Chayan 8 : Copper
Lorsque je le rejoins, il ne me dit pas une nouvelle fois de l'attendre, au contraire il me prend par le bras avec un léger sourire et m'amène avec lui vers de nouvelles personnes, à qui il me présente comme "mon ami Chayan". Et j'avoue que je suis fier. L'urgence que j'avais ressenti à le consoler s'est calmée. Après tout, il n'était pas là, il n'a pas été blessé par la connerie de ces abrutis. Et tout, en lui, est apaisant. Comme si être à ses cotés, c'était entrer dans un endroit serein où rien de mauvais ne peut arriver. Copper le défenseur. Je comprends tellement pourquoi, entre tous, c'est ce mecha qu'il pilote...
Mon attention focalisée sur Copper, je mets quelques secondes avant de réaliser qu'il me présente à Tom Hallan.
Il l'a fait. Il l'a vraiment fait. J'en reste sans voix dans un premier temps, me contentant de lui serrer la main vigoureusement. Tom Hallan... Copper et lui se ressemblent un peu, c'est vrai — surtout avec le look actuel de Copper — mais Hallan est beaucoup plus conforme aux canons de beauté classiques : mâchoire carrée, nez droit, grande taille... Il me fait un sourire franc et viril et me salue avec familiarité, correspondant tout à fait à son rôle dans la série de films. J'imagine qu'en ce genre d'endroit, il n'a aucun intérêt à être naturel. Je me demande s'il trouvera d'autres rôles ou si celui de Copper lui collera à la peau. En même temps, je ne vois pas pourquoi on l'a choisi lui pour le rôle de Copper. Il n'est pas sérieux, il n'est pas mignon, il n'est pas timide, il n'a pas la discrète force tranquille du pilote. Il a juste les cheveux châtains et les épaules larges. Il est séduisant, personne ne pourrait le nier et surtout pas moi. Mais ce n'est certainement pas un Copper.
Hallan enchaine sans marquer la moindre gêne et parvient à m'inclure dans un bavardage léger. Il doit avoir l'habitude des fans qui restent muets en le rencontrant.
Et bien... puisque Copper me fait l'honneur de me présenter des gens, c'est le moment de lui montrer ce que je sais faire, non ? Il reste assez silencieux, affichant son sourire-de-travail, et se contente d'approuver par-ci par-là. Et les autres attendent poliment que ma minute d'attention de la star soit finie pour y aller de leur petit mot. Je peux tenter de mettre un peu d'ambiance dans tout ça...
En général, pour plaire je préfère me taire — peu de gens apprécient ce que j'ai à dire. Mais s'il le faut, je sais focaliser l'attention. Être drôle, piquant, brillant. Ce n'est qu'un vernis qui au final ne m'engage à rien, mais je peux le faire et je ne m'en prive pas. Ici, le but n'est plus de m'incruster dans un groupe qui ne m'a rien demandé, c'est d'en être le centre. Ne pas monopoliser la conversation, mais toujours la ramener dans une direction où je peux aligner les remarques qui me donneront l'air intéressant. J'y vais à fond.
Et ça marche très bien. Une blague par ci, une anecdote par là, je parle, je parle, et même si au final je ne dis rien, le tout est de garder le rythme pour qu'ils se sentent divertis et m'apprécient. Ils rient, ils sortent d'autres vannes, je les reprends en théâtralisant au maximum, rendant chaque personne plus drôle et plus intéressante qu'elle ne l'est réellement, je flatte si outrageusement que ça en devient comique, et ils m'adorent de plus en plus.
Et Copper s'en va.
Il prend congé très courtoisement. Les autres n'ont même pas l'air de s'en rendre compte. Je suis déçu, mais j'arrive le cacher. Allons, la soirée ne fait que commencer, on va bien réussir à trouver un moment tranquille tous les deux. Il a promit de m'amener sur la terrasse, me faire admirer un peu plus la vue. Il est simplement obligé d'aller parler à tout le monde. En attendant, il faut que je continue à assurer — même si ça commence très sérieusement à me fatiguer de faire le clown.
