Inquiétudes et Marchandage
Lothéo n'eut aucun problème pour franchir les portes de la cité, il fût l'un des derniers à y être admis ce jour-là. Il se mêla aux autres chanceux et se laissa porter en direction des petites ruelles bondées du centre de Staone. Rapidement, il se dégagea de ce flot continu. Sa première étape étant le bureau de change, qui se trouvait non loin de la demeure seigneuriale. Celle-ci dominait de sa masse imposante et mastoc, les autres bâtiments. Le voyageur arriva sur un large quai qui longeait le fleuve traversant la cité. Un petit port était à la disposition de navires marchands, la plupart d'entre eux venaient d'autres villes.
L'entrée par ce côté-ci, s'avérait aussi surveillée qu'aux portes principales, plus même. Des écluses régulaient l'entrée du port. Chaque embarcation était soumise à une taxe. Les propriétaires qui ne payaient pas, étaient impitoyablement refoulés.
Le voyageur se laissa distraire quelques instants par l'ambiance industrieuse et colorée des lieux et les multiples odeurs qui caressaient son odorat. C'était une débauche de mouvements, de teintes et d'effluves parfois agréables, souvent écœurantes pour ne pas dire pestilentielles. Il identifia des arômes de miel, de vanille, des remugles de crottin, de poisson pourri, de chairs viciées... Ses sens olfactifs en étaient saturés.
Brusquement une suavité particulière le surprit, il s'y attarda. Il s'agissait d'un parfum piquant, pas vraiment désagréable, une odeur de vétiver. Il l'attacha immédiatement à Féloé, mais la fée était restée hors des remparts de la localité. L'homme comprit très vite que les compatriotes de la renégate le suivaient. Par la même, il réalisa qu'on le filait sans doute depuis son entrée dans la ville. La colère s'empara de Lothéo. Le voyageur se calma aussi vite qu'il s'était enflammé. Après tout, cette présence d'Athéon et ses sbires était prévisible, Féloé l'avait averti de ce risque.
Dans l'immédiat, sur ce quai bondé, il ne risquait pas grand-chose. Il devait faire en sorte de se rendre rapidement chez l'argentier pour changer ses crocs de logarinx en pièces d'or, puis de sortir, très vite aussi. En principe, partir de la cité était plus simple que d'y rentrer ; toutefois, il ne devait pas traîner. Pressant le pas, il quitta le quai pour s'engager dans une ruelle nettement moins fréquentée. La venelle boueuse grimpait et serpentait entre des immeubles de pierres ravinées par les intempéries et les années écoulées. C'était une coursière pour rejoindre le quartier des orfèvres, bijoutiers et autres boutiquiers voués à la vente et l'achat d'objets précieux.
Il ne croisa personne et déboucha sur une rue très animée. Les beaux atours portés par les passants, prouvaient que ceux-ci étaient d'un statut aisé, beaucoup de bourgeois, de nobles, de marchands, vêtus de soie, de brocard, de velours sans oublier le drap, épais, mais solide et plus simple. Lothéo remarqua également quelques miséreux, des enfants surtout, qui filaient entre les badauds. Le voyageur ne doutait pas qu'ils avaient la main leste et sut donc qu'il devait faire attention à sa bourse.
L'homme se faufila entre un elfe arrogant au port altier et un nain qui dialoguait avec un homme-chien dans une sorte de sabir incompréhensible. Aucun d'eux ne faisait attention à lui. Il se détendit et marcha sans attendre vers la boutique de l'argentier... Derrière lui, des silhouettes encapuchonnées de noir, arrivaient sur les lieux...
Les prunelles d'or fondu d'Athéon, repérèrent sans mal le voyageur qui marchait allègrement sur la rue du quartier des "Richesses" (on l'appelait ainsi dans la cité). Le Général du royaume de Haute-Brume se frotta le menton en réfléchissant. Il s'était attendu à ce que Féloé soit suffisamment imprudente pour suivre le demi-Elfe dans Staone. Il l'avait sous-estimée. Il fit signe à l'un de ses soldats et lui ordonna :
— Tu vas ressortir de la cité et te mettre à la recherche de la mécréante.
— Vraiment général ? Moi seul ? Je ne peux pas être accompagné ?
— Je ne te demande pas de la capturer, juste de la repérer et la surveiller et d'attendre que nous quittions Staone, à l'extérieur.
— Parce que vous pensez vraiment qu'elle ne sera pas partie de son côté ?
— Depuis quand, tu discutes mes ordres, soldat ? gronda le Général.
— Non... N...on, mon général... balbutia le sous-fifre.
