Brass 3 : dents de dragon et passage secret
Le lendemain, quelqu'un se dévoue enfin pour m'expliquer quelle est cette fameuse mission qui mobilise tous les pilotes, et je réalise à quel point je suis arrivé au mauvais moment : Goeffrey Lloyd, l'ingénieur en chef qui dirigeait les travaux sur la cinquième génération de mecha, a été enlevé par les Soleil Noir. Et si nos ennemis ont l'habitude de kidnapper de riches héritières et d'importants politiciens, c'est la première fois qu'ils arrivent à mettre la main sur quelqu'un d'aussi central pour les Forces Terriennes. Autant dire que ça panique de tous les côtés.
Tout ce que je peux faire, c'est m'entrainer dur pour être opérationnel bien plus tôt que ce qui était prévu, et le cockpit du Brass me devient vite plus familier que mes propres quartiers. Je suis encore loin d'avoir une fusion parfaite avec mon mecha, comme le révèlent les premiers exercices de combat, mais nous nous habituons bien l'un à l'autre. J'ai l'impression qu'il est comme moi, impatient de se jeter dans la mêlée, frustré d'être mis à l'écart à un moment aussi crucial. J'ignore si ces sentiments sont un écho des miens, ou si ce sont des traces de la personnalité de ses cent trente six pilotes précédents. Dans le doute, je me fie à ces sensations, comme un instinct qui serait presque le mien, mais pas tout à fait. Et nous nous donnons à fond. Nous détruisons méticuleusement chaque cible d'un coup de notre énorme épée recouverte de quartanite, nous esquivons les leurres, mais ce n'est pas encore assez bon, nous ne sommes pas encore assez vifs pour tenir notre rôle dans une véritable bataille. Mais nous continuons.
Finalement, c'est l'entretien du Brass qui nous freine davantage que mes propres besoins de sommeil. Plusieurs fois je dors directement dans le hangar, pelotonné dans un coin, tandis que les techniciens rechargent le quartan. Tout le monde approuve. Visiblement, préserver sa santé passe après cette étape de fusion avec le mecha, et c'est bien ce qu'on attendait de moi, que je m'abandonne corps et âme.
Enfin, au bout de cinq jours à ce rythme d'enfer, je suis prêt à me lancer à mon tour dans la bataille.
Briefing rapide : je vais partir avec Steel et Copper couvrir une opération de la brigade terrestre. Au final, depuis le début de la crise, ce sont surtout ces brigades qui sont sollicités : à chaque fois qu'une piste est donnée pour retrouver Lloyd, ils déboulent et tentent de prendre les Soleil Noir dans leurs filets. Et si vraiment il y a un Soleil Noir dans le coin, on peut être sûr que dès qu'il verra un bout de fusil, un kaiju sortira de nulle part pour venir mettre la pagaille et protéger leur fuite. Une stratégie disproportionnée et efficace. Personnellement, je me demande pourquoi ils se fatiguent à les faire venir ici ou là. Ils n'auraient qu'à tous les lancer sur les grandes villes en même temps, notre poignée de mechas serait débordée, on finirait tout à la bombe et, en bien et en mal, ce serait terminé pour tout le monde. Ou peut-être que si les kaijus se croisaient, ils se battraient ensemble.
Copper me donne un coup de coude pour que je me reconcentre sur ce que le colonel dit. Oui enfin je sais bien que c'est ma première vraie mission, mais j'ai compris le principe, je ne suis pas con non plus. Les brigades terrestres se planquent, Copper bloque la bestiole et l'empêche de toucher à des civils, je la blesse pour l'affoler, et Steel lui porte le coup fatal. J'essaye de prendre l'air le plus attentif que j'ai en stock pour qu'on me fiche la paix pendant que le colonel continue. J'en étais où, déjà ? Ah, oui, le combat de kaiju. Face à une tortue lestée, est-ce qu'un bipède lézarroïde aurait une chance ? Disons, un catégorie 5 ? En tenant compte d'une force de pression de 8 à 10 tonne par dent, est-ce qu'il perce la carapace ?