Je patiente, je patiente, je commence à me demander si ça ne vaudrait pas le coup de m'incruster dans un autre groupe pour réussir à être à nouveau sur sa route, je fais un tour d'horizon pour voir où il est passé et l'aperçoit seul, dehors.
Sans moi. Il a enfin eut une pause, dans son interminable tournée des salutations, et il prend l'air sans moi. Pourquoi ?
Je croyais qu'il voulait me voir. Je croyais que cette invitation était un prétexte pour qu'on soit un peu ensemble. Est-ce que moi aussi, je le fatigue ? Il a besoin de silence et n'a pas envie que je lui prenne la tête avec mes bavardages ? A moins que me voyant en grande conversation avec mon acteur fétiche, il n'ait pas voulu me déranger...
Merde. Je ne sais pas quoi faire. Enfin, je ne vais quand même pas le suivre comme un petit chien et le coller à un moment où il tente d'être seul, non ? Si je suis un vrai ami pour lui, je ne peux pas faire ça. D'ailleurs, il n'est pas resté seul longtemps, d'autres gens viennent le coller. Mais il a l'air de les repousser...
Tant pis, j'y vais. Si vraiment il a besoin de silence, je ne dirais rien, mais au moins ma présence devrait décourager les parasites. Et si il attendait vraiment que j'ai fini de parler à Hallan, et bien il verra que j'ai fini. Je lance une dernière vanne et leur fausse compagnie.
« Hé, je peux rester un peu avec toi ?
Mon approche maladroite le surprend mais le fait sourire. Un sourire timide, très doux. Je dois sourire de la même manière. J'ai peur de dire ou faire quelque chose de mal. S'il te plait, Copper... Si j'ai fait quelque chose de mal, dis-le moi. Mais ne me fuis pas.
Il me répond :
— Bien sûr. Mais... tu ne préfères pas rester avec les autres ?
— Non.
Je ne sais pas quoi dire pour justifier ce choix catégorique. Après tout il a voulu me faire plaisir. Alors je ne dis rien. Et tandis que je me creuse la cervelle pour trouver comment enchaîner, c'est lui qui dit :
— C'est vrai, tu voulais profiter de la vue...
— Oui.
Décidément, ce soir je suis plus doué pour débiter des conneries à la chaine que pour faire passer un bon moment à mon ami. Je me donne quelques claques mentales. Concentré, Chayan, concentré !
Je cherche l'inspiration dans la ville qui s'étend à nos pieds. Les gratte-ciel si lumineux. Les rues si sombres. Les millions de vies qui s'étendent, palpitent, s'éteignent. Les civils sur lesquels nous avons tous les deux juré de veiller. Et qui font de leur mieux, jour après jour, dans une société qui ressemble à une jungle. La ville est aussi belle que dangereuse. Pas étonnant, en la contemplant ainsi nuit après nuit, qu'un jour Copper ait décidé d'y aller. Et que même mon rade miteux habituel lui ait paru exotique. Même si c'est un endroit assez calme et chaleureux — au final, un endroit qui lui convenait bien, nettement plus que cette soirée.
— Tu t'amuses bien ?" me demande Copper.
Non, mais bien sûr je réponds :
— Oui... C'est un peu étrange de me retrouver là, mais c'est chouette. J'avais peur que les gens me prennent de haut, mais finalement ça se passe plutôt bien.
— Ils sont sous ton charme.
Je ris et répond en secouant la tête :
— Tu parles. Je les amuse. Ils s'ennuient, à force de répéter toujours les mêmes conneries creuses aux mêmes personnes creuses. N'importe quelle nouveauté les attire.
— Tu es sévère," me dit-il, surpris.
— Attends, je ne dis pas qu'ils sont stupides. Mais dans ce genre d'endroit, les Forces ne sont pas les seuls à devoir faire attention à leur carrière et à leur image. Ils ne s'engagent pas. Et je comprends. J'ai fait pareil. On est là pour se distraire... Pas pour s'attirer des ennuis.
