler ici, alors parles-moi !
— Pour te dire quoi ? Je n'ai pas d'autre idée. On est complètement coincés. Si toi tu vois quelque chose d'autre à faire, je t'en prie, fais-moi part de tes lumières !
— Non, je n'en sais pas plus, mais... mais je ne pense pas... enfin, on devrait peut-être...
Je m'empêtre. Ce que je voudrais réellement dire est tellement à l'opposé de tout ce que j'ai toujours voulu paraitre devant Silver. Et même à présent qu'on est au pied du mur, que c'est nos vies qui sont sur la balance, je n'y arrive pas. Parce que je serais prêt à faire les pires folies pour qu'il ne pense pas que je suis un lâche. Et que ce que je veux dire est définitivement une décision de lâche.
Il me scrute intensément et murmure :
— Tu veux quoi, Gold ? Qu'on arrête ?
Je me tends et automatiquement commence à protester :
— Non, non, bien sûr, mais...
Silence. Il regarde ailleurs, concentré sur quelque chose qu'il est le seul à voir. Et je me sens misérable à coté de lui. Jamais je ne m'étais senti comme ça. Je suis souvent admiratif devant Silver, mais ça ne fait que me pousser à m'améliorer, à me battre pour dépasser celui qui est au centre de ma vie, pour le rendre fier, pour qu'il m'admire et reste à mes cotés quoi qu'il arrive. C'est la toute première fois que j'ai l'impression que non, je ne suis pas à la hauteur, à sa hauteur, et que quoique je fasse je n'arriverai pas à le rattraper.
Mais misérable ou non, plus je retourne le problème dans ma tête, tous les aspects, plus l'évidence m'écrase. Je n'ai pas le choix. Nous n'avons pas le choix. Pitié, Silver, ne me déteste pas, ne m'abandonne pas, mais je dois le dire :
— Oui. Il faut qu'on arrête.
— Tu veux les laisser gagner.
— Oui.
— Alors qu'ils nous manipulent. Qu'ils sont de mèche avec le Soleil Noir. Qu'ils complotent pour nous tuer. Comme de petits jouets qu'ils agiteraient devant les caméras.
J'inspire lentement, les yeux fermés. De la force. J'ai besoin de force, et si je le regarde, les quelques bribes qui me restaient vont disparaitre. Je murmure :
— Oui, Silver. Même s'ils font tout ça. Je ne veux pas faire éclater le scandale. Et je ne veux pas qu'on continue l'enquête et qu'on se fasse arrêter. Je veux que tout reste comme avant.
— C'est naïf.
Sa voix m'étonne. Il n'est pas en colère, il n'est pas méprisant, juste... triste ? Depuis quand Silver est triste ? Je le contourne, l'obligeant à me regarder en face, et... oui, il est triste, et je lui demande :
— Qu'est-ce que tu as, Silver ? Je pensais que tu voudrais te battre jusqu'au bout. Pourquoi tu... on dirait que toi aussi, tu renonces ?
— Non ! Jamais ! Mais... je suis d'accord, on ne peut pas continuer l'enquête, on en sait déjà trop. Il va falloir convaincre les autres de se calmer aussi, surtout Chrome, il est dans leur ligne de mire. Mais je ne peux pas accepter que ça reste comme ça. Qu'on se batte pour du vent !
— Ce n'est pas du vent ! Et même si nous, les pilotes, nous ne sommes que du vent, on ne peut pas menacer les Forces ! Elles tiennent tout en équilibre ! Sans elles, il n'y aurait pas de paix, tu peux comprendre ça ? Et je ne peux pas laisser qui que ce soit menacer cette paix ! Si ce n'était qu'une histoire de pilotes, je me battrai aussi, crois-moi ! Mais pas contre l'UFIT. Tout sauf ça !
Je suis à deux doigts de pleurer. Je ne veux pas qu'il doute de moi, je ne veux pas l'abandonner, je ne veux surtout pas devoir l'affronter. Et je tombe des nues quand il me demande d'une voix hésitante :
— C'est... c'est à cause de la guerre, non ? La quatrième bataille du Quartan. C'était chez toi ?
