Délivrance ?
"Elle lui semblait si familière sur son destrier famélique. Si maigre, avec sa peau craquelée, collée sur ses os noirs. Cette vision de la Déesse, de la mort, effrayante pour la plupart des gens, s'offrait à Lothéo. Elle l'enveloppait de son linceul de cendres ardentes, l'attirait sur sa monture et l'emportait en son royaume. Une joie insondable le submergeait..."
Le seigneur de Staone ne décolérait pas. Le bourreau, si habile d'ordinaire, avait tué son "patient". L'exécutant n'en menait pas large. Il craignait que cette maladresse ne le conduise droit la tête sur le billot.
Baudry le toisait. Toute bonhommie sur son visage rubicond envolée, il serrait les poings de rage. Il était bien près d'étrangler le tourmenteur de ses propres mains. Il se domina et reporta son regard sur le corps pantelant du supplicié. Le torse ouvert et sanguinolent, laissait échapper en rigoles sinueuses, le liquide rubescent de Lothéo. Elles retombaient ensuite en gouttes écarlates sur le sol de pierres paillé. Baudry se détourna soudain et ordonna :
— Jette-le aux ordures !
Ensuite, il quitta sans attendre la salle de torture. Le bourreau respira, il avait échappé au pire, du moins, le croyait-il...
"Alors qu'un gouffre s'ouvrait devant le coursier étique, Lothéo vit l'étreinte du trépas se desserrer. La divinité ouvrit son suaire, l'âme du demi-elfe se déroba à son emprise. Il tenta de se retenir au linge de poussière embrasée qui se délita. La voix caverneuse de la mort retentit :
"Hélas, ce n'est pas encore pour cette fois !"
"Pitié ! Prenez-moi !"
"Je ne le puis. Il te faut retrouver celui qui m'a défiée, la fée t'y aidera."
Il glissa vers la clarté, la déesse disparut. Il sut qu'il oublierait cette brève incursion de l'autre côté, ce qui le désespéra. Une chape de résignation l'enserra, il laissa la vie le rappeler..."
Comme souvent, c'est la douleur qui accompagna la première respiration de son énième résurrection. Le bourreau venait à peine de le détacher, il s'effondra sur le sol souillé. L'exécutant s'aperçut à cet instant que le captif remuait. Il eut d'instinct un mouvement de recul.
Cela donna de précieuses secondes à Lothéo pour se replacer dans la réalité. Alors que ses plaies se refermaient à peine, il se releva d'un bond et se rua sur son tortionnaire. Ce dernier pris par la stupeur, n'eut pas le temps de réagir. Lothéo n'hésita pas à le saisir à la gorge, la serrer, bref, le tuer. Il aurait pu se contenter de l'assommer, mais la rage d'être revenu d'entre les morts, encore, occultait toutes mesures chez lui.
Il le lâcha et le corps désormais sans vie s'écroula à terre. Un bruit mou l'accompagna. Le demi-elfe reprit son souffle. L'important à cet instant, restait de sortir du château avant que l'alerte dans la cité ne soit donnée. Sa prochaine étape était simple : récupérer ses biens, mais avant tout, trouver des vêtements : il était nu comme le jour de sa naissance.
Lothéo n'hésita pas vraiment à déshabiller sa victime et passer, avec un certain dégout d'ailleurs, le pantalon de cuir du bourreau. Il récupéra la ceinture pour resserrer la taille, puis endossa une chemise crasseuse en grimaçant et enfila les bottes. En dernier, il se munit d'un des instruments qui avait servi à le torturer : un tisonnier.
À présent prêt, il s'avança vers la porte fermant la pièce et se mit à l'écoute des bruits venant de l'autre côté.
Le demi-elfe n'entendait que vagues rumeurs : paroles fermes, mais lointaines des gardes, mêlées des gémissements d'autres personnes, comme lui captives des geôles seigneuriales. Il ne pouvait se permettre d'attendre et comprit que seule la rapidité d'action lui permettrait de quitter les lieux. Il sut que cela n'allait pas être une partie de plaisir...