— J'espère pour toi. Bien, file et ne t'inquiète pas, je suis certain qu'elle attend le demi-elfe aux alentours de la ville. Elle ne perdra pas cette opportunité d'avoir un protecteur, maintenant qu'elle est seule et surtout sans ses ailes.
Un petit sourire cruel étira ses lèvres marine. Il reporta son regard sur Lothéo, et réalisa soudain.... qu'il avait disparu de sa vue !
Le voyageur repéra rapidement l'échoppe qui l'intéressait. Il y pénétra et non sans satisfaction remarqua qu'il n'y avait aucun client ; il nota également un certain laisser-aller car sur les rayonnages qui couraient le long des murs, des objets de toutes sortes s'empilaient sans ordre apparent, ils semblaient aussi de qualité inégale, le précieux côtoyait le tout venant. Il entendit une voix étouffée venant de l'arrière-boutique qui s'exclamait :
— J'arrive !
Un rideau de perles colorées se souleva et le propriétaire des lieux apparut. Il s'agissait d'un homme-chien. Il portait sur sa truffe humide, un lorgnon cerclé d'or retenu par un cordon de cuir. Ce dernier était accroché à la poche de son gilet de satin jaune. Lothéo ne manqua pas de remarquer les quelques taches de vinasse qui maculaient son vêtement et l'allure hésitante de la créature. Il faillit partir, mais le commerçant s'adressa à lui, sa voix était nasillarde, il parlait du nez.
— Que puis-je faire pour vous voyageur ? demanda-t-il.
Avec hésitation, Lothéo répondit :
— Vous êtes l'argentier de la cité ?
— Le seul et unique ! affirma-t-il.
L'homme soupira, il eut préféré qu'il y en eut un autre. Il se lança en déclarant :
— J'ai quelques dents de logarinx à échanger contre de l'or.
Le regard biaiseux du boutiquier s'alluma d'intérêt ; cependant, il déclara sur un ton désolé :
— De l'or ? Où avez-vous vu que de simples dents pouvaient valoir aussi cher ?
Lothéo, faisant mine de s'en aller, répondit :
— Dans ce cas, je m'arrêterai dans la prochaine ville où on ne manquera pas, j'en suis sûr, de me faire une offre...
Aussitôt l'homme-chien s'exclama :
— Hé ! Ne partez pas si vite, peut-être que je peux faire un effort ?
— Un effort ? répéta le demi-elfe.
— Cela dépend de la marchandise, si vous pouviez me la montrer que je puisse juger de sa qualité ?
Il essuya son nez dégoulinant et ses babines baveuses d'un revers de manche. Un peu dégouté, l'homme grimaça. Il glissa ses doigts dans sa bourse et en sortit une seule dent, en l'occurrence une molaire.
Le reflet bleuté et nacré attira aussitôt l'attention du boutiquier qui, bien sûr, ne montra rien de son enthousiasme, il eut même un léger reniflement, son nez se fronça et il lança sa première offre :
— Un écu.
Lothéo la rangea aussitôt en déclarant :
— Ravi de vous avoir connu... Il fit mine de s'en aller.
L'homme-chien lança très vite :
— Deux écus et c'est parce que c'est vous !
— Vous m'insultez, vous savez bien qu'une seule dent ne s'échange pas à moins de huit écus en Hitarnia !
— C'était avant la dépréciation du début de l'année, je puis vous assurer que personne ne gaspillera huit écus pour ça !
Lothéo secoua négativement la tête en déclarant :
— Dans ce cas, je reviendrai quand les cours auront remonté, enfin si je n'ai pas cédé les dents ailleurs...
Une fois encore, il prit la direction de la sortie. L'argentier proposa :
— Cinq, je ne peux pas aller plus haut !
— Sept et c'est très en deçà de la valeur des crocs de logarinx.
— Six, je ne fais aucun bénéfice à ce prix-là.
L'homme sembla hésiter, le boutiquier déclara :
— Il m'est impossible d'offrir plus, véritablement...
Un court silence, Lothéo hocha la tête en arborant un air quelque peu déçu. Intérieurement, il exultait, il venait de vendre ses crocs deux fois plus chers qu'il ne l'avait escompté !
****
Quand le voyageur quitta l'échoppe, il décida de ne pas s'attarder. Il avait certes prévu de dépenser un peu d'or, notamment pour s'acheter une monture, mais la présence des soldats féériques dans la cité, le contraignait à changer ses plans.
Ainsi sans attendre, il quitta le quartier des richesses, pour se diriger à grands pas vers les portes de sortie. Tout à sa hâte, il ne remarqua pas qu'Athéon et ses sbires, venaient de le repérer ; discrètement, ils se placèrent dans son sillage et ne le lâchèrent plus.
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