Un refuge inattendu 3/3
Lothéo n'hésita pas à bousculer Quéréo en passant le seuil du domicile d'Ibusire. Il n'attendit pas sa permission pour déposer avec précaution Féloé sur le velours élimé de la marquise bleue.
La magicienne faillit protester, mais se ravisa. Elle respira les effluves chargés de douleur émanant de la jeune fée. Cela la troubla suffisamment pour qu'elle s'approche d'elle et demande à Lothéo :
— Que lui est-il arrivé ?
Quéréo se permit de rétorquer :
— Je te l'ai dit mère, elle a subi des tortures.
— Oui, j'entends bien, pourtant...
Elle se tut, s'avança plus près de Féloé, et posa une main hésitante sur son dos. La princesse déchue sursauta, puis gémit. Ibusire comprit alors :
— Par Olzaren, cette barbarie est encore pratiquée ?
Une sourde révolte couplée d'une réelle empathie envers la suppliciée la saisit. Elle en oubliait son acrimonie. Laissant sa consternation de côté, elle ordonna à Lothéo :
— Installe-la dans l'alcôve, derrière le rideau.
L'immortel ne contesta pas cette directive. Quéréo le devança pour soulever la tenture, révélant une pièce minuscule occupée par un lit étroit. Le guerrier l'ouvrit, Lothéo y allongea Féloé.
L'aveugle arrivait déjà vers eux, les bras encombrés d'une bassine. Elle y avait posé pêle-mêle, des linges propres, des pots d'onguent, diverses fioles contenant sans doute des médications. Du moins le demi-elfe le supposa.
Ibusire s'adressa brusquement à lui :
— Sors d'ici à présent et va te laver, tu exhales le sang et les entrailles ! Le puits est derrière la maison.
De façon subite, Lothéo réalisa l'allure effrayante qu'il renvoyait, couvert de l'hémoglobine et autres de ses victimes. Mais, il n'avait guère eu le temps de s'en préoccuper depuis sa fuite de Staone. Il quitta donc la maison, en fit le tour et arriva dans un jardin foisonnant. Pour moitié y croissaient des légumes variés, et dans l'autre partie, différentes plantes aromatiques.
Le point d'eau en question se situait entre les deux parcelles, on y accédait par une petite allée sablonneuse bordée de cailloux.
Il se rendit à grands pas au bord du puits de pierres, avant d'ôter ses vêtements maculés.
Se saisissant du seau pendu à la margelle, il puisa de l'eau et entreprit de se laver avec vigueur. Parallèlement, il réfléchissait aux événements qui l'avaient conduit d'une simple traque dans une forêt ensoleillée, à cette maison habitée par une magicienne. La succession de rebondissements qu'il subissait plus qu'autre chose depuis plusieurs heures, le forçait à s'interroger.
Mais, qu'est-ce que je fais, là ?!
La question exclamative surgissait en lui avec une telle force, qu'il faillit se rhabiller pour s'éloigner de la bicoque rapidement.
Trop tard !
Cette seconde interjection intérieure lui apprit qu'il ne pouvait plus reculer. Même s'il se détachait de Féloé, il n'éviterait pas les désagréments qui lui pendaient au nez. C'en était bien fini de sa relative tranquillité, il ne risquait plus de passer inaperçu.
Cette situation le ramenait à une période de sa longue vie qu'il préférait oublier. Il avait dû jouer au chat et à la souris avec une secte religieuse puissante qui possédait, à l'époque, des ramifications au cœur de tous les royaumes.
Par malchance, de hauts dignitaires de ce mouvement avaient découvert son immortalité. Ils le poursuivirent en conséquence afin de lui arracher les secrets de cette éternité. Secrets, bien sûr, qu'il ne possédait pas.
Mais, à quoi bon expliquer à une bande de fanatiques avides de pouvoirs, cette ignorance ? Il avait passé trois décennies à fuir, en s'arrêtant le moins de temps possible et en évitant toutes les agglomérations y compris les plus petites.
Heureusement pour lui, l'influence de la secte, à l'intérieur des gouvernances, s'étiola petit à petit, pour finir pas s'éteindre définitivement. Lothéo avait pu respirer et recommencer à sillonner les différentes cités du monde.
En se rappelant ces trente années, il envisagea une fois encore de fuir et peut-être de disparaître. Puis, il pensa à Féloé et y renonça. S'attachait-il à cette fée exaspérante ?
Il termina sa toilette sans trouver de réponse.
Repoussant ses interrogations et autres soucis, il ramassa ses hardes et entreprit de les décrasser.
*
Ibusire avec précaution dénuda la princesse déchue. L'ultime vêtement, une chemise de coton fin, fut difficile à ôter. Le tissu collait au dos de Féloé, des fluides purulents, suintants, gluants imbibaient le pansement de fortune qui couvrait ses plaies.
La magicienne ne montra pas son inquiétude, même si elle douta de parvenir à soigner et surtout guérir sa jeune compatriote.
Elle qui avait passé tellement d'années à se cuirasser, pour éviter à ses émotions d'exister, sentit son cœur se serrer. Ses yeux absents auraient pu s'inonder de larmes en ce fugitif moment. Elle repoussa avec force cette compassion naissante et se concentra sur les blessures de la renégate.
Délicatement, elle entama l'enlèvement des bandages souillés.
Non sans difficultés, la magicienne parvint à dévoiler totalement le dos de Féloé. Dans le même temps, Quéréo suivant ses recommandations, se chargea d'une préparation composée d'herbes diverses qu'il pila dans un mortier.
Il l'apporta ensuite près de la fée et enflamma le contenu du récipient.
Il se consuma lentement, diffusant dans l'air une odeur pénétrante et entêtante. Le soldat féérique quitta la pièce, cette fois pour faire chauffer de l'eau.
Quand il revint auprès de la magicienne, elle débuta véritablement les soins.
*
Lothéo rendossa ses guenilles encore humides et rejoignit l'intérieur de la maison d'Ibusire. Soucieux pour la fugitive, il se hâta...
Il entra alors que des senteurs étranges, piquantes, pas vraiment désagréables, envahissaient la pièce principale. Intrigué, le demi elfe s'avança vers l'alcôve, c'est de là que venaient les effluves. Il n'hésita pas à soulever le rideau, il remarqua la vieille fée baignant les lésions de la blessée qui gémissait faiblement...
L'inquiétude de Lothéo s'accentua, il s'avança.
*
Féloé voguait dans un état de semi-conscience où le passé et le présent s'entrechoquaient, se mêlaient étroitement, bruyamment.
La douleur physique ?
Bien présente, mais diffuse et endurable. Dominée par des réminiscences, ô combien plus terribles, insupportables.
Elle délirait.
Les images défilaient en vrac sans la ménager : aucune force en elle pour leur résister.
Elle laissa le déferlement la submerger...
*
Carte
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