En ce moment, les missions sont réservées aux CinqGen, et nous devons nous contenter des entrainements et de la presse. Et nous savons tous que tôt ou tard, on se passera de nos anciennes générations pour l'un et pour l'autre. Tous les projecteurs sont tournés vers les nouveaux et leurs performances spectaculaires.

Dans le hangar, je fais toujours un détour pour saluer le Chrome et lui donner quelques nouvelles de son ancien pilote – lorsque Chrome 6 ne peut pas me voir faire, pour ne pas qu'elle se sente jalouse. Je l'apprécie beaucoup et je fais de mon mieux pour qu'elle se sente à l'aise, alors que prendre la suite de Chrome 5 n'a rien d'évident. Comme son prédécesseur elle est rationnelle, calme et solide, elle tient pour l'instant bien le coup en ignorant la pression qui l'entoure et en étant passionnée par son mecha. Mais ce n'est pas une raison pour en rajouter en parlant de Chrome 5 à tort et à travers en sa présence.

Ensuite, je me réfugie dans le Copper. A lui aussi je parle, mais lui sait tout, absolument tout, de ce qui peut me préoccuper. Je sens sa présence et elle m'apaise, comme si son écoute me permettait d'être plus affuté, d'avoir l'esprit plus clair. Je sais que je ne devrais pas croire ça – l'IA de Copper n'est absolument pas prévue pour comprendre ce genre de choses, elle ne fait que compenser la différence entre les ordres du pilote et les contraintes physiques du mecha. Si on l'humanise au maximum, on peut dire que le Copper comprend les mouvements de vol et de bataille, qu'il est habitué à la façon de bouger de ses pilotes successifs, et qu'il va privilégier une façon de voler particulière. Pas plus.

Ça ne m'a pas empêché de présenter Chayan à Copper lorsque j'en ai eu l'occasion. J'avais besoin de l'approbation de mon mecha. Il est celui qui me connait le mieux, mon complément, mon corps de métal. Si, d'une manière ou d'une autre, je m'étais inconsciemment lancé dans une relation avec quelqu'un qui ne me conviendrait pas, j'étais sûr que Copper saurait m'en avertir.

Je ne crois pas pour autant qu'il ait une personnalité autonome. Je le vois davantage comme un réceptacle, qui s'est moulé peu à peu autour des personnalités des différents pilotes qu'il a connu, et en a gardé des réflexes, des habitudes, des attitudes presque. C'est sans doute pour ça que les pilotes sont sélectionnés sur leur caractère. Ainsi, l'IA se forge efficacement, sans avoir à s'adapter à des personnes trop différentes.

Nous, les Copper, nous sommes des protecteurs. Efficaces, sobres, dévoués. Pas de grand spectacle ni de coup final fulgurant, nous n'avons pas achevés beaucoup de kaijus en comparaison de Gold et Silver, qui sont pourtant d'une génération plus jeune. Et nous avons connus beaucoup moins de décès que leur duo explosif - sans parler de ces têtes brûlées de Brass, qui sont hors catégorie. Cependant, un autre point nous distingue des autres pilotes : nous n'avons jamais quitté notre rôle de pilote vivant. Pas de mise à pied, de retraite ou de déshonneur pour les Copper. Nous accomplissons notre mission jusqu'au bout et nous l'accomplissons bien.

Et c'est ce que j'entends dans la tonalité des moteurs de Copper, toujours, et même de plus en plus fort au fur et à mesure que les doutes me rongent. Cette volonté d'aller jusqu'au bout de mon rôle. J'ai pensé qu'il m'encourageait à protéger l'UFIT, protéger cet équilibre tant que je le pouvais. Sauf qu'il me réclame de plus en plus fort d'agir pour protéger. Je sais qu'il ne peut pas avoir une vue globale de la situation, il ne peut analyser que mes propres sentiments si confus, mais... il a raison au moins sur un point. Actuellement, je ne me sens pas du tout en train de protéger, mais plutôt de trahir.

Je finis par lui murmurer :

« C'est vraiment ce que tu penses, Copper ? Je trahis mes engagements en laissant les Forces agir ?

La vibration si familière me confirme que oui. Je tente quand même de protester :

— Mais ce ne sont pas mes sentiments qui comptent, c'est le résultat. Et le résultat est là. Gold, Silver et Platinum ont réussi à...

Je n'arrive même pas à formuler ce qu'ils auraient réussi à accomplir. Limiter la casse ? Si ça se limite à notre petit groupe de pilotes, c'est risible. Prendre le contrôle de l'UFIT ? On en est très loin. Eviter que la crise ne déstabilise la vie que nous avons toujours connue ? Oui, on s'en rapproche. Rien qui s'apparente à une solution, de près ou de loin.

— Oui, bon, ils ont réussi à plus ou moins garder les choses comme elles l'étaient avant que Brass ne découvre le secret. C'est vrai que ce n'est pas une solution. Mais tu sais quoi ? Moi non plus je n'ai pas de solution. C'est bien ça le problème, je te rappelle.

