Si je continue à interroger Echo sur les sentiments de Landon, il saura à quel point je souffre, et je refuse de lui montrer cette faille. Le temps de me calmer, je change de sujet :

— Pourquoi vous détestez Lilith ?

— Hein ?

— Lilith m'a dit que vous la détestiez. Pourquoi ?

— Ce truc t'a dit... Ben... Je ne sais pas trop. Je veux dire, elle m'a toujours fait froid dans le dos.

— Pourquoi ?

— Je n'aime pas les robots, en général... Déjà, c'est à cause d'eux qu'il y a autant de misère dans le monde. Ils prennent le travail des gens.

Absurde. Lorsqu'un robot prend le travail d'un humain, c'est une tâche qui continue à être accomplie et à générer des richesses. Si l'humain n'y a ensuite pas accès, ce n'est pas la faute du robot mais celle des humains qui ont créé les règles du partage. Mais je n'ai aucune envie de parler de politique avec lui et je le recadre :

— Lilith ne travaille pas. Landon n'a pas d'autorisation pour l'utiliser en dehors de son usage privé.

— Bien sûr. Mais quand même. Elle était... rha, je ne sais pas. Elle était plus facile à vivre que moi, j'imagine. Au début, ce n'était que des lignes et des lignes de code, je m'en fichais. Et puis vers la fin, quand elle a commencé à apprendre toute seule et à avoir une personnalité... J'imagine que je me suis senti inutile. Landon s'était trouvé quelqu'un d'autre qui parlerait à sa place, quelqu'un qu'il avait fabriqué sur mesure. Bon, ce n'est pas pour ça que je l'ai quitté. Mais ça a joué, c'est sûr.

— Elle ne parle pas à la place de Landon. Elle complète sa pensée.

— C'est pareil, tu vois bien ce que je veux dire...

— Ce n'est pas pareil. Vous n'avez rien compris à ce qu'il cherchait à faire avec Lilith, au but des IA ni même à Landon. Qu'est-ce que vous croyiez, qu'il allait rester dans votre ombre jusqu'à la fin de ses jours ? C'est ça que vous vouliez, un gentil petit copain soumis, qui dirait oui à tout ?

Immédiatement il explose :

— Et tu crois valoir mieux que moi ? Tu es déjà en train de diriger sa vie dans son dos ! Tu te permets de faire subir un véritable interrogatoire à son ex et tu crois que tu peux donner des leçons aux autres ?

Valoir mieux que lui ? Indubitablement, et dans tous les domaines. Sauf en matière de séduction, et j'y travaille. Je lui dis, parvenant de justesse à rester aussi calme que depuis le début de cet entretien :

— Résumons. Vous estimez que le seul attrait que Landon vous ait trouvé est votre capacité à détester ce qu'il n'ose pas détester. Et que vous avez fini par rompre quand vous avez détesté ce que lui aimait. C'est bien ça ?

— Hein ? Mais non, ce n'est pas ça du tout !

— C'est ce que vous avez dit. Soyez plus clair.

— Tss... Qu'est-ce que tu crois, il m'aimait pour plein de raisons ! Il aimait mon coté passionné, c'est sûr. Le fait que j'ose dire ce que personne n'osait dire. Et physiquement, je sais que je lui plaisait. Au pieu, c'était super. Il était toujours partant pour tout ce que je pouvais imaginer. Et puis, il n'avait pas une très bonne image de lui-même. Le coup d'être l'héritier, ça lui était tombé dessus sans qu'il l'ait vu arriver, et il ramait pour être à la hauteur. Alors, il suffisait que je lui dise des trucs un peu gentil, quand il arrivait à gérer des trucs pas évident, et il était super heureux. Faut pas croire, hein, je l'ai vachement aidé à cette époque. Bon, moi je voulais qu'il se rende compte qu'il était trop bien pour tous ces connards et qu'il plaque tout pour vivre avec moi. Mais du coup il savait que j'avais foi en lui, et ça l'aidait.

Je vérifie mentalement où j'en suis moi-même dans cette liste. Passionné, c'est dur à dire : je me dévoue à mon métier jusqu'à la mort, mais on ne peut pas dire que ça se voit dans mon attitude. Dire ce que personne n'ose dire, je sais que c'est le cas, et que même si c'est plutôt mal vu par la plupart des gens, ça plait beaucoup à Landon. Sur le physique, je sais que je suis loin d'être laid, quand au sexe, il va falloir que je prenne l'initiative — je ne sais pas vraiment comment, mais ça aussi ça s'apprend.

