Felis 8 : comment retourner dans la gueule du loup
Je n'arrive pas à croire qu'on s'en soit sortis.
Et pourtant. Après mon petit face à face avec Brass, j'ai joué les sœurs éplorées et pleurniché tout ce que je pouvais jusqu'à remettre la main sur Tonton, qui leur a lâché encore quelques injures avant de sortir. Ils ont tenté jusqu'au bout d'obtenir quelque chose de nous, mais j'avais presque l'impression que c'était plutôt par acquis de conscience. En même temps, puisqu'ils savent très bien que Brass est innocent, c'est sans doute le cas.
Et maintenant on est dehors, vivants, libres, prêts à retourner à la planque et à arracher de nos visages ces horribles masques de chirurgie temporaire. Avec toutes les précautions nécessaires pour ne pas finir défigurés dans la manœuvre, bien sûr.
Pendant qu'on rentre, je réfléchis. Entrer dans la Tour - dans la partie officielle, en hauteur - est parfaitement faisable, bien que toujours risqué. Après tout, plusieurs Brass l'ont fait, et même ce petit ingénu de Copper y est arrivé. Ceci dit, l'UFIT savait que les Brass sortaient en douce et les laissait faire, donc cette fameuse "entrée secrète" est sans doute bien plus surveillée qu'elle en a l'air... Non, si je veux trouver ce que Brass a planqué dans sa chambre, il va falloir que j'implique Chayan et les pilotes, au moins Copper.
Ce que j'expliquer à Tonton, qui est tout de même un peu dubitatif :
« Tu es sûr de ton coup ? Après tout, Chayan a intérêt à t'aider si tu lui apportes des informations. Une fois qu'il les aura, on ne sait pas ce qu'il fera.
— Je crois qu'il veut vraiment aider Brass.
— Disons que pour le début du plan, ce n'était pas important. Qu'il soit un agent dévoué qui veut qu'on obtienne les secrets de Brass ou un ami inquiet qui veut qu'on le sauve, c'était naturel qu'il t'aide. Pour la suite, il faut garder cette double possibilité en tête et toujours garder une longueur d'avance si on veut l'utiliser.
— Mais comment ?
— Tu es sûr que tu sais où Brass a caché ce qu'il veut que tu trouves ?
— Certain. L'autel de ses ancêtres, c'est derrière le miroir à l'intérieur de son armoire, là où tous les Brass précédents ont laissé leur photo. Avec des conseils et des astuces.
— C'est un peu... macabre, non ?
— Un peu. Les Brass ont toujours eu une relation étrange avec la mort. Je ne sais pas trop pourquoi. En tous cas, il l'a baptisé comme ça, et l'UFIT peut bien retourner tous les tertres du pays de Galles s'ils le veulent, ce qu'on cherche est là.
— Donc il faut que tu entres dans cette chambre. Dis que tu cherches un point de repère particulier, que tu le sauras quand tu le verras. Ou tout simplement que tu ne leur fais pas confiance et que tu veux le chercher toi-même. C'est une fois que tu auras mis la main dessus qu'il va falloir la jouer fine et te sortir de là, même si c'était un piège. Si réellement Brass a trouvé quelque chose d'aussi explosif, il faut qu'on le sorte de la Tour pour menacer l'UFIT et le faire libérer. Parce que j'ai bien examiné ses conditions de détention, et même avec un mecha CinqGen, le faire évader sera impossible. Il faut qu'ils nous le donnent de leur plein gré.»
Ça y est, le soulagement d'en être sorti en un seul morceau commence à s'estomper, et l'angoisse revient. Le simple mot "Tour" est en train de me traumatiser. A ce rythme là, je n'arriverai jamais à délivrer Brass, parce que mon pauvre cœur aura explosé avant.
Je sens la main apaisante de Tonton sur ma tête et je soupire. Je sais ce qu'il va dire. Ma décision est déjà prise. Terrifiante ou non, cette maudite Tour se dresse entre moi et mon rouquin, et il va bien falloir que j'en parte à l'assaut.