****
Emportée dans les airs sur le griffon, conduit de main de maitre par son sauveur, Féloé sortait complétement de son état d'inconscience. La fée sentait l'air humide et la pluie cingler son visage meurtri. "Quoi encore ?" pensa-t-elle. Elle respirait des effluves de vétiver très marquées. La renégate découvrait qu'elle était appuyée et maintenue contre un torse recouvert de la cuirasse vert-feuille des guerriers de Haute-Brume.
Aucune violence dans cette étreinte, bien au contraire. Elle s'avérait précautionneuse, emplie de respect et douce.
— Comment vous sentez-vous, Altesse ?
Ainsi s'adressa-t-on à elle. La surprise d'être nommée par son titre de noblesse, la rendit provisoirement muette. Elle se redressa légèrement et fixa le visage de son protecteur. Son étonnement s'accentua en reconnaissant le soldat. Elle s'exclama :
— Quéreo ? Depuis quand es-tu de mon côté, tu me fustiges, me poursuis, me combats même et à présent te voilà à vouloir préserver ma vie ?
— Pardonnez-moi, Altesse, mon égarement, mais j'ai cru en la parole de votre sœur.
— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
Le guerrier n'osa pas répondre, Féloé le découvrait piteux. Elle ne chercha pas plus loin, il s'alliait à elle, cela lui suffisait, au moins pour l'instant présent. Reprenant un peu de sa fierté d'antan, elle lui ordonna :
— Ramène- moi aux abords de Staone.
Une brève hésitation passa dans le regard doré du soldat.
— Ce ne serait pas prudent, Altesse, c'est le premier endroit où le général vous cherchera ! osa-t-il objecter.
— Je n'ai pas l'intention d'y pénétrer, je dois juste récupérer quelques affaires dans la grotte où vous m'avez acculé plus tôt. Par ailleurs, je dois retrouver Lothéo.
En disant cela, elle se laissa aller contre la cuirasse de Quéreo. Ce dernier déclara soudainement :
— Si vous parlez du demi-elfe, Altesse, il est sans doute mort à présent.
Féloé sursauta et se redressa :
— Qu'est-ce que tu veux dire ? exigea-t-elle.
Comme il se taisait, elle insista, furieuse :
— Parle ! Qu'est-ce qu'Athéon lui a fait ?
— Je... J'ignore exactement ce qu'il s'est passé, le général m'avait envoyé à l'extérieur pour vous surveiller. Cependant, je sais au moins une chose, il a été capturé par la milice.
Un vent de panique et d'urgence s'empara de la fée. Elle-même n'y comprenait rien, habituellement elle aurait volontiers laissé le demi-elfe affronter seul sa destinée sans lever le petit doigt pour lui. Pourtant, là, une sorte de loyauté s'emparait d'elle. Est-ce parce qu'il l'avait aidée, soignée ? Elle l'ignorait, mais elle ordonna au guerrier.
— On va à Staone et pas de commentaires !
Il n'en fit aucun et redirigea sa monture vers la cité.
Camp des guerriers de Haute-brume et de la reine Oparythe.
L'état de fureur d'Athéon atteignit un nouveau palier lorsqu'il remarqua l'absence de son appeau tubulaire. Il allait devoir demander à la reine de lui céder l'un des siens et, par ce fait, lui avouer que sa sœur, avec la complicité d'un de ses soldats, venait de s'échapper. Sans cet outil, de toute façon, il ne pouvait en aucun cas appeler les griffons, et encore moins les contraindre à la monte.
Il ne put que fulminer. Il retourna dans la tente d'où il était sortie. Là, une des servantes qui avait aidé Quéreo à soigner Féloé, rangeait un peu.
Il s'avança vers elle, dégaina sa rapière et l'embrocha en déclarant :
— Désolée, tu as payé pour les traîtres !
Elle n'eut pas le temps d'être surprise, elle s'effondra sur le sol et mourut aussitôt. Sur son corsage blanc, une fleur de sang bleu s'étendit progressivement. Le général, imperturbable se saisit d'un chiffon qui traînait, essuya sa lame, puis quitta la tente. Il lui restait à affronter sa souveraine. À grands pas, il marcha jusqu'à la yourte royale...
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