Son regard se perd dans l'immensité de la ville. Est-ce qu'il pense à notre rencontre ? Est-ce qu'il regrette ? Est-ce que je l'ai déçu ? Est-ce qu'il aurait préféré croiser quelqu'un d'autre, ce soir-là, dans ce bar ?
Il murmure, comme pour lui-même :
— Tu es là depuis moins d'une heure mais tu maîtrises déjà mieux le jeu que moi.
— Quel jeu ? Les relations sociales ?
— Oui, les relations sociales. Les règles de ce qu'on peut et ne peut pas dire. La manière d'intéresser sans se dévoiler. Tout ça. Je suis nul à ça. Le seul moyen que j'ai trouvé pour ne pas faire de gaffe, c'est de ne rien dire et de suivre les instructions de Lindsay. C'est pitoyable.
— Copper ! Ne sois pas stupide. Enfin, pourquoi tu te focalises sur le seul domaine au monde que tu ne réussis pas à maitriser à la perfection ? Tu es un pilote ! Tu es intelligent, fort, courageux, solide... Si en plus tu savais enflammer les foules à volonté, tu en deviendrais agaçant de perfection.
Il rit, mais son rire est amer.
— Il y en a qui y arrivent...
— Qui ça ?
— Gold, par exemple.
— Ah, Gold, très bon exemple de ce que je te disais. Il sait tout faire mieux que tout le monde. Et les gens adorent le détester.
— Peut-être... Mais tout ce que je sais faire, c'est être un bon pilote. Et si j'ai envie de... de plaire à quelqu'un, je ne sais pas du tout comment m'y prendre. Et toi tu peux séduire n'importe qui. Je t'ai invité ici parce que j'espérais que ça t'impressionnerait, tu sais. Le standing, les stars... Et finalement tu n'as pas besoin de moi du tout.
— Copper...
Moi tu me plais, Copper. C'est sans doute la plus mauvaise idée que j'ai jamais eu, mais l'envie de t'enlacer ne me quitte plus depuis que je te vois si vulnérable. À qui j'ai pu faire croire que je ne serais que ton ami ?
Il regarde toujours au loin, évitant mon propre regard, mon jugement. Je pose ma main dans son dos et répète :
— Copper...
Je ne sais absolument pas quoi dire d'autre. Ou plutôt si, je le sais très bien. Je le sais et je meurs intérieurement de trouille. En dehors de toute considération pour ma carrière ou la sienne, de tous les soupçons de sa manager ou de l'UFIT en général, j'ai peur. Mais je veux lui dire la vérité, à lui, maintenant. Sinon, elle sera perdue.
Je reprends mon souffle et mon élan et tente une troisième fois :
— Copper... Écoute. J'arrive à être à l'aise avec eux parce que je n'en ai rien à foutre d'eux. Vraiment rien. Je voulais juste te faire honneur, tu comprends ? Que tu n'ais pas honte d'avoir insisté pour inviter un opérateur qui se ridiculiserait en public. Je suis venu pour parler à Lindsay et lui demander de pouvoir te voir, et je pense que tu insiste de ton coté, on devrait y arriver. C'est toi qui compte pour moi, Copper.
Il se retourne vers moi, les yeux brillants, et un instant je pense qu'il va m'embrasser, là, devant tout le monde. Mais non. Sans en dire plus, il m'attrape par la main et m'emmène plus loin. Je ne sais pas si c'est vraiment plus discret. Je m'en fous. Je repense à notre première rencontre, au moment où je l'ai agrippé et trainé jusqu'aux toilettes. Mais ici, c'est un penthouse de luxe, et quand Copper me guide jusqu'à un endroit plus tranquille, c'est dans une chambre étrangement vide, qui fait bien deux fois la surface de la mienne. Peu importe à qui elle est et pourquoi elle semble inhabitée : elle a un verrou qui nous sépare du reste du monde et c'est tout ce que j'en espérais.