Je lui avoue d'une voix sourde :
— Oui. C'était chez moi. Au Mali. Deuxième plus gros gisement mondial. Pas d'armée développée. Une poudrière.
— Et c'est pour ça que tu veux protéger l'UFIT a tout prix.
— L'UFIT n'est pas sacrée à mes yeux, si c'est ce que tu veux dire. Mais l'UFIT est indispensable. Donc oui, c'est pour ça que je ne peux pas la mettre en danger. Même si on finit tous sacrifiés pour sa guerre stupide contre le Soleil Noir, nous les pilotes on n'est qu'une poignée. La fin de l'UFIT ferait bien pire.
Il me demande :
— Moi aussi ?
Non, pas toi, tout sauf toi, je mourrai mille fois pour te sauver toi... Mais je répond :
— Oui, Silver. Toi aussi.
Silence. Il soupire :
— Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ?
— Pour ne pas que tu me détestes, je pense. Pour que tu me prennes pour un héros. Parce que je t'aime et que je voulais que tu m'aimes.
— Et toi, tu ne me détestes pas ?
— Comment ça ?
— Des tas de gens ont profité des batailles du Quartan. Ma famille, entre autre. Ce n'était pas ma guerre. Je n'étais même pas né. Mais on est complices, d'une certaine manière. Et...
— Arrête, Silver, c'est absurde ! Pourquoi je te reprocherais quoi que ce soit ? Ça n'a rien...
— Non, toi tu es absurde ! Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? Pourquoi je n'ai pas su à quel point c'était important pour toi ? Pourquoi tu as fait semblant d'être d'accord, pourquoi tu as mis tes propres principes en danger ? Pourquoi tu me dis que tu m'aimes pour ensuite me mentir ? Pourquoi tu m'as donné ton véritable nom et pas ton histoire ? Pourquoi ?
— Mais je...
Je ne sais pas quoi dire. En fait, l'idée qu'il ne fallait pas menacer l'UFIT a toujours été une évidence pour moi. A mes yeux, Silver a toujours été conscient des risques, et il a estimé que la vie des pilotes valaient largement la peine de ruiner l'équilibre mondial. L'idée qu'il puisse ne pas le faire pour moi, parce que j'avais peur pour les miens, lui qui déteste toute idée de pays et de racine, ne m'avait pas effleuré une seconde.
Hésitant, je lui demande :
— Tu... tu serais prêt à ne pas le faire, si je te le demande ?
— Évidemment ! Tu n'as pas l'air au courant, mais tu es légèrement important pour moi, Gold. A peine le centre de ma vie. Et crois-le ou non, mais je t'écoute, même quand on n'est pas d'accord. A condition que tu te donnes la peine de me parler, espèce d'imbécile !
Imbécile, je le suis sans doute, à cet instant, en train de sourire comme un idiot. Il a les joues en feu et affiche cette mine boudeuse qu'il a quand il tente de faire passer ses émotions pour de la colère. Je l'embrasse et je ris, en le serrant contre moi à lui broyer les os, je ris et je pleure en même temps, parce que c'est ce que j'ai toujours rêvé qu'il me dise. Soulagé, il me dit à mi-voix :
— Idiot. Tu devrais le savoir, pourtant, que je suis de ton coté, Djibril.
— Je le sais. Je le sais maintenant, Terukage.
On reste encore ainsi quelques instants. Encore quelques moments de paix. Je n'ai pas le courage de penser à la suite.
C'est lui qui finit par reprendre la parole :
— Donc, on est d'accord. Pas de scandale, on ne parle à personne du scénario, on essaye de calmer les autres. Pour l'UFIT, on ne sait rien et on est totalement passé à autre chose.
— On est d'accord.
— Mais ça n'empêche pas de tenter quelque chose. Je sais que maintenir l'UFIT est la priorité, tu as tout à fait raison là-dessus. Mais on peut garder l'UFIT en place et améliorer les choses. Se battre réellement contre le Soleil Noir. On est des pilotes, c'est pour ça qu'on est là. Et de l'extérieur, ça ne changera rien.