J'en suis à conclure qu'il faudrait au moins un catégorie 8 pour qu'un bipède l'emporte face à un tortoïde quand enfin on peut passer aux choses sérieuses et grimper dans nos cockpits. Pas trop tôt ! Brass et moi bondissons comme des chevaux dont on vient d'ouvrir le box, quand je me rappelle de ralentir pour attendre mes partenaires. Mais qu'ils se dépêchent, au moins ! Nous sentons quasiment l'odeur du kaiju tout frais pondu exprès pour nos beaux yeux. Le cœur de quartan du Brass pulse, chante presque, et cette sensation si différente de celle des exercices prouve que son IA sait exactement ce que nous allons faire, et en est heureuse.
J'ai amené la photo de l'ange avec moi. Je la colle entre deux écrans et lui lance : «Admire l'artiste, mon ange. On va faire des étincelles ce soir !»
Aujourd'hui, nous avons tué. Le Brass est couvert de sang.
Et c'était absolument grandiose !
Et effroyable, aussi. Un peu. Beaucoup. Disons que tout de suite là maintenant, alors que je suis rentré à la Tour et que l'adrénaline redescend, je commence à regretter d'avoir jeté les petits cadeaux de mes prédécesseurs. Un verre ne m'aurait pas fait de mal.
Mais c'était fabuleux ! Un bicéphale, c'était un bicéphale bipède de catégorie 7, des dents comme des épées en triple rangées, une merveille ! Je regarde le Brass et l'énorme éraflure que ces dents lui ont fait lorsque nous sommes venus narguer la bête d'un peu trop près. On s'est faufilé entre deux paires de mâchoires qui pourraient engloutir un éléphant chacune. C'est quand même passé très très près. J'ai décidément adopté l'ange de la photo comme protecteur, il a eut droit à son bisou à la fin, histoire de le remercier. Parce que quand même. Je crois que c'est passé, genre, à dix centimètres près. Et si sur le coup ça m'a surtout donné envie de refaire une boucle et de tenter un petit jet en pleine gorge, maintenant que j'y repense, c'était peut-être pas l'idée la plus raisonnable que j'ai eu.
Mais je vais bien. Le Brass sera ressoudé en un rien de temps. Et quand les cadres me demandent un débriefing urgent pour savoir si je suis prêt à repartir, évidemment je dis oui sans hésiter !
C'est Copper qui leur dit que ça semble être une mauvaise idée et que j'ai besoin de repos. En temps normal, c'est certain qu'on ne m'aurait pas laissé retourner dans mon mecha sans un rapport exhaustif et détaillé de chaque seconde que j'ai passé en vol, mais là on enchaîne tous les missions et ils ont besoin de moi !
Finalement le nouveau plan des stratèges arrivent : dès que la réparation du Brass est achevée, je repars. Dans trois heures, donc. Parfait !
Je suis une vraie pile électrique. Je veux dire, encore plus que d'habitude. Toutes les petites cachettes de ma chambre sont vides, et de toutes façons je me suis promis et j'ai promis aux fantômes de ne pas toucher à ces petits produits. Hors de question de mourir stupidement. Je veux me battre à nouveau, j'adore ça !
Je tourne très vite en rond. J'ai envie de faire un tour. Être enfermé, c'est vraiment le truc qui me pèse le plus dans mon nouveau statut de pilote. Je sais bien qu'on m'a dit et redit de faire attention à moi, mais je ne suis pas déprimé ni rien, ça ne sert à rien que j'en parle à quelqu'un. Je veux juste sortir. Rencontrer des gens, rouler des pelles, danser, des trucs comme ça. Histoire de fêter dignement mon premier kaiju. Je serai de retour en un rien de temps. Et je sais comment sortir sans que l'UFIT ne le sache. Aucun souci !
Je fais glisser une plaque dans un couloir désaffecté du bloc sud-est quand j'entends une voix derrière moi :
« S'il te plait, ne fais pas ça.
Je bondis et me retourne, affolé. Mais ce n'est que Copper, qui me sourit gentiment... Et me rejoint pour refermer la plaque avec autorité. Je tente de faire comme si de rien n'était :
— De quoi tu parles, Cop' ? J'ai juste... Vu ce truc qui était mal fixé, alors je, je jetais un coup d'œil, rien de...