Et pour l'image que Landon peut avoir de lui-même... je n'ai pas vraiment été prodigue de compliments. En fait, j'ai toujours considéré qu'il est tout à fait capable de savoir ce qu'il vaut et ce qu'il fait. Il m'a déjà parlé de ses doutes dans différents domaines, et ma réaction a été assez proche de celle de Lilith : logique. Nous avons trié les faits des émotions, établis des probabilités de risques de ses différentes craintes. Au final, je pense l'avoir apaisé. Mais ça n'avait rien de gentil. Je ne veux pas qu'il soit dépendant de moi pour avoir confiance en lui, je veux qu'il sache qu'il peut avoir confiance en lui. Ses compétences sont un fait sur lequel il peut s'appuyer sans risque. Ça n'a aucun rapport avec un éventuel jeu de séduction entre nous.

Pendant ce temps, Echo continue :

— Et puis, bien sûr, il adorait mon art. Il soutenait à fond mon message.

— Quel message ?

— Je dénonce les problèmes des quartiers pauvres. Si tu viens de la basse ville, ça doit bien te parler, non ?

— C'est un bon message. C'est la manière dont vous l'exprimez qui est stupide et indécente. La misère de ce monde sert à orner les murs de tous ces riches que vous méprisez.

— Ce n'est pas vrai ! Mon message a touché beaucoup de gens ! Les mentalités changent, petit à petit !

— Non.

Je sais ce que je dis à ce sujet : malheureusement, je les fréquente régulièrement, toutes ces personnes. Echo est furieux, bien plus que je l'ai vu depuis le début de cette discussion, et il hurle :

— Qu'est-ce que t'en sais ? Tu n'es qu'un chien à la botte de ces putains de Forces ! Même pas un chien, un robot, tu es un putain de robot sans émotion ! Sans libre-arbitre ! Sans une seule putain de pensée qui lui soit propre ! Tu te demandes pourquoi Landon a pu tomber amoureux d'un crétin comme moi et pas de toi ? C'est parce que tu n'es pas humain ! Tu n'es même pas capable d'être humain, espèce de...

Étrangement, sa diatribe me fait plutôt sourire. L'ironie de la situation me frappe. Moi, sans émotions ? Jamais je n'ai vécu une telle tempête. Et il ne le saura que si j'en perds réellement le contrôle. Que si je perds tout. Chrome. Landon. C'est parce que je les aime passionnément que je me retiens. Jamais la joie d'écraser cette minable bouche envieuse ne vaudra la peine de les perdre, l'un ou l'autre.

Je le coupe net :

— J'en fais plus en une minute pour sauver ce monde que vous ne pourriez jamais rêver de faire dans toute votre vie. La seule chose qui permettra de rééquilibrer le partage est le démantèlement de l'UFIT. Et l'UFIT sera démantelée lorsqu'on aura vaincu le Soleil Noir. Chaque jour nous nous rapprochons de ce but.

— Et tu crois vraiment à ces conneries ? Le Soleil Noir existe parce que des gens ne supportent plus ce système et toutes ces injustices ! Ça n'en finira jamais ! Et même si vous arriviez à gagner un jour, tu t'imagines vraiment que l'UFIT rendra l'argent comme ça ? Personne ne renonce spontanément au pouvoir, surtout pas un truc aussi gigantesque que l'UFIT ! C'est en faisant changer les gens d'avis qu'on leur fera changer le monde !

On se toise, aussi méprisant l'un que l'autre. Même si je commence à comprendre sa façon de penser, elle reste naïve et teintée d'idéalisme. Est-ce ça aussi qui a plu à Landon ? Qui a dissimulé à ses yeux l'égoïsme de cet homme ?

Sans que je m'y attente, Echo se met à rire doucement.

— Le pire, c'est que même si tu te comportes comme un robot, tu l'aimes vraiment, hein ? Tu es programmé pour ça.

— Comment je pourrais savoir ? Personne n'arrive à me donner une définition claire.

— Évidemment. Ma foi, tu m'as l'air d'être complètement perché, comme gars. En plus d'être idéaliste et dangereux. Je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse croire à un truc aussi totalitaire que l'UFIT sans se poser de questions.

— Je n'ai aucune envie de parler des stratégies de l'UFIT avec vous. Je voulais vous parler de Landon. Si vous n'avez rien d'autre à m'apprendre, vous pouvez partir.

— Ce n'est même pas ta faute si ça ne marche pas entre vous. Landon ne sait pas ce qu'il veut, il n'a jamais réussi à trancher. Il voudrait un mec qui soit bien dans le rang, sans états d'âme, bien vu par la société et par sa famille, comme toi. Et en même temps il faudrait que le gars soit une grande gueule qui n'en a rien à foutre de rien ni de personne, qui l'encourage et l'aide à faire ce qu'il veut, comme moi. Ça ne marchera pas tant qu'il sera aussi schizo, c'est tout.

Avant que je ne puisse répondre, une troisième personne nous interrompt d'une voix glaciale :

— Je vois que tu es toujours aussi délicat dans tes analyses, Echo.

Landon nous a rejoint. Et il est furieux.