Chrome 8 : recherches
Avant d'établir un plan pour conquérir Landon, il me faut plus de renseignements, afin d'établir une stratégie valable. Renseignements que je vais chercher à la source.
Mu a rechigné avant d'accepter de convoquer Echo. Il doit lui aussi connaitre les rumeurs. Mais je ne vais pas faire un scandale. Seulement poser des questions. J'ai dû sembler aussi raisonnable et neutre qu'à mon habitude et il a finit par me faire confiance.
Et je me sens raisonnable. Connaitre mon rival, savoir comment il a conquit Landon, c'est raisonnable. En cas d'échec, éliminer la menace qu'il représente, ça me semble raisonnable aussi. Éliminer les menaces, c'est mon rôle dans la société. Mais cette émotion-là est un raccourci trompeur. Je ne dois pas l'agresser. Respecter les limites, respecter les règles, c'est indispensable.
Il est venu. Forcément. L'UFIT a beaucoup d'argent, et même si culturellement elle n'est pas très élitiste sur les artistes qu'elle produit — tant que tout tourne autour des mechas et des pilotes - personne dans ce milieu ne voudrait se faire mal voir. Je me suis renseigné plus en détail sur Echo. Il joue les rebelles, les antisystème. Pourtant il vit de ce système. Plus il met en scène les malheurs de ce monde, plus il les esthétise et les rends aussi intéressants que lointains.
Il peint d'immenses fresques dans les ruelles les plus insalubres de la ville basse, représentant des pauvres, des drogués, des mendiants, des prostitués, des contaminés, des mutants, des cyborgs brisés. Il les prend ensuite en photo - non pas de jour, quand le peu de lumière qui arrive à atteindre le bas des buildings semble grisâtre, mais de nuit, après les avoir violemment éclairé par de puissants spots. Des photos qu'il revend ensuite à prix d'or. Tandis que ses peintures disparaissent, masquées par la pénombre de ces lieux et peu à peu englouties par la pollution. Je ne comprends pas le but de ce qu'il fait. Ni pourquoi il a du succès. Si le thème touchait les gens riches qui achètent ses œuvres, ils feraient quelque chose contre cette misère, non ?
Il se présente devant moi dans une tenue excentrique. Il est petit, sec et nerveux. Ses cheveux sont teints, hérissés et sa tête est rasée sur les côtés. Il porte de nombreux tatouages et piercings. Les traits de son visage sont marqués, virils. Rien à voir avec ma propre allure de poupée.
Il me salue d'un :
« Bonjour. Je suis Echo. Mon agent m'a dit que vous étiez intéressé par mes œuvres.
— C'est que j'ai dis. Mais c'est faux. Je suis Chrome, l'actuel compagnon de Landon Lloyd. Je veux vous voir parce que j'ai des questions à vous poser sur lui.
— Pardon ?
— J'ai des questions à vous poser à propos de Landon Lloyd.
Il s'énerve :
— Et moi je n'ai rien à vous dire sur lui ! Non mais pour qui vous vous prenez ?
Il s'apprête à faire demi-tour lorsque je l'arrête d'une main sur l'épaule. Il est bien bâti mais n'a jamais entretenu son corps. Je suis plus mince que lui mais ma forme physique est optimale. Je pourrais lui briser la clavicule d'une seule main. Au lieu de ça, j'appuie légèrement, tout en ordonnant :
— Asseyez-vous.
Il obtempère. Bien qu'il braque toujours sur moi ce regard furieux, je ne me sens franchement pas en danger et me cale posément face à lui. Le salon qu'on m'a prêté pour cette rencontre est immense et renforce notre sentiment d'être isolés du reste du monde.
Echo me toise et persifle :
— Alors c'est toi le nouveau mec de Landon, hein... Décidemment, il n'a jamais su les choisir.
— Ce qui vous inclut.
— Je sais.
Il se passe une main dans les cheveux et soupire, embarrassé. Il finit par lâcher :
— J'imagine que c'est lui qui t'envoie, hein ? Pour me faire payer...
Il se penche alors brusquement en avant et me dit :
— Écoute, je sais que j'ai merdé. Que j'ai été dégueulasse avec lui. Mais on ne peut pas revenir en arrière, et si on pouvait, la seule chose que je ferais différemment, ce serait de me casser avant de foutre sa vie en l'air. Je ne voulais pas lui faire du mal, je te jure. J'ai vraiment cru que ça pourrait marcher entre nous. J'ai juste été con.
Je l'écoute parler et je ne dis rien, je ne bouge pas. La seule chose qui me vient en tête, ce sont toutes les ouvertures qu'il laisse dans sa garde, tous les coups que je pourrais lui porter sans qu'il puisse se défendre. Comme s'il me suppliait de lui briser les os. Je pourrais si facilement le détruire. Il parait que se battre contre un civil donne l'impression d'être face à un gamin de cinq ans coincé dans un corps d'adulte dont il ne sait pas se servir.
Je préfère me concentrer sur ma propre violence plutôt que de laisser mon esprit être contaminé par l'idée que Landon ait pu pleurer à cause de ce type.