Mais ça n'empêche pas Tonton de se lancer dans un des discours rassurants dont il a le secret. Et j'en ai bien besoin.
Cette fois, Chayan n'a pas eu besoin d'être menacé pour monter dans ma camionnette. Pour ma part, je n'ai pas pris la peine de sortir une arme, même si je la garde dans ma poche. On commence à se connaitre.
« Alors ? me demande-t-il. Du nouveau ? Je sais que sa famille lui a rendu visite, j'imagine que c'était toi ?
— Disons que j'ai appris où chercher. Il faut que tu me fasses entrer dans la Tour, jusqu'aux appartements des pilotes.
— On a déjà passé celui de Brass au peigne fin... nous et les services secrets.
— Quel échelon ?
— Agents de base.
— Autrement dit, c'était juste pour garder les apparences dans leur accusation grotesque...
— J'avoue. Mais moi, Copper et Chrome, on a fouillé son appartement et on n'a rien trouvé. A part sa drogue, une bouteille vide et une photo de toi. Ça t'allait bien les cheveux longs, d'ailleurs, mais je trouve que t'es mieux comme ça.
Je parviens à m'empêcher de passer ma main dans ma crinière en pétard. Tonton a fait ce qu'il a pu pour rattraper les dégâts, et j'ai insisté pour qu'il me laisse de quoi me cacher le visage derrière les mèches. Une vieille habitude... En tous cas ce n'est pas grandiose. Enfin peu importe. Je lui explique :
— Je ne sais pas exactement ce que je cherche, je sais juste où le chercher. Et je le ferai moi-même.
— Ou tu peux nous le dire, et ça sera beaucoup plus sûr pour tout le monde.
— Non.
— Écoute, qu'est-ce que je peux faire pour te convaincre qu'on est du côté de Brass ?
— Ne te fatigue pas. Il faut juste que j'entre. Je connais le passage au-dessus des hangars, mais j'ai peur qu'il soit surveillé. Après tout, les agents savaient très bien que Brass sortait comme il voulait...
— Oui, c'est ce que j'ai pensé aussi. J'ai fait mes recherches là-dessus, mais je n'ai rien trouvé à mon échelon, et ce serait très tendu pour moi de fouiller les échelons supérieurs... Mais après tout, ce passage a sans doute été créé par un Brass qui avait trop de temps libre, et si on opère de l'intérieur ça ne devrait pas être trop dur d'en fabriquer un autre. Il faut qu'on arrive à pirater le système informatique de sécurité, ce qui devrait être à la portée de Chrome, et à avoir le nouveau chef d'escadron qui nous couvre pour la fouille de l'appartement. Ça va plutôt être ça le point délicat... Moi je ne pourrais rien faire directement, à ces étages là je suis surveillé comme du lait sur le feu. Donc c'est faisable, mais sans garantie.
— Tant pis. Je prends.
— Ok. Autre chose ?
— Non. Je te confie la suite du plan, Chayan.
— Alors c'est décidé. Ah, par contre, si on pouvait se séparer sans passer par la phase "piqure et abandon à l'autre bout de la ville", j'apprécierais...
— J'imagine. Ne t'en fais pas, d'ici deux minutes on sera de retour à notre point de départ, et on te laissera repartir sur tes deux jambes. Il faut que tu puisses me recontacter quand le plan sera prêt, mais je ne peux pas te laisser de contact. Je vais te donner une adresse où on repassera tous les jours, à la même heure. Quand tu voudras me parler, tu n'auras qu'à y revenir.
— Ça marche.
Nous nous arrêtons. Avant de descendre, il s'arrête, semble hésiter et demande très vite :
— Il va bien ?
— Il en a l'air. Il est enfermé, inquiet, mais il arrive toujours à sourire.
— Parfait. Ne t'en fais pas, on se dépêche. De ton coté, tiens-toi prêt. Le procès est bientôt.
