Rencontre mouvementée
Lothéo filait sous les frondaisons denses de la canopée. Aussi vite que ses jambes pouvaient le porter, il courait vers le théâtre de son précédent décès. L'idée de perdre son arc l'insupportait. À ses yeux, il représentait plus qu'une arme. Une bribe de son passé remonta à sa mémoire...
"Un homme à la chevelure poivre et sel le contemplait avec bienveillance et fierté. Un large sourire fendait son visage, marqué çà et là de quelques rides.
— Tu m'as rendu si fier aujourd'hui, cela mérite récompense.
Il venait de vaincre son aïeul à l'épée. Solennellement, l'ancien lui offrait l'arc d'ivoire, celui qui était dans sa famille depuis des générations et ne se léguait qu'au fils aîné.
— Pourquoi moi, grand-père, et pas mon frère, ou mon père ?
Le visage du vieil homme se voilait de chagrin.
— Toi seul en est digne, Lothéo..."
Il sortit de ce souvenir quand il arriva sur l'emplacement de sa bataille avec le logarinx. Du cadavre du félin ne restaient que quelques os, soigneusement nettoyés par les pérakoïs.
Par contre, une créature se trouvait là, mince, assez grande, les cheveux d'un bleu soutenu, brillants et raides, le regard uniformément doré. Sa peau azurée ôta tout doute à Lothéo quant à sa nature. Il aperçut entre ses mains l'ultime héritage de sa famille.
— Une fée !
— Un elfe ! répondit-elle, en remarquant les oreilles subulées de l'arrivant.
L'amertume et un chagrin ancien envahirent Lothéo, d'autres fragments de son enfance surgirent.
"Son aïeul, une fois de plus l'avait soustrait à la violence de son père, il soignait les innombrables ecchymoses de son visage, son corps. Le cœur fracassé, il criait à travers ses larmes :
— Je voudrais pouvoir les tuer ; tous, mon père, mon frère et même ma mère qui parfois se couvre les yeux pour ne plus me voir, je voudrais pourvoir ôter cette infamie qui me souille !
— Tes oreilles te viennent d'un de tes ancêtres, cela t'afflige, je le sais. Tu ressens beaucoup de douleurs, elles te valent nombre de brimades. Cela évoque pour toi le rejet d'un père qui tenta de te passer au fil de l'épée le jour de ta naissance et la faiblesse de ta mère trop terrorisée elle-même pour agir. Pourtant, tu ne dois pas en avoir honte..."
Ce jour-là, Lothéo apprenait que l'intervention du vieil homme lui avait sauvé la vie. L'arrachant aux mains criminelles de son géniteur, il l'avait aussitôt ramené à sa mère qui, hurlant de désespoir dans sa chambre verrouillée, suppliait son époux d'épargner son enfant. Prostrée, elle sanglotait derrière le lourd vantail de bois, ne réussissant qu'à s'écorcher les mains après l'avoir martelé de toutes ses forces...
De son père, Lothéo n'avait reçu que brimades, coups et larmes ; de son aïeul son éducation lettrée et guerrière. Sans la chaleur de cet homme aimant, il n'aurait pas réussi à survivre.
Son arc représentait cet amour inconditionnel qui le liait à lui, il le raccrochait à sa part d'humanité, qui, de temps à autre, lui faisait défaut...
Lothéo, repoussa ses souvenirs aigres-doux de son esprit, et se focalisa sur la fée. Il pensa que si elle croyait vraiment qu'il était un elfe, elle lui rendrait son bien sans discuter. Au moins l'espérait-il, car ces êtres craignaient la race elfique plus que tout !
Cependant, il remarqua qu'elle le scrutait avec une attention soutenue, un sourire satisfait étira les lèvres de la fée, révélant ses petites dents acérées.
— Hé, mais ta peau est bien trop foncée ; en réalité, tu es un hybride et, dans ce cas, tu n'es sûrement pas très dangereux...
Elle accrocha à la ceinture de son sarouel, l'arc et endossa le carquois. Elle jeta ensuite sur ses épaules une cape de toile vert foncé.
— Je vais donc garder ce que j'ai trouvé.
Lothéo sentit la rage l'envahir.
— Il n'en est pas question !
Il s'élança à une vitesse fulgurante dans sa direction. C'est sans mal qu'elle brisa son élan et l'envoya valser dans un bosquet couronné de houppiers épineux. Lestement, l'homme se releva, à peine incommodé par les longues échardes écarlates du végétal, dont quelques-unes s'étaient fichées dans sa chair ; il repartit à l'assaut de la fée. La créature le repoussa encore, mais avec plus de difficultés, aussi sortit-elle prestement de sa poche une sarbacane dans laquelle elle glissa un dard empoisonné ; dans la foulée, elle souffla dans l'objet, Lothéo se relevait à peine. Il reçut dans son épaule l'aiguillon meurtrier...