Il finit par arrêter son monologue. Mon visage doit refléter au moins un peu de mes pensées : il semble avoir peur. Il garde une attitude bravache mais n'en mène pas large. Il faut que je me calme. J'ai des renseignements à collecter, une stratégie à établir.
— Racontez-moi le début de votre relation. Votre rencontre et la manière dont vous l'avez séduit.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est ce que je veux savoir. Je me moque de vos pitoyables excuses et de la manière dont vous vous arrangez avec votre conscience. Vous avez fait du mal à Landon, mais il n'acceptera jamais que je vous fracasse le crâne comme vous le mériteriez, donc nous allons laisser ça de coté pour l'instant.
Vexé, il se lève et crie :
— Qu'est-ce que tu crois, je sais me battre ! Je suis un habitué de la ville basse !
Je sens malgré moi un rictus m'échapper. Je ne sais pas combien il paye pour sortir vivant de la ville basse, mais ce n'est certainement pas ses talents au combat qui le tirent d'affaire, et je réponds :
— Et moi j'y suis né, dans la ville basse, et à dix ans j'aurais été capable de t'égorger avec une lame de rasoir avant même que tu te sois rendu compte que je l'avais dégainée. Qu'est-ce que tu imagines, qu'on sélectionne l'élite militaire de cette planète sans qu'ils aient un minimum de capacités guerrières ? Alors maintenant assieds-toi et réponds à mes questions.
Il regarde mes cheveux. Au moins il connait un minimum les différents contaminés et devine que cette couleur n'a rien d'une coquetterie. Sa colère semble se dégonfler comme un ballon et il se rassoit, avant de soupirer :
— Très bien. Mais pourquoi tu veux savoir ça ? Landon ne t'a pas raconté ?
— Je veux votre version. Allez-y.
Il soupire, semble chercher ses mots, et enfin se lance :
— Alors... Landon et moi... Je n'ai pas vraiment d'explications à donner sur ce qui s'est passé entre nous. C'était plus un genre de coup de foudre. Il était à l'université, en première année si je me souviens bien. Il était venu à mon exposition parce qu'il devait assurer un minimum coté culture. Enfin, juste avoir quelques bases et se montrer aux endroits à la mode. C'est comme ça que ça marche, chez ces... Bref.
» Je n'aime pas les riches, en fait. Je n'aime pas devoir faire des courbettes à des salopards qui vivent sur le dos de... Mais Landon, ce n'était pas pareil. Ça se voyait qu'il était là seulement parce qu'il n'osait pas fuir. Il était poli, mais lui aussi, il les détestait tous. Quand j'ai vu ça... et puis bon, on va pas se mentir. Ce type a toujours été un putain de canon. Alors quand je l'ai vu, dans son coin, à se retenir de dire aux autres d'aller se faire foutre, je lui ai juste dit un truc du genre : "Toi aussi, tu te fais, chier, non ? Aller, viens, on se barre." Et du coup il m'a suivit.
» Au final, je ne l'ai jamais vraiment séduit, enfin je ne crois pas. Il m'a suivit, quoi. Ce soir là, et les autres. Il est plutôt passif, comme mec. Pas du genre à se rebeller. Il n'est même pas capable de détester vraiment les gens qui le font chier, il se sent toujours coupable après. Alors il était content de faire ce que je lui disais. Moi je me rebellais. Moi je gueulais sur tous ceux qu'il n'arrivait pas à détester. C'est comme si je vivais à sa place, et lui, il n'avait plus qu'à dire ensuite "je suis d'accord". Enfin, voilà, quoi. On s'est trouvé et ça a collé. Il m'adorais parce que je faisais tout ce qu'il avait peur de faire et qu'il trouvait ça super cool. Et je l'adorais parce qu'il était tellement mignon... Et qu'il était toujours là, quoi qu'il arrive. Et gentil. Il servait à rien, mais j'étais toujours content de le voir.
J'ai négligé une chose lorsque j'ai décidé d'établir une stratégie pour conquérir Landon. L'amour n'a rien de logique. Ou s'il l'est, c'est une logique qui m'a toujours échappée. Rien, dans le récit d'Echo, ne me semble avoir le moindre sens, ni son geste, ni le miracle qui a fait que ce geste a fonctionné, ni le résultat sur les sentiments de Landon à son égard. Il y a eut un transfert de sentiments, mais quel rapport avec l'amour ? Visiblement, Landon souffrait de se plier aux pressions sociales. Et il a crut que sortir avec cette grande gueule hypocrite lui ferait du bien. Mais il a dû se rendre compte très vite que ce n'était pas le cas.
Je suis tellement perdu que je ne sais même pas quelle question poser ensuite. Et la manière hautaine dont Echo parle de mon compagnon ne m'aide à rester concentré sur les faits, tant ma colère flambe. Misérable menteur méprisable. Stupide égoïste négligent. Quel est ton secret ? Comment as-tu fais pour capturer un homme qui te valait mille fois ? Quelle espèce d'empreinte lui as-tu laissé pour qu'il t'aime encore ?
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