Vrombissement insatisfait. Super. Je sais que le Copper est un écho de moi-même, mais autant c'est souvent très réconfortant, autant parfois c'est frustrant. J'envie brièvement Chrome 5 qui a une IA pirate avec laquelle il peut réellement dialoguer... avant de m'en vouloir pour cette pensée. Le pauvre ferait n'importe quoi pour pouvoir parler avec son mecha comme je le fais à l'instant.

Chrome a donné une IA pirate à Gold et Silver. Je me demande si elle leur parle et les conseille. Je ne suis pas sûr qu'elle soit aussi sophistiquée que celle de Chrome... Qui est sans doute celle de Landon, d'ailleurs – ce n'est pas le genre de Chrome de faire une IA capable de discuter, il serait resté sur un programme pragmatique et très proche de son mecha. J'imagine que c'est Geoffrey Lloyd qui a offert ce petit jouet à son frère. Les gens riches dans leur genre vivent tellement au-dessus des lois qu'ils ne se rendent sans doute même plus compte que c'est illégal.

Je murmure à Copper :

— Je ne peux pas agir uniquement pour ne pas me sentir mal. Je dois avoir un plan si je veux réellement sauver des gens.

Vrombissement indigné. C'est la première fois que je sens mon mecha exprimer.... De la colère ?

— Je ne comprends pas pourquoi tu réagis comme ça ! Protéger, c'est notre rôle, c'est normal de... C'est le plan ? C'est cette histoire de plan qui t'énerve ? Et bien si tu as une idée, vas-y, je t'écoute !

Je croise les bras et me tais, histoire de laisser à cette tête de mule le temps de refaire ses calculs et de voir qu'il n'a pas plus de solution que moi. Ok, avouons-le : je boude.

Copper calcule, ça oui. Avec un sentiment d'urgence que je ne lui connais que durant les batailles. Je me mords la lèvre, indécis. Il ne fait pas que me renvoyer mes propres inquiétudes. Il a calculé quelque chose qui doit être résolu...

Au moment où je m'apprête à lui en demander plus, il passe en éclairage d'alerte jaune, puis revient à la normale, avant d'afficher le signal de menace. Un signal de menace complètement fou, qui virevolte à travers l'écran avant de disparaitre.

Je jure entre mes dents tout en tentant de comprendre ce qui se passe. Là je donnerai n'importe quoi pour qu'on ait doté Copper d'une interface de communication... J'ai bien compris qu'il m'avertit d'un danger, tout autour de nous, mais là il va falloir être plus précis que ça, Cop' !

Bordel. Si seulement Chrome était là... Il savait lire les humeurs de son mecha aussi précisément que si sa machine lui parlait à l'oreille.

Mais pour l'instant il n'y a que moi, et Copper, mon mecha depuis plus de deux ans, et si je ne suis pas capable de lire en lui, alors je ne mérite pas d'être appelé pilote.

Du calme. Calme et concentration. Les mains posées à plat sur le tableau de bord, je demande :

— Il y a un danger dont je ne tiens pas compte ?

Approbation. Bien. On devrait pouvoir avancer.

— C'est par rapport à Platinum ?

Après tout, c'est le point faible qui m'inquiète le plus à ce jour. Copper approuve. Je peste et demande :

— Il va se faire virer ?

Pas de réponse. En même temps, comment Copper saurait ça ? Je suis stupide, pour lui Platinum le pilote et Platinum le mecha ne sont qu'une seule entité, et je précise :

— Il va changer de pilote ?

Les lumières de l'alerte jaune, à nouveau. Je ne vois absolument pas ce qu'il veut me dire. En même temps, je pense comme un pilote, centré sur les pilotes. Du point de vue de Copper, voué à protéger et défendre, un danger serait...

— Le Platinum est corrompu ? Il est piraté ? Il... il n'est plus fiable ?

C'est ça. C'est tout à fait ça, d'après le Copper, et maintenant que j'ai compris, il nous prépare pour attaquer la menace. Je l'arrête immédiatement :

— Attends ! On ne peut pas attaquer le Platinum dans les hangars ! On va se faire démolir, et si on survit toi ils vont te démanteler et moi m'envoyer au trou pour haute trahison !

Il s'arrête. J'ai déjà eu l'air aussi tête brûlé, moi ? Ou c'est juste l'absence du Brass qui nous pousse à compenser ?

Je lui promets :

— Je vais m'en occuper. Avec Gold, Silver et leur IA. Et peut-être le pilote du Platy. Non, pas les autorités des Forces, je ne suis pas fou. Mais je vais régler ça d'une façon ou d'une autre, je te jure.

Je pensais que ça le satisferait, mais il doute. Depuis quand mon propre mecha ne me fait plus confiance ? J'ai tant changé que ça, depuis que j'ai découvert le complot ?

J'ai découvert le complot et je n'ai rien fait. Evidemment que j'ai changé. Des générations de Copper ont martelé la personnalité de mon mecha et ils désapprouvent tous. Je soupire.

— Je te le jure, Copper. Je te le jure. On va s'en occuper. Et si les autres refusent, je m'en occuperais seul. Hors de question de laisser le chef d'escadron être corrompu, surtout pas maintenant. »

J'attends. Copper finit ses calculs, et enfin se détend. C'est bon, il me laisse agir.

Ne reste plus qu'à me montrer digne de sa confiance.