Felis 9 : le piège
La seule source de lumière est la Tour, à quelques centaines de mètres de moi. Je guette les passants, attendant mon rendez-vous. Finalement, ce n'est pas à son visage, caché par l'ombre d'une capuche inutile, c'est à son pas hésitant que j'ai reconnu Copper. Il a sursauté quand je l'ai abordé. J'espère qu'il aura les nerfs assez solides pour tenir jusqu'au bout de cette petite aventure... Enfin, normalement il les a. C'est un pilote après tout.
Un pilote en train de violer la loi. Donc peut-être que niveau nerfs solides, on n'est pas tout à fait dans son élément familier.
Pendant qu'il me guide, il me demande presque timidement :
« Ça va aller ? Tu as tout ce qu'il faut ? Il faut absolument qu'on trouve ce que Brass a caché ce soir, on n'aura pas d'autres occasions avant...
- Avant le procès. Je sais. Ça ira, je sais exactement où chercher.
- Ok.
Nous avançons jusqu'aux hangars, à peine éclairés en comparaison de la Tour. Ce n'est pas si dur que je l'aurai pensé de nous faufiler parmi les ombres. Nous nous glissons entre deux plaques du lourd revêtement de la Tour, et quelques reptations plus tard, nous voici dans un couloir visiblement abandonné. Le pilote me guide à travers un véritable dédale, mélange de conduits d'aération, de portes de maintenances, de faux-plafond et de couloirs où nous circulons en tentant d'avoir l'air naturel, tout en restant dans l'angle mort des caméras. Il m'explique brièvement qu'il n'y aura plus de caméras en haut. Tout de même, espionner les pilotes et l'élite de l'UFIT, ça ne se fait pas. Enfin pas encore.
Quand finalement nous arrivons à l'ascenseur, il m'explique qu'il a réussi à m'avoir un passe visiteur familial. Décidément...
En tous cas, la montée est longue, et le lieu clos, l'idéal pour utiliser mon "joker". Mais il ne faut pas que je me loupe, je n'aurai droit qu'à un seul essai, et sous ses airs bonhommes Copper est un combattant. D'après Brass, il a d'excellents réflexes, surtout en défense, et il cogne dur. Autant dire que si je me rate, je finirai en tartare de dealer.
Pendant que je calcule, il se met nerveusement à bavarder :
- Brass m'a beaucoup parlé de toi, tu sais.
- Il ne faut pas croire ce qu'il raconte. Ah, mais ne crois pas ce que raconte Chayan sur moi non plus.
Il rit doucement :
- Ça ne me laisse pas beaucoup de possibilités, du coup.
Tu m'étonnes. De mon coté je suis prêt, le vaporisateur discrètement posé au creux de ma paume. Je guette, je sais qu'il va poser une autre question, c'est visible que ce silence le met mal à l'aise, il prend une inspiration et c'est là que je me lance, je vise sa gorge et j'envoie un savant mélange d'héliacée et de bromade d'aranite, un nuage concentré qui le fait tousser immédiatement. Impeccable. Je savais que je n'arriverais pas à lui faire avaler quelque chose de force, mais il ne s'attendait pas à une attaque au gaz, et c'est bon, il en a respiré assez !
Évidemment, la manœuvre ne lui a pas plu du tout et je me retrouve désarmé et plaqué durement contre la paroi, un bras tordu dans le dos, tenu d'une main de fer par Copper, qui me fouille de l'autre. En vain, puisque je n'avais que le vaporisateur. Furieux, il me force à m'agenouiller, toujours le bras tordu, et me demande :
- Qu'est-ce que tu m'as fait ?
- Du calme. C'est juste une sécurité. Si tu es réglo, tout ira bien.
- Explique-toi !
- Désolé de te l'apprendre, mais tu es empoisonné. Si tout se passe bien et que je sors de la Tour comme prévu, je récupère l'antidote une fois dehors et tu es sauvé. Si tu me pièges, tu meurs. Donc normalement, tout va bien aller, n'est-ce pas ?