— Je sais.»
On n'a pas le droit à l'erreur. Je n'ai pas le droit à l'erreur. C'est pourquoi j'ai boosté ma réflexion à la poudre de paradis. J'en ai besoin.
Et pourtant, j'ai beau tourner et retourner la question, je n'arrive pas à trouver un moyen de me sortir du piège s'il y en a un.
Et si tout ce que je faisais, c'est permettre à l'UFIT de récupérer ses infos compromettantes ? Après ça, ils n'auront plus qu'à condamner Brass, et ce sera la fin du problème pour eux. Danger écarté, réputation immaculée, sortez les communicants et faites regarder cette foule ailleurs.
Je ne peux pas m'empêcher de penser à lui.
Enfin, je sais que je dois penser à lui, je dois réfléchir pour trouver une solution, mais mes pensées reviennent sans cesse à Brass lui-même. Cadell. Le combattant. Le feu follet. Et son sourire, dieux et démons, son sourire si lumineux...
C'est à cause de ce sourire que je suis tombé amoureux, en premier. Physiquement, ce Brass n'était pas mon type. Bien trop flashy pour moi, on aurait dit qu'il s'était fait repeindre par un daltonien. Et les peaux tachetés, ce n'est pas à mon goût. Mais il y avait ce sourire. Et ces yeux. Cadell est transparent, tout ce qu'il pense, tout ce qu'il ressent s'exprime sur son visage, et ses yeux en disent encore plus long... Pourquoi est-ce que ça m'obsède ? Sans doute parce que je suis un menteur. Un menteur et un lâche. Lui est incapable de mentir et courageux.
C'est sans doute grâce à mes mensonges que j'ai pu le séduire. Et mon visage, évidemment. Un visage qui est lui aussi un mensonge. Chaque fois que Cadell m'a regardé, depuis la première seconde, il me voyait comme une merveille. Et j'ai adoré cette image qu'il me renvoyait.
Sauf que ça ne marchera pas. Même si j'arrive à le sauver, et qu'on arrive à fuir... Lorsqu'il me connaitra vraiment, sans masque, sans fausse identité, sans mensonge, il me détestera.
Cette certitude me frappe comme une gifle. Oui, l'UFIT me fait peur, et le Soleil Noir me fait peur, mais perdre cette admiration candide de Cadell... ça me terrifie.
Les humains ne sont pas logiques.
Et c'est sans doute ma chance.
Après tout, si jamais tout ça est vrai. Si Chayan, Chrome et Copper, et peut-être même Platinum s'ils arrivent à le convaincre, croient que Brass est innocent. Mais qu'ils croient aussi que l'UFIT est trop corrompue, ou intransigeante, ou stupide, pour le déclarer innocent. Et bien, ils m'aideraient à le sauver. Ce n'est logique que si on fait entrer des sentiments dans l'équation. L'amitié. L'honneur. Des choses comme ça.
Si mes propres sentiments sont assez puissants pour que je retourne, volontairement, dans cette foutue Tour...
Alors les leurs peuvent exister, non ?
En quoi je dois croire ?
En quoi je peux croire ?
Qu'est-ce que j'ai à perdre ?
Cette dernière pensée m'interpelle. C'est vrai, ça, qu'est-ce que j'ai à perdre ? Si je suis trahi, est-ce que ça sera tellement pire que de fuir et vivre sans Cadell ? Qu'est-ce que j'en ai à faire, que les informations sur l'UFIT soient planquées par l'UFIT ? Ce n'est ni la première ni la dernière fois.
Je souris tout seul. Ce fil de pensée est tellement mélodramatique...
Évidemment que j'ai beaucoup à perdre. Mourir, déjà, c'est hors de question. Et laisser tuer Cadell, c'est encore pire. Alors je vais assurer mes arrières. Vérifier que personne ne puisse me trahir...
Et j'ai trouvé comment faire.
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