— Je sais que ça permet de sortir hors caméra, Brass. Je l'utilise aussi.
— Sérieux ? Toi, tu sors sans permission ? Ben merde alors. Enfin, je critique pas, hein...
Ça le fait rire. Il a un truc, Copper. C'est pas du tout mon type de mec, attention, mais il a un truc. Je dirais... de la bienveillance. Quoi qu'il dise, ou quoi qu'il fasse, tu as toujours l'impression que ça ne peut pas être contre toi. C'est sûrement pour ça qu'on lui balance les nouveaux dans les pattes, d'ailleurs. On est excités comme des chiots dans la neige et nerveux comme des chats au-dessus d'une baignoire, et lui est du genre qui calme.
Mais bon, on parle de quelque chose qui vaut direct la cour martiale, et bizarrement ça ne m'étonne pas trop quand il m'explique :
— C'est Brass 134 qui m'a appris le truc. On était amis. J'imagine qu'il l'a noté quelque part, non ? Après tout, Brass 135 et 136 sortaient aussi en douce. Et maintenant toi. Il n'y a pas de raisons que vous l'ayez tous trouvé tout seul, dès vos premiers jours.
— J'avoue, l'hypothèse semble solide, votre Honneur...
— Tu sais, je n'ai rien dit. Quand les autres sont sortis. C'était mes amis eux aussi, et je les ai laissés vivre leur vie comme ils l'entendaient.
— Et... pourquoi moi je ne peux pas ?
— Parce qu'ils en sont morts, Brass. Et que je m'en veux.
— Allez, tu exagères...
— Brass 134, mort percuté par un kaiju. L'analyse a ensuite révélé qu'il n'avait pas dormi depuis 27 heures. Brass 135, renvoyé pour usage de stupéfiants. Et je sais qu'il savait hacker l'analyseur automatique, donc il s'est fait prendre parce qu'il était trop défoncé pour penser à le hacker. Quand à Brass 136... elle a carrément fait une overdose.
Ok. Je crois que je vois où est le problème. Ce qui explique aussi la sollicitude pincée de Chrome et les sermons de Ramón. Sauf que moi, même si j'ai déjà testé un peu de tout, je n'ai jamais vraiment eu de problèmes d'addiction, et je proteste :
— Mais je ne sors pas pour boire ou me droguer, Copper. Tu sais, je n'ai touché à rien depuis que je suis ici, promis juré ! Je veux juste me balader. Voir des gens. Je suis excité comme une puce, j'ai besoin de bouger ! Viens avec moi si tu veux me surveiller, tu verras, je serai clean comme une pucelle à son mariage !
Il sourit devant l'image mais tiens bon :
— Non, Brass, hors de question. Je n'ai pas l'intention de parler à qui que ce soit de ce passage, ni de camper devant pour t'empêcher d'y aller, mais crois-moi : tu ne dois pas quitter la Tour. Nous avons besoin de toi ici. Je t'en prie, promet-moi de rester ici et de ne rien prendre de nocif.
— En même temps, toi aussi tu l'utilises ce passage, c'est un peu abuser de me l'interdire, non ?
— Je... je ne l'utilise plus, en fait. J'ai... J'ai rencontré quelqu'un, qui travaille à la Tour, et... bref, ce n'est plus la peine.
— Sérieusement ? Copper, c'est pas juste ! Moi je n'arrive pas à choper qui que ce soit, dès que je commence à avoir un crush on me dit qu'il est casé !
— Brass. Tu es ici depuis six jours. Tu as le temps !
— Je dépéris ! J'ai besoin d'amour, c'est quand même pas un crime !
Il soupire, mais se marre un peu, et finit par me proposer :
— Bon. Et si jamais je t'aide à trouver quelqu'un, tu me promets de ne pas sortir ?
— Ça marche !»
Visiblement soulagé, il me tient compagnie jusqu'à ce qu'on retourne aux hangars, tout en me listant mes cibles potentielles. Enfin,quand je dis qu'il me tient compagnie, il m'agrippe carrément le bras en me tirant le plus loin possible du passage, comme s'il allait m'attirer comme un aimant et m'engloutir ensuite.
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