J'ai le cœur qui bat la chamade tandis que Copper, enfin arrivé là où il voulait se rendre, semble perdu. Il est rouge vif et nerveux, intimidé comme jamais encore il ne l'avait été en ma présence. Finalement, je m'assois sur le lit et lui fait signe de me rejoindre. Ce qu'il fait, à distance d'un bras de moi. Il me dit :
— Je... je t'ai amené là pour...
C'est assez transparent, comme but, mais je l'aide un peu :
— Tu voulais qu'on soit au calme, loin des autres ?
— Ce... c'est ça. Je voulais...
Il ne va pas plus loin et baisse le nez piteusement. Je suis officiellement capable d'effrayer un type qui affronte des kaijus de vingt mètres de haut.
Je ne sais pas si je dois en être fier.
Je peux encore rattraper le coup. Je lui ai seulement dit qu'il comptait pour moi, pas que j'espérais en obtenir davantage de lui. Je peux trouver un moyen de fuir sans le blesser.
Je peux. Et je n'arrive plus à le vouloir. Je n'arrive même plus à me rappeler pourquoi j'étais censé le vouloir. Je me penche vers Copper, rattrapant la distance qu'il avait prudemment placée entre nous, et je l'embrasse.
Immédiatement il m'enlace, tout en répondant maladroitement à mon baiser. Je me demande rapidement si je suis le premier pour lui — et c'est la dernière pensée cohérente que je suis capable d'avoir, ensuite il n'y a plus que Copper, ses mains et son souffle, son regard effrayé et émerveillé à la fois, sa langue dans ma bouche, sur mon cou, et tout son corps collé contre le mien, comme si on pouvait fusionner en se serrant l'un contre l'autre assez fort. Il n'existe plus rien d'autre au monde que Copper, et c'est absolument génial.
Quand il s'écarte un peu je tente de le rattraper, de faire durer la magie de l'instant. Je n'ai pas envie qu'on se détache, qu'on respire, qu'on retourne à la réalité. Il pose son front contre le mien, me fixe de son regard si sérieux, trop près pour que j'arrive à le regarder dans les deux yeux à la fois, et il me murmure :
— Je t'aime, Chayan. Je suis tombé amoureux de toi dès le premier jour où on s'est rencontré. Et même quand j'ai cru que c'était sans espoir, que tu préférais les filles ou que tu préférais Hallan, je n'ai jamais pu arrêter de t'aimer.
Je ferme les yeux. Il ne devrait pas faire ça, dire ça, ressentir ça. Ça ne va jamais marcher. Parce que... parce que quoi, déjà ?
Je peux tirer tous les plans que je veux, en réalité c'est trop tard, et il est temps qu'il le sache :
— Moi aussi, Copper. Moi aussi je t'aime. Depuis que tu m'as souri, dans le bar, tu m'as fait complètement craquer. Tu sais que tu as un très beau sourire ? Le vrai, pas celui pour les photos. Et après, tout le reste, ça n'a été que de pire en pire. Quand on a discuté dans ma chambre, que tu m'as parlé de ton mecha, de toi... quand on s'est écrit, tous les jours... Tu es devenu une partie de plus en plus importante de ma vie... Mais je ne voulais pas tenter quelque chose avec toi, parce que... parce que j'avais peur... Avoir une relation tous les deux, ça va être compliqué, tu sais ? Il va falloir qu'on se cache. Il va falloir... »
Il s'écarte un peu plus, pour bien me regarder, et je ne l'ai jamais vu aussi heureux, aussi fier. Il me jure que tout va bien se passer. Que tant que je veux de lui, il pourra vaincre n'importe quel obstacle. Qu'on est largement d'assez bons stratèges tous les deux pour tromper l'UFIT. Et parce que j'ai envie de le croire, parce que je ne serais pas capable de lui dire non même si ma vie en dépendait, parce que je veux l'embrasser encore et passer ma main dans ses cheveux et défaire cette coiffure ridicule, je dis oui à tout.
Quoiqu'il nous arrive par la suite, je ne veux rien regretter.
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