Acte III, scène 13
Auriane, Marguerite, Agnès, Madeleine, Louise, Eugène, Jeanne, Antoine.
Antoine et Auriane entrent dans le salon et reprennent leurs places respectives.
AURIANE – Sur quel sujet disputez-vous mes amis ?
MARGUERITE – Nous parlions du roi ma chère.
AURIANE – Il me semble que discuter du roi, dans son dos, n'est pas quelque chose de fort conseillé.
MARGUERITE – Je suis bien de votre avis. Mais ces gens ne peuvent s'empêcher de penser que si le roi nous a donné cet art de la conversation, si caractéristique de la noblesse française, et l'amour de la fête, ce n'est que pour nous maintenir, nous, les nobles, à la cour. Ainsi, nous ne nous opposons en rien à sa politique et ne contredisons pas son autorité. J'avouerais que je suis un peu de cet avis, mais cette discussion doit, bien sûr, rester entre nous.
AURIANE – Oui. Je n'irai pas jusqu'à penser que le but du roi est d'avilir l'esprit des nobles par les jeux et les fêtes, mais il est vrai que depuis l'arrivée de Louis XIV au pouvoir, personne ne s'oppose plus à la politique des rois. Il a un pouvoir absolu sur l'ensemble du peuple, nobles compris. Nous sommes obsédés par cette optique de plaire et d'être remarqué par le roi. Mais ce n'est rien qu'un homme. Un homme comme vous et moi. Il paraît qu'il ne demande même plus l'avis de ses ministres pour partir en guerre ou faire une réforme. Il est devenu le seul, l'unique maître de la France. De plus, l'influence qu'ont les femmes sur son esprit font d'elles les reines de France. Souvenez-vous du règne de Madame de Montespan, tout le monde s'est soumis à elle, et non au roi car elle connaissait presque tous les secrets d'État. Et je pense que Madame de Maintenon a elle aussi quelque poids sur les affaires politiques. Le roi est donc dorénavant le seul maître du pays, mais c'est à se demander si ce ne sont pas ses maîtresses qui gouvernent.
EUGÈNE – Je suis d'accord. Un homme ne devrait jamais se laisser dominer par une femme. Son esprit devient alors si confus qu'il ne songe qu'à lui plaire.
AGNÈS – Oui, et, comme l'a dit très justement Mademoiselle de Florelle, le roi est un homme qui a aussi ses faiblesses.
JEANNE – Avouez, Auriane, que vous êtes tout de même bien heureuse d'être née noble et fortunée. Qu'auriez-vous fait en faisant partie du Tiers-Etat ?
AURIANE – Je suis née de parents nobles, il est vrai. Mais l'éducation que j'ai reçue ne me permet que de voir que les titres qui m'ont été donnés n'ont aucune valeur. Sont-ils mérités ? Non. Je suis persuadée que par leur labeur, les paysans qui ont nourri ma famille méritent bien plus que moi d'être élevés au rang de noble. Il n'y a aucune gloire à être à la cour. J'aimerai autant être née pauvre mais n'avoir pas eu à me cacher derrière un masque pour être sûre de garder une bonne réputation. J'ai mal pour le peuple.Qu'est-ce qu'un pays où une seule personne sur cent vit correctement ? Qu'est-ce qu'un pays où le peuple ne mange pas à sa faim ? Ou il meurt de famine ou de froid ? Qu'est-ce qu'un pays où un seul homme peut, à sa guise, disposer de la vie de ses sujets ? La France est bien malade selon moi.
MADELEINE – Je vois où vous voulez en venir, et je me range de votre côté, mais nous ne pourrons pas changer le monde à quatre, cinq ou même dix.
AURIANE – Oui. Mais un jour, les français réclameront leurs droits, je le sais.
JEANNE – Comment osez-vous tenir ce discours alors que le roi vient de vous admettre à la cour ?
AURIANE – Il faut savoir regarder la vérité en face. Notre monde est bien inégal. Pourquoi changerais-je d'idées et de valeurs car un homme m'a fait une faveur ?
JEANNE – Il se fait tard. Nous allons rentrer. Merci de nous avoir accueillis.
Eugène et Jeanne se lèvent, ils disent au revoir à chacun. Antoine fait un baisemain à Auriane.
LOUISE – Quelle commère que cette Jeanne du Guiny ! Merci de nous en avoir débarrassées Auriane !
AURIANE – Il suffit de contrer ses idées pour qu'elle se sente rejetée. Je ne faisais qu'argumenter sur le sujet qu'on m'a donné... !
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