Il me lâche en jurant. Je me redresse en me retenant de masser mes poignets douloureux. Hors de question qu'il voit qu'il m'a fait mal, même si c'est le cas - bordel, il est vraiment fort. Si je devais vraiment me battre contre lui, il pourrait me tuer d'une seule main.
Il me demande :
- Tu sais que logiquement, je devrais laisser tomber, te dénoncer et demander aux médecins de la Tour de me soigner ?
- Et laisser Brass mourir.
Il grimace. On sait tous les deux qu'admettre que Brass va mourir, c'est admettre qu'il y a un gros problème dans la justice de l'UFIT, et lui ne semble pas prêt à l'énoncer tout haut. Il finit par soupirer :
- Tu as de la chance que Chayan ne soit pas avec nous. Il t'aurait massacré sur place.
- Je sais.
- Tu es largement pire que ce qu'il m'avait décrit.
- Je protège mes arrières, c'est tout.»
On m'a toujours décrit Copper comme le gentil de la bande. Je n'aurais jamais cru que ça serait au point où il en resterait là. J'étais sûr de récolter quelques coups dans la manœuvre, au moins par colère. Au lieu de ça, il hausse les épaules, l'air fataliste, et attend tranquillement que nous finissions notre montée.
J'imagine que d'autres pilotes sont complices, mais ils ne sont pas là. Je ne sais pas comment ils se sont débrouillés, en tous cas nous sommes seuls dans les luxueux couloirs. Copper m'amène droit vers les appartements de Brass. Toujours pas de trace de piège.
Cet endroit ne lui ressemble tellement pas... Pourtant, il a tenté. Il a recouvert les murs de posters colorés, les étagères de livres sur tout et n'importe quoi, et le reste est recouvert de bordel - visiblement, il a tendance à ramasser, démonter et oublier tout ce qui peut attirer sa curiosité, il faudra que je surveille ça si un jour on vit ensemble. Je sais que ses quartiers ont été fouillés, mais je ne suis même pas sûr qu'on puisse voir la différence. Je suis obligé de slalomer entre les piles de n'importe quoi entassé n'importe comment pour avancer.
Enfin j'y suis : la fameuse armoire. Évidemment, Copper m'a suivi. Peu importe. J'ouvre la porte, sors mon couteau suisse et dégage la glace.
Comme prévu, tous les Brass précédents sont là, m'envoyant toute leur joie de vivre à la figure, ce qui est toujours perturbant pour des morts. Mais ce n'est pas ça l'important. Ce qu'il me faut... Bordel, ce qu'il me faut doit être juste là, sous mon nez, au milieu des photos...
Ah. Bingo.
Rapidement, j'attrape une carte mnésique, aussi fine et souple que les photos qui l'entourent, et la cache sur moi. Normalement Copper ne m'a pas vu faire. Je n'ai aucune envie qu'il sache ce que je suis venu chercher...
Et maintenant, je n'ai plus qu'à me retourner. Et voir si, oui ou non, j'ai trahi Brass.
J'ai envie de vomir.
Mais derrière moi, il n'y a que Copper, qui a la respiration de plus en plus sifflante, et reste pourtant concentré sur le mur de photos. Il doit y avoir pas mal d'anciens copains à lui là-dessus. Sans faire de remarque, sans montrer le moindre signe indiquant à quel point mon cœur s'emballe, je remets en place le miroir et lui fait signe que nous partons.
.
Dans les hangars, nous sommes rejoins par Chrome et Platinum. Merde. Je m'y attendais, mais j'espérais quand même pouvoir les éviter.
Platinum nous demande :
« C'est bon ? Vous savez ce qu'a vu Brass ?
Copper répond à ma place :
- Nian a ce que Brass l'a envoyé cherché.
- Nian, de quoi il s'agit ? demande Chrome d'un ton sévère.