— Évidemment, mais comment tu veux faire ? On n'a aucune marge de manœuvre là-dessus, on n'était même pas censés le savoir !
Il fait les cent pas, réfléchissant toujours. Je lui dis :
— On ne sait même pas qui pourrait changer les choses.
— Comment ça ?
— On obéit aux cadres militaires, on est d'accord. Eux sont directement sous les ordres du président, à moins que la sécurité intérieure ou les services secrets ne leur donne un contre-ordre. Au final, qui dirige qui ? Est-ce que le président dirige vraiment quoi que ce soit ? Après tout, il change souvent, et ce système ne date pas d'hier. On n'a aucune information sur les agents !
Il hoche la tête, toujours concentré sur ses pensées, et finit par me dire avec hésitation :
— Mais ça veut dire que le public non plus ne le sait pas. Et ça, c'est plutôt un atout, non ?
— Comment ça ?
— Réfléchit. L'UFIT a besoin du soutien du public pour garder son influence. Et nous, les pilotes, nous sommes le fer de lance de ce soutien, ceux qui rallient tous les autres. C'est pour ça qu'on est les plus surveillés : si on commence à s'opposer à la politique des Forces, qui est-ce que les fans vont suivre ? L'UFIT peut salir la réputation d'un pilote, mais pas de tous.
— Mais on ne veut pas affaiblir l'UFIT ni faire de scandale, alors je ne vois pas...
— On n'a jamais tenté d'influencer le président, ou quelque soit notre chef, parce qu'on n'en avait pas besoin. On n'a jamais eu de raisons de douter de la stratégie. Mais si jamais il le fallait... on est les mieux placés pour les menacer. Parce que tout le système repose sur nos épaules, en réalité. Si les pilotes ne sont plus les héros sauveurs de kaiju, alors il n'y a plus de Forces Terriennes, il n'y a qu'une dictature - et pire, une dictature qui est faible. On est équipés pour tuer des kaijus, pas pour dominer le monde. Militairement, l'UFIT ne fait que du maintien de la paix. Donc... Il y a forcément un moyen d'orienter les choses de l'intérieur. Si on s'y met tous.
Je réfléchis. Je n'aurais jamais envisagé les choses sous cet angle. Pour moi, éviter le combat, c'est se soumettre. Mais menacer, négocier directement avec ceux qui se jouent de nous, ce n'est pas ma stratégie habituelle. Se placer dans l'ombre et porter le coup de grâce au moment même où l'ennemi nous découvre, c'est totalement une technique de Silver. Je souris. Après tout, ça pourrait...
Il continue :
— On va utiliser Platinum. Il croit déjà qu'il y a des comploteurs ici, et on n'a pas besoin de rentrer dans les détails. On va bien faire comprendre au sommet que si ils veulent que leur nouveau pilote vedette fasse le show, ils oublient la partie où Chrome meurt, et on voit comment ils réagissent. Enfin, je dis on, mais c'est Platty qui va s'en occuper. Si ça ne marche pas, il ne faut pas qu'on soit grillés. Qu'est-ce que t'en pense ?
— Que tu es le génie le plus cynique que j'ai jamais vu, et que je t'adore.
Il éclate de rire et me demande :
— Et si je te dis que vu que Platty t'aime bien, c'est toi qui va t'occuper de le convaincre, c'est encore cynique ?
— Oui, et ça ressemble à un plan. Il est assez chevalier blanc pour nous couvrir si ça ne se passe pas bien. Donc ça a l'air idéal pour un premier essai.
— Très bien. Alors on a un plan.»
Il vient s'assoir à coté de moi, et se love dans mes bras, sans faire plus de manières. C'est bien la première fois qu'il agit comme ça, et j'adore ça. J'ai enfin l'impression qu'il me fait confiance. En même temps, on est en train de comploter contre l'UFIT - même si c'est pour sauver l'UFIT d'elle-même. Si ça ça ne crée un lien fort, rien n'y fera.
Et j'ai beau savoir que les prochains jours vont être dangereux, je ne peux que me réjouir à l'idée d'y faire face aux cotés de Silver.
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