Cela stoppa son élan, il grimaça, se saisit du dard, l'ôta d'un coup sec et le laissa tomber sur le sol. Il vacilla à peine. Son immortalité l'immunisait contre les poisons ; pour le tuer, momentanément bien sûr, il fallait s'attaquer à son corps avec des instruments, tranchants ou contondants, et viser un organe vital. Le chasseur chargea une fois de plus la voleuse, cette fois il ne comptait pas la ménager !
Surprise, elle remarqua que la vivacité de son assaillant s'était accrue. Lothéo fut bientôt sur elle, d'une main, il la saisit par les cheveux, puis la souleva sans effort, elle poussa un cri perçant ; de l'autre, il arracha son bien de sa ceinture puis, sans douceur, la jeta à terre, il la retourna... Bloquant ses bras et ses jambes, il récupéra son carquois.
Durant cette brève offensive, la fée n'avait pas cessé de l'agonir d'injures. Cela le laissa froid. Il en avait entendu de bien pires durant sa longue vie. Il la libéra enfin, et s'éloigna d'elle, résistant à l'envie de la tuer.
Comme tout le monde, il savait bien que les fées étaient sournoises et revanchardes, celle-ci pouvait fort bien lui compliquer la vie pour l'avoir vaincue. Cependant, Lothéo avait vu trop de sang, trop de morts, lui-même avait pris un nombre incalculable de vies.
Elle l'interpella :
— Et où tu t'en vas ainsi ?
— À mes affaires, je te conseille de retourner aux tiennes, avant que je ne change d'avis...
— À propos de quoi ?
Elle courait derrière lui.
— De la nécessité ou pas de te tuer, dit-il
Il hâta le pas, la fée le rattrapa.
— Écoute, je suis désolée, je n'aurai pas dû mal agir et t'injurier, mais tu avais abandonné ton bien, la loi m'autorisait à me l'accaparer.
Lothéo stoppa, pivota vers elle, presque amusé.
— La loi ? Quelle loi ?
— Eh bien la loi, celle qui dit : "Tout objet abandonné que vous récupérez est le vôtre !"
Lothéo ne pût s'empêcher de sourire brièvement.
"Elle ne manque pas d'air !"
Il reprit son sérieux.
— Celle-ci, je ne la connais pas, elle doit venir de ta contrée, le royaume féérique, elle n'a pas lieu d'être ici en Hitarnia.
Il ajouta ensuite :
— Retourne chez toi à présent et cesse de m'importuner.
Il reprit sa marche. La fée, loin de suivre son conseil, le rattrapa, passa devant lui et stoppa son avancée.
— On n'est pas partis du bon pied toi et moi, d'abord on pourrait se présenter, je m'appelle Féloé et toi ?
Elle lui tendit la main, souriant de toutes ses dents qui brillaient dangereusement. Lothéo était agacé à présent.
— Qu'est-ce que tu veux ? Que manigances-tu ?
Sur un ton faussement offusqué, elle s'exclama :
— Je t'offre mon amitié et tu la repousses ? Sais-tu ce qu'il en coûte de refuser un rameau d'olivier venant d'une fée ?
— Les fées n'ont pas d'amis, ce sont des profiteuses qui n'hésitent pas à tromper le naïf qui a le malheur de leur faire confiance !
Le visage de Féloé se décomposa, le chasseur l'écarta de lui et poursuivit son chemin. Loin de se décourager, la créature le suivit.
— Hé, ne t'en va pas si vite, tu ignores à quel point je pourrais t'être utile.
— À quoi donc ? Mis à part me pourrir la vie, bien sûr.
— Je connais beaucoup de monde, toi aussi j'en suis persuadée, on pourrait s'entraider ?
Elle courait presque à présent pour rester à sa hauteur.
— Je n'ai pas besoin d'aide ! dit-il.
Féloé ne se découragea pas, elle était pugnace.
— Tout le monde a besoin d'aide, voyons. Je suis sûre que tu as un désir secret, tout le monde à un désir secret.
— Ce n'est pas mon cas.
Elle eut un rire cristallin qui résonna sous la sylve silencieuse. Cela interpella Lothéo. Il se tint sur ses gardes et ralentit sa marche. Féloé qui avait aussi senti venir le danger, l'imita. Soudain, des cimes des arbres une vingtaine d'assaillants, tomba sur eux...
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