C'est stupide, mais face à Chrome mon premier réflexe c'est de me demander ce que Brass a bien pu lui trouver. Et surtout qu'il a pu nous trouver en commun. Il a réussi à me hérisser le poil en moins de trois secondes. Il faut avouer que sans doute, le stress n'aide pas, et je me tortille en tentant de me retenir d'avaler un tranquillisant. Je n'ai rien pris avant de venir pour garder la tête claire, mais là, ce visage de glace est terrifiant et...
- Nian, insiste Chrome, tu ferais mieux de tout nous expliquer. Il y a manifestement un manquement très grave au sein de l'UFIT, et nous devons y remédier. Maintenant.
Woah. Si j'étais un pilote et pas, disons, un délinquant lié aux mafias locales et au Soleil Noir, j'aurais pu être impressionné par son autorité. Et surtout, j'aurai pu croire à sa bonne foi. Mais un type qui s'imagine qu'il existe un complot au sein de l'UFIT, sans comprendre que l'UFIT est corrompue des pieds à la tête depuis sa création... Non, c'est trop gros pour exister.
Je jette un œil à Copper. A toi de jouer, mec, et de trouver quelque chose pour nous sortir de là, parce que sinon...
Je pensais qu'il baratinerait Chrome. Au lieu de ça, d'un ton parfaitement serein, Copper lui dit :
- Nous n'avons pas à le savoir. Il va l'échanger contre Brass, c'est tout ce qui importe.
- Nous sommes mouillés là-dedans de toutes façons, s'énerve Platinum, et nous avons absolument besoin de savoir ! C'est pour ça que j'ai accepté de vous couvrir, je vous rappelle ! On ne peut pas se permettre de...
Je l'interromps :
- Vous saurez, après que j'ai récupéré Brass.
Avant qu'il proteste, j'insiste :
- Je sais que vous pouvez me le prendre de force, mais pour l'instant, il va bien falloir me faire confiance. Je vous rappelle que je suis le seul à pouvoir négocier l'échange de ces informations contre Brass, si vous tentez de le faire vous-même vous êtes morts. Alors soyez patients, et...
- Comptes-tu les remettre au Soleil Noir ? demande Chrome.
- Quelle importance ? Si c'est un scandale, que ce soit vous ou eux, l'intérêt sera de le faire éclater, non ?
- Non. L'intérêt sera de régler le problème, quel qu'il soit.
A coté de nous, Copper respire de plus en plus difficilement. Chrome finit par lui demander :
- Mais qu'est-ce que tu as ?
- Rien... rien, je...
J'ajoute, avec un léger sourire :
- Ne vous en faites pas. Il ira mieux dès que je l'aurai soigné.
Platinum est encore perplexe, mais je vois à son regard que Chrome a compris. Il murmure :
- Salopard...»
Mais il a perdu, et il le sait. Il nous laisse passer. Et je sens longuement son regard me brûler les omoplates, tandis que nous avançons dans le long couloir de maintenance.
Enfin, enfin je suis dehors. Sentir à nouveau l'air frais sur mon visage est si bon, j'en pleurerais de soulagement.
Ah, ne pas oublier Copper, avant de m'enfuir à toutes jambes. J'avais planqué une petite fiole dans un boitier de clim défoncé, je le lui offre, avant de le laisser là. Du coin de l'œil, je vois qu'il ne le boit pas, mais le range soigneusement dans sa poche. J'imagine qu'il compte l'analyser soigneusement, et ses symptômes également. Ça ne me dérange pas.
Et au pire, s'il découvre que je lui ai juste fait respirer un puissant créateur d'asthme temporaire, et qu'en guise d'antidote il a eu du sirop pour la toux, ce n'est pas bien grave. Au contraire, il saura que je ne suis pas un méchant. C'est un ami de Cadell après tout, et un type bien, je n'ai pas envie qu'il me déteste.
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